Histoire de la vie et de la mort (trad. Lasalle)/9

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Histoire de la vie et de la mort
IX. Préliminaires de la mort
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres10 (p. 382_Ch9-412_Ch10).
Préliminaires de la mort[1].

Nous traiterons, dans cet article, des préliminaires de la mort, c’est-à-dire des phénomènes ou symptômes qu’on observe dans les mourans, et non-seulement à l’article même de la mort, mais même un peu avant et un peu après, afin que, dans ce grand nombre de routes qui peuvent y conduire, on puisse démêler ce que toutes ont de commun, et celles dans lesquelles toutes les autres viennent, pour ainsi dire, tomber. Mais il s’agit beaucoup plus, dans cet article, de ces genres de mort qui sont l’effet d’une défaillance universelle de la nature, que de celles qui sont produites par quelque cause violente. Cependant nous ferons aussi quelques observations sur celles de ce dernier genre, à cause de leur étroite relation avec celles du premier.

1. Il est trois conditions absolument nécessaires pour que l’esprit vital puisse subsister ; savoir, un mouvement, un rafraîchissement et des alimens convenables (soit pour l’espèce, soit pour la quantité). La flamme paroît n’avoir besoin que de deux de ces trois choses, je veux dire, du mouvement et de l’aliment ; différence d’autant moins étonnante, que la flamme est une substance simple, au lieu que l’esprit est une substance composée ; en sorte que, si, en conséquence de quelque grande altération, sa nature devient trop analogue à celle de la flamme, il est bientôt détruit.

2. De plus, une flamme quelconque, comme l’a judicieusement observé Aristote, est détruite et, pour ainsi dire, tuée par une flamme plus grande et plus active. À plus forte raison, l’esprit vital le sera-t-il par un esprit d’une plus grande activité.

3. Lorsqu’une flamme est trop fortement comprimée, elle s’éteint, comme le prouve la prompte extinction d’une bougie ou d’une chandelle mise dans un vaisseau fermé hermétiquement ; car alors l’air dilaté par la chaleur, comprimant la flamme, diminue promptement son volume et finit ainsi par l’éteindre tout-à-fait. De même, dans le foyer d’une cheminée, si les bûches ou les tisons étant trop serrés, on n’a pas soin de leur donner un peu de jour, le bois ne s’allume pas.

4. Les corps simplement rougis au feu, s’éteignent également lorsqu’ils sont trop fortement comprimés ; par exemple, lorsque vous mettez le pied ou la pelle à feu sur un charbon ardent, en appuyant un peu, il s’éteint aussi-tôt.

5. Quant à l’esprit vital, lorsque le sang ou des phlegmes se portent en trop grande quantité dans les ventricules du cerveau, la mort s’ensuit aussi-tôt ; cet esprit alors n’ayant plus assez d’espace pour se mouvoir et se développer librement.

6. Un coup violent, reçu à la tête, est aussi une cause de mort subite, les esprits se trouvant alors excessivement resserrés dans les ventricules du cerveau.

7. L’opium et les autres narcotiques, qui ont beaucoup de force, coagulent l’esprit vital et le privent tout-à-fait de mouvement.

8. Une vapeur vénéneuse, pour laquelle l’esprit vital a une aversion, une antipathie insurmontable, est encore une cause de mort soudaine. De ce genre est l’effet de plusieurs sortes de poisons qui agissent sur les esprits en vertu d’une certaine malignité spécifique (s’il est permis d’employer ici l’expression reçue). Ils excitent dans l’esprit vital un tel dégoût, que, pour éviter le contact de cette substance ennemie, il se replie, pour ainsi dire, sur lui-même, et se refuse tout-à-fait au mouvement[2].

9. Une ivresse excessive ou une trop grande quantité d’alimens solides, dévorés en un seul repas, peuvent aussi donner la mort ; mais alors le mouvement des esprits n’est plus arrêté par la densité ou la malignité de la vapeur, ce qui est l’effet propre de l’opium et des autres poisons de ce genre ; il l’est seulement par la surabondance de la matière qui les accable et les suffoque.

10. Les afflictions et les craintes excessives, sur-tout lorsqu’elles sont subites et occasionnées par quelque mauvaise nouvelle qu’on apprend tout à coup, sont aussi des causes de mort prompte.

11. Or, ce n’est pas seulement la forte compression des esprits qui peut être mortelle ; c’est aussi leur excessive dilatation qui a souvent de si funestes effets.

12. Des joies excessives et soudaines ont causé la mort à une infinité d’individus.

13. Les grandes et soudaines évacuations, telles que celles qui ont lieu dans les hydropiques, lorsqu’on leur fait la ponction et que leurs eaux sortent tout à la fois, et plus encore les grands et subits épanchemens de sang, sont souvent des causes de mort soudaine : effets qui ne doivent être attribués qu’à la seule horreur du vuide, qui, en pareil cas a lieu dans le corps humain ; tous les fluides alors et les esprits mêmes accourant, en quelque manière, pour remplir l’espace vuide. Quant aux pertes de sang lentes et graduelles, elles ont pour cause le défaut d’alimens et l’épanchement des esprits. Tels sont les différens genres de mort qui peuvent avoir lieu lorsque le mouvement des esprits est arrêté, soit par la trop forte compression qu’ils éprouvent, soit par leur subit épanchement.

14. Actuellement nous allons traiter du défaut de rafraîchissement. Lorsque la respiration d’un animal est arrêtée, il meurt aussi-tôt, comme on peut l’observer dans tous les animaux suffoqués ou étranglés : effet toutefois qu’il faut moins attribuer à des obstacles qui arrêtent le mouvement, qu’au défaut de rafraîchissement ; car un animal n’est pas moins suffoqué, lorsqu’il respire un air trop chaud, que lorsque sa respiration est arrêtée. Tel est le cas des individus suffoqués par la vapeur du charbon de bois ou du charbon de pierre ; ou même par les émanations de murs nouvellement blanchis, dans des appartemens clos où l’on fait du feu ; genre de mort qui, au rapport des historiens, fut celui de l’empereur Jovien ; ou encore par des bains secs et excessivement chauds (la chaleur des étuves), moyen que l’empereur Constantin employa pour faire mourir Fausta, son épouse.

15. Le temps qui s’écoule entre deux respirations, est extrêmement court, l’annimal ayant presque aussi-tôt besoin d’expulser l’air fuligineux et vicié par les poumons, pour en reprendre de nouveau ; intervalle de temps qui va tout au plus à un tiers de minute.

16. Les battemens du pouls et les oscillations des artères, en un mot le mouvement de systole et de diastole du cœur, qui est le principe des deux autres, est trois fois plus prompt que celui de la respiration : en sorte que, si l’on pouvoit, sans arrêter la respiration, arrêter ce mouvement du cour, l’animal mourroit presque aussi vite que si on l’étrangloit.

17. Cependant l’habitude produite par de fréquens essais, peut beaucoup sur la respiration, quoique ce soit un mouvement naturel et spontanée. Les anciens pêcheurs (plongeurs) de l’île de Délos restoient fort long-temps sous les eaux, sans respirer ; et ceux qui aujourd’hui pêchent les perles, ont aussi la faculté de retenir leur haleine au moins dix fois plus long-temps que les autres hommes.

18. Cette faculté est susceptible de plus et de moins dans les différentes espèces d’animaux, même dans la classe de ceux qui ont des poumons, et elle varie à raison du besoin plus ou moins fréquent d’air nouveau et de rafraîchissement.

19. Les poissons ont moins souvent besoin d’air nouveau et de rafraîchissement, que les animaux terrestres ; ils ont toutefois ce besoin et se rafraîchissent un peu par leurs ouïes ; et de même que les animaux terrestres ne peuvent supporter long-temps un air trop chaud ou trop renfermé, les poissons qui se trouvent renfermés sous la glace, lorsque la surface des eaux où ils vivent, est totalement prise, ne tardent pas à être suffoqués.

20. Lorsque l’esprit vital est exposé à l’action d’une chaleur beaucoup plus forte que celle qui lui est propre, il se dissipe et se détruit, puisqu’il ne peut pas même résister à la chaleur qui lui est propre, si elle n’est fréquemment tempérée par un air frais et nouveau ; beaucoup moins encore pourra-t-il supporter une chaleur étrangère, et qui aura plus d’intensité ; c’est ce qu’on observe dans les fièvres chaudes, où la chaleur excitée par la putréfaction des humeurs, surmonte la chaleur naturelle, au point de l’éteindre et de la dissiper.

21. Le besoin et l’usage du sommeil se rapportent également au besoin de rafraîchissement ; car le mouvement, en atténuant et raréfiant l’esprit vital, aiguise, en quelque manière, sa chaleur, et lui donne plus d’intensité : au lieu quo le sommeil ralentit, calme et règle ses mouvemens irréguliers, vagues et tumultueux ; car, quoique l’effet propre du sommeil soit de provoquer et de renforcer les fonctions des différens organes, l’action expansive des esprits, et, pour tout dire, le mouvement du centre à la circonférence, il ne laisse pas d’assoupir et de calmer le mouvement propre des esprits vitaux. Or, le sommeil est ordinairement nécessaire au moins une fois en vingt-quatre heures, et sa durée doit être de six heures, ou tout au moins de cinq. On voit aussi à cet égard des exceptions qui tiennent du prodige : on dit, par exemple, que Mécénas, dans les dernières années de sa vie, passa un temps considérable sans dormir[3]. Nous croyons devoir nous en tenir à ce petit nombre d’observations sur les différentes manières de rafraîchir les esprits, pour les conserver.

22. Quant au troisième genre de besoin, je veux dire celui d’aliment, il semble se rapporter beaucoup plus aux parties tangibles, qu’aux esprits vitaux ; car on seroit naturellement porté à croire que l’esprit vital subsiste dans son identité, et non par un renouvellement continuel, et par des remplacemens successifs. Quant à l’âme rationnelle (ou pensante), qui est particulière à l’homme, il est plus que certain qu’elle ne passe point d’un corps dans un autre, qu’elle n’a pas besoin de réparation, et n’est point mortelle. Certains philosophes nous parlent de l’esprit naturel ou inné, tant des animaux que des végétaux ; esprit qui, selon eux, diffère formellement, essentiellement de celui dont nous venons de parler. Le même défaut de jugement qui a fait confondre ces deux principes d’action, de nature si différente, a donné naissance au dogme de la métempsycose, et à toutes ces chimériques opinions qui ont fait illusion, soit aux païens, soit aux hérétiques modernes.

23. Le corps humain a besoin de se renouveler et de se réparer par les alimens, régulièrement au moins une fois en vingt-quatre heures. Parmi les hommes les plus sains et les plus vigoureux, il en est peu qui puissent passer impunément trois jours entiers sans manger ; cependant l’habitude et des expériences réitérées peuvent aussi beaucoup à cet égard. Dans l’état de maladie, on supporte plus aisément la diète que dans l’état de santé. Le sommeil supplée jusqu’à un certain point au défaut d’alimens : au contraire, des exercices fréquens et violens exigent une nourriture plus abondante. On a vu aussi, mais rarement, des sujets qui ont pu, sans inconvénient, s’abstenir pendant un temps considérable de toutes espèces d’alimens, soit solides, soit liquides : abstinence qui, dans quelques-uns, avoit quelque chose de miraculeux.

24. Les cadavres préservés de la putréfaction subsistent fort long-temps sans se consumer sensiblement. Mais les corps vivans, comme nous venons de le dire, ne peuvent subsister plus de trois jours entiers, sans se réparer par l’alimentation, autrement ils s’exténuent à vue d’œil ; ce qui annonce que cette exténuation si prompte des derniers doit être attribuée à l’action de l’esprit vital, qui se répare, en consumant les parties tangibles, ou en les mettant dans la nécessité de réparer leurs pertes continuelles, ou en faisant l’un et l’autre ; assertion suffisamment confirmée par cette observation que nous avons faite ci-dessus : savoir, que les animaux peuvent subsister beaucoup plus long-temps sans aliment lorsqu’ils dorment, que lorsqu’ils veillent : or, le sommeil n’est autre chose que la retraite et la concentration de l’esprit vital, qui se replie en quelque manière sur lui-même.

25. Les pertes de sang trop considérables ou trop continues : par exemple, celles qui ont pour cause certains genres d’hémorroïdes et des vomissemens de sang, ou des ruptures et des dilatations excessives de vaisseaux sanguins, dans l’intérieur du corps, ou enfin de grandes blessures : ces pertes, dis-je, occasionnent une mort prompte. Le sang veineux est destiné à réparer celui des artères, et le sang artériel, à réparer les esprits.

26. La quantité d’alimens, tant solides que liquides, que l’homme prend chaque jour, en faisant deux repas, est assez considérable ; leur poids total excédant de beaucoup celui des déjections ou évacuations par les selles, les urines et les sueurs. Cette différence, nous dira-t-on, n’a rien d’étonnant ; car le reste se convertit en une substance semblable à celle du corps, et s’y agrège : sans doute répondrons-nous, mais considérez aussi que cette addition de substance, a lieu deux fois par jour, et que néanmoins le volume du corps n’augmente pas sensiblement : de même, quoique l’esprit répare aussi ses pertes continuelles par le moyen de ces alimens, cependant sa quantité n’augmente pas excessivement : que devient donc le reste[4] ?

27. Pour que les alimens puissent réparer les pertes continuelles du corps, il n’est pas nécessaire qu’ils aient une affinité très grande et très sensible avec sa substance ; mais il suffit qu’ils soient de telle nature, tellement préparés et pris dans telles circonstances, que l’esprit vital puisse les travailler suffisamment pour opérer la concoction : car la mèche d’un flambeau ou d’une bougie ne suffiroit pas pour entretenir la flamme, si elle n’étoit enduite de cire, et l’homme ne peut se nourrir d’herbes seules. C’est de cette cause même que dérive cette lente consomption, qui est l’effet de la vieillesse ; quoiqu’alors il y ait encore assez de chair et de sang, néanmoins les esprits vitaux sont en si petite quantité et si foibles, les solides et les fluides sont tellement privés d’humor, et ont acquis une telle consistance, que la proportion des uns et des autres ne suffit plus pour opérer l’alimentation.

28. Résumons tout ce que nous venons de dire, et calculons, pour ainsi dire, ces besoins ou ces déficits, selon le cours ordinaire de la nature. Les esprits ont besoin de se mouvoir librement, et de se développer dans les ventricules du cerveau, et dans les nerfs. Ils ont besoin à chaque instant du mouvement alternatif du cœur, et de celui de la respiration, au bout d’un tiers de minute[5] ; de plus ils ont besoin de sommeil et d’aliment, au bout de trois jours. Enfin, au bout de quatre-vingts ans, quelquefois plutôt, rarement plus tard, ils sont privés de la faculté de se réparer par l’alimentation, et ils ont besoin de supplément et de secours à cet égard. Or, pour peu qu’un seul de ces besoins ne soit pas satisfait, et qu’on néglige de suppléer une seule de ces choses, lorsqu’elle vient à manquer, la mort s’ensuit. Ainsi l’on voit que les préliminaires de la mort se réduisent à trois, comme nous l’avions dit ; l’esprit vital pouvant manquer d’une, de plusieurs ou de la totalité de ces trois choses, le mouvement, le rafraîchissement et l’aliment.

AVERTISSEMENS.

1. Ce seroit se tromper grossièrement, que de croire que l’esprit vital, ainsi que la flamme s’éteignant aussi-tôt après s’être formé, ne se conserve que par des remplacemens successifs, et ne subsiste pas par lui-même durant un temps notable : car si la durée de chaque flamme individuelle est si courte, cela ne dépend pas de sa nature propre et spécifique, mais de ce qu’elle est environnée de substances ennemies qui tendent à la détruire, et une flamme enveloppée d’une autre flamme, dure un certain temps : mais l’esprit vital se trouve environné de substances avec lesquelles il a de l’affinité, et qui se prêtent aisément à son action. Ainsi la véritable cause de cette différence dont nous venons de parler, est que la flamme est une substance instantanée, et l’air, une substance fixe, l’esprit vital tenant le milieu entre l’une et l’autre, par rapport à la durée.

2. Ce mode de destruction de l’esprit vital, qui est une conséquence de celle des organes, et qui est occasionnée, soit par des maladies, soit par des causes violentes, n’est pas de notre sujet, comme nous l’avons observé en commençant. Cependant il ne laisse pas de se classer dans les trois genres dont nous venons de parler. Nous terminerons ici notre recherche sur la cause ou forme essentielle de la mort.

La mort a deux grands émissaires ; dont l’un part de la tête, et l’autre du cœur : savoir, les convulsions et les irrégularités, ainsi que la foiblesse du pouls ; car ce hoquet, qui est aussi un symptôme de mort, doit être regardé comme un genre de convulsion. Or, ce pouls convulsif, qui annonce une mort prochaine, est d’une fréquence remarquable : le cœur, à l’instant même de la mort, ayant un tel mouvement de trépidation, que sa systole et sa diastole se confondent ; ce pouls est aussi très petit et très foible ; à quoi se joignent de très longues intermittences ; le cœur, dont le ton et le ressort diminuent alors rapidement, ne pouvant plus se relever avec autant de force et de constance qu’auparavant.

29. Il est encore d’autres symptômes qui annoncent une mort prochaine ; savoir, une extrême agitation et des anxiétés visibles, le mouvement des mains qui semblent vouloir ramasser des flocons de laine ou de filasse, celui des bras qui se tendent avec effort, comme pour saisir quelque chose, le serrement des dents, une voix qui devient profonde et sépulcrale, le tremblement sensible de la lèvre inférieure, la pâleur ou la couleur livide du visage, la perte de la mémoire, la confusion des idées, la perte de la parole, des sueurs froides, l’allongement du corps, la disparition du blanc de l’œil, l’altération visible de tous les traits (par exemple, la forme aiguë du nez, dont les coins se retirent), les yeux caves, les joues tombantes, la langue qui se contracte et se replie, le froid des extrémités, quelquefois un flux de sang, ou l’émission du sperme, un cri aigu, une respiration très fréquente, enfin la mâchoire inférieure tombant tout-à-fait[6].

30. Les phénomènes qu’on observe dans un sujet qui vient de mourir, sont, la privation totale du sentiment et du mouvement, tant dans le cœur et les artères, que dans les nerfs et les membres ; l’impuissance où est le corps de se tenir droit, la roideur des nerfs (des muscles et des tendons) et des membres, un refroidissement total, puis la putréfaction et l’odeur fétide.

31. Lorsqu’on coupe par morceaux des anguilles, des serpens ou certains insectes, toutes ces parties font encore quelques mouvemens, elles frétillent, elles palpitent, ce qui a fait croire aux gens peu instruits que ces parties cherchent à se rejoindre[7]. On sait également que certains oiseaux, après l’amputation de la tête, font encore quelques sauts[8]. On observe aussi que le cœur de certains animaux, quoique séparé du corps, palpite assez long-temps[9]. Je me souviens même d’avoir vu le cœur d’un homme auquel on avoit arraché les entrailles (genre de supplice décerné contre les traîtres en Angleterre), d’avoir vu, dis-je, ce cœur, après qu’on l’eût jeté au feu, sauter plusieurs fois, d’abord à la hauteur d’un pied et demi, hauteur qui ensuite alla en décroissant peu à peu ; ce qui dura, autant que nous pouvons nous en souvenir, sept à huit minutes. Une relation très ancienne, mais digne de foi, nous apprend qu’on entendit mugir un bœuf après qu’on l’eût immolé dans un sacrifice, et qu’on lui eût ôté les entrailles. Mais nous connoissons un fait du même genre, plus récent, plus certain, et relatif à un homme qui avoit été aussi condamné à ce genre de supplice dont nous parlions plus haut : après que ses entrailles eurent été tirées du corps, et son cœur étant déjà dans la main du bourreau, on l’entendit prononcer quelques mots de prières ; fait qui nous paroît plus croyable que celui du bœuf dont nous venons de parler, attendu qu’ordinairement les amis du criminel condamné à ce genre de supplice, donnent de l’argent à l’exécuteur pour l’engager à lui épargner des souffrances en l’expédiant très promptement. Mais nous ne voyons pas que les prêtres aient eu aucune raison pour user d’une telle diligence dans les sacrifices.

32. Les moyens qu’on emploie ordinairement pour faire revenir les personnes tombées en syncope ou en catalepsie (attaques qui deviendroient mortelles pour quelques-unes, si on ne leur donnoit un prompt secours), se réduisent à peu près aux suivans. On leur fait avaler de l’eau de vie ou quelque cordial de toute autre espèce ; on leur fait pencher le corps en avant, on leur ferme avec force la bouche et les narines, on fléchit leurs doigts avec violence, et, au risque de les faire souffrir un peu, on leur arrache quelques poils de la barbe ou quelques cheveux ; on leur frotte plusieurs parties, sur-tout celles de la face et des extrémités ; on fait sur le visage des aspersions subites d’eau froide ; on jette des cris aigus et soudains[10]. L’eau-rose, mise sous le nez, est aussi un remède pour les foiblesses : les plumes, le linge et les étoffes brûlées en sont un pour les suffocations de matrice. Une poêle très chaude est un secours très efficace pour les apoplectiques[11].

33. On connoît beaucoup d’exemples d’individus qui, étant regardés comme morts, et exposés ou déjà mis dans le cercueil, et même portés en terre, n’ont pas laissé de revenir, du moins pendant quelques instans. On a eu pour preuve de ce fait, du moins relativement à ceux qui avoient été mis en terre, et tirés ensuite de leur sépulture, les contusions et autres blessures qu’ils s’étoient faites à la tête, en se débattant dans leur cercueil, et faisant effort pour en sortir. C’est ce dont nous avons eu un exemple récent et mémorable dans la personne de Jean Scott, scholastisque que son extrêine subtilité a rendu si célèbre. Son domestique, qui apparemment le connoissoit sujet à des attaques de catalepsie, étant absent lorsque le corps fut enseveli, et, à son retour, l’ayant tiré de sa sépulture, le trouva dans l’état dont nous parlons. Le même malheur est arrivé dans ces derniers temps à un comédien enseveli à Cambridge. Voici un fait de ce genre qui nous a été raconté par un homme de distinction. Ayant dit plusieurs fois en badinant qu’il auroit voulu savoir, par sa propre expérience, ce qu’éprouvoient les hommes qui périssoient par le supplice de la corde ; et, en conséquence, s’étant un jour déterminé à faire cette épreuve, il monta sur un tabouret, se mit la corde au cou, et ôta ses pieds de dessus ce tabouret, s’imaginant qu’il seroit toujours maître de les y appuyer de nouveau quand il le voudroit ; mais une fois que ses pieds l’eurent quitté, ils ne purent le retrouver, et il demeura suspendu. Son imprudence toutefois ne lui fut point funeste ; un de ses amis qui étoit présent, l’ayant secouru sur-le-champ. Interrogé ensuite sur ce qu’il avoit éprouvé, il répondit qu’il n’avoit senti aucune espèce de douleur ; qu’il avoit seulement cru voir d’abord un grand feu, une sorte d’incendie, puis une couleur extrêmement noire ; en un mot, d’épaisses ténèbres ; enfin, un bleu pâle ou une couleur de verd de mer ; couleur que voient aussi assez souvent les personnes qui tombent en syncope. Un médecin de notre connoissance, encore vivant, et qui étoit parvenu, à l’aide de frictions et de bains chauds, à rappeler à la vie un homme que le désespoir avoit porté à se pendre, et qui étoit demeuré suspendu pendant une demi-heure ; ce médeciu nous a souvent dit qu’il ne doutoit point qu’on ne pût sauver tous les sujets qui auroient subi ce genre de supplice, en supposant même qu’ils demeurassent suspendus aussi long-temps que celui dont nous venons de parler ; pourvu toutefois qu’il ne se fût fait aucune fracture ni aucune luxation aux vertèbres du cou, par la violente secousse qu’éprouve le corps du patient, au moment où l’exécuteur le jette hors de l’échelle.

  1. Il est bien difficile d’employer fréquemment, en physique, un langage figuré, sans débiter tôt ou tard quelque sottise : en voici une nouvelle preuve. Le titre latin est atriola mortis, et néanmoins cet article, comme on le verra dans la première phrase, traite des phénomènes qui précèdent , accompagnent ou suivent immédiatement la mort. Ainsi ce titre n’indique qu’une seule des trois parties du sujet. Si nous disposions de la langue française, nous aurions substitué à ce titre poétique le suivant : des antécédences, des concomitances et des conséquences immédiates de la mort : les deux premiers mots sont très sonores, très conformes a la loi de l’analogie ; et réunis avec le troisième, ils indiquent sèchement, mais exactement la totalité du sujet : mais ces deux premiers mots sont trop nécessaires pour être adoptés. Notre langue est si pauvre, qu’elle regarde Comme des aumônes tous les présens qu’on veut lui faire, et si orgueilleuse, qu’en acceptant une infinité de mots inutiles, elle s’en fait une espèce de droit pour refuser ceux dont elle a vraiment besoin.
  2. Il personnifie sans cesse les esprits vitaux, comme ailleurs il personnifioit la matière grossière, les mouvemens, les tendances, etc. Mais ici la métaphore est un peu plus pardonnable ; il paroît que nos appétits et nos aversions résident plutôt dans les esprits vitaux que dans les parties tangibles et inertes ; à moins qu’on ne suppose qu’ils résident dans la combinaison des uns avec les autres, dans le tout.
  3. On peut sans inconvénient réduire son sommeil à quatre ou cinq heures, en soupant légèrement, et en faisant un petit repas durant la nuit. Lorsque le duc de Choiseul, ayant de grandes expéditions à faire, étoit obligé de veiller, il se tenoit, en partie, plongé dans un bain durant toute la nuit ; il faisoit un assez ample repas ; et par ce double moyen, les veilles ne l’incommodoient point. Vigilate et sobrii estote ; ce précepte regarde les gens de lettres aussi-bien que les saints : pour bien digérer ses idées, il faut manger et dormir peu. D’un autre côté, des veilles excessives occasionnent une exaltation d’esprit, qui tient de la folie.
  4. Il s’exhale par la transpiration insensible, comme Sanctorius l’a prouvé par des expériences et un calcul qui ne laissent aucun doute sur ce point.
  5. Le texte original dit : ils ont besoin du mouvement alternatif du cœur, au bout d’un tiers de minute, et de la respiration de chaque instant. Mais c’est encore une méprise, comme on peut s’en assurer en relisant les numéros 15 et 18.
  6. Comme nous avons été à portée d’observer par nous-mêmes un assez grand nombre de mourans, on peut ajouter ce qui suit : après le râle ou râlement, le thorax s’élève très haut et très convulsivement, ce qui produit une sorte de hoquet fort bruyant. Le sujet qui alors est ordinairement sur le dos, a les yeux tournés vers le plancher et d’abord très ouverts, cette partie de la cornée, qui est au-dessous de la prunelle, devenant fort apparente ; puis le hoquet cesse par degrés, la partie supérieure du thorax retombant peu à peu, comme le panneau d’un soufflet ; les paupières s’abaissent aussi peu à peu (du moins le plus ordinairement, car quelquefois les yeux restant ouverts, même après la mort, l’on est obligé de les fermer) : alors tout est fini, et tout le corps se couvre d’une sueur froide et très sensible, sur-tout aux mains. Quoi qu’en ait pu dire M. Louis, dans son ouvrage sur l’incertitude de tous les signes de mort, jamais, ou presque jamais, sujet en qui l’on a observé le concours des symptômes que je viens de décrire, n’est revenu à la vie. Comme la plupart des médecins sont peu jaloux d’assister à la mort de leurs malades, il paroit nécessaire de joindre à leurs observations celles des gardes, des chirurgiens de vaisseau, d’armée, etc. Nous dirons de plus que certains individus, un peu avant de mourir, s’imaginent voir une personne assise sur le pied de leur lit, et que les malades de cette classe, qui ordinairement conservent la parole jusqu’à la fin, prient qu’on la fasse retirer. Comme je n’ai observé ce symptôme que dans des sujets fort pauvres, ce n’est peut-être que le souvenir de quelque personne qui, durant leur maladie, étant venue les visiter, s’est ainsi assise ; et comme l’esprit du malade est en partie aliéné, il croit voir ce qu’il ne fait qu’imaginer et se rappeler. D’autres sujets, le jour même de leur mort, se sentent beaucoup mieux, le disent, font des projets et veulent se lever. D’autres encore font des prédictions, et quelquefois avec assez de justesse.
  7. Ce seroit toutefois une expérience à tenter ; il faudroit couper en deux parties seulement une anguille, une couleuvre, ou un ver de terre ; profiter de son gluten naturel, pour recoller ses deux parties, et voir ce qui en résulteroit. Il est très probable que les deux moitiés ne se rejoindroient pas ; mais il est très certain qu’une probabilité n’est point une preuve, et que ce qui est très probable, est quelquefois très faux. Ainsi les meilleures preuves, sur ce point comme sur tant d’autres, ce sont des épreuves, des essais réitérés.
  8. On les voit même quelquefois marcher et faire deux ou trois tours.
  9. Celui d’une grenouille bat encore pendant quelques minutes.
  10. Il vaudroit mieux jeter dans l’oreille de la personne un seul cri fort aigu, en prononçant cette syllabe, pan ; cri qui a des effets étonnans. J’ai vu aussi sur la place d’Espagne, à Rome, en 1791, un Anglois faire revenir un épileptique, en lui soufflant fortement et si plusieurs reprises, dans l’oreille. On pourroit aussi tenter ce moyen pour les attaques dont parle l’auteur, et pour l’apoplexie ; genre d’essai dont le succès me paroit fort douteux, mais qui vaudroit toujours un peu mieux que des raisonnemens.
  11. Cette poêle doit être appliquée sur l’occiput du malade ; des lavemons avec du café à l’eau, extrêmement chaud, sont aussi un remède éprouvé pour les attaques de ce genre : selon toute apparence, la boîte fumigatoire, ou les deux pipes réunies, qu’on emploie ordinairement pour les noyés, auroient le même succès.