Histoire de la paroisse Saint-Joseph de Carleton/3

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Imprimerie générale de Rimouski (p. 27-50).

CHAPITRE TROISIÈME


M. L. J. Desjardins ; relations ; règlements de
fabrique, etc. (1795-1801)





La pénurie de prêtres qui se faisait sentir par tout le pays après la conquête, était la cause que l’évêque de Québec se trouvait quelquefois fort embarrassé pour répondre aux appels réitérés et pressants des habitants de la Gaspésie et de la Baie-des-Chaleurs, demandant déjà depuis longtemps des prêtres qui demeurassent au milieu d’eux. La source d’où lui était venu près des deux tiers de son clergé, la France, se trouvait maintenant étrangère ; les ordres religieux des Jésuites et des Récollets, qui avaient fourni tant et de si généreux missionnaires, se trouvaient supprimés. Le diocèse de Québec par lui-même ne pouvait fournir que peu de sujets pour réparer toutes ses pertes, et les besoins spirituels se faisaient sentir davantage, après les malheurs de la guerre. Pendant trente ans on fit des efforts incroyables pour parvenir à faire venir de France des prêtres au secours du diocèse, sans pouvoir surmonter la résistance invincible qu’y opposait le gouvernement britannique.

Le 15 octobre 1787, Mgr de Québec écrivait à M. l’abbé Bourg, au sujet d’un prêtre français, l’abbé Ledru, que M. Bourg avait rencontré en la Baie Sainte Marie et pour lequel il sollicitait l’admission dans le diocèse.

« Je crois comme vous que M. Ledru est prêtre ; les lettres qu’il a écrites ici et les attestations que vous envoyez dans votre dernière le prouvent suffisamment. Mais quoiqu’il en soit, nous sommes d’avis que vous ne lui donniez aucun emploi, par cela qu’il est français, et que le gouvernement britannique a une opposition déclarée contre l’admission des prêtres français dans le diocèse de Québec, et que sa délicatesse sur ce point augmente chaque jour. »…

Pour lever cet obstacle, il ne fallut rien moins que la Révolution française. Elle fit voir ce qu’il fallait penser des ecclésiastiques français ; combien ils étaient attachés aux bons principes, et ennemis de la nouveauté.

Aussi, en 1793 et depuis, tout prêtre muni d’un passeport d’un secrétaire du roi, fut reçu à Québec, sans la moindre difficulté.

« C’est ainsi, dit Mgr Tanguay, que le Canada s’enrichit des dépouilles de la France, et eut le double avantage de donner asile à des malheureux et de se procurer des sujets éprouvés par la persécution. »

La Baie-des-Chaleurs en particulier profita des avantages de cette émigration d’un nouveau genre. La population, considérablement accrue durant ces dernières années, ne pouvait se résigner à l’absence trop souvent prolongée du prêtre, et faisait depuis longtemps de vives instances auprès de l’évêque de Québec, pour avoir des prêtres résidant, au moins dans les postes les plus populeux.

C’était surtout, le dimanche et les fêtes que l’on éprouvait le plus la privation des offices divins et de la parole de Dieu.

À Tracadièche, lorsque le missionnaire était absent ces jours-là, l’on se réunissait tous dans l’église, et l’on y célébrait la « messe blanche. » Le père Charles Dugas, vénérable vieillard, victime de la déportation et le plus ancien de la place, lisait à haute voix les prières de la messe. Puis Benjamin Leblanc, un autre vieillard, qui était maître-chantre, entonnait les chants liturgiques que l’auditoire répétait en chœur. On récitait ensuite pieusement le chapelet, auquel on ajoutait quelques cantiques, et l’office se terminait par une leçon de catéchisme aux enfants, donnée par une personne pieuse de l’endroit.

On rencontrait en effet parmi ces pauvres colons, beaucoup plus souvent que nous ne l’imaginons, des personnes sachant lire et écrire, comme en font foi d’ailleurs les registres conservés aux archives de Carleton ; l’on y rencontre plusieurs signatures fort proprement écrites.

Le père Charles Dugas était aussi chargé de baptiser les enfants en danger de mort, durant l’absence du missionnaire. C’était en effet le plus instruit des habitants du lieu et le plus capable d’administrer ce sacrement nécessaire. Ce respectable vieillard mourut à l’âge patriarcal de 100 ans, le 25 janvier 1801. Il avait épousé Anne Leblanc, et tous deux étaient venus de l’Acadie.

Le 30 juillet 1795, Mgr Hubert, évêque de Québec, débarquait à Percé, en tournée pastorale en Gaspésie et dans la Baie-des-Chaleurs, accompagné de trois prêtres français, victimes de la Révolution et récemment arrivés au Canada. C’étaient M. H.-J.-L. Desjardins, vicaire-général, L.-J. Desjardins, frère du précédent et désigné comme successeur à M. Bourg à Tracadièche, et M. J. Castanet ; destiné aux missions de Caraquet et de toute la rive sud de la Baie.

L’évèque et ses compagnons arrivèrent à Carleton (nous nous servirons à l’avenir de ce dernier vocable qui a prévalu sur l’ancien, Tracadièche, pour désigner cet endroit ; vocable donné en l’honneur de Sir Guy Carleton, alors gouverneur du Canada,) au commencement de septembre. M. L.-J. Desjardins devait s’y fixer et desservir Bonaventure temporairement. L’évêque avait l’espoir d’y mettre un prêtre résidant sous peu. Il était aussi chargé de la mission de Ristigouche.

M. Desjardins qui venait succéder à M. Bourg, à Carleton, était un homme très instruit et très distingué ; riche de biens de famille et rempli de zèle pour l’ornementation du temple du Seigneur et la pompe des cérémonies religieuses. Il rendit de grands services aux pauvres missions de sa juridiction, en leur fournissant toutes choses nécessaires au culte.

Quelque temps après son arrivée à Carleton, il écrivait à l’évêque de Québec :

« Votre présence et vos instructions, Monseigneur, lui disait-il, ont produit partout les plus grands effets. C’est une consolation pour vos missionnaires d’avoir à cultiver un champ que vous avez si bien défriché. Nous tâcherons de suivre en tout vos désirs et vos exemples ; et nous n’oublierons jamais la bonté paternelle avec laquelle vous nous avez traités pendant cette mission. C’est un surcroît de bienfaits qui vous assurent dans nos cœurs une éternelle reconnaissance. »

Dès son arrivée à Carleton, M. Desjardins se mit à l’œuvre pour terminer les travaux de l’église laissée inachevée par M. Bourg, et qui n’était pas encore en un état convenable pour la célébration des offices divins.

Aussi engagea-t-il vivement ses nouveaux paroissiens à contribuer volontairement à une répartition qu’il fit, aidé des notables de l’endroit, afin de terminer les travaux avant l’hiver. Il donna l’exemple en contribuant généreusement de sa bourse.

Il avait emporté avec lui divers ornements pour servir au culte, tant de France que de Québec ; Mgr Plessis, alors curé de Québec, son ami personnel, lui en avait aussi envoyé une certaine quantité dont il fait l’énumération dans une lettre où il exprime finement sa reconnaissance et son amitié pour le généreux donateur :

« Les précieuses reliques, dit-il, tous vos bouquets, votre ornement vert avec ses dalmatiques (?), nous sont parvenus en bon ordre. Il vous plaît d’appeler tout cela des « vieilleries » ; nous les prisons comme nos plus beaux ornements et ne nous en parons qu’aux jours de grande fête. Nous avons d’ailleurs estimé l’intention du donantis et cela ajoute encore du mérite aux dons.

« Il fallait voir la surprise, l’admiration de nos habitants et surtout des sauvages à la messe de minuit, quand nous avons déployé toutes ces richesses ! De leur vie, dirent-ils, ils n’avaient jamais rien vu de si beau ! En effet, il faut convenir que notre cortège était pompeux, et l’autel fort bien illuminé…

« Vous avez beau sourire, mon cher curé, vous n’avez toujours point eu dans votre cathédrale une messe de minuit si brillante ; diacre et sous-diacre (?), cérémoniaire, thuriféraire, acolytes, rien n’y manquait, pas même la gravité du célébrant.

« Cependant, au milieu de l’office, un fougueux ouragan qui a fait craquer tous les membres de notre église, a troublé un peu notre sérénité. »…

« En mémoire de vous, continue-t-il, nous sèmerons avec grand soin les beaux épis de blé-d’Inde, ainsi que les lentilles et les fèves qui nous viennent, je ne sais de quelle main. Venez-en manger votre part cet été avec Monseigneur. Vous allez voir en parcourant mes domaines, s’il est possible à votre misérable serviteur de les desservir convenablement. »

En outre de Carleton et Ristigouche, M. Desjardins avait encore à desservir Grande Grave, Pointe St-Pierre, Percé, Grande Rivière et Pasbos, en Gaspésie ; puis Port Daniel, Paspébiac et New-Carlisle. Ce dernier endroit, établi depuis peu par des loyalistes, avait coûté au gouvernement impérial la somme énorme de £82,000 sterling ce qui faisait dire plus tard au juge Thompson que cet argent « n’avait pu être dépensé que pour creuser des caveaux sous terre ; car sur le sol on ne voit rien qui ait pu motiver de si grosses dépenses. »

Du côté sud de la Baie, M. Desjardins desservait encore la Rivière l’Anguille, Rivière Jacquet, etc. On voit que le champ était encore assez vaste et qu’il avait raison de se plaindre à Mr Plessis de son insuffisance pour répondre à tous les besoins.

« J’ai exposé succinctement à Monseigneur, dit-il dans la lettre citée plus haut, la nécessité d’être deux prêtres ici ; vous le sentirez vous-même, j’espère. Je sais qu’il y a bien d’autres besoins dans cet immense diocèse ; mais, de bonne foi, en avez-vous de plus urgent ? Je n’insisterai point en parlant dans ma propre cause ; je vous la donne à défendre. Mais, observez que Percé seul avec l’île Bonaventure, la Pointe St-Pierre, Gaspé et la Grande Rivière, seraient bien capables d’occuper un prêtre toute l’année. Je crois que ces endroits pourraient, aussi le faire vivre, si on doublait la dîme, ainsi que de justice, à raison d’une desserte plus fréquente. Percé a besoin d’une résidence un peu longue du missionnaire. Bonaventure et Paspébiac occuperaient encore un homme de travail et le soutiendraient, je crois, en augmentant un peu les honoraires. Carleton et Ristigouche sont assez, n’en doutez pas, pour un homme qui veut bien faire son devoir ; car « qui trop embrasse, mal étreint, » Ainsi, vous voyez, mon cher curé, qu’au lieu d’un, il nous faudrait bien deux bons collaborateurs. Pesez tout cela en présence du prélat et de Dieu.

« Le petit frère de Caraquet (M. Castanet) a pris son vol et me laisse un peu chagrin ; son arrivée m’avait comblée de consolation.»

M. Desjardins reçut bientôt les auxiliaires si instamment demandés ; car nous voyons arriver, en 1797, M. de la Vaivre à Bonaventure, pour s’y fixer, et M. Alexis Lefrançois, en 1801, à Percé.

Jusqu’à l’arrivée de M. Desjardins à Carleton, en 1795, nous ne trouvons aucune trace d’érection de fabrique en cet endroit, ni autres documents paroissiaux que les registres de baptêmes et mariages. Il y avait cependant quelques marguilliers, quoique la fabrique n’existât pas régulièrement ; car l’on trouve sur une feuille détachée une espèce de reddition de compte laissée par M. Bourg, et rendue par Mathurin Bujold, qualifié de marguillier, en 1784. Aussi une mention d’Abraham Dugas, marguillier, en 1785, Augustin LeBlanc, en 1786, et Pierre Dugas, en 1780.

Dans l’ancienne église, on voit aussi la mention d’un banc réservé au capitaine de milice dont le nom n’a pas passé à la postérité.

C’est M. Desjardins, sans doute à raison d’un plus long séjour à Carleton, qui commença à tenir les archives régulièrement et à inscrire dans un cahier les délibérations de la fabrique.

Nous trouvons aussi un contrat conclu entre les sauvages de Ristigouche et Georges Deschemard pour la construction d’une chapelle dans leur mission, pour remplacer sans doute celle qui avait été brûlée par les Anglais quelques années auparavant. Cette chapelle devait mesurer 56 pieds en longueur et 36 en largeur, et le prix en était de 500 piastres. Ce contrat est signé à Ristigouche, le 27 juillet 1791, en présence de M. Bourg, par une vingtaine de chefs micmacs et M. Deschemard.

M. Deschemard avait rebâtit aussi l’église de Bonaventure incendiée vers 1791, et il travailla plus tard à celle de Carleton.

Le premier acte officiel inscrit dans le cahier des documents paroissiaux par M. Desjardins, fut celui de l’élection de Paul Rabineau, marguillier, le 1er janvier 1795, auquel on remet la somme de £ 36,6,6[sic], étant le total des revenus de la fabrique à cette époque ; en plus un certain nombre de billets signés R. Innis, commis de M. Lee, marchand de poisson de l’endroit, dont on n’avait pu rien retirer jusqu’alors. Puis, suit une liste de l’inventaire du vestiaire de l’église qui n’était guère garni.

On trouve aussi au même livre des délibérations, en date du 13 septembre 1795, les règlements suivants, consentis et approuvés dans une assemblée plénière de tous les habitants de l’endroit : 1er, Que suivant l’intention de Monseigneur, les missionnaires seront transportés et accompagnés d’un poste à l’autre par les habitants du lieu, chacun leur tour. C’est-à-dire que le prêtre, suivant les besoins de la mission, aura droit de requérir les habitants ou marguilliers pour se faire conduire au poste le plus prochain qui sera obligé d’en faire de même, sans que personne prétexte aucun motif pour s’en dispenser, à moins que de nécessité, au jugement des marguilliers.

Les conducteurs n’auront rien à réclamer ou exiger pour leur temps, frais, etc., attendu que c’est une corvée de paroisse à supporter à tour de rôle.

2e Il sera fourni aussi gratuitement au prêtre missionnaire tout le bois de chauffage dont il aura besoin chaque année et, pour cela, chaque habitant en conduira lui-même une corde par an, ou moins s’il y en a assez ; ce qui sera soumis à la surveillance des marguilliers, qui, au cas de refus ou de négligence des parties, s’en plaindront au prêtre missionnaire.

3e Le prêtre missionnaire permettra aux habitants éloignés de se chauffer et retirer dans sa cuisine avant les offices, autant qu’on s’y comportera décemment, et que cela n’entraînera pas d’inconvénient.

4e Que les habitants travailleront immédiatement à réparer la couverture du presbytère qui est mauvaise et qu’ils feront leurs efforts pour arranger un appartement pour eux dans la partie vacante du presbytère du côté du nord ; ce qui leur a été offert par les prêtres missionnaires, pour une plus grande liberté réciproque.

5e Qu’il sera fourni cette année seulement une quantité de foin, environ 200 bottes, au prêtre missionnaire, attendu qu’étant arrivant il ne saurait s’en procurer aisément.

6e Enfin, qu’on fera rentrer les vieilles dettes de l’église pour faire finir cette bâtisse imparfaite et qui a déjà besoin de réparations.

Ces règlements sont signés par Zacharie Nadeau, Jean LeBlanc, Pierre LeBlanc et Claude Landry, tous marguilliers.

Les absences prolongées du premier missionnaire, M. Bourg, qui avait plus de 400 lieues de mission, avaient naturellement été la cause qu’il s’était introduit bien des abus dans la paroisse. Il n’est pas surprenant que M. Desjardins, qui était un homme d’ordre et d’action, ait pris de suite des mesures énergiques et efficaces pour les réprimer ; la nouvelle paroisse, bien qu’ayant une existence de plus de vingt ans, n’en était pas moins à ses débuts et avait besoin d’un guide sage et éclairé pour se constituer sur des bases plus solides et plus durables.

Après avoir réglé et mis en ordre la discipline intérieure de l’église et les affaires de la fabrique, M. Desjardins songea sérieusement à poursuivre les réparations urgentes de l’église et du presbytère, construits par M. Bourg. Ce dernier avait légué généreusement tous ses droits de propriété sur les terres qui lui appartenaient, en faveur de la fabrique.

M. Desjardins fit donc appel à ses nouveaux paroissiens pour subvenir aux frais des réparations à faire, et à cet effet, régla que chaque habitant devait apporter 10 planches de 10 pieds, au printemps de l’année 1796.

Durant l’été 1796, M. Desjardins fit la visite de ses missions et en fit un rapport à Mgr Plessis, alors curé de Québec, avec lequel il tenait une correspondance amicale et suivie. Mr Plessis s’intéressait beaucoup aux missions de la Gaspésie et de la Baie des Chaleurs.

M. Desjardins écrivait de Percé, le 3 septembre 1791 ; « J’arrive du bout du monde, au moins du terme de ma mission, de la Rivière-au-Renard. J’ai fait beaucoup de chemin ; j’ai pris un aperçu des lieux, des gens et de ce que l’on peut y faire par la suite avec un peu plus de loisir que j’en avais à y rester. J’ai été quinze jours dans cette excursion ; il faudrait y passer deux mois. La chose est impossible, à moins qu’on ne me donne un confrère pour veiller au centre de la mission, tandis que je courrais au loin. M. de la Vaivre, je crois, serait bien propre à cet emploi et je serais très content si vous pouviez m’en faire le cadeau à la Saint-Michel.

« Le cher Castanet n’est pas oisif de son côté, comme bien vous le pensez. Je lui ai fait faire près de 50 lieues pour me rencontrer, et il ne m’a point trouvé au rendez-vous. Jugez de son impatience et de la mienne ; mais le devoir m’appelait ailleurs et il a fallu tout lui sacrifier. J’espère aller le joindre chez les sauvages de Miramichi, où il compte cabaner cet hiver. Franchement, nous faisons plus de cas de ces pauvres chrétiens que de bien d’autres. Moi, je suis très content des miens, et je me fixerais volontiers à Ristigouche avec eux, si c’était possible. »

Plus loin il ajoute au sujet de l’église de Carleton :

« Notre Cathédrale avance et si, pour le coup, elle n’est pas à l’abri du feu[1], j’espère au moins qu’elle sera à l’abri des fougueux aquilons. Nous n’avons rien épargné pour la rendre solide, élégante même, suivant nos moyens. Nous espérons que vous ne nous oublierez pas dans vos réformes d’ornements « Tel brille au second rang qui s’éclipse au premier ». Nous vous ferons honneur, et nous tiendrons compte de toutes vos vieilleries. Si vous pouvez y joindre un missel, n’importe la date et le format. Oserais-je vous prier de me céder un de vos rituels anglais ? vous ne sauriez croire le nombre d’irlandais qui se trouvent sur les côtes ; je souhaiterais avoir quelques livres à leur mettre entre les mains pour les retirer de l’oisiveté le dimanche. Tâchez donc de me procurer des « Imitations » ou « la Vie dévote, » le « Catéchisme de Douay, » le « Manuel, » etc.

Comme nous l’avons vu plus haut, M. Desjardins, d’abord seul pour toutes les missions de la Gaspésie et de la Baie des Chaleurs, avec M. Castanet pour la région du sud de la Baie, peut enfin avoir le secours d’un prêtre. C’était M. de la Vaivre, prêtre-français, comme lui victime de la Révolution et probablement du même diocèse[2].

Il en exprime sa gratitude à Mgr Hubert dans une lettre datée de Carleton, le 10 janvier 1707.

« J’ai reçu, dit-il, par M. de la Vaivre, votre gracieuse réponse du 18 octobre dernier, et j’ai fait passer à Caraquet les dépêches de Votre Grandeur pour M. Castanet. Les démarches et les sacrifices que vous voulez bien faire pour notre mission, nous pénètrent de la plus vive reconnaissance ; vous ajoutez particulièrement à la mienne par le cadeau d’un excellent confrère et d’un superbe patron (Saint-Joseph pour l’église de Carleton), dons qui deviennent doublement chers, en les recevant de votre main.

« L’arrivée de M. de la Vaivre a causé dans toute la Baie une révolution de joie ; elle a été extrême à Bonaventure, et ma satisfaction a été complète en voyant que votre choix remplissait tous mes désirs. J’espère que ceux de notre nouveau confrère seront aussi satisfaits, et qu’il trouvera ici les consolations qu’il cherche dans le ministère ; il ne tiendra pas à moi de lui adoucir les peines qui en sont inséparables.

« Je ne dois pas vous laisser ignorer qu’il se livre avec beaucoup de zèle et de fruit à l’éducation de la jeunesse ; et qu’il est comblé de bénédictions par ce bon peuple avide d’instruction. Agréez-en, après Dieu, notre gratitude commune.

« Tout le monde se flatte de votre visite cette année, et nous faisons particulièrement des vœux pour qu’il plaise Dieu vous accorder la continuation d’une santé qui nous est si chère. »

Au mois de mai suivant, M. Desjardins écrivait à l’évêque de Québec :

« Quand je vous ai écrit par la voie de Madawaska je me proposais de vous donner quelques détails relatifs à la côte nord, le temps ne me l’a pas permis.

« J’ai eu le plaisir de me réunir dernièrement à mes deux confrères à Paspébiac et Bonaventure, où nous avons conféré des dispositions nouvelles que nécessitait l’arrivée de M. de la Vaivre. Il a bien voulu se charger de Bonaventure, Paspébiac et Port Daniel ; sa santé ne lui permet pas d’écouter son zèle et d’étendre plus loin sa mission. M. Castanet me remet Nipissiguit, attendu la grandeur de sa mission.

« Il est juste qu’il profite du bienfait dont vous avez comblé la Baie ; Ristigouche, Percé et les environs me restent à desservir.

« M. Castanet jouit d’une excellente santé, malgré les fatigues inséparables de ses voyages d’hiver ; il conserve toujours l’aimable caractère que vous lui connaissez.

« Notre église de Carleton est en grande réparation et doit être incessamment refaite à neuf. Un coup de vent furieux a emporté une partie du toit. J’ai fait défaire le reste, et nous attendons le constructeur des églises de Ristigouche et de Bonaventure (M. Deschemard), pour élever la nôtre sur le même plan ; mais nos moyens sont faibles, et l’incertitude pour la pêche prochaine nous donne bien quelques inquiétudes. Si Dieu nous conserve le zèle et le bon accord que j’admire dans le plus grand nombre des habitants, j’espère voir la fin de cette grande entreprise.

« L’espérance de voir cet édifice béni de vos mains. Monseigneur, est un grand encouragement pour nous. »

Comme le dit M. Desjardins, dans sa lettre à l’évêque de Québec citée plus haut, une furieuse tempête sous forme d’ouragan, si commune en la Baie des Chaleurs, vint fondre au commencement de mars 1797, sur l’église encore mal jointe et à demi-terminée, lui enlevant la majeure partie du toit, en disloquant la charpente jusqu’aux fondations, et la rendant inhabitable.

Ce fut une dure épreuve pour les habitants de Carleton, qui avaient déjà fait tant et de si grands sacrifices pour sa construction.

Cependant cette épreuve ne les découragea pas ; au contraire, elle ne fit que stimuler leur zèle et leur dévouement à la maison du Seigneur. Pleins de confiance dans la sagesse et le dévouement de leur zélé missionnaire, et remplis de cette foi vive des anciens jours, qui savait faire des merveilles, ils se mirent résolument à l’œuvre ; et le 12 mars suivant, une assemblée de tous les habitants de l’endroit, présidée par M. Desjardins, étudia les moyens de « remédier au mal. »

M. Desjardins, dans un discours plein d’onction, représenta d’abord que tous les évènements viennent de Dieu qui, en frappant même son église, nous apprend à remonter à la source des biens et des maux ; puis l’on délibéra.

Après de longs pourparlers, on résolut d’agir promptement. Il parut évident qu’il fallait refaire entièrement la bâtisse, dont toute la charpente ébranlée était peu solide, et descendre en premier la couverture qui menaçait de s’effondrer.

M. Louis Estiambre s’offrit d’ôter le comble, pourvu que chaque habitant lui donnât deux planches, et la proposition fut agréée. On décida que l’office divin se ferait au presbytère en attendant la reconstruction du nouvel édifice ; tous promirent de contribuer généreusement, si l’entreprise était confiée en bonnes mains.

On autorisa M. Desjardins à écrire à M. Georges Deschemard, constructeur de l’église de Bonaventure, pour lui proposer de consolider celle de Carleton, et de transporter le sanctuaire à l’autre extrémité.

On promit de payer immédiatement le terme des bancs de l’église qui n’était pas encore tout à fait expiré.

On choisit deux syndics, savoir : Claude Landry et Jean LeBlanc, auxquels Joseph Boudreau, marguillier en exercice fut adjoint pour veiller aux contrats, réparations et dépenses convenables, de concert avec le prêtre missionnaire, pour les intérêts de l’église et de la paroisse.

Une souscription volontaire fut ouverte, et chacun fut invité à contribuer suivant ses moyens, aux frais de la nouvelle église.

Chaque habitant s’engagea à ajouter dix planches aux deux déjà fournies, et à donner des journées de corvée, selon qu’il en serait requis par les syndics et les marguilliers.

Commencés sous des auspices aussi encourengeants, les travaux furent poussés avec vigueur, grâce à l’admirable entente et à la bonne volonté des habitants, et furent terminés au mois de décembre 1798.

Le 23 de ce mois, après les annonces et préparatifs convenables, les fidèles de la paroisse étant assemblés au son de la cloche, on procéda à la bénédiction solennelle de l’église, sous le vocable de Saint-Joseph.

« Cette cérémonie, dit M. Desjardins, ayant été accompagnée de toute la pompe convenable au temps et au lieu, fut terminée par une invitation aux paroissiens de continuer leur entreprise si bien commencée, et une offrande faîte à l’église par le prêtre missionnaire (M. Desjardins) lui-même pour encourager la parfaite décoration. »

Tous se retirèrent pleinement satisfaits, pénétrés de reconnaissance et de zèle pour la gloire de Dieu, sentiments bien partagés par le pasteur et chef de cette église naissante.

M. Desjardins avait contribué largement de sa bourse à la construction de la nouvelle église, en prêtant à la fabrique la somme assez ronde pour le temps de $250,00. Il avait en outre, de concert avec son frère le grand-vicaire Desjardins, enrichit le temple de tableaux et d’ornements.

En voici la liste ; un tableau de Saint-Joseph mourant, (assez bon), un autre de la Madeleine, (beau pour le temps) ; trois toiles peintes pour devants d’autels, (figures affreuses) ; un ornement complet, vert et violet, avec dalmatiques ; un calice d’argent (lequel sert encore à l’autel), ; un tabernacle réparé, avec deux petites statues ; une garniture de six grands chandeliers et la croix, argentés ; quatre grands bouquets et une grande couronne ; une croix processionnelle ; une croix en fer au clocher ; deux grands reliquaires dorés ; une statue de St Joseph, dorée ; une petite couronne du Saint Sacrement ; une chape et un grand ornement brodé.

Comme on le voit M. Desjardins avait fait à l’église des dons vraiment appréciables pour l’époque et beaucoup de ces articles existent encore à l’église de Carleton.

Nous avons vu plus haut que M. de la Vaivre se fixa à Bonaventure, et qu’à raison de sa faible santé, il n’avait d’autres missions que Paspébiac et Port-Daniel ; Bonaventure comptait alors une population de 236 âmes et 126 communiants. Il reconstruisit l’église et la bénit le jour de la Pentecôte de l’année 1797.

Quant à M. Castanet, il ne fut que trois ans dans les missions de Caraquet et Miramichi. Il remonta à Québec pour se faire soigner d’une maladie contractée au cours de ses voyages ; il y mourut, jeune encore, à l’Hôpital général, le 26 août 1798, et y fut inhumé. À l’occasion de cette mort prématurée, qui privait la Baie des Chaleurs d’un missionnaire zélé, et M. Desjardins d’un compatriote et ami sincère, celui-ci écrivait de Percé, en date du 17 septembre, 1798, à Mgr Plessis, que Mgr Denaut avait choisi pour son coadjuteur l’année précédente : « J’ai reçu votre consolante lettre du 19 juillet dernier, au retour de mon voyage du sud de la Baie des Chaleurs. Vous connaissez, j’imagine, l’étendue et les besoins de cette mission ; ils croissent surtout par la perte réelle que nous venons de faire. La mort du cher M. Castanet ne justifie que trop vos présages et nos craintes ; c’est, grand deuil pour Caraquet et pour toute la Baie. On ne peut être plus chéri, ni plus universellement regretté. Je vous laisse à penser combien ce sacrifice m’est pénible et nous cause d’embarras.

« La Baie, je vous assure, ne m’offre plus que tristesse : M. de la Vaivre est aux invalides et je n’en vaux guère mieux. Quand jugerez-vous à propos de nous relever de garde ? Vous nous faites espérer un prêtre pour Caraquet ; quand viendra-t-il ? »

Mgr Plessis qui s’intéressait tant aux missions du Golfe Saint-Laurent, envoya un autre prêtre français, M. Joyer, récemment arrivé au Canada, pour remplacer M. Castanet dans les missions de la rive sud de la Baie-des-Chaleurs. M. Desjardins s’empressa d’en témoigner sa satisfaction à Mgr Plessis.

« Qu’il m’est doux et consolant, écrivait-il le 20 février 1799, de vous entendre parler de notre pauvre Castanet, et que j’envie son heureux sort ! Votre bon suffrage m’est un présage rassurant pour lui, mais effrayant pour moi ; car je suis loin de lui ressembler, et de mériter tout ce que vous me dites d’obligeant !

« L’arrivée de M. Joyer nous a fort agréablement surpris : il justifie à tous égards le jugement favorable que vous en portez. Nous nous accordons à le croire digne d’occuper un poste, si recommandable par les vertus du cher défunt ; puisse-t-il en faire revivre les rares qualités ! C’est un sujet d’édification et de réforme pour M. de la Vaivre et pour moi. Nous craignons uniquement pour M. Joyer que ses forces ne répondent pas tout à fait à son zèle, et aux besoins de sa pénible mission ; mais nous le croyons aussi prudent qu’éclairé, et l’exemple fatal de son prédécesseur lui servira sans doute de leçon pour ménager ses forces.

« Notre église, enrichie de vos dons, commence à prendre une assez bonne tournure. Nos maîtres-chantres se sont fort bien parés de vos chapes. »

Le 2 janvier 1799, M. Desjardins réunissait tous les habitants de Carleton, dans la sacristie, afin de régler d’une manière définitive la vente des bancs de l’église qui, jusqu’alors, se faisait très irrégulièrement et qui causait bien des troubles et des divisions parmi le peuple. Mais peu au fait du droit paroissial alors en vigueur, il commit dans ses règlements plusieurs erreurs.

« En cette année 1779, les bancs furent loués aux conditions suivantes :

« 1. Que les dits bancs auxquels tous les fondateurs, qui ont rempli leurs obligations, ont un droit légitime, demeureront à perpétuité dans chaque famille, autant que la rente annuelle en sera payée ou qu’il n’y aura point d’accidents ou causes imprévues pour en dispenser, au jugement du prêtre curé et des marguilliers.

(Ce premier article du règlement des bancs fut annulé peu de temps après, à cause des inconvénients qui en résultaient dans une paroisse nouvelle. D’ailleurs, d’après le droit paroissial, la vente des bancs se fait à l’enchère et l’enchère fixe le prix de la rente annuelle. Aux décès des possesseurs d’un banc, il est remis à l’enchère, les héritiers seuls ayant le droit de le retraire.) « 2. Que la rente des dits bancs sera de cinq shellings, pour les cinq premiers de chaque rang ; de quatre shellings pour les cinq suivants ; et de trois shellings pour les derniers, payables au plus tard dans le courant du mois d’août, au moins à la Saint-Michel, chaque année.

(La coutume de payer la rente des bancs en deux semestres, le 1er janvier et le premier juillet, a prévalu dans nos paroisses.)

3. Qu’indépendamment de la rente annuelle ainsi fixée, il sera libre à chacun de mettre à l’enchère pour l’acquisition ou entrée du banc une fois payée.

5. Que l’église fournira elle-même les bancs et qu’on en tiendra compte sur le prix d’achat à ceux qui s’en procureront, libre aux pères de famille de faire mettre leur banc au nom de leurs enfants ; il sera également libre à chacun de sous louer des places dans son banc à toute personne de la paroisse qui n’aura pas refusé de contribuer pour quelque chose.

(Cet article fut annulé comme abusif, par Mgr Plessis, lors de sa première visite à Carleton).

6. Que les fondateurs auront un droit exclusif aux dits bancs pour chacun un ; mais que les dits fondateurs, une fois remplis, s’il reste des bancs, il sera libre à tout le monde de mettre dessus à l’enchère ; même aux fondateurs eux-mêmes si un banc leur suffisait pas. »

M. Desjardins s’aperçut bientôt que ces règlements, n’étant pas conformes au droit paroissial, suscitaient déjà bien des difficultés. Aussi le 19 mars de cette même année 1799, en la fête patronale de la paroisse, réunit-il de nouveau les habitants en assemblée de paroisse pour redresser certains articles du règlement.

Dans cette assemblée on régla :

« 1. Que la perpétuité des bancs étant contre l’usage (il aurait du dire le droit) de l’Église du Canada et sujette à beaucoup d’inconvénients, les bancs resteront tels qu’ils ont été adjugés, sauf la perpétuité, qui est aujourd’hui annulée. Ainsi, on se conformera pour les dits bancs, autant que possible, aux usages de l’église du Canada pour l’avenir.

« 2. Pour favoriser le précédent accord il a été accordé quatre années de délai pour payer la criée des bancs qui aurait sans doute été moins considérable sans la perpétuité annoncée, et qui se trouve annulée ; ainsi l’entrée des bancs pourra être payée en quatre ans par ceux qui voudront profiter du délai proposé, sans préjudice de la rente annuelle.

« 3. Il a été convenu que la terre de l’église, située sur le cap, entre celle de M. Rimphosse et Charles Bourg, sera vendue à George Deschemard, contracteur de l’église, pour la somme de trente piastres (!), à payer en ouvrage pour l’église, si toutefois Monseigneur l’évêque y donne son consentement, ce qui sera requis pour la validité du marché.

(Mgr de Québec refusa de sanctionner ce marché, et pour cause, et la vente n’eût pas lieu).

« 4. Pour encouragement et récompence des chantres de l’église, il a été proposé et arrêté que pendant leur vie ils auraient une place dans le chœur, et qu’après leur mort ils seraient enterrés dans l’église, qui fournira à leurs frais d’enterrement et au service du jour, de la manière la plus convenable pour reconnaître leurs bons offices rendus à l’église.

(La seconde partie de cet article du règlement, en ce qui concerne les funérailles des chantres, fut déclarée abusive et contraire à la jurisprudence par Mgr Plessis).

« 5. Arrêté aussi qu’on fera finir le jubé et qu’on payera un ouvrier en conséquence. »

Enfin dans une assemblée de paroisse, tenue le 29 juin de la même année, on passa une résolution conformément aux instructions de l’évêque de Québec à l’égard des bancs savoir : qu’ils devaient rester sur le prix de l’adjudication une fois payés et la rente annuelle, sauf qu’il n’y eût point de perpétuité.

Dans le courant de l’été 1791, M. Desjardins se rendit à Québec dans l’intérêt de ses missions. Le 6 octobre, il était de retour et écrivait de la Pointe St-Pierre à Mgr Plessis.

« Vos sages conseils m’ont un peu rassuré, et vos bonnes prières beaucoup protégé dans mon heureux retour. Trois jours passés à l’Ile-aux-Grues, et quatre pour nous rendre ici, voilà l’histoire de notre voyage qui n’offre rien d’intéressant que la joie de l’équipage, et la sensibilité du capitaine surtout lorsqu’on parlait de vous, sujet trop agréable pour ne pas y revenir à plusieurs fois. »

« Je me félicite plus que jamais d’avoir repris le chemin de ma Baie, et il me semble que c’est un plaisir assez partagé par mes bons amis ; puis-je répondre à leur espoir et au vôtre ! J’ai besoin de votre indulgence et de vos prières ; je les réclame avec instance. La bonté très affectueuse avec laquelle vous avez voulu me recevoir chez vous et m’y mettre si à mon aise, me pénètre de la plus vive reconnaissance.

« Vous croirez aisément qu’il m’en coûte de quitter Québec ; un frère, et j’ose dire des pères, des amis, tel que ceux que j’ai trouvés en vous et M. Gravé, méritaient bien quelques regrets. J’ai accepté cette mission de votre main et avec une nouvelle joie ; je vais me mettre en hivernement à Carleton. Je me propose de revenir de grand printemps pour passer ensuite l’été à Ristigouche, y cultiver un peu mes sauvages et des « patates », s’ils peuvent en avoir à planter. »

Les Acadiens de Carleton, comme leurs cousins les Canadiens, avaient conservé le caractère que l’on retrouve partout où la race française s’est implantée. Une certaine légèreté d’esprit, qui s’inspire souvent bien plus volontiers des impressions présentes que des prévisions de l’avenir : une vanité individuelle, qui, dans le commun de la vie, rend si difficile le support mutuel ; un grand amour de la critique et du commérage, avec une jalousie innée de ses voisins ; enfin un penchant trop prononcé pour les procès et la chicane, à propos de rien et à propos de tout ; voilà en quelques mots les défauts de notre race.

À la décharge de nos Acadiens cependant, nous devons dire qu’ils se prêtaient facilement à l’arbitrage dans leurs contestations. Ce qui faisait dire à Mgr Plessis, qui avait à un haut degré le discernement des hommes et qui connaissait bien le peuple Acadien : « Ces heureux colons, qui savent mourir sans médecin, savent aussi vivre sans avocat. Ils n’ont nulle idée de la chicane non plus que de l’injustice : si quelques fois il s’élève des contestations entre eux, elles sont aussitôt soumises à un arbitrage et terminées sans retour. Ils ignorent l’usage des clefs et des serrures, et riraient de celui qui fermerait sa maison autrement qu’au loquet, pour s’en éloigner de deux à trois lieues ; si quelques bardes les incommodent en route, ils les laissent tout simplement le long du chemin, assurés de les y trouver à leur retour, n’eût-il lieu que le jour suivant. »

M. Desjardins, pour mettre un terme aux différents qui éclataient quelquefois entre les habitants de Carleton, voulut établir un tribunal d’arbitrage permanent et le faire accepter par une assemblée de tous les habitants de l’endroit.

Le 9 août 1801, il réunit donc en assemblée tous ses paroissiens dans l’église du lieu.

« Les habitants de Carleton, est-il dit dans le rapport, étant convoqués, et réunis en assemblée de paroisse, il a été proposé, sur la représentation du prêtre missionnaire, qu’il serait fort à propos de prévenir toutes espèces de procès entre les habitants du dit lieu, et de régler charitablement par arbitres tous les différends qui pourraient survenir ; de choisir trois syndics parmi les anciens de la paroisse, d’un caractère approuvé, pour décider et arranger entre eux toutes les affaires qui seront de leur ressort.

« Conséquemment Olivier Bariault, père, Claude Landry et Jean-Charles Landry, ont été élus à la pluralité des voix, et ils ont promis de se conformer aux sages règlements qui seront faits pour déterminer leurs fonctions et les indemniser de la perte de leur temps selon les circonstances à venir.

« L’assemblée a été terminée par une tendre invitation de la part du pasteur à tous les paroissiens de persévérer dans la paix et la charité, et de conserver pour lui un attachement qu’il a témoigné lui-même ressentir pour son troupeau ».

Comme on le voit, l’assemblée législative de Québec était près d’un siècle en retard avec celle de Carleton en sanctionnant ce tribunal d’arbitrage qui est appelé à rendre de si grands services à nos populations rurales.

Dans cette même assemblée de 1801, les marguilliers « ayant désiré reconnaître les services et les présents considérables des Messires Desjardins en faveur de leur église, ont proposé la fondation de deux messes basses annuelles, à perpétuité, pour leur famille, aux frais de la fabrique, l’une le 20 mars, l’autre le 1er de mai, et qu’elles seront recommandées au prône ».

La vive reconnaissance des marguilliers et de tous les habitants, se serait portée à des témoignages encore plus généreux et bien plus étendus envers Messires Desjardins, s’ils n’avaient été retenus par la juste modération de leur pasteur « qui s’estime très heureux d’avoir pu mériter un souvenir durable dans les prières d’une paroisse qui lui est très chère, et qu’il ne saurait quitter sans regrets ».

« Il a été également proposé à l’assemblée une autre fondation d’une messe basse annuelle pour le repos de l’âme du feu Messire Joseph Mathurin Bourg, premier fondateur de la dite église, et bienfaiteur généreux de la dite paroisse, où il a exercé pendant vingt ans avec un zèle soutenu, les pénibles fonctions de missionnaire. La dite messe devra être acquittée aux frais de la fabrique chaque année le 2 janvier, durant le temps que l’église actuelle subsistera sur l’emplacement donné par M. Bourg ».

Ces deux fondations de messes furent réduites à 30 ans, par décision de Mgr de Québec.

Ce sont les derniers actes officiels de M. Desjardins à Carleton.

On a pu constater, par la lecture de ses admirables lettres, que sa santé commençait à souffrir et à s’altérer à raison des fatigues essuyées dans ses courses apostoliques durant les six longues années passées au service des âmes dans la Baie des Chaleurs et dans la Gaspésie.

Mgr Denaut, évêque de Québec, le rappela en 1801, et le plaça à la cathédrale auprès de son ami et protecteur Mgr Plessis, qui continuait à remplir la charge de curé, tout en étant évêque coadjuteur. Le prélat avait une estime particulière pour cette généreuse phalange de prêtres français qui avaient émigré plutôt que de prêter serment à la Constitution civile du clergé. En quittant la France, M. Desjardins avait renoncé à un canonicat dans la cathédrale de Bayeux.

En devenant évêque titulaire, Mgr Plessis nomma M. Desjardins curé d’office de la cathédrale, et, peu de temps après, chapelain de l’Hôtel-Dieu de Québec.

Mais l’ancien missionnaire de la Baie des Chaleurs et de la Gaspésie, continua à s’occuper de ses chères missions, dont il s’était constitué le procureur et le pourvoyeur bienfaisant.

Connaissant leur pauvreté et leur dévouement, il ne manquait jamais de mettre à bord des bateaux pêcheurs qui retournaient après avoir vendu leur cargaison, des objets de toutes sortes pour les églises, du linge, des ornements et jusqu’à des tableaux, dont plusieurs avaient quelque valeur au point de vue de l’art. C’est dans l’exercice de cette charité qu’il passa les nombreuses années de son séjour à Québec. À l’âge de 80 ans, il parlait encore avec bonheur du ministère qu’il avait exercé au milieu de ses chères ouailles de la Baie.

Voici en quels termes parlait de ce vénérable vieillard M. Doucet, missionnaire à Percé.

« Le vénérable M. Desjardins ne cesse de penser à nous ; il nous écrit souvent. Il nous envoie des petits présents pour nous encourager ; il me dit qu’il quête pour nous le spirituel et le temporel, je souhaite ardemment que Dieu conserve ses jours, car certainement nous perdrons beaucoup en le perdant » (20 déc. 1845).

Dans une autre lettre M. Doucet disait : « L’économe de nos missions, M. Desjardins, se montre jaloux de partager avec Votre Grandeur le bonheur de procurer la gloire de Dieu en embellissant ses temples ; le même bâtiment qui a apporté vos effets, a aussi reçu à mon adresse une caisse préparée par ses soins et remplie de différents articles pour nos missions. C’est un grand encouragement pour moi dans la tâche de réparer les chapelles et de les munir convenablement de tout ce qui concerne le culte ” (24 août 1846).

Le 31 août 1848, M. Desjardins s’éteignait pieusement dans le Seigneur, plein de jours et de mérites, à l’âge avancé de 82 ans et demi. Il fut inhumé dans l’église de l’Hôtel-Dieu de Québec.

  1. L’église de Bonaventure avait été incendiée durant la Semaine Sainte de l’année 1791.
  2. M. de la Vaivre était du diocèse de Lyon.