Histoire de la pomme de terre/Préface

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PRÉFACE

La Pomme de terre n’a été jusqu’ici le sujet que de Mémoires spéciaux ou de Monographies particulières, ou bien de Traités sur sa culture et sur son utilisation industrielle ou agricole. Son Histoire n’a jamais été publiée avec tous les documents qu’elle comporte. Après avoir rassemblé ces documents, de nature fort diverse, nous les avons groupés dans des Chapitres spéciaux, mais en les classant d’après leurs dates mêmes, de façon à les présenter successivement sous les yeux du Lecteur dans leur ordre chronologique. Nous avons ainsi été conduit à appliquer cette méthode historique documentaire à chacun des points de vue auxquels la Pomme de terre peut être envisagée, qu’il s’agisse de son Origine ou de son Histoire proprement dite, où bien qu’il soit question de sa Biologie, de ses Maladies, de ses différends Procédés de culture et de multiplication, ou même de son Utilisation. Toutefois, nous croyons devoir avertir que l’un de ces Chapitres a été pour nous l’objet de recherches spéciales. L’étude de plusieurs des maladies de la Pomme de terre nous a permis, en effet, de constater des faits scientifiques nouveaux : nous avons donc fait connaître, dans ce Chapitre, avec les données historiques, les résultats de nos observations personnelles sur ces diverses maladies, et les causes efficientes réelles qui en étaient jusqu’alors restées inconnues.

Il n’est plus besoin, à notre époque, de vanter l’utilité du précieux tubercule. Il suffit de se poser cette question : Par quoi le remplacer si nous ne le possédions pas ? Car, bien que son rôle dans la nourriture générale des peuples ne lui donne que la seconde place après les Céréales, il n’y a pas à se dissimuler que c’est grâce à lui, en grande partie, que ces peuples ont dû de voir s’augmenter leur bien-être, en raison des ressources qu’il procure, aussi bien à l’alimentation de l’homme qu’à celle des animaux. On constate, du reste, aisément que l’accroissement de la population a suivi, en Europe, les progrès de la consommation de la Pomme de terre, et que, dans les années de mauvaises récoltes et de plus faibles importations de Céréales, les nations, qui ont pris l’habitude de la consommer en même temps que le pain de Froment ou de Seigle, sont quelque peu délivrées des vives et sérieuses préoccupations que se trouvent avoir, dans ces déplorables circonstances, celles chez lesquelles ce pain constitue la base principale du régime alimentaire.

Aujourd’hui qu’on tire de si grands profits de la Pomme de terre, on s’étonne avec raison de la difficulté qu’elle a éprouvée pour être admise autrefois sur les tables de nos ancêtres. Ce n’est pas cependant que ceux qui se sont, jadis et avant tous autres, occupés de la cultiver en Europe, n’aient été frappés de sa productivité et n’aient, de prime abord, apprécié ses excellentes qualités. Mais ils ont été loin d’être secondés plus tard et leurs appréciations dans la suite sont restées ignorées ou ont été méconnues.

S’il est un devoir agréable à remplir pour un historien, c’est bien celui qui lui permet de rétablir la vérité des faits. Deux introductions, différentes, au xvie siècle, ont eu lieu en Europe, du précieux tubercule. Les intermédiaires qui l’ont apporté de l’Amérique sont pour ainsi dire demeurés inconnus ; d’autres, par les mains desquels il a passé, n’ont par eux-mêmes rien fait pour contribuer à sa propagation. Nous ne pouvons que mentionner en passant l’utile service qu’ils ont rendu sans se douter de son importance. Mais combien la reconnaissance des peuples ne doit-elle pas se manifester pour ceux qui l’ont, les premiers, cultivé, apprécié et propagé ! Sans doute, ils ne l’ont pas fait de façon à laisser croire qu’ils prévoyaient déjà les grands avantages que devait procurer plus tard la Pomme de terre. Ils n’y pouvaient guère songer, en effet, et il n’est pas surprenant qu’ils se soient contentés d’appeler l’attention sur elle et de la faire connaître. Mais il n’est pas moins vrai que c’est grâce à eux que l’Europe l’a réellement possédée et qu’on ne pourrait sans injustice leur reprocher de ne pas avoir conseillé à leurs contemporains d’en tirer immédiatement le meilleur parti possible. Le progrès dans les idées ne s’est jamais fait qu’avec lenteur et l’on peut dire que s’il est des coutumes difficiles à modifier, ce sont justement celles qui régissent notre alimentation.

Deux botanistes, dont l’un, plus célèbre à juste titre que l’autre, ont étudié et décrit la Pomme de terre, lors de son introduction en Europe : ils sont cependant très peu connus, surtout en France. On sait néanmoins assez généralement en Angleterre que John Gerarde a été, le premier, à la cultiver, près de Londres, vers la fin du xvie siècle. Mais se doute-t-on seulement, sur le Continent européen, que c’est à un savant français, Charles de l’Escluse d’Arras, qu’elle a dû de pouvoir à la même époque se propager en Autriche, en Allemagne, en Suisse, puis en France ? Et n’est-il pas curieux de constater que, pendant plus de cent cinquante ans, l’Angleterre n’a possédé d’autre Pomme de terre que celle de John Gerarde, et le centre de l’Europe que celle de Charles de l’Escluse ? Qu’il nous soit donc permis d’inscrire les noms de ces deux premiers cultivateurs de la Pomme de terre, parmi ceux des bienfaiteurs de l’humanité !

Nous ne voulons pas terminer sans remercier personnellement tous ceux qui ont bien voulu nous prêter leur bienveillant concours pour la recherche des documents de cette Histoire et pour la communication des matériaux d’étude qu’elle nécessitait. Nous sommes donc heureux d’exprimer ici toute notre gratitude à M. Ludovic Lalanne, Bibliothécaire de l’Institut, à qui nous devons l’idée première de cet ouvrage ; à MM. Ad. Chatin et Aimé Girard, de l’Académie des sciences ; à MM. Maxime Cornu, Professeur au Muséum d’histoire naturelle, et Henry de Vilmorin, qui nous ont tous deux fait connaître la conservation au Musée Plantin-Moretus, à Anvers, de l’Aquarelle de Philippe de Sivry ; à M. Max Rooses, Conservateur de ce Musée ; à MM. Henri et Emile Van Heurck, qui nous ont facilité les moyens de faire prendre copie de cette Aquarelle ; puis à MM. Clos et Maxwell Masters, correspondants de l’institut, à MM. le Dr Laboulbène et Édouard André, membres de la Société nationale d’Agriculture de France ; à MM. Arthur Sulton, Delacour, J. Tripard, feu Blanchard, Dr Heckel, F. Debray, René Ferry, Dr Calbet, Dr Magniaux, Bienaymé, Dr Ozenne, Chamoüin, Hyacinthe Rigaud, Lamare, feu Verlot ; à MM. Henry, Gérome et Grosdemange, du Muséum d’histoire naturelle ; à MM. Baucheron et Maurice Le Saché, dont l’aide obligeante nous a été des plus utiles ; ainsi qu’à M. Charles Rolet, qui a dessiné avec beaucoup de soin la plupart des figures de ce Livre. Nous adressons enfin ici un dernier souvenir à la mémoire d’Arthur Sterck, qui avait bien voulu appliquer son talent à la reproduction de l’Aquarelle de Philippe de Sivry, et qui est par malheur décédé en coloriant une épreuve-modèle de cette Aquarelle, après avoir obtenu le Prix de Rome au Grand Concours de gravure, en Belgique. Puisse-t-il revivre dans son œuvre, qui sert de frontispice à cette Histoire !