Histoire de la vie et de la mort (trad. Lasalle)/8-3

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Histoire de la vie et de la mort
VIII.3 Rajeunir et renouveler ce qui a vieilli
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres10 (p. 356_Ch8.3-382_Ch9).
IX.
Moyens tendantà amollir les parties qui commencent à se dessécher, ou de l’amollissement du corps humain[1].

Nous avons exposé, dans les articles précédens, les moyens d’amollir le corps humain, à l’aide de substances prises intérieurement ; méthode qui, ne procédant que par la voie de l’alimentation, et par la détention des esprits, ne mène au but que par de longs détours, et ne produit l’effet désiré que peu à peu. Quant à ce qui concerne la méthode qui produit ce même effet : savoir, l’amollissement de toute l’habitude du corps, par des substances appliquées extérieurement, c’est ce sujet même que nous allons traiter.

1. Dans la fable du rajeunissement de Pelias, il est dit que Médée, pour parvenir à ce but, prescrivit de couper par morceaux le corps du vieillard, et de le faire ensuite bouillir dans une chaudière, avec certaines drogues ; nous aurons peut-être aussi besoin de coction pour parvenir à notre but ; mais il ne sera pas absolument besoin de couper par morceaux ce corps que nous voulons rajeunir.

2. Il y aura cependant ici quelque chose à dépecer, non à l’aide du fer, mais à l’aide du simple jugement ; c’est-à-dire qu’il y aura une analyse à faire : car les viscères et en général les parties du corps n’ayant pas toutes le même degré de consistance, on ne pourroit, par des moyens d’une seule espèce, les amollir toutes au degré convenable. Il faudra donc employer pour chacun des moyens différens, outre ce moyen général, dont le but est d’amollir toute la masse du corps, et dont nous parlerons en premier lieu.

3. On parviendroit probablement à ce but à l’aide de bains, d’onctions, et d’autres moyens semblables ; en supposant toutefois que de tels moyens soient assez puissans. Mais en suivant ce procédé, il ne faut pas perdre de vue les observations suivantes.

4. Ce qu’on observe dans les corps inanimés, qui s’imbibent sensiblement de la liqueur où on les fait macérer, et où on les tient plongés pendant un certain temps, et qui s’amollissent par ce moyen ; opérations dont nous avons offert quelques exemples dans les articles précédens : cette humectation, dis-je, ne seroit point une raison pour se flatter de pouvoir amollir le corps humain par un semblable procédé ; et à l’aide de tels moyens, il est plus facile de produire cet effet sur les corps inanimés, qui attirent et pompent la liqueur où ils sont plongés, que sur les corps animés, où le mouvement semble se faire du centre la circonférence, plutôt qu’en sens contraire.

5. Ainsi, ces bains émolliens dont on fait ordinairement usage dans cette vue, seroient plus nuisibles qu’utiles relativement à notre but ; leur effet étant plutôt de tirer du dedans au dehors, que de pousser du dehors au dedans ; sans compter qu’ils relâcheroient l’assemblage du corps, au lieu de le consolider.

6. Les bains et les onctions destinés à produire l’effet que nous avons en vue, je veux dire à amollir, au degré convenable et d’une manière durable, toute l’habitude du corps, doivent réunir trois conditions.

7. La première et la principale est qu’ils doivent être composés de corps dont la substance prise en entier, soit analogue à la chair humaine, et, pour tout dire, au corps humain, de substances douces, nutritives et capables de nourrir le corps par l’extérieur.

8. La seconde condition est qu’elles soient combinées avec d’autres substances assez atténuées pour pouvoir pénétrer dans l’intérieur du corps, et y insinuer, y refouler, pour ainsi dire, celles avec lesquelles on les aura mêlées.

9. La troisième condition est qu’il faut les combiner avec une certaine quantité (moindre toutefois que celle des substances indiquées dans le n°. précédent), avec une certaine quantité, dis-je, d’astringens, non de substances analogues à celles qui ont une saveur âpre et revêche, mais de substances onctueuses et fortifiantes ; afin que, dans le temps même où celles des deux premiers genres agissent, celles-ci puissent empêcher, autant qu’il est possible, la perspiration qui détruiroit tout l’effet des émolliens, et dont l’effet seroit seulement de provoquer et de renforcer le mouvement du dehors au dedans, en rendant le tissu de la peau plus serré et en bouchant ses pores.

10. Or, de toutes les liqueurs la plus consubstantielle (analogue) au corps humain, c’est le sang encore chaud, soit le sang humain, soit celui des animaux. Quant à la recette de Ficin, qui veut que, pour rajeunir un vieillard et le restaurer complètement, on lui fasse sucer le sang tiré du bras d’un jeune homme sain et vigoureux, elle ne mérite point de fixer notre attention : car, pour que des substances prises intérieurement soient nutritives, il faut qu’elles ne soient pas d’une nature trop analogue, et tout-à-fait semblable à celle du corps à nourrir, mais d’une nature un peu inférieure (et moins animalisée), autrement elles ne pourroient être suffisamment travaillées et digérées par les organes de la concoction. Mais lorsque ces substances sont destinées à être appliquées extérieurement ; alors, au contraire, plus elles sont analogues à celle du corps humain, plus elles agissent puissamment, en vertu de cette corrélation, et de cette affinité même.

11. Si nous devons en croire d’anciennes relations, le bain de sang, tiré des enfans, est un remède souverain pour la lèpre, et peut même rétablir des chairs déjà corrompues. L’histoire parle de plusieurs souverains, accusés par le peuple d’avoir employé cet horrible remède, et devenus, par cette prévention, fondée ou non, un objet d’exécration[2].

12. Quelques anciens prétendent qu’Héraclite, attaqué d’hydropisie, se fit mettre dans le ventre d’un beuf, récemment ouvert et encore chaud.

13. On emploie avec succès le sang tiré de jeunes chats pour la cure de l’érysipèle, remède dont l’effet est de restaurer et de raffermir les chairs et la peau.

14. On a essayé, avec un égal succès, d’insérer la partie restante d’un bras ou de tout autre membre coupé, et en général, une partie saignante, dans le ventre d’un animal récemment ouvert ; c’est un puissant moyen pour arrêter le sang ; celui de la partie blessée, en vertu de son affinité avec celui de l’animal, l’absorbant et l’attirant avec force ; ce qui l’arrête lui-même et le fait refluer.

15. Un autre remède, souvent éprouvé dans les maladies désespérées, c’est d’appliquer successivement plusieurs pigeons récemment ouverts aux plantes des pieds du malade. Ce remède a même quelquefois opéré des cures étonnantes ; effet que le vulgaire explique à sa manière, en supposant que ces pigeons attirent l’humeur morbifique, ou ce qu’il appelle le venin de la maladie ; mais qu’on expliqueroit beaucoup mieux, en supposant que l’action de ce remède, se portant à la tête, fortifie ainsi les esprits animaux.

16. Mais toutes ces onctions, tous ces bains de sang ont pour nous je ne sais quoi d’odieux et de dégoûtant. Ainsi cherchons d’autres remèdes moins rebutans et dont les effets ne soient pas moins puissans.

17. Les substances qui, après le sang, ont le plus d’analogie avec le corps humain, ce sont celles mêmes qui lui servent d’alimens ; par exemple, de la chair un peu grasse, de bœuf ; de porc, de cerf, etc. ou encore les huitres (parmi les poissons testacées), ou le lait, le beurre, les jaunes d’œuf, la fleur de farine, le vin doux, et le vin sucré ou miellé.

18. Les substances qu’on doit combiner avec celles du premier genre, pour les faire pénétrer dans l’intérieur du corps, sont d’abord les sels qui peuvent tenir lieu de toutes les autres, sur-tout le sel commun et gris ; à quoi l’on peut ajouter le vin, qui abonde en esprits et qui, ayant cette force pénétrante, cette faculté d’insinuer d’autres substances, seroit, pour celles dont nous parlons, un véhicule très utile.

19. Les astringens de la nature de ceux dont nous avons parlé dans un des articles précédens, c’est-à-dire, onctueux et fortifians, sont le safran, le mastic, la myrrhe et les baies du myrthe.

20. Nous sommes persuadés qu’en combinant ainsi ces différentes substances, on aura un bain tel qu’on peut le souhaiter relativement à ce neuvième but. Les médecins et la postérité feront sans doute quelque chose de plus, et achèveront ce que nous aurons commencé.

21. Ce bain, dont nous venons de parler (et qui, de tous les moyens tendant à ce neuvième but, nous paroît être le plus essentiel), produiroit des effets encore plus sensibles, s’il faisoit partie des quatre opérations successives et méthodiquement enchaînées dont nous allons parler.

22. Ainsi, 1°. ce bain doit être précédé de frictions sur tout le corps et d’onctions avec de l’huile, à laquelle on joindra quelque autre substance qui puisse lui donner plus de consistance ; afin que ce soit plutôt la chaleur humectante et virtuelle de l’eau qui pénètre dans l’intérieur du corps, que l’humor aqueux, que la substance même de ce fluide ; puis on passera au bain, qui durera au moins deux heures. Après ce bain, on couvrira tout le corps d’un enduit de mastic, de myrrhe, de gomme adragant, de diapalme[3], de safran, etc. afin d’empêcher, autant qu’il sera possible, la perspiration, tandis que la substance du corps, qui se sera d’abord amollie, se consolidera par degrés, ce qui doit durer vingt-quatre heures ou plus. Enfin, après avoir ôté cet enduit, on se fera de nouveau des onctions avec de l’huile, en y joignant du sel et du safran. On doit faire usage de ce bain, de quatre en quatre jours, en y joignant l’enduit et l’onction comme ci-dessus : régime émollient qui doit être continué pendant un mois.

23. Une autre attention non moins nécessaire durant tout le temps consacré à ce régime émollient (attention qui va directement à notre but), c’est de bien nourrir le corps, de le garantir avec soin du contact de l’air froid et de boire toujours chaud.

24. Nous avons dit en commençant que, parmi le grand nombre de moyens proposés dans cet ouvrage, on en trouveroit beaucoup dont nous n’avons pas fait nous-mêmes l’épreuve : les derniers sont de ce genre ; n’ayant pu les vérifier par notre propre expérience, nous les avons imaginés d’après la simple considération du but ; car montrer clairement le but, c’est, jusqu’à un certain point, tracer la route aux autres et éclairer leur marche.

25. Il ne faut pas non plus dédaigner les fomentations à l’aide des corps vivans. Ficin prétend (et ce n’est rien moins qu’une plaisanterie) que David, pour se ranimer dans sa vieillesse, dormoit avec une jeune personne, remède qui lui fut en effet très salutaire, mais qu’il employa trop tard. Il pouvoit ajouter que, pour rendre cette fomentation plus efficace, il auroit fallu que le corps de cette jeune fille fût enduit de myrrhe ou d’autres substances semblables ; genre d’onction dont les jeunes Persiennes faisoient habituellement usage, et dont le but ne seroit pas seulement de se procurer une jouissance de plus, mais encore d’augmenter l’effet de cette fomentation à l’aide d’un corps vivant.

26. Barberousse, parvenu à une extrême vieillesse, et dirigé par le conseil d’un médecin juif, tenoit, continuellement appliqués sur son estomac ou sur ses flancs, des enfans qu’on changeoit de temps en temps : genre de foinentation qui le ranimoit sensiblement[4]. On sait aussi que certains vieillards sont dans l’habitude de tenir appliquées sur leur estomac, durant leur sommeil, de petites chiennes, animaux de complexion fort chaudes[5].

27. On parle aussi de certains individus qui, ayant un nez d’un volume énorme ou d’une forme bizarre, et fatigués des plaisanteries que cette difformité leur attiroit, prirent le parti de couper ces excroissances ou rejetons de nez ; de se faire ensuite une incision au bras, pour les y insérer et les y tenir cousues pendant quelque temps ; expédient à l’aide duquel ils se procurèrent un nez supportable. Ce fait est attesté par un si grand nombre d’auteurs, qu’il doit passer pour certain. Pour peu qu’il soit vrai, il démontre sensiblement l’affinité existante entre chair et chair, sur-tout entre des chairs encore vives.

28. Quant aux moyens nécessaires pour amollir et assouplir spécialement les différens viscères ou organes, tels que l’estomac, les poumons, le foie, le cœur, le cerveau, la moelle épinière, les reins, la vessie du fiel, les intestins, les veines, les artères, les nerfs, les cartilages, les os, etc. comme un tel sujet exigeroit des recherches trop détaillées et un trop grand nombre de préceptes, nous croyons ne devoir pas nous y arrêter, notre dessein, dans cet ouvrage, étant beaucoup moins d’enseigner la pratique même, que de montrer les routes qui y conduisent, et de donner de simples indications.

X.
Opérations tendant à évacuer les vieux sucs et à les remplacer par de nouveaux, ou tendant à renouveler périodiquement toute la substance du corps humain.

Quoique la plupart des moyens que nous allons proposer aient été indiqués dans les articles précédens ; cependant, comme cette opération est une des plus essentielles, nous croyons devoir remanier un peu ce sujet, et le traiter ici plus amplement.

1. On s’est assuré, par l’expérience, que des bœufs, qui ont vieilli à la charrue, et qui sont presque épuisés par ce travail si pénible, étant mis ensuite dans des pâturages nouveaux et plus gras, leur chair devient plus tendre, et est, en quelque matière, rajeunie, comme on s’en aperçoit aisément en la mangeant, sur-tout au goût. Or, il est probable que, si l’on avoit soin d’amollir et d’assouplir aussi fréquemment la chair d’un animal, les os, les membres et autres parties semblables, s’amolliroient aussi en conséquence de leur communication avec les premières.

2. On sait de plus que l’effet des diètes rigoureuses (genre de remède fort usité), sur-tout lorsqu’en y joignant l’usage du gayac, de la salse-pareille, du china, du sassafras et autres semblables substances, on les soutient avec constance, et en s’astreignant aux règles les plus strictes ; que l’effet, dis-je, de ces diètes est d’abord d’atténuer toute la substance du corps, puis de l’absorber et de la consumer peu à peu, ce qui paroîtra d’autant moins douteux, que les maladies vénériennes, parvenues au point d’entamer les solides, en couvrant le corps d’ulcères et d’une matière visqueuse, peuvent être guéries radicalement par ce moyen. On a observé de plus que les sujets devenus, par l’effet naturel d’une telle diète, extrêmement maigres, extrêmement pâles et semblables à des spectres, reprenant ensuite de l’embonpoint et de la couleur, paroissent sensiblement renouvelés et comme rajeunis[6]. Ainsi nous pensons que de telles diètes réitérées (une fois tous les deux ans) pourroient être utiles aux sujets qui commencent à vieillir ; par ce moyen, dis-je, ils quitteroient, pour ainsi dire, leur dépouille, et se rajeuniroient comme les serpens.

3. Nous croyons pouvoir dire hardiment (et sans crainte d’être qualifiés d’hérétiques catharistes) que les purgations réitérées et devenues familières, contribuent beaucoup plus à la prolongation de la vie, que les exercices du corps et les sueurs fréquentes : c’est une conséquence nécessaire des principes posés dans les articles précédens ; savoir, que les onctions faites sur tout le corps, ainsi que ces enduits qui servent à boucher les pores de la peau, et tous ces moyens tendant à garantir le corps de l’action de l’air extérieur ou à retenir les esprits dans son intérieur, contribuent puissamment à la prolongation de la vie ; car il n’est pas douteux que l’effet des sueurs et de la transpiration insensible ne soit de déterminer au dehors et d’absorber, non-seulement les matières et les vapeurs excrémentitielles, mais même les sucs et les esprits nécessaires. Au lieu que les purgations, qui n’agissent que sur les humeurs, ne produisent pas le même effet, à moins qu’elles ne soient excessives. Or, le genre de purgations qui répondent le plus directement à notre but, ce sont celles qu’on opère à l’aide des purgatifs pris avant les repas, parce qu’alors ils dessèchent beaucoup moins. Ainsi ce doivent des purgatifs fort doux qui n’agissent point avec trop de violence sur l’estomac, et qui n’occasionnent point de tranchées.

Nos indications, relativement à ces dix genres d’opérations dont nous venons de parler, nous paroissent être aussi sûres que fondées, et les remèdes proposés répondent très exactement à ces indications. Quoique plusieurs de ces moyens n’aient rien que de très ordinaire et de très commun ; cependant on se feroit difficilement une idée de la sollicitude et de l’attention avec laquelle nous les avons choisis, examinés, pesés, afin de n’en proposer que de sûrs et d’efficaces, sans perdre jamais de vue les buts auxquels ils se rapportent. Au reste, tout ce que nous avons avancé sur ce sujet, ne peut être vérifié et étendu que par l’expérience même. En attendant cette vérification et cette extension, nous croyons devoir observer que, dans tous les genres possibles d’opérations, il est une infinité de choses dont la simple idée suppose un degré peu commun de sagesse et de prudence, qui ont des effets admirables, dont le plan et la méthode excitent également l’admiration, et qu’on ne laisse pas d’exécuter par des moyens qui ont je ne sais quoi de commun et de trivial[7].

  1. Je dis l’amollissement, afin de rendre exactement la pensée de l’auteur, et n’être ici que simple traducteur ; mais ce terme me paroit mal choisi, et je préférerois celui d’assouplissement ; car il ne s’agit pas ici d’amollir simplement le corps, de le rendre flasque, mais de le rendre tout à la fois souple et élastique. Il faut que les parties cèdent aisément au toucher, et qu’elles se rétablissent avec la même facilité : une excessive mollesse seroit un inconvénient aussi grand qu’une extrême dureté.
  2. Il y eut à Paris, en 1752, une émeute occasionnée par une prévention aussi extravagante, quoiqu’à la rigueur il ne soit pas impossible que telle sang-sue qui pompe le sang des pères, se baigne dans celui des enfans.

    Quoi qu’il en soit, certaines substances tirées du corps humain sont curatives dans une infinité de cas. Je connois une personne qui a guéri des hémorroïdes effrayantes, à l’aide de ses propres excrémens, enveloppés dans un linge très fin, très vieux, et appliqué sur la partie souffrante. Elle étoit partie de ce principe : tous les remèdes nécessaires à l’homme sont dans le corps humain, principe puisé dans la Balance naturelle, ouvrage un peu extravagant, mais fécond et plein de vues. Ce principe ne nous paroît pas aussi général qu’il semble le paroître à l’auteur de ce livre ; cependant il ne laisse pas d’avoir une infinité d’applications utiles ; par exemple, la salive est pour les maux d’yeuz un excellent remède, dont je fais l’épreuve au moment même où j’écris ceci. L’urine, bue en assez grande quantité, est également curative dans plusieurs maladies ; elle détermine à la peau les humeurs qui doivent être évacuées. Enfin, selon toute apparence, le sang encore chaud (d’animaux s’entend) hâteroit la guérison de certaines blessures ; le principal obstacle à cette guérison étant ordinairement l’état de gonflement, de tension, d’érétisme et d’irritation de la partie blessée, ou l’air froid. Ainsi ce principe mériteroit d’être vérifié par l’expérience ; et le principal motif pour tenter cette vérification, pourroit se tirer de cet autre principe, ou, si l’on veut, de cet autre raisonnement très hazardé et peut-être très vrai : les contraires sont les remèdes des contraires ; or, le corps humain est tout composé, tout tissu de contraires liés et mariés ensemble par leurs intermédiaires ; toute matière et cause morbifique dans le corps humain y ayant sa contraire, y a, par conséquent, son remède. Mais de telles matières étant très putrescibles, il est clair qu’elles doivent être récentes lorsqu’on les emploie, et fréquemment renouvelées lorsqu’on veut en faire usage pendant un certain temps.

  3. Emplâtre dessiccatif, composé d’huile commune, de graisse de porc, et de litharge d’or préparée. Cette substance, dis-je, est dessiccative, résolutive, détersive et cicatrisante. Elle tire son nom du bois de palmier, dont est faite la spatule qui sert à agiter cet onguent lorsqu’il est sur le feu.
  4. Il se peut qu’il y ait ici quelque émanation ou communication de corps à corps, en supposant que la sphère d’activité des esprits vitaux de chaque individu s’étende un peu au-delà des limites de son propre corps ; mais il se peut aussi que tout l’effet d’une telle fomentation soit produit par la seule idée de la jeunesse ; idée toujours agréable qui, en ébranlant l’imagination, faculté active et principe inépuisable de vie, ranime toutes les parties d’une machine affaissée par les ans : conjecture d’autant plus probable, qu’il suffit de penser aux jeux et aux sentimens du jeune âge, pour être affecté d’une manière analogue. C’est ce que j’éprouve moi-même en faisant cette traduction. Obligé de soutenir une lutte pénible, à chaque page, à chaque ligne, à chaque mot, j’éprouve de fréquentes lassitudes, dans cette longue carrière qu’un triple devoir m’oblige de fournir jusqu’au bout ; mais l’espoir de bien mériter de la partie la plus vivante et la plus précieuse de cette grande et généreuse nation qui, depuis tant d’années, éclaire et réchauffe l’univers entier, me ressuscitant, pour ainsi dire, à chaque instant, j’avance avec vigueur vers le but, sans m’arrêter et sans me presser. En travaillant pour la jeunesse, je me rajeunis, en quelque manière, par ma pensée ; et, en animant les autres, je me ranime moi-même.
  5. Ce n’est peut-être pour eux qu’une espèce de manchon ; car une pièce de flanelle produit à peu près le même effet.
  6. Il semble que la plupart des maladies aient pour cause une plénitude absolue ou locale. Car presque toutes les incommodités ou blessures qui n’ôtent pas l’appétit, s’aggravent lorsqu’on mange beaucoup, sur-tout ces maladies dont parle ici notre auteur. Il parolt que ce principe de vie, qui exécute les digestions, les sécrétions, les excrétions, en un mot, toutes les fonctions vitales, tend naturellement à conserver ce corps qu’il a formé, à corriger les erreurs de régime et à nous guérir. Du moins tel est le sentiment d’Hippocrate, de Galien, de Sauvage ; mais ce médecin, intérieur et naturel, a quelquefois besoin d’être secondé et secouru par le médecin extérieur que l’art a formé. Le principal de ces secours c’est de lui faire de la place, par l’évacuation de telle humeur, en telle quantité, par telle voie et en tel temps, afin qu’il agisse plus librement dans les viscères et les vaisseaux. Quand une telle évacuation est nécessaire, la nature y tend toujours ; mais quelquefois rencontrant des obstacles dans des voies, elle évacue, en trop grande quantité, l’humeur redondante, ou vicieuse, ou une humeur au lieu d’une autre, ou une humeur nécessaire, avec l’humeur superflue ou nuisible, ou par une fausse voie, ou trop tôt ou trop tard, ou trop violemment, etc. Voilà pourquoi il faut la secourir et quelquefois la redresser ; je dis redresser, parce que le principe vital, continuellement modifié par nos idées et nos passions, se sent lui-même de nos erreurs et de nos vices. Mais, si le médecin intérieur se trompe quelquefois, le médecin extérieur se trompe aussi. Quel est donc le moyen d’éviter toute erreur dans un sujet si caché et si compliqué ? La diète est ce moyen (presque universel) ; comme elle évacue dans toutes les parties, une portion de toutes les humeurs et sans violence, elle évacue nécessairement l’humeur vicicuse et débarrasse ainsi la partie engorgée ; en dégageant toutes les voies, elle fait que l’humeur morbifique enfile d’elle-même la route par laquelle le principe vital tend naturellement à la faire passer. En un mot, la diète est la panacée si long-temps et si inutilement cherchée, parce que la plupart de ceux qui la cherchoient, craignoient de la trouver ; une telle recette, qui n’est rien moins que dispendieuse, diminuant quelque peu les profits du pharmacien et l’importance du médecin ; ce qui ne signifie point du tout qu’on doive affoiblir excessivement le corps par des jeûnes longs et réitérés. Car, en ôtant la résistance, il ne faut pas anéantir la puissance ; et si, en diminuant cette résistance, on affoiblissoit, en plus grande proportion, cette puissance qui doit la surmonter, il est clair qu’alors on perdroit plus qu’on ne gagneroit. Au reste, une assez longue expérience nous a appris qu’une seule diète, soutenue avec presque autant d’obstination que si on vouloit se laisser mourir de faim, mais commencée à l’époque même où commence l’incommodité ou la maladie, est plus curative que les diètes de courte durée et réitérées ; ce qui toutefois peut n’être vrai que par rapport à notre individu, et doit être regardé moins comme une règle que nous prescrivons aux autres, que comme un simple fait que nous rapportons. La faim, le plus puissant et le plus sûr de tous les moyens médicaux, peut néanmoins devenir, ainsi que tous les autres, un remède, ou un poison, selon qu’elle est employée par un sage, ou par un fou ; et ce moyen, tout universel qu’il est, on ne doit y recourir qu’en consultant alternativement sa propre expérience et un homme de l’art, plus attaché à cet art qu’à sa fortune ; car je suppose qu’un homme prudent a toujours soin d’avoir, dans le nombre de ses amis, un médecin de profession, de peur de confier sa bourse à des marchands de santé, et sa vie à ses ennemis.
  7. Tel effet qui nous paroît rare, étonnant, miraculeux, n’est cependant que le produit d’un concours extraordinaire de choses très ordinaires, dont chacune pourroit être exécutée par des moyens également communs, et qui sont tous en notre disposition : si donc l’on pouvoit découvrir une méthode à l’aide de laquelle on pût décomposer assez parfaitement l’effet extraordinaire, pour le réduire à ces effets communs et faciles à produire, dont il n’est que l’assemblage, on seroit, par cela seul, en état l’opérer des espèces de prodiges qui étonneroient encore le vulgaire ; mais qui cesseroient d’étonner ceux qui auroient fait cette décomposition, et ceux qui l’auroient bien conçue. Or, cette méthode a été découverte ; elle fait le principal sujet du Novum Organum, et l’ouvrage que nous interprétons en ce moment, n’en est qu’une application.

    Il est deux principaux obstacles qui arrêtent ou ralentissent le progrès des sciences ; l’un est qu’on s’imagine qu’il est absolument nécessaire d’étonner ; l’autre est ce préjugé qui porte à croire qu’on ne peut étonner que par des moyens étonnans. Mais la vérité est que la philosophie est destinée à faire cesser le sot étonnement, par des moyens assez communs en eux-mêmes, mais employés avec une méthode et une constance vraiment étonnantes.