Histoire de la vie et des ouvrages de Saint-Évremond/Chapitre I

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I. Saint-Évremond. — Sa famille. — Sa naissance.
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CHAPITRE I.
Saint-Évremond. — Sa famille. — Sa naissance.

Parmi les beaux esprits dont s’honore le dix-septième siècle, il en est peu qui aient joui, de leur vivant, d’une aussi grande célébrité que Charles de Saint-Évremond. Joignant à la réputation que donne le talent, la considération qui s’attache au caractère, « il fut recherché, dit Saint-Simon, par tout ce qu’il y avoit de plus considérable en esprit, en naissance et en places. Il vécut en philosophe, et mourut de même, honoré jusqu’à la fin, comme il l’avoit été toute sa vie. » Faites-nous du Saint-Évremond, étoit le cri des libraires, à la fin du dix-septième siècle, comme ils dirent plus tard : Faites-nous des Lettres persanes. Puis, tout à coup, cette célébrité s’est éteinte. Depuis 1753, date de la dernière publication de ses Œuvres complètes, si souvent reproduites à la fin du dix-septième siècle et au commencement du dix-huitième, l’attention refroidie ne s’est plus reportée que fugitivement sur un si important personnage. Voltaire a donné le signal du retour de l’opinion. Laharpe, enchérissant sur la malveillance dissimulée du maître, a fort maltraité Saint-Évremond. Lémontey n’a vu en lui qu’un homme de cour, qui daignoit faire des vers détestables ; et, de nos jours, un homme de beaucoup d’esprit a pu écrire qu’on ne s’expliquoit pas, à la lecture des ouvrages de cet écrivain, la renommée qui l’avoit entouré de son vivant.

Si l’enthousiasme de son siècle a été exagéré, l’oubli de la postérité ne seroit pas moins injuste. En ce temps, où le dix-septième siècle est l’objet de plus de curiosité, de plus d’intérêt, de plus de sympathie que jamais ; où l’histoire des hommes d’État, des philosophes, des poëtes, des grands écrivains, des femmes illustres de cette époque mémorable, est approfondie avec l’ardeur savante qu’un autre âge avoit consacrée à l’étude de l’antiquité grecque et romaine ; il semble que les œuvres et la personne de Saint-Évremond doivent trouver une heure de justice et de faveur. L’influence qu’il a exercée sur ses contemporains, le rang qu’il a tenu dans le monde et dans les lettres ; une disgrâce foudroyante, telle qu’on n’en voit que sous les gouvernements absolus, et qui dévoua sa vie à un exil de quarante années noblement supporté ; son style élégant, coloré, qui se ressent des origines de notre littérature, du goût italien et du goût espagnol ; la liberté de sa pensée, qui reflète l’allure indépendante de la première moitié du dix-septième siècle, et qu’on ne trouve plus que chez Molière, parmi les écrivains soumis à l’influence personnelle de Louis XIV ; son esprit ironique, délicat, ingénieux, précurseur de l’esprit de Voltaire ; sa manière piquante, que Fontenelle a souvent essayé d’imiter, sans l’avouer : tout doit protéger Saint-Évremond contre l’indifférence et l’oubli.

Du reste, il faut reconnoître que, parmi les causes qui ont fait perdre à Saint-Évremond la faveur dont il a joui, sa négligence même est pour beaucoup. Si la nature l’avoit doué du sentiment de l’art d’écrire, son indolence épicurienne l’a constamment éloigné de tout effort ; et la postérité en exige beaucoup pour arriver à elle : elle ne garde que les œuvres travaillées jusqu’à la perfection, même quand elles lui viennent du génie. Jeté de bonne heure dans la carrière des armes, il en subit l’inévitable conséquence. La composition n’étoit alors pour lui qu’un passe-temps. Même après sa disgrâce, elle n’obtint qu’une part de ses moments : l’autre et la meilleure étant donnée aux jouissances du monde. Saint-Évremond n’a jamais écrit que pour son délassement, ou pour plaire à ses amis. La liberté de sa plume est, il est vrai, un de ses charmes ; mais il en est resté inégal et négligé.

Un plus grand tort a été de n’accorder jamais à la publication de ses ouvrages l’importance qu’exige le soin de la publicité. Rarement les libraires tenoient les manuscrits de ses mains mêmes. Imprimés souvent, à son insu, en France ou en Hollande, après avoir couru, sur copie, les salons et les ruelles de Paris, comme c’étoit l’usage du temps, leur reproduction échappoit à la surveillance de l’auteur, empêché plus tard par l’exil, de se défendre contre les fraudes et les suppositions. Les libraires s’arrachoient les ouvrages présentés sous son nom, les arrangeoient comme ils vouloiont, et lui en supposoient, quand il n’en fournissoit pas. Il écrivoit à Ninon de Lenclos, en 1685 : « J’ai un grand désavantage, en ces petits traités qu’on imprime sous mon nom. Il y en a de bien faits que je n’avoue point, parce qu’ils ne m’appartiennent pas ; et, parmi les choses que j’ai faites, on a mêlé beaucoup de sottises, que je ne prends pas la peine de désavouer. À l’âge où je suis, une heure de vie bien ménagée m’est plus considérable que l’intérêt d’une médiocre réputation. »

On vendoit ces opuscules en forme de petits livrets, introuvables aujourd’hui. En 1668, Barbin en réunit, sans l’aveu de l’auteur, quelques-uns, en un volume rapidement épuisé. Il se donna une plus ample liberté, en 1670 et années suivantes ; et, enhardi par le succès, il y mêla du faux Saint-Évremond. Les contrefaçons hollandoises multiplièrent ces publications subreptices, malgré les réclamations de l’exilé, impuissant pour s’opposer à la reproduction de l’abus, non-seulement à Paris, mais à l’étranger. Est-il étonnant qu’à la longue, cet alliage fâcheux ait émoussé le goût du public abusé ? Les citations même qu’on a faites de ses ouvrages, de son vivant, pour autoriser l’emploi de certains mots, dans l’usage de la langue, sont empruntées à des éditions altérées, ou à des ouvrages faussement attribués à l’auteur ; par exemple, dans le Dictionnaire de Furetière.

Il est résulté de ces diverses causes, que, au rebours de ce qui se passe pour d’autres écrivains, les éditions anciennes de Saint-Évremond, et surtout celles qui ont été publiées en France, au dix-septième siècle et au commencement du dix-huitième, ne méritent, en général, aucune confiance, et n’ont aucune valeur. Elles sont composées, en partie, d’œuvres apocryphes ; et les œuvres authentiques qui s’y trouvent, sont falsifiées. L’altération est quelquefois grossière ; et l’on comprend, en effet, que les écrits philosophiques de Saint-Évremond n’aient pu obtenir licence d’imprimer et liberté de circuler, en France, sans de nombreuses corrections : l’auteur n’y a pris aucune part, et a toujours désavoué ces éditions. Ainsi donc, l’immense réputation que les salons avoient faite à Saint-Évremond n’étoit appuyée, pour un petit nombre de personnes, que sur une circulation manuscrite ; et pour la majorité du public, pendant tout le dix-septième siècle, que sur des compilations d’œuvres supposées ou altérées. C’est un phénomène littéraire, qu’il est curieux de constater.

Enfin, aux derniers jours de sa vie, cédant à de pressantes instances, Saint-Évremond consentit à préparer les matériaux d’une édition exacte de ses ouvrages véritables ; mais lorsque, après sa mort, deux amis dévoués à sa mémoire, et dignes d’ailleurs de toute confiance, par leur honnêteté, se sont appliqués, pour satisfaire à l’empressement du public, à faire imprimer la collection de ses œuvres originales ; Silvestre et Des Maizeaux, trop scrupuleux à leur office, ont grossi, sans choix et sans mesure, le nombre des productions qu’ils livroient à la publicité. Une foule de bluettes que Saint-Évremond auroit sagement laissé mourir dans l’oubli, ont été recueillies et ravivées ; et l’absence de critique de ses éditeurs a porté un nouveau tort à sa renommée. Saint-Évremond a été la victime de la passion des modernes pour les Œuvres complètes ; le médiocre y a nui, comme toujours, à l’excellent. Saint-Évremond, qui avoit judicieusement critiqué la compilation indiscrète des Œuvres de Malherbe, donnée par Ménage, et celle des Œuvres de Voiture, donnée par son neveu Pinchène, n’auroit pas, à coup sûr, approuvé que Silvestre et Des Maizeaux réunissent, à côté de chefs-d’œuvre qui assurent la gloire de son nom, tant d’insignifiants opuscules, fournis par des seigneurs anglois, qui avoient vécu, à Londres, dans l’intimité des salons fréquentés par notre auteur. Poussant plus loin encore la complaisance pour les curieux, Silvestre et Des Maizeaux ont voulu reproduire, à la suite des œuvres avouées, les œuvres supposées de Saint-Évremond ; de sorte que, sur les douze volumes de la bonne édition de 1753, il y en a six d’ouvrages apocryphes, qui, pour la plupart, ne supportent pas la lecture. Le remède à la falsification a donc été pire, peut-être, que la falsification même, parce que le public y a trouvé une nouvelle déception ; et la réputation du plus délicat et du plus spirituel des écrivains de ce temps-là est restée compromise par la sotte curiosité des éditeurs sincères de ses Œuvres.

Cependant, l’édition des Œuvres de Saint-Évremond, donnée à Londres en 1705, par Silvestre et Des Maizeaux, avoit produit cet avantage, de mettre le public en possession d’un texte correct et pur, collationné sur des originaux annotés et vérifiés par Saint-Évremond lui-même, et d’offrir la pensée vraie, avec la forme intacte, de cet écrivain aimable et fécond. Mais, lorsque cette leçon authentique a été publiée, elle n’a pu pénétrer en France qu’avec difficulté, à cause des doctrines philosophiques qu’on y trouvoit exprimées : les éditions falsifiées de Barbin avoient seules le privilège de la circulation libre et publique à Paris ; et plus tard, quand enfin les bonnes éditions ont pu se répandre avec plus de facilité, le temps avoit amené, dans l’opinion, un autre aspect des choses et d’autres goûts littéraires. L’élan philosophique et novateur emportoit alors les esprits. La critique fine et de bon goût de Saint-Évremond n’étant plus au niveau de l’audace du siècle, les éditions répandues alors de Silvestre et Des Maizeaux ont trouvé l’enthousiasme refroidi ; vainement essayoit-on de le réchauffer. Les voiles que la bienséance avoit jetés, au dix-septième siècle, sur les hardiesses du scepticisme épicurien, ne convenoient plus à la passion agressive du dix-huitième ; le langage respectueux et mesuré de Saint-Évremond condamnoit les témérités de l’école de Voltaire.

Quoi qu’il en soit, une ère de réparation semble être ouverte. M. Sainte-Beuve avoit donné, plusieurs fois, l’exemple d’une appréciation plus juste de Saint-Évremond, notamment dans l’Histoire de Port-Royal, à propos du spirituel d’Aubigny, un des amis les plus chers de notre auteur. Un des grands écrivains de notre époque n’a rencontré malheureusement que deux fois Saint-Évremond, sur son passage, dans ses études brillantes sur le dix-septième siècle ; mais, en le coudoyant, avec rapidité, il le reconnoît pour émule de la Rochefoucauld, et de la Bruyère même. Dès 1842, un article remarquable de M. Macé, publié dans la Revue des deux Mondes, avoit rappelé l’attention sur la personne et les écrits, si négligés alors, de notre philosophe. Depuis cette époque, M. Hippeau, dans des Œuvres choisies ; l’estimable historien de la Littérature françoise à l’étranger (1853), et l’auteur du volume piquant qui a pour titre, la Littérature indépendante et les écrivains oubliés (1862), ont suivi la même voie ; et l’équité veut que nous reconnoissions ce qui leur est dû à cet égard.

Saint-Évremond est, avant tout, l’homme de la délicatesse. Il est moins nerveux que la Bruyère, moins profond que la Rochefoucauld, mais il est plus délicat. Sa manière nous charme, parce qu’elle ne tourne pas à l’affectation, comme chez Fontenelle ; et sa sérénité nous enchante, parce qu’elle dévoile un cœur droit et bon, pour lequel on éprouve de l’attrait. Ne cherchez pas dans ses ouvrages la majesté simple et forte de Pascal, la magnificence entraînante de Bossuet, la limpidité délicieuse de Fénelon. Mais, si votre âme est sensible aux agréments de ce beau monde du dix-septième siècle, aux finesses ingénieuses de l’esprit de ce temps, et à l’expression gracieuse des sentiments, des opinions d’une société cultivée et choisie ; si votre philosophie s’accommode des analyses discrètes d’un sensualisme doux, civil, mesuré, en quelque sorte intime, et des conclusions indulgentes d’un scepticisme aimable et de bon goût, revêtues des formes les plus souples et les plus élégantes de la langue, Saint-Évremond sera votre auteur favori.

Bien qu’on lui reproche d’être inégal et négligé, il y a de l’art dans son style, et beaucoup d’art ; toutefois, son allure dégagée sent le gentilhomme, plutôt que l’homme de lettres. Il n’a jamais écrit à la façon d’un auteur de profession, avec le public devant les yeux ; mais par occasion, par complaisance, pour amuser sa société. La sollicitation, la curiosité, ou l’indiscrétion ont fait la publicité de ses ouvrages. Tels nous voyons les grands seigneurs et les grandes dames de cette époque, toujours la plume à la main, sans avoir l’air de se douter qu’il y a un art d’écrire, ni un métier d’écrivain ; et, en effet, ce qui distingue leurs ouvrages, c’est une teinte inimitable de simplicité négligente, et de bon goût naturel. Si Saint-Évremond est quelquefois un homme de lettres consommé, il s’applique à ne jamais le paroître.

Doué d’une heureuse flexibilité, tour à tour philosophe, historien, moraliste : la critique liltéraire et historique, la poésie légère, l’art épistolaire ont exercé son talent, avec un égal succès. Alliant le scepticisme de Montaigne au sensualisme d’Épicure, il a préparé les voies aux libres penseurs du dix-huitième siècle, tout en se préservant de leurs écarts. L’épicuréisme agréable qui se remarque en ses ouvrages, fut un des traits caractéristiques de la société françoise, sous la régence d’Anne d’Autriche. Il disoit lui-même, dans ses vieux jours et sous un ciel étranger, qui n’avoit point assombri ses idées :

J’ai vu le temps de la bonne régence :
Temps où régnoit une heureuse abondance :
Temps où la ville, aussi bien que la cour,
Ne respiroient que les jeux de l’amour.
        Une politique indulgente
        De notre nature innocente
        Favorisoit tous les désirs ;
        Tout goût paroissoit légitime ;
La douce erreur ne s’appeloit point crime ;
Les vices délicats se nommoient des plaisirs.

Après le triomphe du cartésianisme, Épicure conserva discrètement son empire, dans quelques salons de Paris, où se réunissoit le monde le plus lettré, le plus brillant, le plus poli. On retrouve même encore l’épicuréisme autour du trône du grand roi ; dans les habitudes et les conversations de seigneurs tels que les Créqui, les d’Olonne, les Clérembaut, les Ruvigny, les Lionne, les d’Albret et les Grammont, dont l’enjouement et l’esprit rappeloient à Louis XIV le souvenir du salon de la comtesse de Soissons, où il avoit passé de si beaux jours, dans sa jeunesse. Saint-Évremond a transporté cette philosophie en Angleterre, à la cour élégante et spirituelle de Charles II, et dans le salon de la duchesse Mazarin, dont il fut l’ami constant et dévoué, pendant vingt-cinq ans. Propagateur du scepticisme épicurien, dans ce grave dix-septième siècle, son rôle semble avoir été d’en répandre la doctrine dans la bonne compagnie. Il ne démontre pas à la façon des docteurs ; il ne tient pas école, mais il cause, il entraîne et l’on diroit que sa parole fait loi.

Nous devons à Des Maizeaux une vie fort étendue de Saint-Évremond, laquelle satisfit peu les contemporains, si ce n’est Bayle à qui elle est adressée. « Elle m’a paru mauvaise, froide, allongée, dit Marais ; ce n’est pas là l’homme qu’il nous faut, pour parler du plus grand homme du monde. » Toutefois, malgré sa sécheresse et ses défauts, cette biographie est encore le document le plus important que nous ayons sur l’histoire de Saint-Évremond. Des Maizeaux a puisé à d’excellentes sources ; il est véridique et sincère ; c’est à nous de compléter ce qui lui manque, en profitant des utiles matériaux qu’il nous a laissés : bien heureux de l’avoir pour guide, car Saint-Évremond n’a point laissé de Mémoires, quoique ce fût assez l’habitude des personnes de sa condition et de son temps, qui avoient joué un rôle dans le monde. Mais il n’avoit, disoit-il, pas de mystères politiques à révéler, et pas la moindre vanité d’entretenir les hommes de sa personne ou de ses affaires.

La famille qui lui donna le jour étoit une vieille et bonne race normande, aujourd’hui éteinte ; illustre au dix-septième siècle, par le rang, les emplois et les alliances. Elle étoit connue dans le monde, sous le nom de Saint-Denis, qu’elle avoit reçu de la châtellenie ou baronnie de Saint-Denis-le-Guast, située à trois lieues de Coutances, dans la basse Normandie, et dont elle avoit hérité des Martel-Bacqueville, qui la possédoient depuis le quatorzième siècle. Son nom patronymique étoit celui de Marguetel, qu’on écrit quelquefois Margastel, Margotelle ou le Marquetel, et qu’avoient porté avec honneur ses aïeux les plus reculés ; ce nom est inscrit, au treizième siècle, sur les rôles de l’échiquier de Normandie. La maison de Marguetel étoit divisée en plusieurs branches, dont une avoit alliance avec le comte de Tourville, le héros du combat de la Hogue. Par sa mère, Saint-Évremond étoit proche allié de maisons puissantes, dans la robe et dans l’épée, ainsi que dans le monde politique : les De Thou, les Rabutin, les Rouville ; par son aïeule, Diane de Tillières, il étoit parent si rapproché de la maison de Lorraine, que le duc Charles IV et la seconde épouse de Gaston, duc d’Orléans, avoient un aïeul commun avec lui, dans Tanneguy Leveneur, comte de Tillières, lieutenant général de Normandie, maréchal de France à brevet, mort en 1592. Sa mère, fille du surintendant des finances, marquis de Rouville, étoit cousine-germaine de notre ambassadeur en Angleterre, au temps de Charles Ier, Leveneur de Tillières, dont nous avons des Mémoires, et dont la postérité s’est éteinte dans la maison des ducs d’Harcourt. Son aïeule paternelle étoit du nom de Fontaine-Martel, famille ancienne en Normandie, illustrée à la cour, aux dix-septième et dix-huitième siècles ; et sa seconde aïeule du même côté, étoit un rejeton de la branche de Martel-Bacqueville, dont les deux héritières prirent leur époux, l’une chez les Rochechouart, et l’autre chez les Marguetel de Saint-Denis1.

Charles de Marguetel de Saint-Denis, sieur de Saint-Évremond, naquit le 1er avril 16102, au château de Saint-Denis-le-Guast, le troisième des sept enfants du seigneur de Saint-Denis, commandant des gendarmes de Henri de Bourbon, dernier duc de Montpensier et gouverneur de Normandie. Son aïeul avoit accompagné Henri III, en Pologne. Saint-Évremond reçut le nom qu’il a rendu célèbre, d’une terre dépendante de la seigneurie paternelle, Saint-Évremond-sur-l’Osin ; et il montra de si heureuses dispositions dès son enfance, qu’on l’avoit surnommé l’esprit, dans sa famille.

Sans être opulent, son père jouissoit d’une fortune convenable à son rang ; et, à sa mort, la légitime des cadets fut réglée à dix mille livres, plus une pension de deux cents écus : ce qui, pour le temps, et vu le nombre des enfants, ainsi que le régime alors usité dans les familles normandes, fait supposer un patrimoine considérable. Saint-Évremond, comme cadet, fut destiné à la magistrature. Après avoir reçu les premiers rudiments, au foyer paternel, il fut l’envoyé, vers l’âge de neuf ans, continuer ses études à Paris.


NOTES

1. Voy. le tableau généalogique ci-joint ; les Notices généal. indiquées dans le P. Lelong, t. III, p. 726-27 ; le P. Anselme, t. II, p. 408, t. VII, p. 630, et t. VIII, p. 211, 260 et 712 ; la Chenaye des Bois, t. IX, p. 563 et t. XII, p. 730 ; et les Grands rôles des échiquiers de Normandie, publiés par M. d’Anisy. Des Maizeaux, qui a rédigé ses notes généalogiques, d’après des mémoires à lui fournis par l’abbé Fraguier, a commis plusieurs inexactitudes que j’ai relevées. Voy. aussi la préface de Silvestre, dans le t. I de l’édit. de 1753.

2. Des Maizeaux a fait naître Saint-Évremond en 1613 ; mais c’est une erreur reconnue par Silvestre, t. Ier de l’édit. de 1753, p. 276 ; et Saint-Évremond lui-même nous a donné son âge, dans une lettre à Ninon, dont la date précise est assurée par un événement historique, celui de l’arrivée du duc de Tallard, en Angleterre, comme ambassadeur extraordinaire de Louis XIV, après la paix de Riswyck. Le duc est arrivé, en 1698, en même temps que le duc de Portland, ambassadeur du roi Guillaume, arrivoit à Versailles. Voy. M. de Flassan, Hist. de la diplomatie, t. IV, p. 178-180. Or, à cette époque, Saint-Évremond a écrit à Ninon, qu’il avoit 88 ans : assertion qui recule l’année de sa naissance à 1610. Voy. cette lettre, t. III, de notre édition, nº 112 de la Correspondance ; le porteur en fut l’abbé Dubois, plus tard cardinal, alors secrétaire d’ambassade du duc de Tallard, et l’un des jeunes habitués du salon de Ninon, laquelle avoit alors, elle-même, 78 ans.