Histoire de la vie et de la mort (trad. Lasalle)/11

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Histoire de la vie et de la mort
XI. Principes provisoires sur la durée de la vie humaine et la cause de la mort
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres10 (p. 425_Ch11-487).
Principes et règles provisoires sur la durée de la vie humaine, et la cause formelle de la mort.
Principe I.
La consomption ne peut avoir lieu dans un corps, qu’autant qu’il perd une partie de sa substance, et qu’elle passe dans quelque autre corps.
Explication.

Aucune partie de la matière ne s’anéantit. Ainsi ce qui est consumé et absorbé se répand dans l’air ambiant, ou passe dans les corps adjacens. Aussi voyons-nous qu’une araignée, une mouche ou une fourmi ensevelie dans l’ambre (jaune), y trouve un genre de sépulture qui la conserve beaucoup plus long temps et beaucoup mieux que les monumens les plus solides des Égyptiens n’ont conservé les corps de leurs rois, et qui semble l’éterniser. À la vérité, les

corps de ces petits animaux, ainsi ensevelis, sont extrêmement mous et corruptibles. Mais ils ne sont point environnés d’un air où pût se répandre ce qui s’en exhaleroit, si, dans l’état où ils sont, ils pouvoient faire quelque perte. D’ailleurs, la substance de l’ambre jaune est tellement différente de la leur, qu’elle n’en peut rien tirer ou recevoir. Je présume qu’on observeroit le même effet, si l’on tenoit plongé dans le mercure, du bois, une racine, ou tout autre corps de ce genre. Au reste, la cire, le miel et les gommes ont aussi la propriété de conserver les corps, sans l’avoir au même degré.

Principe II.
Tout corps tangible contient un esprit qui s’y trouve environné, enveloppé des parties grossières ; c’est cet esprit qui est le vrai principe de consomption et de dissolution.
Explication.

Parmi ces corps que nous voyons à la surface de la terre, il n’en est aucun qui soit totalement dépourvu d’esprit, et cet esprit qu’ils contiennent est le produit de l’atténuation et de la concoction, opérée par la chaleur des corps célestes, ou par l’action de toute autre cause semblable. Car ces petites cavités qui se trouvent entre les parties tangibles, ne sont rien moins que vuides, mais occupées et remplies, ou par l’air, ou par l’esprit propre aux composés respectifs. Or, cet esprit, dont nous parlons, n’est pas simplement une vertu, une énergie, une entéléchie, ou toute autre chose semblable qu’on pourra imaginer, mais une vraie substance, une substance, dis-je, ténue, invisible, occupant un lieu, et ayant des dimensions, en un mot, très réelle. De plus, de même que le suc des raisins n’est rien moins que de l’eau pure, l’esprit en question n’est pas non plus simplement de l’air pur, mais une substance particulière et très ténue, qui, à certains égards, a sans doute quelque analogie avec ce fluide, mais qui, à d’autres égards, est fort différente. Quant aux parties grossières et tangibles, comme elles sont naturellement inertes, paresseuses et peu mobiles, leur assemblage seroit par lui-même de très longue durée ; mais l’esprit abrège cette durée ; c’est lui qui, fouillant, pour ainsi dire, en tous sens, mine et dégrade le composé : il s’empare de l’humor qu’il y trouve, convertissant, en sa propre substance, tout ce qu’il peut digérer, et engendrant ainsi de nouvel esprit. Puis l’esprit préexistant, je veux dire celui qui se trouvoit déjà dans l’intérieur du corps, entraînant avec lui celui qu’il vient de former, ils s’exhalent ensemble. C’est ce que démontre sensiblement cette diminution de poids qu’éprouve tout corps desséché par la perspiration. Car, lorsque cette partie de la substance du corps qui s’est exhalée, étoit pesante, et contribuoit, par son poids, à celui du composé, elle n’étoit pas encore convertie en esprit ; et elle n’a pu s’exhaler qu’après que cette conversion a été faite.

Principe III.
Après l’émission de l’esprit, le corps qui le contenoit se dessèche ; et lorsque cet esprit étant retenu dans l’intérieur de ce corps, agit puissamment sur ses parties, il le liquéfie, le putréfie ou le vivifie.
Explication.

L’esprit peut exercer quatre espèces d’actions, et produire quatre espèces d’effets ; savoir : la dessiccation, la liquéfaction, la putréfaction et la génération, ou la vivification. La dessiccation n’est pas l’effet propre et direct de l’esprit, mais celui des parties grossières et tangibles ; effet qui n’a lieu qu’après son émission[1], car alors ces parties se rapprochent les unes des autres ; rapprochement qui a tout à la fois pour cause l’horreur du vuide et la tendance de ces parties à s’unir à leurs homogènes, comme on l’observe dans tous les corps dont la dessiccation est l’effet du seul laps de temps, ainsi que dans les corps où cette dessiccation étant opérée par l’action du feu, elle est plus complète ; par exemple, dans les briques, le charbon, le pain, etc. La liquéfaction est l’effet propre de l’action des esprits ; encore n’a-t-elle lieu qu’autant qu’ils sont excités et animés par la chaleur ; car alors ces esprits se dilatent, mais sans se porter au dehors, ils se font jour entre les parties tangibles, et se répandant peu à peu dans toute la masse du composé, l’amollissent ainsi et le rendent fusible, comme on en voit des exemples dans les métaux et la cire. Car les métaux et les autres substances tenaces ont, en vertu de cette ténacité même, la faculté de retenir les esprits ; et lorsque ces esprits, ainsi excités par la chaleur, tendent à se porter au dehors, les parties tangibles du composé font obstacle à leur émission. La putréfaction, qui est le produit des esprits, dépend aussi de la nature des parties tangibles. En effet, lorsque cet esprit qui gouvernoit les parties du composé, et qui, en les empêchant d’obéir à leur tendance naturelle, les maintenoit dans leurs situations respectives, s’est en partie exhalé, et en partie affoibli, tout l’assemblage se décompose, les différens élémens du composé recouvrent leur nature primitive, et chaque élément se porte vers son homogène, auquel il s’unit : tout l’esprit qui se trouvoit dans le composé, se réunit en une seule masse ; réunion d’où résulte cette odeur fétide qui s’exhale des corps putréfiés ; les parties oléagineuses s’agrègent à leurs analogues ; agrégation qui est la véritable cause de ce foible degré d’onctuosité qu’on observe dans toutes les substances putrides ; les molécules aqueuses se réunissent de même à leurs analogues ; enfin, les parties féculentes se joignent aussi à leurs congénères : séparations et nouvelles agrégations, d’où résulte cet assemblage indigeste, cette confusion qu’on observe dans les corps putréfiés. Enfin, la génération, ou la vivification, dépend tout à la fois de l’action des esprits et de la nature des parties grossières. Mais elle s’opère par une voie et des circonstances ou conditions très différentes de celles dont la putréfaction est le produit. Car, dans le cas dont nous parlons actuellement, l’esprit est tout-à-fait détenu (retenu) dans l’intérieur du composé ; cependant il se gonfle, se dilate, et a un mouvement local dans ces limites mêmes où il est circonscrit. Quant aux parties grossières, elles n’éprouvent alors aucune solution de continuité ; mais elles ne font que suivre les mouvemens de l’esprit qui, les soufflant, pour ainsi dire, et les poussant devant lui selon toutes les directions, leur fait prendre ainsi différentes figures ; d’où résulte cette génération et cette organisation qu’il s’agit d’expliquer. Aussi la vivification n’a-t-elle jamais lieu que dans une matière visqueuse, tenace, glutineuse, mais en même temps souple et obéissante. Ainsi les deux conditions nécessaires ici sont la détention de l’esprit et la disposition de la matière à céder aisément à l’action de cet esprit qui la moule et la figure : double supposition sur laquelle il ne restera aucun doute, pour peu que l’on considère de près la matière première, tant des végétaux que des animaux dont la génération est le produit de la putréfaction, ou d’une matière spermatique. Car alors on reconnoîtra aisément que la matière de tous ces composés est tout à la fois assez difficile à rompre, et disposée à céder à la moindre traction ou impulsion.

Principe IV.
Tous les corps animés contiennent deux sortes d’esprits ; savoir : d’abord, les esprits mortuels[2], qui se trouvent aussi dans les corps inanimés ; puis les esprits vitaux qui s’y trouvent de plus.
Explication.

Nous avons dit en commençant que, pour se mettre en état de prolonger la vie du corps humain, il faut l’envisager successivement sous deux rapports différens ; savoir : 1°. comme inanimé et non alimenté ; 2. comme animé et alimenté. Les règles qui se rapportent à la consomption, se tirent de la première de ces deux considérations ; et les règles relatives à la réparation se tirent de la seconde. Ainsi nous devons observer d’abord que les chairs, les os, les membranes, les organes, en un mot, les différentes parties du corps, contiennent certains esprits répandus dans toute leur substance, et semblables à ceux qui se trouvent encore dans cette chair, dans ces os, dans ces membranes et dans toutes les antres parties, lorsqu’elles sont séparées du corps et tout-à-fait mortes ; semblables même à ceux qui restent dans un cadavre. Mais l’esprit vital est toute autre chose ; quoiqu’il gouverne ceux dont nous venons de parler, et ait avec eux quelque sorte d’affinité, il ne laisse pas d’être spécifiquement différent, il subsiste par lui-même, et forme un tout à part. Or, il est deux différences principales entre les esprits mortuels et les esprits vitaux : l’une est que les esprits du premier genre ne forment point un tout continu, mais un tout dont les parties sont environnées et séparées les unes des autres, par les parties grossières et tangibles qui rompent fréquemment leur continuité. En un mot, les parties de cet esprit se trouvent disséminées entre ces parties tangibles, à peu près comme celles de l’air le sont dans la neige, ou dans une liqueur écumeuse ; au lieu que l’esprit vital ne forme qu’un seul tout, dont les parties mêmes, en se distribuant dans certains canaux où il se porte sans cesse par des mouvemens tantôt progressifs et tantôt rétrogrades, ne laissent entr’elles aucun vuide, et demeurent toujours parfaitement contiguës. Ce dernier genre d’esprit se subdivise en deux espèces ; savoir : un esprit simplement rameux (branchu) et coulant dans des canaux extrêmement étroits, qui ne forment, pour ainsi dire, que des lignes très déliées : l’autre a de plus tel réservoir propre, je veux dire que non-seulement il forme un seul tout contigu, mais encore que ses parties se réunissent dans une cavité particulière, dans un viscère, et même en assez grande quantité, eu égard au volume du corps ; réservoir d’où partent des espèces de ruisseaux qui les distribuent à toutes les parties du corps, et qui se ramifient à l’infini. Le principal et le plus grand de ces réservoirs est formé par les ventricules du cerveau, qui, dans les animaux de l’ordre inférieur, sont tellement étroits, que ces esprits semblent être plutôt répandus et distribués dans toute la masse du corps, que réunis en masse dans aucune cavité particulière ; de ce genre sont les serpens, les anguilles, les mouches, etc. dont les différentes parties, quoique séparées du tout, ne laissent pas de se mouvoir encore pendant quelque temps ; ainsi que les oiseaux, qui, après l’amputation de la tête, font encore différens mouvemens très sensibles ; mouvemens qui viennent de ce que les animaux de ces deux classes ont la tête fort petite, ce qui réduit à un très petit espace le réservoir de leurs esprits vitaux : au lieu que, dans les animaux d’un ordre supérieur, ces ventricules sont très spacieux, sur-tout dans l’homme, qui l’emporte, à cet égard, sur tous les antres. La seconde différence qui distingue les deux genres d’esprits, est que l’esprit vital est habituellement dans un état qui tient un peu de l’inflammation, et semble n’être qu’un fluide très subtil, composé d’air et de flammes, à peu près comme les sucs tangibles des animaux sont composés d’huile et d’eau. Or, de cette inflammation résultent des mouvemens et des facultés d’une espèce particulière et tout-à-fait différente ; car la fumée, par exemple, est inflammable ; de plus, avant son inflammation, elle est chaude, ténue et mobile : cependant, lorsqu’elle a pris feu et s’est convertie en flamme, c’est toute autre chose ; et, dans ce nouvel état, elle est très différente de ce qu’elle étoit avant son inflammation. Mais cette inflammation des esprits vitaux est beaucoup plus douce et plus légère, que celle d’où résultent les flammes les plus foibles que nous connoissions : par exemple, que celle de l’esprit de vin, et d’autres semblables liqueurs. De plus, sa substance est, en grande partie, combinée avec une substance aérienne ; en sorte que sa nature, comme nous venons de le dire, n’est qu’une combinaison secrète et mystérieuse, de la nature de la flamme et de celle de l’air.

Principe V.
Les actions (ou fonctions) naturelles dans le corps humain, sont propres et particulières aux différens organes où elles s’exercent ; mais l’esprit vital les excite, les aiguise, les renforce et les anime toutes sans exception.
Explication.

Les actions, ou fonctions, propres aux différens membres ou organes, sont analogues à la nature même de ces organes, nature dont elles dépendent nécessairement ; par exemple, l’attraction, la rétention, la digestion, l’assimilation, la sécrétion, l’excrétion, la perspiration, et le sentiment même, répondent (pour l’espèce et la quantité, le degré ou la mesure) aux organes respectifs, tels que l’estomac, le foie, le cœur, la rate, la vessie du fiel, le cerveau, l’œil, l’oreille. Cependant aucune de ces actions ne pourroit être exercée, exécutée, et actuellement réalisée, sans la présence et l’action de l’esprit vital et de sa chaleur, de même qu’un morceau de fer ne pourroit en attirer un autre, si sa force attractive n’étoit excitée et comme éveillée par l’aimant, et qu’un œuf ne pourroit devenir fécond, si la substance de la femelle n’étoit animée et vivifiée par son accouplement avec le mâle[3].

Principe VI.
La substance des esprits mortuels a beaucoup d’analogie avec celle de l’air ; mais la substance des esprits vitaux a plus d’affinité avec celle de la flamme (que n’en a celle des esprits de la première espèce).
Explication.

L’explication du quatrième principe qui conduisoit naturellement à celui-ci, peut en conséquence servir à l’expliquer. De plus, elle fournit cette autre conséquence, que les substances grasses et oléagineuses se maintiennent fort long-temps dans leur essence et leur quantité primitive ; ces substances n’étant pas très sensibles à l’action irritante de l’air, ni très disposées s’unir avec ce fluide. Car l’opinion qui suppose que la flamme n’est autre chose qu’un air allumé, est tout-à-fait dénuée de fondement, la flamme et l’air n’étant pas moins hétérogènes que l’huile et l’eau. Mais lorsque, dans l’énoncé de ce principe, nous disions que la substance des esprits vitaux a plus d’affinité avec la flamme, cela signifioit seulement que cette affinité est plus grande dans les esprits vitaux que dans les esprits mortuels, et non que, dans la composition des esprits de la première espèce, il entre plus de flamme que d’air.

Principe VII.
les esprits ont deux genres de tendances ou de dispositions, l’une à se multiplier, l’autre à se porter hors du corps où ils sont renfermés, et à se réunir avec leurs homogènes.
Explication.

Ce principe ne concerne que les esprits mortuels. Le second genre de tendance ne se trouvant pas dans l’esprit vital, qui n’est point du tout disposé à sortir des corps où il est renfermé, attendu qu’il ne trouveroit point ici bas, et dans son voisinage, de substance analogue à la sienne. Il peut, à la vérité, se porter quelquefois vers un objet désirable et placé près de lui ; mais, comme je viens de le dire, il se refuse à son émission absolue ; au lieu que ces deux tendances se trouvent réunies dans les esprits mortuels. Quant ce qui regarde la première, tout esprit disséminé entre les parties tangibles et grossières d’un corps, n’y est point à son aise ; c’est pourquoi, ne trouvant point d’analogue à sa portée dans cette solitude où il se trouve, il n’en est que plus disposé à créer et à fabriquer une substance analogue à la sienne. Il travaille donc sans relâche à se multiplier et à augmenter sa quantité, en s’emparant de la portion la plus volatile des parties grossières. Quant à la seconde tendance, je veux dire sa disposition à s’exhaler et à se répandre dans l’air ambiant, il est certain que toutes les substances très ténues, qui sont toujours très mobiles, sont aussi très disposées à se porter vers les substances analogues et environnantes ; comme une bulle d’eau se porte vers une autre bulle d’eau ; une flamme vers une autre flamme ; tendance toutefois beaucoup plus forte et plus marquée dans l’émission de cet esprit qui se répand dans l’air ambiant, parce qu’alors il ne se porte pas simplement vers une très petite portion d’une substance analogue à la sienne ; mais même en quelque manière, vers la masse ou la sphère de ses congénères. Au reste, il est bon d’observer en passant que cette émission de l’esprit, ce mouvement, dis-je, par lequel il se porte dans l’air environnant, est produit par une double cause ; savoir, la tendance de cet esprit même, et celle de l’air extérieur ; l’air commun qui est, pour ainsi dire, dans un état d’indigence, se saisissant, avec une sorte d’avidité, de tout ce qu’il trouve à sa portée, comme esprit, rayons lumineux ou sonores, etc.

Principe VIII.
Si l’esprit, quoique retenu dans l’intérieur d’un corps, ne peut y engendrer de nouvel esprit, alors il agit sur les parties grossières et les amollit.
Explication.

L’esprit, renfermé dans un corps, ne peut y engendrer de nouvel esprit, qu’autant qu’il trouve à sa portée des substances un peu analogues à la sienne, et telles que sont les différentes espèces d’humor. C’est pourquoi, si les parties grossières, entre lesquelles il est disséminé, sont dans un état très éloigné (très différent) du sien, quoiqu’alors il ne puisse les convertir en sa propre substance ; néanmoins agissant sur ces parties autant qu’il le peut, il relâche leur assemblage, il les amollit, il les fond et les liquéfie. Par ce moyen, dans l’impuissance où il est d’augmenter la quantité de sa propre substance, il se trouve du moins plus au large, plus à l’aise, et environné de substances un peu plus analogues à la sienne. Or, cet aphorisme est d’une utilité d’autant plus sensible par rapport à notre but, qu’il mène directement à cette conséquence pratique ; que, pour amollir les parties dures et réfractaires, il faut retenir les esprits dans l’intérieur du composé.

Principe IX.
Les parties dures d’un corps s’amollissent plus aisément lorsque l’esprit, qui s’y trouve renfermé, ne peut ni s’exhaler, ni engendrer de nouvel esprit.
Explication.

Ce principe peut servir à résoudre les difficultés et à lever les obstacles qu’on rencontre ordinairement lorsqu’on veut amollir un corps en y retenant les esprits ; car, si cet esprit, quoiqu’ainsi détenu, ne laisse pas de consumer toute la substance intérieure, on n’en sera pas plus avancé ; et alors les parties grossières, au lieu de s’amollir, en conservant leur nature primitive, se décomposeront et se corrompront. Ainsi, pour amollir un corps, il ne suffit pas de retenir les esprits dans son intérieur, il faut de plus les rafraîchir et les condenser, de peur qu’ils n’aient trop d’acrimonie et d’activité.

Principe X.
Pour que la chaleur des esprits puisse maintenir le corps dans sa fraîcheur, il faut qu’elle ait plus de force que d’acrimonie.
Explication.

Ce principe indique aussi un moyen pour résoudre la difficulté dont nous venons de parler, mais il mène à des conséquences beaucoup plus étendues ; car il montre de quelle nature doit être la chaleur du corps humain, pour pouvoir contribuer à la prolongation de la vie ; considération utile, soit que les esprits restent ou qu’ils se portent au dehors ; car, dans ces deux cas également, la chaleur des esprits doit être de nature à agir plutôt sur les parties dures, qu’à consumer les parties molles. La conséquence naturelle du dernier de ces deux effets étant de dessécher le corps ; et celle du premier, de l’amollir. Ce même principe fournit encore des indications pour rendre l’alimentation et la réparation plus complète. Car une chaleur de ce genre a le double effet d’exciter, d’éveiller la faculté assimilative, et de disposer, de préparer, autant qu’il est nécessaire, la matière même à l’assimilation. Or, les conditions que doit avoir cette chaleur, peuvent se réduire aux suivantes.

1°. Ses effets doivent être lents, graduels, et non subits ; elle doit croître lentement, graduellement et non tout à coup.

2°. Elle ne doit pas être trop forte, mais douce et tempérée.

3°. Elle doit être égale, uniforme, toujours à peu près au même degré, et non sujette à des variations alternatives, irrégulières et très sensibles en plus et en moins.

4°. Cette chaleur doit avoir assez de force, pour que, dans les cas mêmes ou elle rencontre quelque obstacle qui résiste à son action, il ne soit pas suffisant pour la suffoquer ou l’affoiblir excessivement.

Cette opération que nous avons actuellement en vue, est extrêmement délicate ; cependant, comme elle est essentielle, il ne faut pas l’abandonner, ni désespérer du succès. Quant à nous, dans l’histoire où nous avons indiqué les moyens nécessaires pour donner aux esprits une chaleur vigoureuse, je veux dire, une chaleur organisatrice ou réparatrice, et non une chaleur déprédatrice (car telles étoient nos expressions), nous croyons avoir, jusqu’à un certain point, rempli cet objet.

Principe XI.
Les moyens tendant à condenser la substance des esprits, contribuent à la prolongation de la vie.
Explication.

Ce principe est subordonné au précédent[4] ; car, lorsque l’esprit est suffisamment condensé, il a, par cela même, un mode et un degré de chaleur, où se trouvent réunies les quatre conditions requises, et dont nous avons fait l’énumération dans le n°. précédent. Quant aux moyens nécessaires pour opérer cette condensation, nous les avons exposés dans l’article qui traitoit de la première des dix opérations.

Principe XII.
La surabondance des esprits provoque leur émission et augmente leur force (action) déprédatrice.
Explication.

Ce principe est assez clair et assez évident par lui-même, l’effet ordinaire d’une augmentation dans la quantité de matière de l’agent, étant d’augmenter aussi l’intensité de son action. C’est ce dont on voit un exemple sensible dans les flammes ; plus elles ont de volume, et plus leur éruption est violente, plus aussi elles consument promptement la matière exposée à leur action. Ainsi, la surabondance ou la pléthore (de quantité) de l’esprit vital, est diamétralement opposée à la prolongation de la vie ; et l’on doit régler son régime de manière que la quantité de ces esprits n’excède jamais celle qui est nécessaire pour exécuter toutes les fonctions vitales, et opérer une réparation convenable.

Principe XIII.
Lorsque l’esprit est également distribué entre toutes les parties tangibles, il est moins disposé à s’exhaler et à consumer la substance du corps, que lorsqu’il est distribué plus inégalement.
Explication.

Non-seulement l’excès, dans la quantité totale des esprits, abrège la durée de la vie ; mais même lorsque cette quantité, prise en totalité, n’a rien d’excessif, elle ne laisse pas de produire le même effet si ces esprits ne sont pas assez divisés et assez uniformément distribués. Car, les esprits ont d’autant moins de force (d’action) déprédatrice, qu’étant plus atténués et divisés, ils pénètrent mieux dans les moindres parties, et s’insinuent plus également dans toutes ; la dissolution du composé commençant toujours par le côté où les esprits se trouvent accumulés et comme pelotonnés. Ainsi, les exercices du corps et les frictions contribuent puissamment à la prolongation de la vie ; l’effet naturel de l’agitation étant de diviser les corps, de les atténuer, de les mêler ensemble par molécules plus petites, et, en conséquence, de rendre la combinaison de leurs principes plus parfaite, et leur composition plus régulière.

Principe XIV.
Lorsque le mouvement des esprits est tumultueux, irrégulier, variable et comme par soubresauts, ils sont plus disposés à s’exhaler et à consumer la substance du corps, que lorsque ces mouvemens sont doux, graduels, uniformes et réguliers.
Explication.

Ce principe s’applique visiblement aux corps inanimés, toute inégalité étant une cause, un principe de dissolution ; il s’applique aussi aux corps animés, mais un peu moins exactement et avec quelques restrictions ; car, dans les composés de ce dernier genre, ce qu’on a en vue, ce n’est pas seulement de prévenir ou de retarder la consomption, mais aussi de faciliter et de perfectionner la réparation : or, cette réparation dépend beaucoup de l’appétit ; et l’appétit, comme l’on sait, est aiguisé par la variété ou la nouveauté. Cependant le principe en question ne laisse pas de s’appliquer, jusqu’à un certain point, aux êtres animés (comme nous venons de le dire), pourvu toutefois que, par ces mots de variables et de variations, on n’entende point des variations tout-à-fait confuses et irrégulières, mais une succession alternative de changemens et des variations périodiques, où une sorte de régularité et de constance se trouve combinée avec l’inconstance et l’irrégularité même.

Principe XV.
Lorsque l’esprit se trouve renfermé dans un corps dont l’assemblage est ferme et serré, quoiqu’il fasse effort pour en sortir, il ne laisse pas d’y être détenu (retenu).
Explication.

Tous les corps résistent naturellement à la solution de leur continuité ; mais plus ou moins, et à raison de leur densité ou rarité ; car les corps peuvent se faire un passage par des pores d’autant plus étroits, qu’ils sont eux-mêmes plus atténués ; par exemple, l’eau pourra passer par tels pores qui seront pour la poussière des passages trop étroits ; de même où l’eau ne passera point, l’air passera : enfin, la flamme et les esprits pourront pénétrer par des pores qui seront impénétrables à l’air même. Cette propriété toutefois n’est pas illimitée ; elle a un terme, un maximum : car, quelque forte que puisse être la tendance de l’esprit à se porter au dehors, et quelle que soit la force du stimulant qui le sollicite à l’émission, comme il ne se laisse diviser et atténuer que jusqu’à un certain point, lorsqu’il rencontre des pores excessivement étroits, il ne peut plus s’y ouvrir un passage. Ainsi, lorsqu’il est enveloppé d’un corps dur, ou même d’une substance onctueuse, tenace, et un peu difficile à diviser, il demeure resserré et comme emprisonné dans son intérieur, sa tendance à l’émission demeurant alors sans effet. Aussi, voyons-nous que l’esprit renfermé dans les métaux ou les pierres, ne peut s’en dégager qu’à force de temps, à moins que cet esprit ne soit excité par le feu, ou que les parties grossières et tangibles ne soient écartées les unes des autres par quelque liqueur active et corrosive. Il en est de même des substances tenaces, telles que les gommes ; avec cette différence toutefois qu’une chaleur beaucoup plus foible peut les fondre et les dissoudre. Ainsi, une chair ferme, une peau d’un tissu serré, et autres conditions semblables, qui sont l’effet des alimens de nature sèche, des exercices du corps et de l’air froid, contribuent à la prolongation de la vie.

Principe XVI.
L’esprit est aisément détenu (retenu) par les substances oléagineuses et onctueuses, quoiqu’elles aient peu de ténacité.
Explication.

Lorsque l’esprit n’éprouve aucune irritation de la part du corps environnant, et n’est ni déterminé, par sa grande affinité avec la substance de ce corps, à s’en emparer et à la consumer, ni provoqué et sollicité à l’émission par aucun corps extérieur ; dans ces trois cas, dis-je, il ne s’agite pas excessivement dans ses limites, et ne fait pas de trop grands efforts pour les passer et se porter au dehors du composé. Or, aucune de ces trois causes ou conditions qui seules pourroient provoquer l’émission, ne se trouve dans les substances oléagineuses qui, n’ayant pas avec l’esprit autant d’opposition ou d’antipathie que les substances dures, ni autant d’analogie que les substances aqueuses, n’ont pas non plus beaucoup d’affinité avec l’air extérieur.

Principe XVII.
L’effet de la prompte évaporation de l’humor aqueux est de maintenir plus long-temps l’humor oléagineux dans son essence et sa quantité primitive.
Explication.

Nous avons dit que les substances aqueuses, comme étant consubstantielles (analogues) à l’air extérieur, s’évaporent plus promptement que les substances oléagineuses qui ont moins d’analogie et d’affinité avec ce fluide : mais, comme ces deux espèces d’humor se trouvent combinées dans la plupart des corps, il arrive de là que l’humor aqueux trahissant, pour ainsi dire, l’humor oléagineux, et l’entraînant avec soi, en se portant lui-même au dehors, ils s’exhalent ensemble. Ainsi, rien ne contribue autant à la conservation des corps qu’une légère dessiccation qui est suffisante pour déterminer l’évaporation de l’humor aqueux, mais insuffisante pour provoquer celle de l’humor oléagineux. Car alors l’humor oléagineux jouit de sa propre nature (obéit à sa propre nature), qui ne le sollicite point à l’émission. Cependant, le but de cette opération n’est rien moins que de préserver de la putréfaction le corps dont il s’agit, quoique ce dernier effet en soit aussi une conséquence naturelle, mais seulement de conserver sa verdeur (de le maintenir dans sa fraîcheur). C’est par cette même raison que les frictions, ainsi que les exercices modérés et suffisans pour occasionner une perspiration insensible, et non une sueur manifeste, contribuent puissamment à la prolongation de la vie.

Principe XVIII.
L’exclusion de l’air, pour peu qu’on sache prévenir les inconveniens qui en résultent naturellement, peut aussi contribuer à la prolongation de la vie.
Explication.

Nous avons observé un peu plus haut que l’évaporation de l’esprit est produite par une double cause ; savoir : la tendance naturelle de l’esprit à se porter au dehors, et la tendance de l’air extérieur à s’emparer de cet esprit. Ainsi, ôter du moins l’une de ces deux causes, ce seroit gagner un grand point ; et c’est à quoi l’on parviendra sur-tout à l’aide des onctions. Il peut, à la vérité, en résulter différens inconvéniens ; mais il seroit aisé de les prévenir ou d’y remédier par les moyens exposés dans l’article qui traite de la seconde des dix opérations.

Principe XIX.
Si l’on pouvoit faire passer dans un corps déjà vieux les esprits extraits d’un jeune, ce seroit le moyen le plus court pour faire rétrograder la nature.
Explication.

Les esprits sont comme la grande roue de la machine du corps humain ; roue qui fait tourner toutes les autres. Ainsi, parmi les moyens tendant à la prolongation de la vie, ceux qui agissent sur les esprits doivent être mis au premier rang ; à quoi il faut ajouter que nous avons, pour altérer (modifier) les esprits, des moyens plus courts et plus directs, que pour produire tous ces autres effets dont il a été question. Car l’on peut agir sur les esprits par deux voies différentes ; l’une indirecte, longue, et qui ne mène au but que par une infinité de détours (savoir, les alimens) ; l’autre plus courte et plus directe qui s’ébranche en deux autres ; savoir : les vapeurs ou émanations, et les affections de l’âme ou les passions.

Principe XX.
Les moyens qui donnent à la substance du corps, plus de consistance ou plus d’onctuosité, tendent aussi à la prolongation de la vie.
Explication.

Ce principe n’a pas besoin d’explication ; car nous avons observé plus haut que les substances dures et les substances oléagineuses ou onctueuses se dissipent moins aisément que les autres ; avec cette différence toutefois, comme nous l’avons aussi observé en traitant de la dixième opération, que la substance du corps, en acquérant plus de consistance et de solidité, devient tout à la fois moins évaporable et moins réparable. L’avantage de cette consistance est donc balancé par un inconvénient : ainsi l’on ne doit pas se flatter de faire rien de grand ou d’extraordinaire par cette voie. Mais les moyens qui donnent à la substance du corps plus d’onctuosité, remplissent ce double objet, ainsi c’est principalement à ces derniers qu’on doit s’attacher.

Principe XXI.
Toute substance qui peut pénétrer aisément celle du corps, mais sans aucune teinte d’acrimonie ou de qualité corrosive, donne de l’onctuosité à toute cette substance.
Explication.

Ce principe est plus difficile à pratiquer qu’à entendre ; car il est évident que toute substance, qui a beaucoup de force pénétrante, mais en même temps je ne sais quoi d’aigu et de mordicant (comme les substances âcres ou acides), laisse par-tout où elle passe, quelques traces de son action corrosive, dessèche les corps sur lesquels elle agit, y fait beaucoup de vuides, et en rend aussi l’assemblage moins serré ; car, en durcissant la substance du corps, elle en enlève certaines parties ; au lieu que les substances, qui ne se font jour qu’en vertu de leur seule ténuité, qui pénètrent, pour ainsi dire, furtivement et sans violence, sans rien entraîner avec elles, arrosant toutes les parties en passant, donnent ainsi au tout plus de souplesse et d’onctuosité. Nous avons indiqué un assez grand nombre de moyens tendant à ce but, dans les deux articles qui traitent de la quatrième et de la septième opération.

Principe XXII.
Lorsque tout mouvement local cesse, l’assimilation n’en est que plus facile et plus parfaite.
Explication.

Ce principe a été suffisamment expliqué dans l’article qui traite de la huitième opération.

Principe XXIII.
Si l’on pouvoit découvrir quelque moyen pour nourrir le corps par l’extérieur, ou du moins par toute autre voie que celle de l’estomac, de tels moyens contribueroient encore à la prolongation de la vie.
Explication.

En effet, nous voyons que l’inconvénient comnun de tous ces effets qu’on obtient par voie de nutrition, est qu’on ne parvient à ces différens buts que par de longs détours ; au lieu qu’en produisant ces mêmes effets par le contact immédiat de substances analogues au corps humain (condition qui a lieu dans les infusions)[5], on va droit au but, et l’on a plutôt fait. Ainsi toute méthode, qui serviroit à alimenter le corps par l’extérieur, seroit infiniment utile, et le seroit d’autant plus qu’aux approches de la vieillesse, toutes les facultés concoctives baissent considérablement et s’affoiblissent de plus en plus : si donc on pouvoit y suppléer par quelque moyen auxiliaire d’alimentation, comme des bains, des onctions, ou même des clystères nutritifs ; tels de ces moyens qui, étant isolés, ne seroient pas suffisans, le deviendroient, étant réunis (avec d’autres du même genre, ou avec les moyens ordinaires).

Principe XXIV.
Lorsque la concoction est trop foible et trop imparfaite pour que la substance alimentaire puisse se porter ensuite du centre vers les parties extérieures, il faut fortifier ces parties et augmenter leur force attractive ; par ce moyen, elles rappelleront à elles, et happeront plus vivement cette substance.
Explication.

L’objet de ce principe est précisément le même que celui du précédent ; car, autre est l’opération qui tire la substance alimentaire du dehors au dedans ; autre, celle qui la pousse du dedans au dehors. Mais ces deux opérations ont cela de commun, qu’elles sont également des moyens pour suppléer à la foiblesse des concoctions intérieures.

Principe XXV.
Tout renouvellement ou rajeunissement le la substance du corps humain s’opère, ou par les moyens qui agissent sur les esprits, ou par la voie des émolliens.
Explication.

Il est deux choses à considérer dans le corps humain, les esprits et les parties tangibles. Vouloir agir sur les uns et sur les autres par le moyen de la nutrition, c’est choisir la voie la plus longue ; au lieu qu’en agissant sur les esprits par le moyen des vapeurs ou des affections, et sur les parties, par les moyens qui servent à les amollir, on choisit la voie la plus directe et la plus courte. Cependant on doit bien se persuader que nous ne confondons point du tout les moyens qui servent à nourrir le corps par l’extérieur, avec ceux qui servent seulement à amollir sa substance ; le but de cet amollissement n’étant rien moins que de nourrir ces parties, mais seulement de leur donner plus de dispositions et d’aptitude à la nutrition.

Principe XXVI.
L’amollissement s’opère par le moyen de substances, ou analoguescelle du corps humain), ou insinuantes, ou obstruantes.
Explication.

Il est évident que les substances analogues au corps humain sont proprement ce qui l’amollit et l’assouplit ; les substances insinuantes étant ce qui voiture, pour ainsi dire, et fait pénétrer au dedans, celles avec lesquelles on les combine ; enfin les substances obstruantes, étant ce qui détient (retient) l’humor intérieur, et empêche la perspiration ; genre d’évacuation tout-à-fait contraire au but de l’amollissement. Ainsi, comme nous l’avons observé dans l’article qui traite de la neuvième opération, cet amollissement ne peut être opéré d’un seul coup, et par une seule espèce de moyens, mais à l’aide de plusieurs procédés successifs et enchaînés méthodiquement.

1. C’est par le moyen des onctions avec de l’huile, jointe à quelque matière qui peut l’épaissir et lui donner un peu plus de consistance, qu’on empêche le liquide du bain de pénétrer dans l’intérieur du corps ; car ce liquide, encore composé de parties grossières, étant ainsi introduit par les pores de la peau, ne donneroit pas assez de liaison et de cohérence aux parties du corps ; la substance destinée à y pénétrer, devant être très ténue et d’une nature un peu analogue à celle d’une vapeur.

2. On amollit toute l’habitude du corps par sa corrélation harmonique avec d’autres corps, dont la substance est analogue à la sienne ; tous les corps mis en contact immédiat avec des substances analogues à la leur, se dilatant et ouvrant leurs pores pour s’en pénétrer.

3. Les substances insinuantes ne sont, à proprement parler, que des véhicules qui font pénétrer quelque peu dans l’intérieur du corps, ces substances, analogues à la sienne, et dont nous venons de parler ; tandis que ces autres substances, légèrement astringentes, qu’on y mêle, arrêtent quelque peu la perspiration.

4. Le quatrième moyen est cette astriction et cette clôture parfaite, opérée à l’aide d’un enduit qui a de la consistance, et dont on couvre tout le corps, enduit auquel on substitue peu à peu une simple onction, jusqu’à ce que la substance du corps, qui s’étoit amollie, se soit de nouveau consolidée, comme nous l’avons dit dans le lieu convenable.

Principe XXVII.
Les substances fréquemment employées pour amollir les parties réparables, arrosent aussi en passant et restaurent, jusqu’à un certain point, les parties moins réparables.
Explication.

Nous avons dit, dans le préambule même de cet ouvrage, que la principale cause de mort consiste en ce que les parties les plus réparables sont peu à peu détruites et périssent enfin par leur liaison et leur communication même avec les parties moins réparables. En sorte que cette réparation des parties les moins réparables est le but auquel il faut le plus s’attacher et tendre par tous les moyens imaginables. C’est pourquoi, guidés par une observation d’Aristote sur les végétaux ; savoir, que cette sève, qui produit tous les ans de nouvelles branches, de nouvelles feuilles, etc. arrose en passant et restaure aussi le tronc même ; je présume que, si l’on avoit soin aussi de renouveler fréquemment la chair et le sang, dans le corps humain, on obtiendroit un effet semblable ; je veux dire que les os, les membranes (et autres parties semblables), qui, de leur nature, sont moins réparables, étant arrosés et renouvelés, soit par des sucs alimentaires dont le mouvement seroit plus vif, soit par la substance qu’ils pourroient tirer de cette chair et de ce sang même, renouvelés, dont ils seroient revêtus, pourroient ainsi se réparer, jusqu’à un certain point, comme les parties les plus molles.

Principe XXVIII.
Le refroidissement (le rafraîchissement) opéré à l’aide d’une substance qui ne passe point par l’estomac, peut contribuer à prolonger la durée de la vie.
Explication.

La raison de cet effet est d’autant plus facile à saisir, qu’un refroidissement, non médiocre et tempéré, mais très sensible et très marqué (sur-tout celui du sang), étant le moyen le plus nécessaire et le plus puissant pour la prolongation de la vie, on ne pourroit l’opérer au degré convenable, par les substances prises intérieurement, sans s’exposer à ruiner l’estomac et les autres viscères.

Principe XXIX.
Cette complication des effets de la chaleur, qui a tout à la fois la propriété de consumer et de réparer, est le plus grand obstacle à la prolongation de la vie.
Explication.

De tous les obstacles qui nous mettent hors d’état de produire de grands effets, le principal est la complication des natures diverses et même opposées (qui se trouvent quelquefois combinées dans un même sujet), l’effet de cette complication étant que ce qui est utile, à certains égards, est nuisible à d’autres égards. Il est donc besoin ici d’expériences délicates et d’un jugement sain, pour balancer les inconvéniens avec les avantages, pour faire prévaloir les derniers, et c’est ce que nous avons nous-mêmes tâché de faire (autant que le comportoient un sujet de cette nature et les circonstances où nous nous trouvions), en distinguant avec soin les chaleurs bénignes d’avec les chaleurs nuisibles, et en faisant les mêmes distinctions entre les moyens qui peuvent produire les chaleurs de l’une ou de l’autre espèce.

Principe XXX.
Pour guérir des maladies, il suffit d’employer des remèdes convenables pendant un certain temps ; mais la prolongation de la vie dépend du régime habituel.
Explication.

Lorsque des effets ne sont produits que par des causes accidentelles, ces causes ôtées, les effets cessent ; mais le cours de la nature est continu, comme celui d’un fleuve dont les eaux s’écoulent sans interruption. Ainsi, pour prolonger la vie humaine, il faut ramer et faire voile, sans relâche, contre le courant, et lutter sans cesse, à l’aide du régime, contre l’action continue des causes tendantes à détruire le corps humain. Or il est deux espèces de régimes ; savoir, les régimes périodiques (ou ceux qu’on se prescrit, à certaines époques, et seulement pour un temps), et le régime habituel. Mais ce qu’il y a de plus puissant, par rapport à notre but, ce sont les régimes périodiques ; je veux dire un enchaînement méthodique de remèdes employés seulement pendant un certain temps ; car les moyens qui ont assez d’influence pour faire rétrograder la nature, ont des effets trop puissans, et occasionnent des altérations trop soudaines pour qu’on puisse, sans danger, les employer journellement et en faire une partie de son régime habituel. Or, dans l’exposé des remèdes répondant à nos trois principaux buts, on trouvera trois espèces de régimes périodiques ; savoir le régime des opiats, le régime des émolliens et le régime amaigrissant ou destiné à renouveler tous les sucs. Mais, parmi les moyens qu’on peut employer sans inconvéniens et faire entrer dans son régime habituel, les plus puissans sont les suivans (moyens dont l’influence est presque égale à celle du régime périodique) : le nitre, ainsi que les substances analogues et subordonnées au nitre ; des affections réglées et des goûts modérés ; le fréquent rafraîchissement opéré à l’aide de substances qui ne passent point par l’estomac ; les boissons qui peuvent imbiber doucement toute la substance du corps et lui donner plus d’onctuosité ; la méthode de donner au sang plus de solidité, en le saupoudrant, pour ainsi dire, de temps en temps de substances qui aient plus de consistance, telles que les perles ou les bois ; des onctions de nature convenable et tendantes à garantir le corps de l’action de l’air extérieur et à y retenir les esprits ; tous les moyens extérieurs et tendant à échauffer le corps dans le temps même de l’assimilation qui a lieu après le sommeil ; l’abstinence de tout ce qui peut occasionner une trop grande inflammation dans les esprits et leur donner une chaleur âcre ; par exemple, l’abstinence de vins et de substances aromatiques, à quoi il faut ajouter l’usage modéré et fait à propos des substances qui peuvent donner aux esprits une chaleur vigoureuse, telles que le safran, le cresson alénois, l’ail, l’aunée, les opiats composés, etc.

Principe XXXI.
L’esprit vital périt immédiatement dès qu’une ou plusieurs de ces trois choses viennent à lui manquer, le mouvement, le rafraîchissement ou l’aliment.
Explication.

Tels sont les trois genres de déficit que, dans les articles précédens, nous avons appelés les préliminaires de la mort ; ce sont trois manières dont l’esprit vital peut être affecté directement et immédiatement. En effet tous les organes principaux, toutes les parties essentielles du corps humain, sont destinées à le nourrir, à entretenir son mouvement ou à le rafraîchir : et réciproquement le défaut d’une ou de plusieurs de ces trois choses est une conséquence nécessaire de toute destruction d’organes, qui est du une cause de mort. Ainsi toutes les autres causes de mort ne sont que des espèces diversifiées de ces trois genres ; que des ébranchemens ou des ramifications de ces trois routes où elles viennent toutes tomber ; or la structure, l’ensemble des parties du corps, est l’organe de l’esprit vital ; comme l’esprit vital est lui-même l’organe de l’âme rationnelle et pensante, qui est incorporelle et une substance analogue à celle de la Divinité[6].

Principe XXXII.
La flamme est une substance dont la durée n’est qu’instantanée ; au lieu que l’air est une substance fixe ; la durée de l’esprit vital qui participe de ces deux substances, doit être, et est en effet moyenne entre celle de l’une et celle de l’autre.
Explication.

Ce principe exige des recherches plus profondes et une explication plus détaillée que n’en comporte un ouvrage de la nature de celui-ci. Cependant nous devons observer en passant que la flamme nait, meurt et renaît continuellement ; en sorte que la continuité de son existence n’est qu’apparente, et n’est au fond qu’un remplacement continuel d’un grand nombre de flammes individuelles différentes qui se succèdent les unes aux autres sans interruption[7]. Au lieu que l’air est un corps fixe et qui ne se détruit point. Car, quoique l’air, en s’assimilant l’humor aqueux, engendre de nouvel air, cependant l’air préexistant n’en subsiste pas moins, d’où résulte cette augmentation, cette surabondance dans le corps de l’atmosphère, d’où résultent les vents[8]. Mais l’esprit vital participe des deux natures ; savoir de la nature de la flamme et de celle de l’air ; de même que ses deux alimens sont l’huile qui est analogue à la flamme, et l’air, qui est analogue à l’eau[9] ; car l’esprit ne se nourrit pas seulement d’humor oléagineux, ou seulement d’humor aqueux, mais de l’un et de l’autre ; et quoique l’air ne se combine pas bien avec la flamme, ni l’huile, avec l’eau (quand ces substances prises deux à deux se trouvent seules) ils ne laissent pas de se combiner assez exactement dans un mixte[10]. De plus l’esprit vital doit à l’air, qui entre dans sa composition sa grande susceptibilité, cette facilité, dis-je, avec laquelle il fait ou reçoit les impressions les plus délicates, et modifie ou est modifié ; mais c’est à la flamme qu’il doit ces mouvemens rapides et puissans, dont il est susceptible, et son extrême activité. De même, la durée de l’esprit vital est composée de celles de ces deux substances élémentaires, et tient une sorte de milieu entre ces deux extrêmes ; elle n’est, ni aussi instantanée que celle la flamme, ni aussi longue que celle de l’air. Aussi sa manière d’exister et de se conserver, est-elle fort différente de celle de la flamme ; car chaque flamme individuelle est éteinte sur-le-champ par les substances de nature contraire et destructive dont elle est environnée ; au lieu que l’esprit n’est point exposé à l’action de causes qui puissent le détruire promptement[11]. Au contraire les esprits vitaux, à mesure qu’ils s’exhalent, sont réparés et remplacés par ceux que fournit le sang vigoureux et plein de vie des artérioles dont les innombrables rameaux s’insèrent dans la substance du cerveau. Mais quels sont le mode et les causes de cette réparation ? C’est un sujet qui, n’ayant qu’un rapport très éloigné et très indirect avec celui de cet ouvrage, doit être traité dans un autre.

Fin de dixième tome.
  1. La dessiccation est la privation d’humor ; lorsque cet humor s’est exhalé, le corps est desséché. Si ensuite les parties tangibles se rapprochent les unes des autres, l’effet de ce rapprochement n’est pas une dessiccation, mais une condensation et un durcissement, une augmentation de masse et de consistance.
  2. Pour rendre exactement son idée, nous sommes obligés de forger, à son exemple, ce mot barbare et effrayant pour le goût, mais absolument nécessaire ici, et qui, dans notre langue, n’a point d’équivalent. Car, si nous disions, par exemple, les esprits morts, cette expression feroit supposer qu’ils auroient été vivans, ce qui seroit faux. Il nous faut une dénomination qui soit en opposition avec celle-ci : esprits vitaux, et nous ne pouvons dire esprits mortaux, ni mortels, ni mortuaires, etc. Celle que nous employons désigne des esprits qui ont peut-être le mode et le degré d’activité nécessaires pour la dessiccation, la liquéfaction, la putréfaction, etc. mais peu convenables pour la vivification.
  3. Dans le corps de l’animal, il y a un principe actif qui donne le mouvement, et un principe inerte qui le reçoit ; en un mot, le mouvant et le mu. Il paroit que, dans l’acte de la génération, outre l’émission sensible de la semence, il y a aussi une émission insensible d’esprit vital, comme semblent l’annoncer le désir violent qui le précède, les mouvemens convulsifs qui l’accompagnent, et l’épuisement qui le suit.
  4. Il semble, au contraire, que le précédent doive être subordonné à celui-ci ; car, peut-on dire, les effets sont subordonnés aux causes ; et les conséquences, aux principes ? Cependant cette chaleur, dont il parle dans le précédent, étant l’effet souhaité ou le but ; et cette condensation dont il parle dans celui-ci, la cause ou le moyen nécessaire pour produire cet effet ou parvenir à ce but ; comme d’ailleurs les moyens doivent être subordonnés aux buts, il s’ensuit que ce principe ci doit être, comme il le dit, subordonné au précédent.
  5. Ce mot infusions peut avoir trois significations différentes ; 1°. si l’on tient le corps plongé, pendant un certain temps, dans quelque liqueur nutritive, pour l’alimenter par l’extérieur, il y sera, pour ainsi dire, en infusion ; 2°. pour épargner aux vieillards et aux valétudinaires, la peine de mâcher leurs alimens, et même, en partie, celle de les digérer, notre auteur conseille de faire macérer, pendant deux ou trois jours, des chapons ou autres alimens hachés fort menu dans de la bière ou toute autre boisson, et de leur administrer ensuite cette boisson vraiment substantielle ; 3°. on fait infuser différentes substances dans des liqueurs avec lesquelles elles ont de l’analogie et de l’affinité, pour en obtenir des extraits ; le premier sens nous paroit être le véritable.
  6. Passage qui nous rappelle ce grand mot d’un ancien : Rerum universitas et homo, nihil aliud sunt quàm mens et instrumenta (les deux élémens essentiels de l’homme et de l’univers sont une intelligence et des instrumens), à l’aide desquels cette intelligence réalise tout ce qu’elle a conçu ; en un mot, des outils et un ouvrier ; le principe actif et le principe inerte, le mouvant et le mu, l’agent et le sujet de l’action, l’esprit et la matière ; (car la supposition d’une seule substance, dans un composé tout tissu de contrastes et d’oppositions, tels que l’homme ou l’univers, n’est qu’une absurdité) : avec cette différence toutefois que l’homme ne réalise qu’avec peine et avec effort ce qu’il a conçu ; au lieu que tout est facile à l’Être qui peut tout ; sa pensée étant toujours active, et sa volonté toujours effective : ou plutôt, Comme dans la nature divine, l’intelligence, la volonté et l’action ne font qu’un, l’Être des êtres a formé l’univers, et le conserve par un seul acte qui a son effet dans toute l’immensité des temps et des espaces : il l’enfante éternellement, d’une seule pensée : IL EST, et tout est, avec lui, par lui, et pour lui.
  7. La flamme d’une chandelle, par exemple, est un ruisseau de matière enflammée, qui coule de bas en haut, en obéissant à sa tendance naturelle, comme l’eau coule de haut en bas, en obéissant à la sienne ; et le suif, en se fondant, se volatilisant et s’enflammant, nourrit ce ruisseau, comme les glaces et les neiges de la haute Bourgogne, en se fondant, nourrissent la Seine, au moment même où j’écris ceci. Le fleuve que je vois aujourd’hui, n’est pas celui qui couloit hier sous mes yeux ; et la flamme que je vois, n’est plus celle dont je parle. Ce double effet est l’image de l’univers entier, de la pensée humaine, et du langage qui la représente et la ressuscite. Tout s’écoule, tout fuit, tout nous échappe, et restent les noms qui s’évanouiront à leur tour, en faisant place d’autres noms. Tout échappe à l’homme, et l’homme lui-même échappe à tout.
  8. Si l’air s’assimilant continuellement l’humor aqueux, et engendrant ainsi de nouvel air, ce dernier fluide ne se changeoit jamais en eau, par l’opération contraire et réciproque, la masse de l’atmosphère iroit toujours en augmentant, et à la longue, toute l’eau qui est à la surface de notre globe se convertiroit en air ; conversion dont l’accélération iroit aussi toujours en croissant ; car plus il y auroit d’air, plutôt l’eau restante seroit absorbée et convertie ; l’une de ces deux conversions suppose nécessairement l’autre. Il paroit que le corps de l’atmosphère est composé des débris de tous les corps placés a la surface de notre planète, ou plutôt de leur partie volatile ou volatilisée, puisque certaine partie de la surface de tous ces corps s’exhale continuellement, s’élève et se répand dans l’atmosphère ; composé dont une eau très atténuée forme la plus grande partie, puisque de tous les corps tangibles, placés de la surface du globe, l’eau est celui qui a le plus de volume et de masse. De là peut-être cette équivoque qui, depuis quelques années, semble faire illusion aux chymistes. À la longue ils découvriront autant de substances aériformes qu’ils connoissent aujourd’hui de corps tangibles (solides ou liquides) à la surface de la terre ; et cela duit être. Mais les corps, solides ou liquides, ne sont pas plus composés de ces substances aériformes, que ces substances aériformes ne sont composées de ces corps tangibles ; comme la glace n’est pas plus composée d’une eau consolidée, que l’eau n’est composée d’une glace fondue ; la vérité est que ces différentes espèces de matières peuvent être successivement au moins dans quatre états différens ; savoir, ceux de solide, de liquide, de vapeur visible, et de substance aériforme. Or, aucun de ces états n’étant fixe, on n’a aucune raison pour ramener le tout à l’un de ces états plutôt qu’à l’autre. Mais, comme nous sommes naturellement portés à ramener les choses que nous connoissons le moins à celles que nous connoissons le mieux, les chymistes de notre temps, qui se sont beaucoup occupés des substances aériformes, y ramènent toutes les autres. De plus, il est naturel de ramener les composés à leurs élémens, qui sont nécessairement en plus petit nombre ; sans compter que l’objet propre de la chymie est de découvrir les élémens des corps, ainsi que les modes de leurs compositions et de leurs décompositions. D’un autre côté, toute méthode destinée à l’enseignement doit être analytique ; et toute méthode vraiment analytique procède du connu à l’inconnu, du particulier au général. Ainsi la chymie actuelle qui (même en parlant à la jeunesse) part des derniers élémens des corps, les compose et les surcompose de plus en plus, pour expliquer la composition et la formation des corps les plus connus, procédant par la voie synthétique, renverse l’ordre naturel : cette marche ne convient qu’aux savans.
  9. Et l’eau qui est analogue à l’air, devoit-il dire.
  10. Parce qu’elles y trouvent des substances intermédiaires qui facilitent leur combinaison.
  11. L’analogie se soutient pourtant beaucoup mieux qu’il ne le dit. Une chandelle dure plusieurs heures, parce que sa flamme dévore le suif qu’elle fond et volatilise. L’homme dure un grand nombre d’années, parce qu’à mesure qu’il s’éteint, il met des bûches au feu et de l’huile dans la lampe : mais l’homme étant une chandelle dont la mèche qui a beaucoup de volume et du consistance, est environnée d’une très grande quantité de suif, doit en conséquence durer beaucoup plus long-temps, en donnant une lumière tantôt vive et tantôt obscure.