Histoire de la paroisse Saint-Joseph de Carleton/2

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Imprimerie générale de Rimouski (p. 13-26).

CHAPITRE DEUXIÈME


M. Bourg (suite) ; Guerre de l’indépendance Américaine ; Soulèvement des sauvages ; pacification par M. Bourg ; fondation de l’église d’Halifax, N.-E. (1778-1797)





Durant les trois années qui suivirent, M. Bourg visita la Gaspésie et la Baie des Chaleurs jusqu’à Miscou. On ne voit pas qu’il se soit rendu en Acadie.

Mais en 1778, une mission plus délicate et plus dangereuse lui fut confiée par l’Évêque de Québec.

La guerre de l’indépendance avait éclaté. Les sauvages, excités par des émissaires américains dont le principal agent était un certain John Allan, établi au fort Machias, et qui était en relation avec les Micmacs du golfe St-Laurent, prirent une attitude très menaçante. On put craindre un instant un soulèvement général.

Cette révolte, dans les circonstances difficiles que traversait alors l’Angleterre, eût singulièrement compliqué la situation déjà si compromise par elle-même.

Sir Richard Hughes, alors lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, averti du danger par Michaël Franklin, surintendant des sauvages, écrivit au gouverneur-général dont la résidence était à Québec, le priant d’insister auprès de l’évêque catholique de cette ville, afin que celui-ci envoyât immédiatement un missionnaire parmi les tribus en pleine effervescence.

Quel hommage rendu à la puissance de la religion catholique !

M. Bourg se trouvait en ce moment à Tracadièche. Il avait un grand ascendant sur l’esprit des sauvages dont il connaissait parfaitement la langue et les mœurs. C’était bien l’homme tout indiqué pour cette mission d’apaisement. Aussi l’évêque de Québec lui dépêcha-t-il immédiatement un exprès pour l’en charger.

Sans hésiter, n’écoutant que la voix du devoir et l’ordre de son évêque, M. Bourg, accompagné de deux sauvages fidèles, se rendit aussitôt auprès des tribus soulevées par John Allan ou ses agents.

Il réunit les chefs et tint avec eux plusieurs conseils. Il leur dépeignit le danger auquel ils s’exposaient ; il leur fit comprendre la félonie de leur conduite.

Il fut si éloquent, si persuasif, il sut si bien trouver le chemin du cœur de ces naïfs enfants des bois, qu’il réussit à les faire renoncer à leurs projets belliqueux. Il les amena enfin à renouveler leurs promesses de loyauté à la Couronne britannique, ce qui se fit en grande cérémonie devant l’honorable Michaël Franklin et d’autres officiers du roi. (Voir notes à la fin.)

Dès ce moment, M. Bourg eut à Halifax ses coudées franches, et dans les missions catholiques de tout le pays une entière latitude dont il sut user largement au profit de ses coreligionnaires et à l’honneur de la religion.

Sir Richard Hughes voulut cependant lui témoigner sa reconnaissance d’une manière plus tangible. L’immense service rendu à la colonie naissante par M. Bourg méritait certes quelques égards. Le lieutenant-gouverneur lui fit concéder gratuitement l’Île-aux-Hérons ; quatre milles de terrain en superficie sur la terre ferme, sur la rive sud de la Baie des Chaleurs — où se trouve aujourd’hui la paroisse de Charlo, N. B. — ; et enfin une certaine étendue de terre où se trouvent actuellement les édifices religieux de Saint-Joseph de Carleton, rive nord de la Baie, jusqu’à la pointe ou cap des Bourgs. À son départ de Tracadièche, M. Bourg céda une partie de ce dernier terrain à l’église. Le reste appartient encore à ses arrière-neveux.

Ce fut ce zélé missionnaire qui engagea, en 1783, les familles irlandaises d’Halifax, à présenter une pétition à Sir Andrew Snape, qui avait succédé en 1781 à Sir Richard Hughes. Par cette pétition, les Irlandais demandaient des mesures plus libérales et plus tolérantes pour le libre exercice de leur religion.

Sur la demande qui lui en fut faite par le lieutenant-gouverneur, la législature décréta l’abolition des clauses injurieuses et iniques qui privaient les citoyens catholiques, sujets de Sa Majesté, du droit de posséder et de la liberté de pratiquer ouvertement leurs devoirs religieux dans la Nouvelle-Écosse.

C’est de cette époque que date l’émancipation des catholiques de la Nouvelle-Écosse.

Le 16 juillet 1787, M. Cravé, vicaire-général de l’évêque de Québec, écrivait à M. Bourg, à Tracadièche, que les Irlandais catholiques d’Halifax, profitant de la liberté religieuse que venait de leur octroyer la législature, demandaient à l’évêque de Québec un prêtre qui se fixât parmi eux. Ils s’étaient d’abord adressés à l’évêque de Londres qui leur avait répondu, naturellement, qu’Halifax n’était pas dans son diocèse.

M. Bourg était donc prié de se transporter à Halifax, d’examiner les choses par lui-même et d’en rendre compte à M. Gravé, Il devait s’enquérir du nombre des catholiques dans la ville et les environs. Il devait s’assurer si l’on pouvait librement bâtir une église et un presbytère à Halifax ; quels moyens on avait de faire vivre un prêtre, etc.

L’évêque voulait donner ce poste à M. Bourg qui parlait couramment l’anglais. Il eût eu pour successeur à Tracadièche, M. l’abbé LeRoux, récemment arrivé de France.

On prévoyait déjà qu’Halifax deviendrait un centre important. Grâce à l’influence de M. Bourg, les catholiques y avaient obtenu du parlement, en faveur de la religion, des avantages que bien d’autres n’eussent point osé demander.

M. Bourg était bien désigné d’avance comme devant être le fondateur de cette Église naissante. Il était déjà vicaire-général de l’évêque de Québec pour toute l’Acadie. Les services signalés qu’il avait rendus à la colonie lui avaient attiré le respect et la considération des autorités civiles d’Halifax. Le choix de l’évêque était des plus heureux et des plus motivés.

Tout en remplissant sa mission, M. Bourg était chargé de dire aux catholiques d’Halifax, au nom de l’évêque de Québec, qu’il ne les oubliait pas, qu’il était très content du zèle qui les animait pour leur religion ; qu’il ne perdait pas de vue leurs intérêts spirituels et travaillerait de tout son pouvoir à les secourir.

M. Bourg arriva à Halifax pendant l’été de 1784. Après avoir fait un minutieuse enquête sur les points exposés, par ordre de l’évêque, les catholiques Irlandais s’engageant à payer cent louis par année au prêtre résidant au milieu d’eux, il rendit à l’évêque de Québec un compte très détaillé de sa mission.

Cet important rapport ne parvint pas à sa destination.

Rentré à Tracadièche vers la fin de l’automne, M. Bourg écrivit de nouveau à M. Gravé, vicaire-général, lui redisant les succès de sa mission.

« J’eus l’honneur, dit-il, d’écrire à Mgr l’évêque, étant à Halifax dans le courant de l’été dernier, que je me conformais au désir de Sa Grandeur qui était que je résidasse à Halifax ; M. LeRoux devait résider en la Baie-des-Chaleurs, et moi j’étais sur mon départ d’Halifax pour chercher mes effets en la Baie et retourner au plus tôt.

« J’ignore si cette lettre est parvenue à Sa Grandeur et c’est ce qui m’oblige de vous écrire la présente. Le trajet d’Halifax à la Baie m’a pris trois semaines, et, dans une tempête qui dura dix jours sans discontinuer, tout l’équipage fut déconcerté, excepté le capitaine. Je fus obligé de servir de matelot pour me sauver la vie, et à mon arrivée je tombai malade, tant j’avais essuyé de fatigues et de froid. Cette indisposition m’a retenu dans la Baie ; si Dieu me conserve, j’espère me transporter à Halifax ce printemps pour y faire ma résidence jusqu’à nouvel ordre de mon évêque.

« Quant à M. LeRoux, qui est un très digne prêtre, il est maintenant d’un âge si avancé qu’il lui est impossible de pouvoir desservir tous les endroits éloignés et même les moins éloignés durant l’hiver. Ainsi, je crois, qu’il serait à propos, si Sa Grandeur l’avait pour agréable, que M. LeRoux vint résider où je suis, (à Tracadièche), qui est maintenant l’endroit le plus considérable de la Baie, puisqu’il y a soixante-dix-huit familles habitants. Neuf lieues plus haut est la mission de Restigouche qu’il pourrait encore desservir, ainsi que les endroits nommés Pégéquit et Caraquet où il peut y avoir en tout quarante habitants. Le second endroit le plus considérable est Bonaventure, douze lieues plus bas que Tracadièche et toujours sur la côte nord où il y a environ soixante habitants. Quatre lieues plus bas est un endroit appelé Paspébiac où il peut y avoir vingt-trois habitants, ensuite Port-Daniel, Pasbeau, la Grande-Rivière et Percé. Du côté du sud de l’ouverture de la Baie, se trouve Miramichi où il peut y avoir vingt familles et quantités de sauvages ; plus loin, Cocagne et Memramcook où réside M. LeRoux, parce qu’il y a cent habitants au moins.

« Ne serait-il pas possible de placer un jeune prêtre à Bonaventure pour y résider dans le cours de l’hiver ? L’été il parcourrait les différents endroits que j’ai nommés.

« M. Leroux pourrait suppléer pour les malades pendant son absence.

« Je suis persuadé que votre zèle apostolique vous excitera à faire tout ce qui dépendra de vous pour favoriser cet arrangement. »

L’arrivée du Père Jones à Halifax, au printemps 1786, après le départ de M. Bourg de cette ville, dérangea tous ses plans.

Le Père Jones était de l’ordre des Capucins qui avaient déjà fourni plusieurs missionnaires en Acadie, sous la domination française. C’était un homme instruit et fort distingué.

Mais comment expliquer son arrivée à Halifax, venant d’Angleterre, sans mission préalable de l’évêque de Québec, pendant que M. Bourg était bien le légitime pasteur de la nouvelle église ?

Il faut croire que les Irlandais catholiques d’Halifax, désireux d’avoir un prêtre de leur race, avaient fait jouer des influences à Londres pour parvenir à leurs fins.

C’est ce qui explique la mauvaise volonté qu’ils témoignèrent à M. Bourg durant le dernier séjour qu’il fit au milieu d’eux, en l’hiver 1786.

Et voici d’ailleurs ce qui vient confirmer cette opinion par la lettre suivante que M. Bourg écrivait à M. Gravé, le 25 juillet 1786, datée de Tracadièche :


« Monsieur Gravé, vicaire-général.

Monsieur,

« Je profite de la première occasion, qui est celle de Monsieur Girouard[1] pour vous écrire la présente et vous informer de mon retour en la Baie. La dernière que j’ai eu l’honneur de recevoir de la part de Sa Grandeur est celle datée du 27 octobre de l’année précédente, par laquelle j’étais informé de l’ordination de M. Girouard et de sa destination pour la Baie-des-Chaleurs. On m’a dit que Sa Grandeur ou vous-même, de sa part, m’avait écrit depuis ; ces lettres peut-être supposées ou réelles ne me sont point encore parvenues.

« Dans ma dernière, que je crois avoir parvenue à son adresse, je prenais la liberté d’informer Sa Grandeur que je pensais ne pouvoir toucher le salaire de mes deux années écoulées et encore moins la continuation. Ce qui est arrivé en effet. De plus, au sujet de cette nouvelle congrégation (d’Halifax), j’informais Sa Grandeur que je voyais évidemment que les Romains catholiques avaient regret de s’être engagés de me donner cent louis per annum… C’est en effet avec beaucoup de peine que j’ai pu retirer le salaire de six mois écoulés. Mais à dire le vrai, supposé qu’ils eussent la volonté d’entretenir deux ecclésiastiques[2] en cet endroit, ils ne le peuvent, ils sont encore en dette de trois ou quatre cents louis pour la bâtisse de leur église. Ainsi dans le cours de l’hiver (1786), voyant, par les dépenses faites pour mon passage, dont ils ont refusé de me dédommager en rien, que je ne faisais que de m’endetter de plus en plus pour pouvoir subsister en cet endroit où tout le nécessaire à la vie est d’une cherté extraordinaire, je pris le parti de quitter l’endroit le 18 février pour me rendre en la Baie Sainte-Marie et desservir, en attendant le printemps, les gens de cet endroit et ceux du Cap Sable. »

Mgr de Québec, pour éviter tout froissement entre les deux missionnaires, rappela M. Bourg en la Baie-des-Chaleurs et lui écrivit, le 15 octobre 1787. en lui donnant de nouvelles instructions.

« Les Evêques d’Irlande, lui dit-il, et celui de Cork en particulier, paraissant disposés à fournir des missionnaires pour la Nouvelle-Écosse, nous avons donné à M. Jones, missionnaire à Halifax, un pouvoir spécial, (sans toutefois vous ôter la prééminence), pour gouverner en chef sous notre autorité, toutes les missions où il jugera à propos de placer quelqu’un de ces prêtres. Il est de même nation qu’eux, parle la même langue, les connaît pour la plupart et sera par conséquent plus en état que personne de juger de leurs talents et de leur répondre dans l’occasion, d’autant plus qu’il n’y a pas lieu d’espérer que le diocèse de Québec puisse fournir par lui-même un nombre suffisant d’ouvriers pour tous ces cantons qui augmentent considérablement.

« Bien attendu, néanmoins, que M. LeRoux et M. Girouard continuent de relever de vous. »

M. Bourg se soumit de tout cœur à ce nouvel ordre de choses et Mgr de Québec s’empressa de l’en féliciter.

« Je suis charmé, dit-il, que vous ayez quitté Halifax, puisqu’il paraît que vous n’y étiez plus nécessaire par l’arrivée de M. Jones et que d’ailleurs il était impossible de vous y maintenir avec décence, faute de revenu suffisant. J’ai applaudi à la liberté que vous avez donnée à M. Jones d’agir ad arbitrium en votre absence. Ou je me trompe bien, ou c’est un ecclésiastique vertueux, incapable d’abuser de votre confiance. Aussi je me dispose à le munir de certains pouvoirs essentiels à raison de la grande distance où il est maintenant de vous. J’ai reçu plusieurs lettres de ce missionnaire qui me confirment toutes dans la bonne idée que j’ai conçue de lui. Il ne faut pas être surpris qu’il ait été plus goûté en cet endroit que ne l’aurait été un étranger. Il est de la nation irlandaise, connaît leurs usages, les suit en partie et par là même est plus en état de leur plaire. Il m’a rendu un compte détaillé de la disposition de ces catholiques et des qualités requises dans les missionnaires qu’on pourrait leur envoyer. J’ai fait passer le tout à Londres à M. Hussey[3] que j’ai prié en même temps de pourvoir à cette partie de votre district.

« Venons à la Baie des Chaleurs.

« Lorsque j’y envoyai M. Girouard, il devait être seul jusqu’à nouvel ordre, et en conséquence, il fut chargé de toutes les missions. Aujourd’hui que vous voilà de retour le même arrangement ne doit plus subsister. Vous n’y trouveriez pas votre compte. J’ai donc jugé à propos de laisser seulement à M. Girouard, les missions de Restigouche, de Napiséguit, de Caraquet et de Miramichi. Toutes les autres vous appartiendront. Par ce moyen, toute la Baie sera desservie plus facilement et vous saurez, ainsi que M. Girouard, à quoi vous en tenir. Restent le Cap Breton et l’Île Saint-Jean, dont j’ai encore parlé à M. Hussey. Mais en attendant je désirerais bien que vous y fissiez, une visite dans le cours de l’été, pourvu que vos missions n’en souffrent pas, ou que vous y envoyassiez M. Girouard, dans le cas où il pourrait faire ce voyage sans préjudicier aux missions auxquelles il est préalablement obligé.

« Pour ce qui est de la résidence ordinaire de M. Girouard, je serais d’avis qu’il la fit à Caraquet ; cette mission étant à peu près le centre de celles qui font son partage. C’est pourquoi je lui ai enjoint de s’y transporter cet automne, d’assembler les habitants, de les faire convenir d’une place convenable pour bâtir un presbytère et transporter la chapelle (car j’apprends par mon secrétaire qu’elle est placée à une extrémité de la mission, et que mon prédécesseur, à la réquisition des habitants vous pria, il y a trois ans, de la faire transporter au milieu). M. Girouard est encore chargé de dresser un procès-verbal de la délibération des habitants de Caraquet, des mesures qu’ils prendront pour remplir nos intentions, de la nomination des syndics, etc, et de nous envoyer pendant l’hiver ce procès-verbal afin que nous lui donnions notre sanction.

« Il hivernera encore à Bonaventure, n’y recevra de dîme qu’à proportion du séjour qu’il fera, traversera ce printemps à Caraquet où il présidera à son nouvel établissement, tout en faisant ses missions. Il aura recours à vous pour les difficultés qui pourront survenir, et j’espère que vous voudrez bien le favoriser de vos conseils dans une affaire où il me semble que vous trouverez votre avantage comme lui.

« M. Girouard nous a demandé la rénovation de ses pouvoirs extraordinaires et nous lui avons accordé, mais sans préjudice à l’autorité que vous avez sur lui, en qualité de grand-vicaire. Car notre intention est qu’il ait recours à vous dans tous les cas où il sera à portée de le faire.

« Les sauvages de Madawaska ayant demandé ce printemps M. le Claire, curé de l’Isle-Verte, pour leur faire la mission, nous le leur avons envoyé dans la persuasion que vous étiez encore à Halifax. Maintenant que vous êtes plus proche, si vous voyez jour à faire vous-même cette mission, vous voudrez, bien en donner avis à temps à M. le Claire qui en est chargé jusqu’à nouvel ordre. »

Le lecteur nous pardonnera sans doute ces longues citations, d’abord parcequ’elles jettent une vive lumière sur l’histoire de nos intéressantes missions de la Baie-des-Chaleurs, et ensuite, afin de conserver à l’histoire ces précieux documents.

M. Bourg demeura donc en la Baie-des-Chaleurs et vit ainsi se rétrécir le champ immense de ses missions.

En 1786, M. Bourg résolut de faire construire une nouvelle église à Tracadièche. Ce qui l’engagea à l’entreprendre, ce fut l’activité, le développement que prit le commerce du poisson, si abondant dans ces parages. De grandes demandes venaient d’Halifax et même des Antilles. Aussi la population du village augmenta-t-elle considérablement.

Les difficultés auxquelles M. Bourg se heurta, l’opposition que lui suscitèrent certains esprits brouillons sur le choix du site de la nouvelle église, le fit renoncer pour le moment à l’entreprise.

À cause du mauvais vouloir des habitants de Tracadièche, il transporta sa résidence à Bonaventure. C’était les prendre par leur côté le plus sensible ; car, au fond, ils aimaient et respectaient leur pasteur. Aussi devinrent-ils plus conciliants ; nous le verrons tout à l’heure.

En cette même année 1786, M. Bourg reçut l’aide d’un nouveau missionnaire, tout jeune, M. l’abbé Girouard, prêtre acadien comme lui, qui fut chargé des missions du Nipissigui, Caraquet et Miramichi, comme nous l’avons vu plus haut. Sur l’ordre de l’évêque de Québec, M. Girouard se fixa à Caraquet comme étant le poste le plus central et le plus important.

En 1789, Mgr Hubert régla le différend survenu entre les habitants de Tracadièche et leur pasteur. Par sa lettre pastorale datée du 16 juillet, il ordonnait de bâtir la nouvelle église à l’endroit désigné par M. Bourg. On se soumit et les travaux commencèrent immédiatement.

Cette seconde église fut édifiée sur la terre que possède aujourd’hui M. André Allain, en face de l’église actuelle et à quelques pas de l’ancienne.

M. Bourg bâtit aussi un presbytère à l’endroit où se trouve aujourd’hui l’église de Carleton.

Le 1er octobre 1787, M. Bourg baptisait un enfant dont il fut lui-même le parrain, et sa gouvernante et cousine, Madeleine Bourg, la marraine.

Cet enfant devait jouer un grand rôle dans la politique et dans la magistrature, il se nommait Joseph-Rémi Vallières de Saint-Réal. Grâce à la protection de Mgr Plessis, il fit de fortes études, devint député au parlement pour le comté de Champlain et mourut juge de la Cour Supérieure. Son père, Jean-Baptiste Vallières, et sa mère, Marguerite Corneillier-dit-Grandchamp, étaient établis à Carleton depuis peu.

C’est lors de sa première visite à Carleton, que Mgr Plessis connut la famille Vallières et l’enfant, alors âgé d’une dizaine d’années. Il engagea le père à venir s’établir à Québec afin d’assurer l’avenir de son fils, lui promettant sa haute protection.

M. Bourg, fixé maintenant à Tracadièche et aidé dans son ministère apostolique par de nouveaux missionnaires, ne fit plus de longues missions, si ce n’est en Gaspésie et chez les sauvages de Restigouche.

Il établit sa famille à Tracadièche.

D’après le savant chercheur acadien M. P. P. Gaudet, Michel Bourg, père du missionnaire, avait convolé en secondes noces avec Brigitte Martin, veuve de Séraphin Bro, père de l’abbé Jean Bro, dont nous avons parlé plus haut.

Transporté en France avec sa famille lors de la déportation, il figure dans le Rolle des habitants tant du Canada, de l’Isle Royale que de l’Acadie, provenant des prisons d’Angleterre, auquel (Michel Bourg) le Roi a accordé une pension à raison de dix sols par jour à compter du jour de son arrivée à Saint-Malo, au printemps 1763, étant âgé de 46 ans, avec son épouse Brigitte Martin, âgé de 48 ans.

Il faut croire que la mère de l’abbé Bourg, Anne Hébert, serait morte en Angleterre ou durant la traversée, et que Michel Bourg aurait convolé en secondes noces en ce pays avec la veuve de Séraphin Bro.

M. Gaudet affirme aussi que Michel Bourg mourut chez son fils, l’abbé Bourg, à Tracadièche. Il est difficile de vérifier cette assertion, vu que l’abbé Bourg n’a laissé aucun acte de sépulture dans toutes ses missions, ce qui paraît étrange quand on sait qu’il avait un soin scrupuleux d’inscrire tous les actes de baptême et de mariage dans ses registres, conservés soigneusement dans les archives de l’Église de Carleton.

Quoiqu’il en soit, la veuve de Michel Bourg, décéda le 3 avril 1779 à Saint-Jacques de l’Achigan, au presbytère de son fils, l’abbé Jean Bro, curé de cette paroisse, et fut inhumée le lendemain. Elle était âgée de 64 ans.

M. Bourg avait établi près de lui son frère, Charles Bourg, qu’il maria à Théodiste Savoye, et qui fut la souche des Bourgs ou Bourques de Carleton. Aussi trois sœurs, mariées aussi à Carleton.

En 1791, M. Bourg fit la visite de tous les postes soumis à sa juridiction et en rendit compte à l’évêque de Québec dans une lettre datée de Percé.

« J’informe Votre Grandeur, dit-il, que grâce au Seigneur jouissant toujours d’une bonne santé, j’ai fini de parcourir nord et sud toutes mes missions, de sorte qu’en trois ou quatre jours je partirai de Percé, où je suis depuis quelque temps, pour retourner à la Baie et faire une mission à Caraquet. J’y suis allé ce printemps, mais ces pauvres gens ne pouvaient avoir recours à moi dans le cours de l’hiver.

« J’ai reçu les Saintes-Huiles pour lesquelles je vous remercie et le mandement à l’égard de la suppression de quelques fêtes. J’ai lu ce mandement en chaque lieu et m’y conformerai ainsi que tous les habitants.

« On ne voit que misère en la Baie cette année, attendu que la pêche du saumon et la chasse ont presque entièrement manqué ; la pêche à la morue est fort médiocre, mais la récolte assez bonne.

« C’est un malheur qu’on ne soit pas plus porté à cultiver avec soin. Quelques habitants de ma paroisse (Tracadièche) recueillent déjà depuis quelques années plus qu’ils ne dépensent.

« J’espère que cet exemple inspirera aux autres, qui vivent très mal dans le cours de l’hiver, le désir de les imiter. »

Après vingt longues années de pénibles missions, par des chemins difficiles, exposé sans cesse aux périls de la mer, M. Bourg vit sa santé s’ébranler considérablement. Son cerveau à la suite de contradictions de toutes sortes venant parfois de la part de ceux pour lesquels il s’était prodigué et n’avait jamais marchandé ses bons offices, subit aussi, d’après la tradition, de terribles secousses.

Épuisé, malade, travaillé par mille infirmités, résultat de ses longues courses apostoliques en toutes saisons, M. Bourg, se sentant incapable de supporter seul le lourd fardeau de ses vastes missions, sollicita son rappel en 1794. Ce ne fut cependant qu’à l’automne de 1795 qu’il put avoir un successeur dans la personne de l’abbé L.-J. Desjardins, prêtre français, que la Révolution avait jeté sur nos plages.

L’évêque de Québec, considérant les nombreux services que l’abbé Bourg avait rendus à la religion, le transporta à l’importante cure de Saint-Laurent, près Montréal.

Mais son cœur si généreux, si fort dans les épreuves, se brisa à la pensée de quitter pour toujours ses chères missions. Il ne fit que languir dans son nouveau poste et s’éteignit pieusement dans le Seigneur, le 20 août 1797, après avoir reçu tous les secours de la religion des mains du grand-vicaire Roux, de Montréal. Il n’était âgé que de 53 ans, 2 mois et 11 jours.

Ses funérailles eurent lieu le lendemain au milieu d’un grand concours de fidèles et de membres du clergé de Montréal.

Les restes mortels furent déposés dans le caveau de l’église de Saint-Laurent où ils reposent encore.

Mais sa mémoire et son souvenir ont traversé les âges. Ils demeurent vivaces parmi les populations de la Baie des Chaleurs qui se les transmettent de génération en génération, comme une de leurs plus chères traditions.

  1. Plus tard curé et fondateur du collège St-Hyacinthe.
  2. M. Bourg avait été informé de l’arrivée du Père Jones à Halifax.
  3. M. Hussey chargé d’affaire de l’évêque de Québec à Londres.