Histoire de la paroisse Saint-Joseph de Carleton/5

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Imprimerie générale de Rimouski (p. 64-80).


CHAPITRE CINQUIÈME


M. Bellanger ; Arrivée de nouveaux Missionnaires ; M. Faucher ; révolte des Micmacs.
1814-1848





D eux prêtres se succédèrent assez rapidement à Carleton, après le départ de M. Painchaud. Ce fut d’abord M. Joseph Marie Bellanger, né à Québec, le 15 avril 1788 ; ordonné le 13 mars 1813, il fut vicaire à Châteauguay et à Saint-Laurent de Montréal, où il reçut l’ordre de se rendre dans la Baie des Chaleurs pour remplacer M. Painchaud.

Arrivé à Carleton le 18 septembre 1814, il poursuivit les travaux du presbytère de cette paroisse, et fit faire une clôture à claire-voie autour de l’église, conformément à une ordonnance de Mgr Plessis. Il fit un relevé exact des archives de la paroisse, mais il ne laissa aucune relation de ses missions. Après cinq ans d’un rude ministère, sa santé s’altérant, il demanda son rappel et fut transféré à la cure de Saint-Paul de la Valtrie, en 1819.

Son successeur, M. François Xavier Demers, ne fit que passer à Carleton. Arrivé le 19 mai 1819, il quitta dès le mois d’août suivant, pour occuper plusieurs postes dans le district de Montréal ; il devint grand-vicaire du nouvel évêque de Montréal, et mourut en 1854.

M. Jean-François Gagnon, qui lui succéda, était né à Sainte-Anne-de-Beaupré, le 13 décembre 1793, de Gabriel Gagnon et de Françoise Simard. Ordonné le 12 octobre 1817, il fut vicaire à St-Pierre du Portage. C’est de là qu’il reçut les missions de Carleton, où il arriva le 27 août 1819.

Homme d’une santé robuste et d’une grande énergie, il rappelait sur plus d’un point l’infatigable M. Painchaud. Aussi réussit-il à remédier aux désordres causés par l’ivrognerie, surtout parmi les sauvages de Ristigouche et de Cascapédiac ; ceux-ci se rappelaient encore les rudes leçons données avec tant d’énergie par le « grand patriarche », comme ils appelaient M. Painchaud ; et le nouveau missionnaire s’appliqua à en raviver le salutaire souvenir.

Le 12 juillet 1821, Mgr Plessis faisait sa seconde visite pastorale à Carleton. Après avoir alloué les comptes de la fabrique, il constata que le cimetière avait besoin d’être agrandi, l’église d’être réparé et le presbytère achevé ; il ordonna, en conséquence, que le premier dimanche où il serait possible de le faire, M. Gagnon devrait convoquer une assemblée de paroisse, pour étudier les ouvrages à entreprendre et les moyens dont on pouvait disposer ; la fourniture des matériaux nécessaires devait être à la charge des habitants ; mais, vu l’extrême rareté de l’argent, causée par la médiocrité de la pêche depuis plusieurs années, la main d’œuvre devait être payée par la fabrique, d’après des marchés faits avec les ouvriers par M. le curé et les marguillers. Ces différents travaux devraient être exécutés dans un an, au plus tard.

Puis Mgr Plessis donne lui-même un aperçu des travaux à faire : « 1o Allonger le cimetière de 40 pieds et l’élargir de 7 à 8, si c’est possible ; 2o Faire un solage à l’église ; 3o Renouveler en partie le clabord du rond point de l’église ; 4o Refaire la couverture du côté sud ; 5o Peinturer la dite couverture et tout l’intérieur de l’église ; 6o Garnir le clocher de fer-blanc ; 7o Réparer et peinturer la claire-voie autour de l’église ; 8o Renouveler les marches par où l’on entre tant à l’église qu’au presbytère ; 9o Lambrisser la salle des habitants ; 10o Réparer les châssis de cette salle ainsi que ceux du presbytère ; 11o S’il y a de la peinture de reste, peinturer tout le dehors du presbytère comme celui de l’église. »

M. Gagnon se mit de suite à l’œuvre, et, grâce à l’entente et à la bonne volonté des habitants, il put compléter ces travaux au terme fixé par l’évêque.

En 1825, Mgr Plessis ayant compris lors de sa dernière visite dans la Gaspésie et la Baie des Chaleurs, que deux missionnaires ne suffisaient pas pour les besoins spirituels de la population toujours croissante de l’immense territoire qu’il venait de visiter, envoya deux nouveaux prêtres pour y résider en permanence. L’un, M. J. B. McHahon, devait remplacer à Percé M. Boisvert qui avait succédé à M. Caron. La présence à cet endroit d’un missionnaire sachant l’anglais était devenue nécessaire, à cause de l’immigration irlandaise qui se dirigeait vers Percé, Douglastown et la Pointe Saint-Pierre.

M. F. A. Boisvert, devait se fixer à Bonaventure ; M. Gagnon restait à Carleton et M. Malo à la mission des sauvages de Ste-Anne de Ristigouche.

Sur la rive sud de la Baie, M. Naud fut destiné à Nipissiguit (Bathurst) ; et M. Célestin Gauvreau à Memramcook et autres missions qui en dépendaient.

Ainsi l’action du missionnaire, en se centralisant à Carleton, eut un meilleur effet pour le bien spirituel et temporel de cette paroisse, et M. Gagnon put travailler plus efficacement à la formation religieuse de son peuple.

Mais il ne devait pas jouir longtemps de cet arrangement. Il quitta Carleton au mois d’août suivant pour la cure de St-Pierre les Becquets. Il mourut en 1875, à l’âge de 82 ans, à Berthier où il s’était retiré.

Le successeur de M. Gagnon fut M. Édouard Faucher. Né à Saint-Michel de Bellechasse le 24 avril 1802, fils de Charles Faucher et de Genevièvre Casault, ordonné le 3 octobre 1824, il n’avait que 22 ans lorsqu’il fut chargé des missions de Carleton et de Ristigouche. D’un caractère gai, ayant toujours le mot pour rire, d’une santé à toute épreuve, jeune et plein d’ardeur évangélique, âme fortement trempée, corps endurci à la fatigue, le jeune et courageux missionnaire ne reculait devant aucun obstacle et savait les vaincre lorsqu’il s’agissait du salut des âmes qui lui étaient confiées.

Jamais un mot de plainte : il avait cependant 45 milles de pénibles missions. La seule plainte qu’il ait jamais laissé tomber de sa bouche, était ces paroles du P. Lejeune, dont il se servait un jour dans une de ces lettres :

« Coucher sur la terre couverte d’un peu de branches de pin, n’avoir qu’une écorce entre la neige et notre tête, traîner notre bagage sur les montagnes, se laisser rouler dans des vallons épouvantables, ne manger qu’une fois en deux ou trois jours quand il n’y a point de chasse, c’est la vie qu’il faut mener en suivant les sauvages. Mais on ne peut mourir qu’une fois, le plus tôt n’est pas toujours le pire. »

Un jour que M. Faucher faisait la mission aux Micmacs de Ristigouche, étant sur le point de partir pour Carleton, lieu de sa résidence ordinaire, son esprit observateur remarqua parmi la tribu un air de mystère qui ne présageait rien de bon. Depuis plusieurs années les Micmacs avaient formulé des plaintes au gouvernement, accusant les bourgeois anglais de Ristigouche d’empiéter sur les droits et les réserves des sauvages. Tous les ans les bourgeois barraient la rivière, large d’un mille, et au moyen de filets, ils accaparaient le hareng et le saumon qui la remontaient, enlevant ainsi aux indiens des milliers de quarts de poisson, et ne leur laissant que les éventualités de la chasse pour éviter la famine.

Ces griefs avaient été transmis à qui de droit, mais restaient encore sans réponse, et l’irritation était à son comble, lorsqu’une dernière vexation vint faire déborder la mesure. Le bruit se répandit que les anglais s’emparaient des prairies naturelles qui bordent la Rivière-du-Loup, dans le canton Mann, et qu’en ce moment, ils coupaient les foins de cette réserve sans s’occuper des droits des Micmacs.

Le temps était mal choisi pour faire circuler pareille rumeur : les bourgades sauvages de toutes les parties de la Baie des Chaleurs et de la Gaspésie venaient de s’assembler à la mission de Sainte-Anne de Ristigouche et tous les guerriers de la tribu étaient présents. Une réunion secrète du Grand Conseil se tint pendant la nuit et il y fut résolu à l’unanimité d’en finir de suite avec l’Anglais et de massacrer d’un seul coup tous ceux qui se trouvaient dans la Baie des Chaleurs. Aussitôt cette conclusion terrible prise, l’ordre est donné de courir aux armes et de préparer les canots, car pour frapper sûrement il ne fallait pas perdre de temps. Soudain la sentinelle qui veillait à la porte du Conseil est renversée par un bras vigoureux et la taille gigantesque du « patriarche » (M. Faucher) se dresse en face des chefs. Son regard fait le tour de l’assemblée. Pas un muscle n’a bronché sur la figure des micmacs ; chacun est demeuré immobile et silencieux.

« Chefs et guerriers, leur dit le prêtre en s’avançant au milieu du cercle, il doit se passer ici quelque chose d’étrange et de mauvais, puisque vous vous cachez de celui que vous avez toujours traité comme un père. Mais l’ami du Saint-Esprit ne peut être trompé par ceux que le Créateur Suprême a confiés à sa garde ; et je viens vous prier de me raconter vos peines pour qu’il me soit permis de pleurer avec mes enfants, et de les aider à supporter leurs douleurs comme cela convient à ceux qui sont les guerriers d’une grande tribu et les enfants du vrai Dieu.»

Un frémissement courut dans l’assemblée, mais personne ne répondit.

« Allons, grand chef ! reprit le missionnaire, en traversant le cercle des sagamos et en se plaçant en face du plus, respecté et du plus ancien de la tribu ; tu ne réponds plus à ton père ! Est-ce que ta langue est liée par le démon de l’obstination ? ou mieux encore celui de la vengeance est-il entré dans ton cœur ? Il y a du sang dans l’air ici et ton œil si doux et si grave d’habitude lance aujourd’hui des éclairs de haine. N’oublie pas, grand chef, que Dieu ne donne à l’homme la vieillesse que pour se recueillir et songer à la tombe ; avant de s’y coucher, le vieillard doit enseigner aux autres l’expérience des choses et la voie de la sagesse, au lieu de les exciter à la colère et de leur montrer le sentier de l’enfer. Parle, chef, il est encore temps ; et, au nom du Dieu vivant, je t’adjure de me dire ce qui se passe ici. »

Alors le grand chef se levant gravement répliqua d’une voix ferme au missionnaire :

« Notre patience est à bout et le conseil a décidé. Nous allons en finir avec l’Anglais. Aujourd’hui ta place n’est plus avec nous “patriarche.” Reste ici, et, quant aux autres, en route ! j’ai dit. »

Chacun alors se précipitant vers les canots, pousse au large et disparaît bientôt, après avoir lancé son cri de guerre.

Le missionnaire est resté seul, mais il ne se décourage pas. Une sauvagesse sait où les conspirateurs se sont donnés rendez-vous et elle vient prévenir le « patriarche » que c’est à la Pointe à la Batterie où doit se prélever le premier impôt du sang. Il n’y a plus à hésiter et, se précipitant dans un vieux canot qu’on n’a pas jugé propre pour l’expédition, M. Faucher se met à pagayer vigoureusement dans la direction prise par les sauvages. La crainte d’être en retard décuple les forces de ce colosse doué des muscles de quatre hommes. L’idée de sauver ses semblables le fait voler sur les eaux ; bientôt il tombe au milieu des Micmacs étonnés, et les larmes aux yeux, il les conjure de revenir sur leur décision, promettant, au nom de Dieu et du roi d’Angleterre, que justice serait bientôt faite aux opprimés.

Il y avait un tel accent de supplication et de vérité dans les paroles de M. Faucher, que les chefs se sentirent émus à leur tour.

« Nous promets-tu formellement, dit l’un d’eux, en s’adressant au « patriarche », que d’ici à un an nos droits seront reconnus, et qu’on les respectera dorénavant ? »

« Je vous le promets, mes enfants, » répondit M. Faucher.

« Eh bien ! si tu ne dis pas vrai, mon père, les Anglais de Ristigouche n’auront vécu qu’un an de plus, » répondit d’un ton farouche le grand chef, en donnant l’ordre de retourner à la mission.

M. Faucher tint la promesse faite aux Micmacs, et quelque temps après le Parlement du Bas-Canada passait une loi protégeant les droits des sauvages. Elle fut sanctionnée le 9 mars 1824, et le comte George Dalhousie vint lui-même rendre visite aux sauvages de Ristigouche et confirmer la bonne nouvelle.

Voilà comment, pour une autre fois dans ce pays, un missionnaire catholique sauva la vie à un grand nombre d’Anglais, et prévint par sa courageuse intervention un désastre gros de conséquences déplorables.

En 1824, la population de Carleton, était de 854 âmes. Le commerce de poisson y avait pris des proportions considérables.

On l’exportait en Europe et aux Antilles et on l’échangeait avec les produits de ces différents pays. Plusieurs bateaux pêcheurs tenaient une ligne régulière avec Québec et autres villes du Canada, et parmi les hardis navigateurs de cette époque, les capitaines Landry, LeBlanc, Allard et Boudreau, se faisaient remarquer.

Dès le printemps arrivé, un grand nombre de goëlettes partaient pour la chasse aux loup-marins sur les glaces des Îles de la Madeleine et s’avançaient même jusqu’à Terre-Neuve. Cette chasse rapportait généralement de gros profits et l’aisance régnait dans les familles.

Quelques-unes en profitèrent pour faire donner à leurs enfants une haute éducation dans les Collèges du Canada.

C’est ainsi que la paroisse de Carleton fournit enfin à l’église un de ses enfants, élevé à la dignité du sacerdoce, le Révd M. Jean Louis Allain.

Né le 11 août 1813, fils de Lazare Allain et de Lucie Landry, il fut envoyé au Collège de Ste-Anne de la Pocatière, nouvellement fondé par M. C. F. Painchaud, ancien curé de Carleton. Ordonné prêtre à Québec, le 4 juin 1837, il fut nommé aussitôt après son ordination curé de Bonaventure et des missions qui en dépendaient alors. Voici comment il rendait compte de ses travaux à Mgr de Québec :

« Comme Votre Grandeur aime à recevoir des nouvelles des parties de son diocèse les plus éloignées concernant la religion, je lui fais mon rapport de Missionnaire.

« Mon passage de Québec à Caraquet a été comme une bénédiction ; M. Blanchet (qui devint évêque d’Orégon), en a été quitte pour un peu de bile. Nous avons été un peu mortifiés de l’absence de M. Cooke (Curé de Caraquet et plus tard 1er évêque des Trois-Rivières), occupé en courses apostoliques. C’était le dimanche, huit jours après notre départ ; il y a eu messe solennelle et sermon dans la « Basilique acadienne », où l’on ne s’attendait à rien moins. Le lendemain matin je me suis acheminé vers Bonaventure, où le vent ne nous a permis de mettre pied à terre que le jour de la Toussaint, comme les gens sortaient de la prière du vénérable Simon Henry. Il était tard, je leur dis donc une messe basse seulement et ils chantèrent des cantiques. »

« J’ai fait ce printemps la mission à la Grande-Rivière, à Percé et à la Pointe St-Pierre. Je suis bien embarrassé pour les malades de Percé ; il y a un portage de 19 lieues de forêt si épaisse que les plus au fait de ces voyages extraordinaires ont de la peine à s’en tirer. Je marche mal en raquettes et les sages du lieu ne me croient pas capable d’entreprendre cette marche. Un missionnaire serait nécessaire à Percé. »

En 1840, M. Allain écrivait à Mgr Signay le consultant sur la récitation du bréviaire en certains cas. Sur la réponse de l’évêque qu’il pouvait s’en dispenser dans les cas proposés, pris de scrupule il lui disait :

« Je n’ai pas de peine à croire que dans le cas où il y a pour ainsi dire impossibilité, je n’y sois pas tenu. Cependant ce carême j’ai fait 28 lieues en un jour pour un malade et ça ne m’a pas empêché de réciter mon office. »

M. Allain desservait Paspébiac et faisait une mission tous les mois.

« J’y suis resté quinze jours de suite, écrivait-il à l’évêque, tout seul dans le presbytère ; je suis mon valet de chambre et d’écurie ; ce n’est pas commode. Si les gens me payaient je pourrais avoir quelqu’un au moins pour soigner mon cheval ; moi je n’ai pas besoin de serviteur. J’ai une rivière à traverser pour me rendre à cette mission ; l’automne et le printemps il est impossible d’y passer à gué.

« Je vais à Cascapédiac tous les mois ou à peu près suivant l’état de la rivière. Je fais la visite de Port-Daniel moins souvent. Je voudrais bien avoir un catéchiste à Paspébiac ; jusqu’à présent je n’ai pu en trouver.

« Tous les ans je reçois des protestants dans l’Église. »

Lorsque M. Tessier quitta la mission de Paspébiac pour la cure de Carleton, en 1848, M. Allain écrivait à l’évêque de Québec.

« Je ne suis rien, mais je ne saurais trop exprimer combien la résidence d’un prêtre est nécessaire à Paspébiac. M. Tessier y a fait beaucoup de bien ; il en serait de même de tout autre qui aurait autant de zèle et de volonté que ce Monsieur. »

À Bonaventure M. Allain fit construire l’église actuelle, qui fut agrandie et décorée dans la suite. Ami de l’éducation, il constatait avec peine que bon nombre de jeunes gens de talent et très bien disposés se trouvaient privés, à cause de l’éloignement et de la difficulté des communications, des moyens de faire un cours d’études.

Aussi songea-t-il sérieusement à jeter les fondations d’un collège qui serait ainsi placé au centre de la Baie des Chaleurs, et dont les bons effets se feraient aussi sentir sur la rive sud de la Baie.

Pour cela il avait acquis, au prix des plus grands sacrifices, plusieurs lots de bonne terre, auprès de l’église et ailleurs, dont les revenus devaient aider puissamment au nouveau collège et il avait fait des ouvertures, qui avait été favorablement reçues, auprès des directeurs du Séminaire de St-Hyacinthe ; on lui avait promis des prêtres aussitôt que son collège serait prêt à les recevoir.

Malheureusement, la mort vient frapper M. Allain au moment où il allait mettre le couronnement à son œuvre de prédilection. Mort sans testament, ses propriétés passèrent à ses héritiers, et c’en fut fait de la fondation du collège de Bonaventure.

M. Allain mourut jeune encore, à peine âgé de 50 ans, le 16 juin 1863, et fut inhumé dans l’église de Bonaventure.

M. Faucher demeura quatre ans dans les missions de Carleton et Ristigouche. Rappelé par son évêque en 1828, pour occuper la cure des Trois Pistoles, il y demeura trois ans, puis fut transféré à Lotbinière. M. Faucher aimait beaucoup ses missions de la Baie des Chaleurs. Il avait su, en peu de temps, s’attirer l’attachement de tous ses paroissiens. Aussi son départ fut-il sensiblement ressenti par tous. Plusieurs années après, il se plaisait à raconter, avec cet esprit gaulois qui faisait le charme de sa conversation, les anecdotes plaisantes et quelques fois lugubres de sa vie de missionnaire dans la Baie.

Nous en citons une, sous toute réserve toutefois.

Lors de son départ, il fit une dernière visite d’adieu à toutes ses missions. Dans l’une, une bonne chrétienne où il se retirait ordinairement, Madame Bélanger, le voyant sur le point de partir, se jeta à ses pieds en sollicitant une dernière bénédiction. Se relevant elle lui dit : « Monsieur le curé, il est probable que je ne vous verrai plus sur cette terre de misère ; voulez-vous m’accorder une faveur ? — Mais oui, ma bonne dame, lui répond le prêtre, qu’est-ce donc ? — C’est, dit-elle, la promesse de venir m’avertir si vous quittez cette terre avant moi, afin que je prie pour vous. De mon côté, ajouta-t-elle avec cette foi naïve des anciens jours, si je meurs avant vous, je vous promets de faire de même. » M. Faucher promit sans attacher une grande importance à cette promesse et partit.

Plusieurs années après, étant curé à Lotbinière, par un beau soir d’automne où la lune laissait pénétrer sa douce lumière à travers la croisée de sa chambre à coucher, au moment de se mettre au lit, il vit une ombre se dessiner nettement dans sa chambre, et une voix bien connue lui dire distinctement : « Monsieur le curé, priez pour moi, je suis morte. — Oui, oui, répondit vivement M. Faucher, je dirai la messe pour vous demain matin » Et l’ombre disparut. Quelques jours après, M. Faucher recevait une lettre de la Baie des Chaleurs lui annonçant la mort de Madame Bélanger, à l’heure de l’apparition.

Lors de la visite pastorale de Mgr Baillargeon, évêque de Québec, dans la Gaspésie et la Baie des Chaleurs en 1865, M. Faucher sollicita la faveur d’accompagner son évêque, afin de revoir encore une fois ses chères missions, dont il avait toujours conservé un bien doux souvenir.

De retour à Québec au mois d’août, il fut frappé par une maladie soudaine et mourut à l’archevêché, après quelques jours de maladie, le 11 août 1865, à l’âge de 63 ans. Il fut inhumé en grande pompe dans l’église de Lotbinière.

Le successeur de M. Faucher à Carleton fut Messire Louis-Stanislas Mâlo. Né le 6 août 1801, à la Rivière des Prairies, fils de Benjamin Mâlo et de Marie-Louise Blot, il fut ordonné à Québec le 5 novembre 1826. D’abord vicaire à St-Benoit, il arriva à Carleton au mois d’août 1828.

« M. Mâlo, dit Mgr Tanguay, était avant tout un homme de devoir ; sévère pour lui-même, dévoué pour les autres, travailleur infatigable, et tout entier à son ministère qu’il remplit seul jusqu’à ces dernières années malgré son âge avancé. »

Il était de plus un homme érudit, très versé dans les sciences naturelles. Il joignait à la science et à la vertu un caractère plein d’amabilité et de courtoisie. Il était surtout remarquable par l’originalité de ses appréciations des faits et des hommes et les piquantes saillies d’un esprit vif et alerte.

Son presbytère était un véritable musée d’histoire naturelle, rempli des productions minérales et zoologiques de cette portion du pays. Les oiseaux de mer y étaient perchés à côté des habitants de la forêt ; les poissons nageaient dans l’air, soutenus par les instruments qui les avaient arrachés aux douceurs de la vie aquatique ; l’écorce, qu’une matrone micmaque avait ornée de symboles et de fleurs en poil de porc épic, était suspendue aux armes du guerrier. Le tomahawk, la massue, les haches, les têtes de flèches, les longs calumets de paix et de guerre se croisaient au-dessus du coquet bonnet de la jolie « squaw » et du capot orné de rasades que le « faraud » micmac porte aux grandes solennités et des fourneaux de calumets taillés par les sauvages, au moyen d’une pierre durcie à l’air.

Dans des corbeilles du pays, étaient rangés en ordre les minéraux que M. Mâlo s’était procurés pendant ses courses scientifiques. Il avait surtout réuni un grand nombre d’agates, pierres fort abondantes sur les côtes de la Gaspésie. Il avait des pointes de flèches, formées d’un silex blanchâtre, telles que souvent encore la charrue en met à jour au milieu des champs, sur la pointe à Bonami, où les sauvages séjournaient autrefois.

M. Mâlo n’était pas seulement un savant, mais il était surtout un missionnaire accompli. Il a laissé dans la mémoire des populations où il a passé un souvenir qui va presque jusqu’au culte. Sa conversation, intéressante jusqu’au plus haut degré, charmait ses auditeurs. De plus il était à la fois prêtre, médecin et notaire, et rendait ainsi de grands services aux habitants de ses missions.

Le 18 juillet 1839, M. Mâlo recevait la visite de son évêque, Mgr de Sidyme, en courses apostoliques dans la Baie des Chaleurs. Après avoir alloué les comptes et reconnu les legs généreux de M. Amiot, ancien missionnaire, pour la somme de $263.03, l’évêque ordonna que l’on fit faire : 1o deux ornements, dont un rouge et l’autre blanc pour les fêtes solennelles ; 2o deux étoles pastorales dont l’une blanche et l’autre rouge.

Puis l’évêque autorisa la fabrique à payer la main-d’œuvre pour refaire la couverture en bardeau du presbytère, une porte neuve au cimetière, des jalousies à la lanterne du clocher et réparer le lambris de l’église.

Pour terminer une difficulté qui existait entre les fabriciens et Sébastien Landry, au sujet de la possession d’un banc, occupé par celui-ci conjointement avec la veuve Leblanc, l’évêque décida en faveur de Sébastien Landry, comme étant le premier adjudicataire ; mais à la condition expresse que la veuve Désiré Leblanc y conservera son droit sa vie durant, à moins qu’elle ne passe à de secondes noces.

Le 9 juillet 1841, seconde visite de Mgr de Sidyme à Carleton. Il ordonne de se procurer une pierre d’autel plus grande que celle en usage jusqu’alors. Aussi de faire faire une chape en soie blanche et des nappes d’autel, ainsi que des corporaux.

M. Mâlo demeura quinze ans dans les missions de Carleton et de Ristigouche. Il possédait à fond la langue micmacque et jouissait d’un grand ascendant sur l’esprit des sauvages, qu’il savait maintenir dans le devoir. Aussi son souvenir est-il demeuré au milieu d’eux comme l’un des plus grands « patriarches » qu’ils aient eus.

En 1843, il fut transféré à la cure des Trois-Pistoles, où il demeura 4 ans ; puis missionnaire à la Grosse Île pendant l’épidémie du choléra, il fut nommé en 1850 curé à Bécancourt où il mourut le 21 décembre 1884, plein de jours et de mérite.

Son successeur, M. Olscamps, ne desservit Carleton qu’un an ; il était déjà missionnaire résidant à Ste-Anne de Ristigouche. Il était né à Québec, le 4 mars 1816, d’Alexandre Olscamps et de Françoise Hianveu. Ordonné à Québec le 13 décembre 1841, vicaire au Château-Richer, il devint missionnaire à Ste-Anne de Ristigouche en 1842. Il mourut à Saint-Stanislas, diocèse des Trois-Rivières, le 31 juillet 1876.

Hospitalier, de manières affables, d’un caractère enjoué, vrai gentilhomme enfin et bon prêtre aussi, ses confrères l’honoraient de leur amitié et de leur confiance, comme ses paroissiens ont conservé un souvenir impérissable de ses bontés.

Le successeur de M. Olscamps à Carleton fut M. Félix Desruisseaux. Né à Ste-Croix, le 6 janvier 1819, de François Desruisseaux et de Françoise Garneau, ordonné prêtre le 26 février 1843, vicaire à Saint-Valier, il arriva à Carleton en 1844.

Doué d’une vive charité envers le troupeau qui lui était confié, il était en même temps d’un caractère plein de douceur, d’un esprit pénétrant et d’une franchise aimable, qui le rendaient cher à tous ceux qui ont pu le connaître et l’apprécier. Tout dévoué aux fonctions sacrées de son ministère, il travaillait au salut des âmes avec un succès qui remplissait son âme des plus douces consolations. Pendant près de 5 ans, il évangélisa cette partie de la Baie des Chaleurs dont Carleton est le centre, entouré du respect et de l’affection de son troupeau. Cependant son cœur si religieux et si plein de charité le pressa d’aller sur les côtes sauvages du Labrador, porter les secours et les consolations de la religion à une population abandonnée et composée en grande partie de Canadiens-français vivant de chasse et de pêche.

Le 16 juin 1847, après avoir offert au ciel la victime sans tache, dans son église de Carleton, et placé ses chères ouailles sous la protection de la Reine des Anges, il prit passage à bord d’un bâtiment pêcheur qui se dirigeait vers la côte nord, ayant pour capitaine un protestant, fort honnête homme, qui eut pour lui des égards et des soins dont il garda toujours le souvenir.

Cette partie du Labrador que M. Desruisseaux allait évangéliser, appartenait alors au diocèse de Terreneuve, et le diocèse de Québec, qui, à cette époque pouvait à peine suffire à des besoins infinies, ne pouvait guère que jeter un œil de compassion sur ces pauvres colons que la fortune avait relégués en dehors de ses limites. M. Desruisseaux rencontra sur ces côtes délaissées des compatriotes qui portaient leurs yeux baignés de larmes vers le Canada, leur patrie, et qui demandaient le secours des sacrements et la nourriture divine de l’instruction religieuse dont ils étaient privés depuis si longtemps.

En arrivant au Labrador, il se vit entouré de ces attentions délicates et empressées qu’inspire la reconnaissance ; il fut reçu comme l’envoyé du ciel, et sa présence fut une source de bénédictions, de bonheur et de salut pour les bons habitants de ces lieux.

De retour à Carleton, il continua ses travaux évangéliques en projetant une nouvelle mission sur les côtes du Labrador pour l’année suivante. Mais la Divine Providence en avait décidé autrement.

Un jour qu’il était à la chasse sur le banc de Carleton où le gibier se tenait en grand nombre, il entend le son de la cloche qui l’appelle aux malades. Une maladie contagieuse, la fièvre typhoïde, faisait alors de nombreuses victimes dans la Baie-des-Chaleurs. Il s’empresse de se rendre à l’église où tout couvert de sueurs il s’embarque sur une méchante voiture, par un froid glacial, pour porter les secours de la religion à un moribond, à la pointe de Méguasha, à environ dix milles de l’église ; il prend froid et quelques jours après, il tombe à l’autel, pendant la célébration de la sainte messe ; et après une courte maladie, il meurt victime de son dévouement au salut des âmes, le 23 novembre 1848, à peine âgé de 30 ans. Il est le premier prêtre dont les cendres reposent dans l’église de Carleton.

En 1847, M. Desruisseaux fondait la bibliothèque paroissiale. C’est lui aussi qui songea sérieusement à reconstruire l’église actuelle. L’ancienne église tombait en ruine, et malgré les réparations qu’on lui avait fait subir, il était évident qu’elle n’était plus propre au culte.

Pour se conformer aux instructions de son évêque, M. Desruisseaux fit l’élection des syndics chargés de voir à la nouvelle construction. Dans une assemblée des francs-tenanciers tenue au presbytère le 17 mars 1848, présidée par M. Desruisseaux, et à laquelle étaient présents entre autres Hippolite Landry, Charles Marie LaBillois, Joseph Portier, Alexandre Brodeur, Étienne Diot et grand nombre d’autres, furent élus unanimement syndics : Jean Gauvreau, Hubert Godbout, Frédéric Dugas et Désiré Saint-Cœur.

La mort prématurée de M. Desruisseaux arrêta momentanément les travaux et certaines difficultés survenues dans la suite en retardèrent l’exécution.