Histoire de la littérature grecque/Chapitre XXXIV

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Librairie Hachette et Cie (p. 449-452).


CHAPITRE XXXIV.

HISTORIENS DU QUATRIÈME SIÈCLE AVANT J. C.


Ctésias. — Philistus. — Théopompe. — Éphore.

Ctésias.


Il ne nous reste aucun des ouvrages historiques composés par les écrivains qui s’étaient portés, au siècle de Démosthène et d’Eschine, pour les émules d’Hérodote, de Thucydide et de Xénophon. C’est une perte bien vivement regrettable, d’abord et surtout à cause des lumières que fourniraient ces ouvrages sur une foule de sujets, et ensuite parce que leurs auteurs, sans être des hommes de génie, n’étaient pas tous dénués de talent littéraire.

Ctésias de Cnide, qui avait été pendant de longues années médecin d’Artaxerxès Mnémon, laissa une Histoire de Perse et un autre récit sur l’Inde. Il avait un style agréable ; mais il se souciait bien plus, ce semble, d’amuser son lecteur que de lui dire la vérité. Les extraits de Ctésias, dans Photius, sont pleins de fables puériles, mêlées quelquefois à des renseignements d’un haut intérêt.


Philistus.


Philistus de Syracuse, confident, ministre et général de Denys l’Ancien, et qui périt en défendant contre Dion la cause de Denys le Jeune, a été apprécié assez diversement par ceux qui avaient lu ses histoires. Plutarque lui reproche d’avoir beaucoup trop admiré ce qui brille. A propos d’un mot de Diogène à Denys le Jeune : « Quand je compare à ces paroles, dit-il dans la Vie de Timoléon, les plaintes que fait l’historien Philistus sur le sort des filles de Leptinès, tombées, comme il s’exprime, du haut des opulentes félicités de la tyrannie dans un état bas et obscur, je crois entendre les lamentations d’une femmelette regrettant ses parfums, ses robes de pourpre et ses bijoux d’or. Mais Plutarque ne prétend pas, tant s’en faut, que les ouvrages de Philistus fussent sans valeur. Philistus, d’après Cicéron et Quintilien, était un écrivain habile, et qui rappelait quelquefois Thucydide. Son style avait de la concision et de l’énergie. Il est probable que son Histoire de Sicile était d’une lecture tout à la fois instructive et attrayante. Mais les livres de Philistus sur les deux Denys, écrits par un des complices de leur tyrannie, ne pouvaient être que des apologies passionnées, et non pas des compositions dignes du beau nom d’histoires.


Théopompe.


Théopompe de Chios, disciple d’Isocrate, après avoir été longtemps orateur, selon l’expression de Quintilien, ou, comme nous dirions, rhéteur et sophiste, se fit le continuateur de Thucydide, l’abréviateur d’Hérodote, et composa en outre une histoire universelle de son temps, sous le titre de Philippiques, à cause du rôle qu’avaient joué dans la Grèce Philippe et les Macédoniens. Polybe est sévère pour ce dernier ouvrage. Il accuse formellement Théopompe d’avoir calomnié les mœurs et le caractère du père d’Alexandre, et d’en avoir fait un tyran abominable après l’avoir annoncé d’abord comme le plus grand des héros. Théopompe se vantait d’être le premier historien grec qui eût su écrire. Il est certain que Xénophon, encore moins Hérodote et Thucydide, n’écrivait pas à la manière d’Isocrate. Mais on est en droit de penser que les Helléniques de Théopompe feraient une assez triste figure à la suite de la Guerre du Péloponnèse ; que son abrégé d’Hérodote ne servirait qu’à faire admirer davantage les Muses ; que ses Philippiques même, en dépit de leur beau style, n’étaient pas un chef-d’œuvre. Un historien qui songe tant à ses phrases a en général peu de zèle pour la vérité, et cherche bien plus à faire montre de son talent qu’à éclairer et à instruire. Théopompe a pu ne pas démériter d’Isocrate ; mais il ne pouvait être et il n’a été qu’un historien suspect, un brillant sophisticateur de faits et de caractères, un faiseur de narrations plutôt qu’un historien.


Éphore.


Éphore de Cymé, disciple aussi d’Isocrate, et écrivain non moins prétentieux que Théopompe, avait embrassé dans un seul corps d’ouvrage toutes les annales de la Grèce, depuis le retour des Héraclides jusqu’au milieu du quatrième siècle. L’honnête Plutarque, après avoir blâmé, dans la Vie de Dion, les imputations calomnieuses dont un écrivain passionné flétrissait la mémoire de Philistus, ajoute ces paroles, qui prouvent qu’Éphore historien était resté un sophiste, et un sophiste de la pire espèce : « Éphore ne se montre guère plus sage dans les louanges qu’il donne à Philistus. Car, bien qu’il soit le plus habile des écrivains pour colorer de prétextes spécieux les actions mêmes les plus injustes, pour donner à des mœurs dépravées des motifs raisonnables, et pour trouver des discours capables d’en imposer, néanmoins il ne détruira jamais l’idée qu’on a de Philistus, le plus décidé partisan de la tyrannie, l’homme qui a le plus admiré et recherché la pompe, la puissance, les richesses, et les alliances avec les tyrans. » Il faut dire cependant qu’Éphore avait quelques-unes des qualités du véritable historien. Polybe, qui lui reprochait beaucoup d’erreurs, reconnaît qu’il s’était enquis avec soin de l’origine des villes, et que personne n’avait mieux que lui débrouillé les migrations des peuples. Polybe lui accorde de profondes connaissances dans les choses qui concernent la marine et les guerres navales, mais lui refuse une compétence suffisante dans la stratégie. Enfin il cite quelque part un mot d’Éphore, qui semble prouver chez cet historien un certain amour de la vérité et de l’exactitude : « S’il était possible d’assister à la fois à tous les événements, cette manière de connaître l’emporterait sur toutes les autres. » Celui qui parlait ainsi devait être difficile dans l’examen des témoignages.

Un grand nombre d’hommes avaient rédigé, dans le quatrième siècle, des ouvrages du genre historique. Mais ceux dont je viens de parler sont les seuls dont les noms soient parvenus à quelque notoriété littéraire. Presque tous les autres nous sont à peu près complètement inconnus ; et beaucoup d’entre eux avaient écrit sans aucun souci de la forme, et uniquement pour préparer des matériaux à l’histoire. Peut-on appeler historiens, par exemple, les scribes qui enregistraient jour par jour les faits et gestes d’Alexandre le Grand ?