Histoire de la vie et des ouvrages de Saint-Évremond/Chapitre XII

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XII. Catastrophe de Fouquet. — Disgrâce de Saint-Évremond. — Son exil.
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CHAPITRE XII.
Catastrophe de Fouquet. — Disgrâce de Saint-
Évremond. — Son exil.

J’ai déjà parlé du séjour de la reine Christine de Suède à Paris, en 1656. Elle y fut l’objet de toutes les curiosités, et le sujet de toutes les conversations. On ne tarissoit pas sur son abdication, sur son savoir, et sur l’étrangeté de ses habitudes, si opposées à celles de la société françoise : et les jugements qu’en portaient les salons étaient fort divergents. Les entretiens, à ce sujet, étaient partout très-animés, et donnoient lieu, quelquefois, à des scènes singulières. De ce genre fut une dispute, née probablement chez le commandeurde Souvré, entre le comte de Bautru1, un précieux qui visoit à l’érudition, et le commandeur de Jars2, un bourru qui avoit le piquant esprit des Vivonne : l’évêque du Mans, ce scandaleux Lavardin que l’on connoît, tenta d’apaiser la querelle. Saint-Évremond, qui étoit présent, trouva l’affaire si plaisante, qu’il en fit une relation intitulée : de l’Éducation et de l’ignorance, et l’envoya au comte d’Olonne, alors éloigné de Paris. On la peut voir dans notre second volume. C’est un petit drame récité, charmant, et d’un goût achevé. Bautru y fait l’éloge de la science, en général, et de Christine, en particulier, comme un vrai précurseur du philosophe Citophile de Voltaire. Le commandeur, avec sa brusquerie spirituelle, prend le parti de l’ignorance, et en fait un éloge qui a été cent fois amplifie, sans qu’on y ait rien ajouté de nouveau. Survient le prélat conciliateur qui, voulant accorder tout le monde, et ravi de trouver une occasion d’étaler sa faconde, tousse trois fois avec méthode, commence un discours qui met en fuite l’assemblée, et se retire avec un profond mépris des autres et une intime satisfaction de lui-même.

Peu après, eut lieu le combat à l’épée de Saint-Évremond avec le marquis de Fores, ou de Fors, frère de Mlle de Vigean3, qui avoit commandé un corps de cavalerie à la bataille de Lens, et qui tenoit un rang dans la société parisienne. Nous n’avons aucun détail, sur l’origine et sur les circonstances de cette rencontre, restée secrète, à raison de la sévérité des ordonnances, laquelle, malgré le mystère observé, obligea Saint-Évremond à se retirer momentanément en lieu sûr, par mesure de prudence, et pour avoir le temps d’obtenir son pardon. Cette rigueur des lois n’étoit qu’un frein léger contre la fureur des duels, toujours persistante, parmi la noblesse. L’éducation elle-même y préparoit ; car, le principal exercice des Académies étoit celui de l’escrime. Saint-Évremond, sans être bretteur, comme M. de Lenclos, excelloit cependant à manier l’épée. Tout jeune encore, il avoit inventé cette passe d’armes, qu’on appeloit la Botte de Saint-Évremond. Aucune répression ne put arrêter la frénésie des duels, dont l’habitude s’identifioit, dans l’opinion, avec le point d’honneur. L’échafaud de Boutteville4 ne détourna point son fils ni son petit-fils de se battre, et l’exemple du baron de Chantal n’empêcha pas le duel du marquis de Sévigné.

L’audace et la fréquence des rencontres, à cette époque, passe toute croyance. On ne comptoit pas de semaine où il n’y eût d’événements de ce genre. En plein jour, en plein Pont-Neuf, dans le jardin du Palais-Royal, au jardin de Renard, à la place Royale, quelquefois au sortir d’un salon, les duellistes ensanglantoient le sol. Les curieux s’écartoient pour laisser le champ libre aux combattants, et les protégeoient souvent contre les officiers du roi. On estime que plus de 4000 nobles périrent par les duels sous la minorité de Louis XIV. Quelquefois ces duels étoient des batailles, comme celui de 1652, et le duel des six. Parfois, c’étoient des scènes dramatiques, comme le duel de Laboulaye et de Choisy, au milieu desquels la duchesse de Châtillon vint se jeter, avec une intrépidité qui fit poser les armes aux combattants. On sait que sous le règne de Louis XIV, plusieurs fois de grandes dames se battirent en duel pour un amant. Ce fut pendant la retraite de Saint-Évremond, à la suite de son affaire avec M. de Fors, qu’il composa le gracieux Discours sur les plaisirs, adressé au comte d’Olonne, dont il s’attachoit ainsi à cultiver l’amitié, afin de dissiper peut-être les soupçons jaloux que nous connoissons. La mort du duc de Candale, et la Conversation que Saint-Évremond a consacrée à sa mémoire, sont de ce même temps (1658).

Délivré de crainte au sujet du duel, Saint-Évremond servit en Flandre jusqu’aux premiers jours du mois de mai 1659, où fut conclue la suspension d’armes, qui a été suivie de la signature de la paix des Pyrénées, le 7 novembre de la même année. On sait qu’après que les articles préliminaires furent réglés, le cardinal Mazarin partit de Paris, en superbe équipage, pour aller terminer lui-même les négociations qu’avoient ébauchées M. de Lionne5 pour la France, et don Louis de Haro pour l’Espagne. Le cardinal se fit un cortège des principaux personnages de la cour ; et de ce nombre fut Saint-Évremond, qui ne partit point sans promettre au marquis de Créqui6, son ami, alors lieutenant général, maréchal en 1668, de lui rendre compte de ce qu’il verroit et entendroit de ces fameuses conférences qui ont précédé le traité de 1659, et le mariage de Louis XIV, objet tant désiré de la politique de Mazarin. C’est ce fatal engagement de l’amitié qui a dicté l’un des plus hardis pamphlets de Saint-Évremond, amené sa disgrâce, et provoqué un exil qui a duré jusqu’à sa mort. En effet, après la signature de la paix, Saint-Évremond, mémoratif de sa promesse, écrivit à M. de Créqui cette Lettre sur la paix des Pyrénées, qui nous est restée : monument remarquable de la diversité des appréciations humaines à l’égard des grands événements de l’histoire.

Le traité des Pyrénées a été jugé, par nous, modernes, comme habile et avantageux, parce qu’il a eu pour résultat immédiat un agrandissement de territoire, qui a fortifié et complété, vers les Pyrénées, la frontière de la France ; et parce qu’on y a conclu le mariage du roi, qui promettait, dans l’avenir, un accroissement de puissance à la monarchie françoise. Mais les contemporains, ou du moins la bonne part d’entre eux, ne l’ont pas jugé du même point de vue. La noblesse francoise, accoutumée à guerroyer, a reçu la paix avec un sentiment de regret très-prononcé ; elle ne voyoit pas de raison nationale de finir la guerre. La France était victorieuse en Flandre et en Catalogne ; l’Espagne étoit ruinée et avoit perdu tout prestige militaire ; l’opinion générale étoit qu’il falloit aller jusqu’au bout, et profiter d’une si grande supériorité, pour s’assurer au moins les Pays-Bas espagnols, qu’on avoit manqué d’acquérir à la paix de Westphalie. La nation, remise de ses misères du temps de la Fronde, ne désiroit donc pas la paix, et des hommes aussi considérables que M. de Turenne partageoient ce sentiment. Telle étoit aussi l’opinion de Saint-Évremond. Mais le cardinal Mazarin voyoit les choses autrement. On lui avoit reproché d’avoir perdu la partie, par une inflexible exigence, à Munster ; et il craignit de s’attirer une seconde fois la même accusation. Avec onze ans de plus qu’à Munster, il sentoit décliner une santé délabrée. L’acquisition pacifique et prochaine des Pays-Bas espagnols, par la voie d’un mariage, lui parut préférable à leur possession violente et actuelle, par la seule force des armes.

L’espérance de Mazarin ne s’est point, à ce sujet, réalisée, et le prétendu droit de Dévolution n’a pas produit ce qu’on avoit attendu. La dynastie de Louis XIV a gagné plus tard une couronne, à cette affaire, après une guerre désastreuse ; mais la France y a perdu, pour toujours peut-être, la conquête des Pays-Bas, que l’Angleterre des Stuarts n’auroit pas songé à contester, et que la Hollande isolée étoit alors incapable d’empêcher. L’opinion de la France militaire, en 1659, étoit peut-être la meilleure ; mais le jugement général de la postérité ne l’a pas confirmée. Quoi qu’il en soit, la signature de la paix froissa un sentiment public, mal éclairé si l’on veut, très-manifeste, à coup sûr. Saint-Évremond s’en fit l’organe jusqu’à la passion ; il voulut croire qu’il y avoit de l’intérêt et du mystère dans la conduite du cardinal ; il adressa donc au marquis de Créqui une satire aussi ingénieuse que mordante ; non destinée, sans doute, à la publicité, mais qui faisoit voir que Mazarin avoit sacrifié l’honneur et les intérêts de la France à de vaines appréhensions de troubles intérieurs, et à de solides considérations d’avantage personnel. La conservation et l’accroissement de sa fortune avoient été les principaux mobiles de sa résolution. D’habileté, Saint-Évremond n’en voyoit nulle part ; il exagéroit, avec esprit, ce thème du cardinal de Retz, que le fort de M. le cardinal Mazarin avoit toujours été de Ravauder. Tout cela étoit assaisonné d’une raillerie acérée, et de cette ironie voisine du mépris, moins délicate, peut-être, que celle qu’on admire dans la Retraite du duc de Longueville, mais plus caustique et plus blessante ; et les conjectures de l’auteur sembloient d’autant plus vraisemblables, que Mazarin étoit plus décrié, à l’endroit de l’argent, et qu’à la paix de Munster, on lui avoit fait des reproches non moins bruyants, ainsi qu’on le peut voir dans les Mémoires de Guy-Joly7.

Le marquis de Créqui n’avoit montré qu’à quelques amis sûrs, tels que le maréchal de Clérambaut8, les confidences de son correspondant ; mais, peu de temps après le traité des Pyrénées, un autre grand événement vint surprendre les contemporains, et entraîna la perte de Saint-Évremond : je veux parler de la disgrâce de Fouquet. Comment Saint-Évremond a-t-il été compromis dans la catastrophe du surintendant ? Le voici.

Saint-Évremond avoit jadis connu Fouquet, en Flandre et en Guienne, ainsi que nous l’avons fait remarquer9 ; et ces premières relations de fournitures militaires s’étoient converties en une affection personnelle, dont il reste le témoignage touchant dans une page d’exquise amitié, que nous avons aussi rappelée, et dont on a vainement contesté l’application à Fouquet. Mais un lien plus étroit, et d’un autre genre, unissoit Saint-Évremond le philosophe et Fouquet le financier. Celui-ci avoit une amie intime, dévouée et connue dans Mme du Plessis-Bellière, mère de la marquise de Créqui. Par les Créqui, Saint-Évremond étoit entré dans l’amitié de Mme du Plessis, presque aussi avant que Fouquet lui-même. C’étoit, au jugement de l’annotateur de Dangeau (Saint-Simon), « une des femmes de France qui, avec de l’esprit et de l’agrément, avoit le plus de tête, le courage le plus mâle, le secret le plus profond, la fidélité la plus complète, et l’amitié la plus persévérante. Elle souffrit la prison la plus rigoureuse, les menaces les plus effrayantes, et enfin l’exil le plus fâcheux, à l’occasion de la chute de M. Fouquet, et acquit une estime, même de leurs communs persécuteurs, qui se tourna à la fin en considération, sans avoir cessé d’être, jusqu’au bout, la plus ardente et la plus persévérante amie de M. Fouquet, à travers les rochers de Pignerol, et à la connoissance du public, et de leurs communs amis. » En outre de ces relations, Saint-Évremond voyoit beaucoup Mme Fouquet, l’épouse du surintendant : autre femme d’un esprit charmant et d’un commerce fort aimable ; honorée, en tout temps, de Mme de Sévigné, alors sa voisine de la rue Saint-Anastase ; affectionnée surtout de Mme Scarron, qui avoit inspiré, à la surintendante, un goût très-vif, au sujet duquel le cynique époux de Françoise d’Aubigné a même écrit à Mme Fouquet des impertinences, qu’on étoit convenu de passer au licencieux paralytique.

Or, le cardinal Mazarin étoit mort dans les premiers mois de l’année 1661 ; et non-seulement le roi avoit résolu de ne pas lui donner Fouquet pour successeur, comme l’avoit rêvé ce dernier, et un sot public avec lui, mais encore le roi avoit, dans son âme, décidé la ruine du surintendant, dont les prévarications le révoltoient, et dont certaines prétentions personnelles l’avoient secrètement mais très-vivement offensé. Donc, vers la fin du mois d’août, le roi prit le prétexte d’un voyage en Bretagne, pour mieux assurer, loin de Paris, l’exécution de ses desseins sur Fouquet, lesquels devoient se réaliser à Nantes. Saint-Évremond fut nommé pour accompagner le roi ; et, avant de partir, il porta chez Mme du Plessis-Bellière, qui n’étoit pas du voyage, une cassette qu’il lui remit en dépôt, et où il y avoit de l’argent, des billets, et ses papiers les plus importants. Fouquet ayant été, comme on sait, arrêté le 5 septembre, fut conduit d’abord au château d’Angers, plus tard à la Bastille ; et l’on ne se borna pas, après son arrestation, à enlever chez lui les papiers qu’on put trouver : on mit encore les scellés chez toutes les personnes qu’on croyoit avoir été dans ses confidences. Mme du Plessis-Bellière n’y fut pas oubliée.

On découvrit chez elle, ce qu’on ne cherchoit pas, la cassette de Saint-Évremond, qui fut ouverte, comme pouvant intéresser Fouquet, et dans laquelle étoit, en manuscrit original, la Lettre sur la paix des Pyrénées. Ni Colbert ni le Tellier n’étoient amis de Saint-Évremond : la tournure de leur esprit ne pouvoit s’accorder avec le sien. Il étoit gentilhomme, ils étoient gens d’affaires ; il étoit bel esprit épicurien, ils étoient pédants ou dévots, et de plus les élèves et les héritiers politiques de Mazarin ; et ils affectoient pour sa mémoire un profond respect, qu’ils n’avoient pas toujours montré pour sa personne en son vivant. Ils mirent sous les yeux du roi cette lettre maldisante10, qui lui fut lue et commentée, de telle sorte que la chose parut un crime d’État. Le roi dut facilement, en effet, se laisser aller à la colère en voyant un écrit où il se pouvoit croire outragé, puisque son mariage y étoit présenté comme une trahison des intérêts nationaux ; et qui, en outre, lui rappeloit les pamphlets de la Fronde contre sa mère et le Sicilien. Que Colbert y ait mis de la passion, on n’en sauroit douter, car il opposa, de tout temps, une résistance opiniâtre à l’amnistie de Saint-Évremond, sollicitée à plusieurs reprises par MM. de Lionne, par les Grammont et autres amis illustres de notre auteur. La trop habile Mme de Maintenon ne s’en inquiéta jamais, pas plus que de Mme Fouquet. Colbert étoit, aux yeux du public, un grand ministre ; mais, dans le privé, une petite vertu. Sa fortune, pour être moins scandaleuse que celle de Fouquet, n’en est pas moins fort reprochable ; et ce soin dont il se chargeoit, en compagnie de Mme Colbert, son épouse, de faire accoucher, en secret, les maîtresses du roi : la tendre la Vallière d’abord, puis l’altière Montespan, est peu digne d’un homme honnête et délicat. Mais l’abaissement des caractères est un des plus fâcheux effets du pouvoir absolu ; et un jour arrive où nul ne sait plus résister au maître, quoi qu’il demande.

Saint-Évremond, après le désastre de Fouquet, avoit quitté la cour, et, sans se douter des visites domiciliaires pratiquées à Paris, il s’étoit retiré dans une terre du maréchal de Clérambaut, pour se livrer librement à ses regrets. Il fut averti que l’ordre étoit donné de l’arrêter, par Gourville, qui lui envoya un homme de confiance, lequel le rencontra dans la forêt d’Orléans, revenant à Paris en toute sécurité, avec le maréchal. L’avertissement lui fit rebrousser chemin : c’est Gourville qui nous apprend ces détails dans ses Mémoires ; et il paroît même que ce fut sur les conseils réitérés de cet ami que Saint-Évremond se mit en sûreté, d’abord en Normandie, où il resta caché pendant quelque temps ; puis, ayant acquis la certitude qu’on avoit résolu de l’enfermer à la Bastille, il se rapprocha secrètement de la frontière, sur la fin de l’année 1661, et préférant l’exil à la prison, il prit refuge à l’étranger. À ce sujet, Voltaire nous dit que de mille écrits faits contre le cardinal, le moins mordant fut le seul puni, et le fut après sa mort. La première partie de la remarque n’est pas juste ; car pour être exempte de violence et de grossièreté, la Lettre de Saint-Évremond n’en est pas moins vive et piquante. Mais il est vrai que les mazarinades impudentes de Scarron et de Marigny furent pardonnées, et que la mazarinade élégante et polie de Saint-Évremond ne le fut pas.

Saint-Évremond s’est souvenu avec une douce mélancolie, dans son fragment sur la Retraite, de ce dernier mois qu’il a passé dans la société intime du maréchal de Clérambaut, son ami. « À la prison de M. Fouquet, dit-il, M. le maréchal de Clérambaut avoit la tête remplie de ces imaginations de retraite. Que l’on vivrait heureux, me disoit-il, en quelque société où l’on ôteroit à la fortune la juridiction qu’elle a sur nous ! Nous lui sacrifions, à cette fortune, nos biens, notre repos, nos années, peut-être inutilement ; et, si nous venons à posséder ses faveurs, nous en payons une courte jouissance, quelquefois de notre liberté, quelquefois de notre vie. Mais quand nos grandeurs dureraient autant que nous, elles finiront du moins avec nous-même. Et qu’ont fait des leurs ces grands favoris qui n’ont jamais vu interrompre le cours de leur fortune ? Ne semblent-ils pas n’avoir acquis tant de gloire et amassé tant de biens que pour se préparer le tourment de ne savoir ni les quitter ni les retenir ? C’étaient là ses entretiens ordinaires, un mois durant que je fus avec lui ; et ce courtisan agréable, dont la conversation faisoit la joie la plus délicate de ses amis, se laissoit posséder entièrement à ces sortes de pensées, quelquefois judicieuses, et toujours tristes. »

Saint-Évremond chercha premièrement un asile en Hollande, ensuite en Angleterre. Nous savons l’inutilité des efforts tentés pour obtenir sa grâce. Le roi fut inflexible pendant plus d’un quart de siècle ; et lorsque, à la veille de la guerre de 1689, on fit savoir au banni qu’il pouvoit retourner dans sa patrie, le philosophe, déjà vieux, répondit qu’il étoit un peu tard, et préféra finir ses jours sur la terre hospitalière, où il avoit trouvé sa sûreté, entouré d’honneurs et d’affections. Voltaire, dans le Siècle de Louis XIV, a rendu hommage au noble caractère déployé alors par Saint-Évremond. Mais il laisse soupçonner une cause secrète de disgrâce autre que celle de la Lettre sur la paix des Pyrénées. Cette conjecture n’a aucun fondement plausible, à moins qu’on ne veuille croire que Saint-Évremond a été poursuivi, en outre de sa fameuse Lettre, comme auteur présumé de quelque écrit apologétique en faveur de Fouquet11. Il en parut beaucoup, sans nom d’auteur, à cette époque, et l’on en peut voir bon nombre dans les papiers de Conrart. Mais aucun d’eux n’a jamais été, sérieusement du moins, attribué à Saint-Évremond. Il n’y en a trace nulle part, et c’est une erreur de quelques biographes d’avoir avancé que Saint-Évremond avoit écrit en faveur de Fouquet : il aurait craint, très-justement, de le compromettre davantage. Un sonnet médiocre, mais violent, contre Colbert, et composé par Hesnault, a cependant passé, un moment, pour être de notre auteur12.

La disgrâce a grandi et honoré Saint-Évremond, car il n’a maudit ni son pays, ni son roi, comme Saurin, et il ne s’est point humilié comme Bussy ; mais la triste réalité de l’exil n’en a pas moins été, pour lui, douloureuse et funeste. La proscription n’en a pas moins privé Saint-Évremond du libre commerce avec le public François, qui lui étoit si sympathique, et auquel seul son esprit pouvoit s’adresser naturellement. À la cour de Charles II, il a sans doute retrouvé des mœurs, des goûts et une politesse qui lui rappeloient la cour de France ; et l’aristocratie émigrée à la suite des Stuarts, qui revenoit de l’exil, avec son prince, au moment même où Saint-Évremond y étoit condamné, lui a rendu, en Angleterre, la généreuse hospitalité qu’elle avoit reçue, en France, de la société parisienne, dont notre fugitif étoit l’ornement. Mais, malgré ces hasards réparateurs, et ces chevaleresques procédés, la vérité des choses ne changeoit point pour Saint-Évremond : il étoit proscrit. À la cour de Louis XIV, il fut tenu pour mort, et ceux qui voulurent plaire ne prononcèrent plus son nom. Parmi les hommes de lettres en faveur, il se trouva de bas courtisans de la fortune, qui s’appliquèrent, pendant longtemps, à effacer le souvenir de notre auteur de la publicité, ou du moins à l’amoindrir. Corneille et la Fontaine furent fidèles. Mais Racine s’est borné à une froide lettre de remercîment, au sujet de l’Alexandre ; et Boileau n’a pas épargné à Saint-Évremond une rudesse peu magnanime.

En 1668, Barbin put laisser deviner le nom de Saint-Évremond, en tête d’un volume, et dix ans plus tard, y mettre son nom tout entier ; mais on diroit que ce fut à la charge d’altérer certains textes, et d’en supposer d’autres. Uu abbé Pic a exercé l’industrie de ces manipulations. Jusque-là, ces ouvrages ne se vendoient qu’à la dérobée, toujours imprimes à l’étranger. La liberté des salons, et le retentissement de la renommée, en Angleterre et en Hollande, les deux seuls pays libres de l’Europe, sauvèrent Saint-Évremond d’un oubli complet, dans sa patrie. L’esprit est le plus difficile des révoltés à réduire ; aussi Louis XIV n’aimoit-il que l’esprit soumis. Or, l’esprit avoit pris parti pour l’exilé, contre le roi. La société polie fut la sauvegarde, la forteresse imprenable du banni. Autour du roi lui-même, des amis s’honorèrent par leur constance. Le comte de Grammont fut admirable, Créqui noble et ferme, la Rochefoucauld convenable, le comte d’Olonne parfait, et du meilleur goût. Quelques femmes, parmi les plus spirituelles et les plus belles : une entre autres, et la plus célèbre, donnèrent l’exemple d’un inviolable dévouement à Saint-Évremond. Mais tout cela n’étoit point la France ; et, au long aller de l’absence, Saint-Évremond s’est trouvé comme privé de participation active à l’évolution littéraire qui s’accomplit dans son pays. Il est facile de voir, en le lisant, qu’il a gardé la couleur et le cachet d’une autre époque. La colère royale, en l’éloignant de la France, l’a exclu de tout un règne glorieux. Son esprit est donc resté celui de la régence d’Anne d’Autriche : la postérité ne s’en plaint pas aujourd’hui ; mais, l’épicuréisme n’étant plus à la mode, sous le gouvernement personnel de Louis XIV, Saint-Évremond est apparu, pour ainsi dire, comme un rêveur du temps passé, à la foule toujours si nombreuse qu’entraîne le mouvement du flot contemporain. On distingue bien, à travers une allusion de la Bruyère lui-même, que Saint-Évremond est, à ses yeux, un esprit singulier, et presque suranné. Quant au langage, il avoit pris, de son côté, un autre tour, une autre forme, une autre allure, pas toujours meilleure peut-être, mais saisissable à tout connoisseur ; Saint-Évremond a dû attendre d’une réaction tardive, qui date presque de la fin du siècle, de la paix de Riswyck, le retour de faveur, et de liberté de relations, dont il a joui de son vivant, en France.

Aussi, malgré la réputation de leur auteur, les ouvrages de Saint-Évremond n’ont point eu de véritable popularité françoise. Les éditions en ont été multipliées à l’étranger, noyées dans un mélange incroyable d’œuvres apocryphes ; et un petit nombre de lecteurs françois a été familier avec elles. On se les passoit, comme une rareté, comme une curiosité ; mais le vrai public y avoit peu de part. On lit, en tête de l’édition hollandaise de 1699, ces paroles que l’éditeur emprunte, en partie, aux préfaces précédentes de Barbin : « Voici une nouvelle impression des Œuvres de M. de Saint-Évremond, augmentée de plusieurs pièces curieuses, que le public n’a point encore vues, et que j’ai retirées des mains de quelques personnes de qualité, à qui il les avoit lui-même données. Tout le monde connoit la beauté du génie de M. de Saint-Évremond. Son nom suffit pour donner de la réputation aux ouvrages d’esprit ; et ceux-ci le portent à plus juste titre que plusieurs autres qu’on lui a attribués, et qui ont eu cependant beaucoup de cours, par cette heureuse prévention. Ceux qui savent combien les curieux ont de peine à se dessaisir des moindres ouvrages qui sont partis de sa plume, demeureront d’accord qu’il n’a pas fallu peu de soin pour en ramasser un aussi gros volume que celui-ci… Je ne dissimulerai point que, parmi le grand nombre de pièces qu’on m’a données, comme véritablement de lui, il y en a quelques-unes qui m’ont paru douteuses, etc. »

L’universalité de la langue françoise a procuré plus de succès, à ces ouvrages, hors de France, qu’à Paris même, où l’auteur, ne pouvant ni jouir ni profiter de la faveur populaire, ne l’a ni recherchée, ni cultivée. L’estime qu’il a obtenue, dans les régions élevées de l’esprit françois, n’est point descendue dans la zone inférieure du public proprement dit ; il faut reconnoître, d’ailleurs, que la nature des ouvrages de Saint-Évremond s’y prêtoit peu. Il est donc demeuré, pour la masse de ses compatriotes, et surtout pendant la guerre de dix ans qui a suivi l’avènement de Guillaume d’Orange au trône d’Angleterre, presque à l’état d’écrivain étranger ; et comme, par des raisons que nous avons indiquées, la philosophie du dix-huitième siècle ne lui a pas été très-sympathique, bien que Saint-Évremond lui fût frayé la voie : les suffrages d’admiration que lui donnoient, à cette époque, ceux qui l’avoient connu, entendu et lu, n’ont eu qu’un foible écho dans les générations qui leur ont succédé. Les Anglois l’ont enseveli à Westminster, au milieu de leurs grands hommes ; Bayle l’a préconisé avec un enthousiasme qui a eu Voltaire pour censeur ; Saint-Évremond étoit encore un personnage pour la Bruyère ; Vauvenargues ne se doute plus de son existence.

En s’éloignant de la scène mouvante de son pays, Saint-Évremond avoit laissé la place libre à des écrivains qui s’exerçoient déjà dans les genres divers de littérature, dont le règne de Louis XIV a fait sa gloire. La Lettre sur la paix des Pyrénées annonçoit l’esprit politique auquel on a dû, plus tard, les Réflexions sur les divers génies du peuple romain. Mais la place d’un homme éminent, qui disparoît du monde, est plutôt prise qu’on ne pense : mal, il est vrai, très-souvent, mais enfin elle est prise, et le monde poursuit son chemin. Ainsi, par son exil de France, et malgré l’éclat dont son talent a brillé dans un pays voisin ; malgré la renommée qu’il conserva, dans un certain cercle de personnes distinguées, à Paris ; Saint-Évremond, il est triste de l’avouer, a pour ainsi dire cessé de compter, pour un temps, dans la société françoise qu’il avoit honorée ; il n’a plus joué de rôle actif dans son pays, dont il a été séparé par toutes sortes d’événements et d’accidents, et à tout le moins par des difficultés de communications, alors bien autres qu’aujourd’hui. Son honnêteté même a contribué à compléter l’effet de son bannissement. On ne le trouve mêlé à aucune des intrigues ourdies par les réfugiés, soit en Hollande, soit en Angleterre. À la révocation de l’édit de Nantes, il revoit de vieux amis, tels que les Ruvigny13, fugitifs comme lui, mais il demeure étranger à leurs ressentiments. Il est donc resté un émigré très-regretté, objet de quelques attachements, objet de beaucoup plus d’oublis.

Et cependant loin de se laisser abattre, son esprit s’est élevé davantage. En butte à la colère d’un roi, il est demeuré calme, résigné, respectueux. Il écrit au marquis de Créqui, qu’après avoir vécu dans la contrainte des cours, il se console d’achever sa vie dans la liberté d’une république, où s’il n’y a rien à espérer, il n’y a du moins rien à craindre. Il étoit alors en Hollande. Ses sentiments ne changèrent pas, en Angleterre. Son talent, soutenu par sa sérénité naturelle, a pris même, au sein de la civilisation britannique, où il a passé le reste de ses jours, une indépendance et une direction, qui sans rien avoir jamais de ce qu’on est convenu de nommer l’esprit ou le style réfugié, se ressent tout à la fois, pourtant, de la liberté politique qui lui sert de refuge, et du caractère particulier de la littérature angloise, au dix-septième siècle. Il sera le précurseur de Montesquieu, dans l’histoire politique des Romains ; et dans le domaine de la littérature, dans la poétique théâtrale spécialement, il prendra les devants sur la critique françoise de son temps. Voilà des qualités nouvelles d’intelligence et de goût, que l’exil a développées chez Saint-Évremond, et qui en ont fait, de plus en plus, un esprit à part, dans notre histoire littéraire. Aussi, quoique perdu pour le commun, il a excité peut-être une plus grande admiration auprès du petit monde d’hommes indépendants et délicats qui ont pu l’apprécier. Il régnera toujours dans le salon de la rue des Tournelles ; et vers la fin du long règne de Louis XIV, au crépuscule de la réaction du dix-huitième siècle, on s’arrachera de nouveau les petits ouvrages de Saint-Évremond. La correspondance de Mathieu Marais nous est témoin de cette recrudescence de faveur : « J’ai lu, dit cet avocat chroniqueur à Mme de Mérignac, la Vie de Saint-Évremond, par Des Maizeaux (1709), qui m’a paru mauvaise, froide, allongée. Ce n’est pas là l’homme qu’il nous faut, pour parler du plus grand homme du monde. »

À ce petit nombre de lecteurs, Saint-Évremond offroit le charme d’une liberté de manière et de pensée qui sembloit avoir disparu de la prose françoise depuis 1660, pour faire place, sans doute, à d’autres grandes qualités, mais qui accusoient trop, peut-être, la règle et la contrainte. Cette liberté, restée au fond des cœurs d’élite, n’avoit plus alors que Saint-Évremond pour interprète. Puis, quand elle fut dépassée ; quand l’esprit eut porté plus loin sa passion, ses efforts, ses facultés, une sorte de nouvel exil est venu frapper Saint-Évremond, dont la modération ne répondoit plus à l’entraînement général. C’est surtout la poésie légère de notre auteur que Voltaire poursuit ; c’est là ce qui le blesse le plus, en apparence, dans la réputation de Saint-Évremond ; mais au fond, ce qu’il veut frapper, c’est le philosophe calme, bienséant, réservé, dont tous les écrits contrastoient avec les emportements sans limite du nouveau chef de la philosophie.

Voltaire qualifie justement l’abbé de Chaulieu, en l’appelant le premier des poëtes négligés. Mais cependant, en lui donnant le pas sur Saint-Évremond, dans le Temple du goût, Voltaire manque d’équité. Quelle pièce de vers a survécu à cet abbé si souvent en goguette, et si voisin de Grécourt : aimable et spirituel, sans doute, mais d’un goût si souvent hasardé ! Quel ouvrage de Chaulieu peut entrer en parallèle avec cette épître charmante de Saint-Évremond, dont tout esprit orné connoît les rimes agréables :

J’ai vu le temps de la bonne régence, etc.

Voltaire lui-même a-t-il rien de plus fin que ces vers à l’Homme sur le retour :

Qu’il te faut d’art avec des belles
Que tu veux tendres et cruelles !
Que d’art à vaincre les rigueurs !
Que d’art à borner les faveurs !

Saint-Évremond, négligé comme Chaulieu, demeure le maître de ce dernier, qui du reste lui fait hommage, en toute occasion. C’est pourtant dans cette partie des œuvres complètes de notre auteur que nous avons le plus sacrifié au choix. En général ces bluettes auxquelles Saint-Évremond n’attachoit aucune importance, n’avoient pas été composées pour la publicité. Elles n’avoient qu’une valeur de salon, qui est perdue pour nous.

Ce n’est pas là qu’est la gloire de Saint-Évremond. Ce qui le distingue éminemment, c’est sa prose ; c’est l’admirable équilibre de son jugement dans le choc des opinions ; c’est le tour constamment spirituel, quoique un peu travaillé, de sa pensée ; c’est son langage, qui, malgré l’art qu’il révèle, n’emprunte jamais qu’une expression simple ; c’est la délicatesse de son goût, qui tire son charme de la délicatesse du sentiment ; c’est la finesse de sa critique, laquelle arrive mainte fois à une raison supérieure ; c’est enfin une certaine qualité d’esprit politique, qu’on ne trouve que chez lui au dix-septième siècle. Il y a tel chapitre de ses Réflexions sur les divers génies du peuple romain, que Bossuet ou Montesquieu n’ont point surpassé. Quelle impartialité profonde, dans sa lettre à M. Justel, sur les affaires religieuses du temps ! Voyez encore un ouvrage de lui presque inconnu : Son Discours sur les historiens françois. Quelle précision d’analyse ! quel sens profond ! quelle sûreté de trait quand il dessine les caractères des capitaines contemporains, et qu’il expose le rôle de la passion dans les affaires humaines ! Il y a là des pages qui rappellent la manière du cardinal de Retz, auquel il n’est pas inférieur ; sans parler de ce vrai chef-d’œuvre de la Retraite de M. de Longueville, qui, pas plus que la Conversation du maréchal d’Hocquincourt, n’a rien de plus élégant dans notre langue.

Saint-Évremond, en partant pour l’exil, a laissé la réputation d’un gentilhomme indépendant, que son éducation et son esprit avoient fait homme de lettres. Mais quelle différence entre Saint-Évremond et l’homme de lettres, proprement dit, du dix-septième siècle ! et l’homme de lettres que le grand seigneur courtise au siècle suivant !

Le gentilhomme, élève de Montaigne, tient la plume de l’écrivain, chez Saint-Évremond, comme chez la Rochefoucauld. Au moment où il quittoit la France, un ami lui demanda son opinion sur les sciences où peut s’appliquer un honnête homme : on aimoit, en ce temps-là, à traiter un sujet philosophique ou littéraire, en forme de lettre ; Saint-Évremond répond à son ami, par un petit factum exquis, sur la question posée : « Je n’ai jamais eu de grands attachements à la lecture ; si j’y emploie quelques heures, ce sont les plus inutiles, sans dessein, sans ordre, quand je ne puis avoir la conversation des honnêtes gens, et que je me trouve éloigné du commerce des plaisirs. Ne vous imaginez donc pas que je vous parle profondément de choses que je n’ai étudiées qu’en passant, etc. » Et après quelques lignes de critique générale, sur la théologie, la philosophie et les mathématiques, il ne trouve point de connoissances qui intéressent plus particulièrement l’honnête homme, que la morale, la politique et les belles-lettres. « La première, dit-il, regarde la raison ; la seconde, la société ; la troisième, la conversation. L’une vous apprendra à gouverner vos passions ; par l’autre, vous vous instruisez des affaires de l’État, et réglez votre conduite dans la fortune ; la dernière polit l’esprit, inspire la délicatesse et l’agrément. » Voilà les conclusions de l’épicuréisme. Il les développe avec plus de complaisance et plus d’ampleur dans cette autre lettre célèbre au maréchal de Créqui, laquelle est une sorte de revue encyclopédique de toutes les sciences humaines, considérées au point de vue de l’homme du monde et du philosophe. « Un choix délicat, dit-il au maréchal, me réduit à peu de livres, où je cherche beaucoup plus le bon esprit que le bel esprit ; et le bon goût, pour me servir de la façon de parler des Espagnols, se rencontre ordinairement dans les écrits des personnes considérables. J’aime à connoître, dans les épîtres de Cicéron, et son caractère, et celui des gens de qualité qui lui écrivent. Pour lui, il ne se défait jamais de son art de rhétorique ; et la moindre recommandation qu’il fait au meilleur de ses amis, s’insinue aussi artificieusement que s’il vouloit gagner l’esprit d’un inconnu, pour la plus grande affaire du monde. Les lettres des autres n’ont pas la finesse de ces détours : mais à mon avis, il y a plus de bon sens que dans les siennes ; et c’est ce qui me fait juger le plus avantageusement de la grande et générale capacité des Romains de ce temps-là.

« Nos auteurs font toujours valoir le siècle d’Auguste, par la considération de Virgile et d’Horace ; et peut-être plus par celle de Mécénas qui faisoit du bien aux gens de lettres, que par les gens de lettres même. Il est certain néanmoins que les esprits commençoient alors à s’affoiblir, aussi bien que les courages. La grandeur d’âme se tournoit en circonspection à se conduire ; et le bon discours, en politesse de conversation ; encore ne sais-je, à considérer ce qui nous reste de Mécénas, s’il n’avoit pas quelque chose de mou, qu’on faisoit passer pour délicat. Mécénas étoit le grand favori d’Auguste, l’homme qui plaisoit, et à qui les gens polis et spirituels tâchoient de plaire. N’y a-t-il pas apparence que son goût régloit celui des autres ? qu’on affectoit de se donner son tour, et de prendre autant qu’on pouvoit son caractère ?

« Auguste lui-même ne nous laisse pas une grande opinion de sa latinité. Ce que nous voyons de Térence, ce qu’on disoit à Rome de la politesse de Scipion et de Lélius, ce que nous avons de César, ce que nous avons de Cicéron : la plainte que fait ce dernier sur la perte de ce qu’il appelle sales, lepores, venustas, urbanitas, amœnitas, festivitas, jucunditas : tout cela me fait croire, après y avoir mieux pensé, qu’il faut chercher en d’autres temps que celui d’Auguste, le bon et agréable esprit des Romains, aussi bien que les grâces pures et naturelles de leur langue. »

Tout est traité, par Saint-Évremond, de ce grand air qu’on vient de voir : la philosophie, la religion, la morale, la littérature. Il n’est point d’écrivain du dix-septième siècle chez qui l’esprit critique se montre avec cette liberté, cette hauteur, cette universalité. Ce grand seigneur écrivant pour son plaisir est le premier critique de profession qui se produise en notre histoire littéraire : j’entends le critique tel qu’on le rencontre dans le siècle suivant et dans le nôtre. Saint-Évremond devoit cette heureuse disposition de son talent au scepticisme même qu’il professoit, et qui l’avoit sollicité à scruter la raison des choses, sur toute l’échelle des connoissances. Moins téméraire que Bayle, il lui ressemble par les qualités critiques, autant du moins qu’un philosophe de salon peut ressembler à un philosophe d’école. Si donc l’exil isole Saint-Évremond du royaume de Louis XIV, il sera redevable à son infortune même d’une étendue d’esprit, d’une fermeté de vue, et d’une émancipation de jugement, dont ses amis, restés sur le sol natal, n’oseront faire montre, tout en pensant comme lui. Saint-Évremond réfléchit, en effet, les idées qui furent comprimées, en France, pendant les cinquante dernières années du règne de Louis XIV.

Il y a du païen Horace dans le chrétien Saint-Évremond : tous deux épicuriens de bonne compagnie, ils ont profondément exercé leur esprit à la philosophie des choses de la vie ; et leur réflexion tourne constamment à la grâce, à l’indulgence, à la bonté : avec plus de verve chez Horace, avec plus de politesse chez Saint-Évremond. Chez l’un, comme chez l’autre, la pensée philosophique s’échappe et s’exprime en cette langue délicate qui la rend digne des honnêtes gens. Quel esprit aimable que celui de l’homme qui a écrit ces lignes ! « Dans un faux sujet d’aimer, les sentiments d’amitié peuvent s’entretenir, par la seule douceur de leur agrément ; dans un vrai sujet de haïr, on doit se défaire de ceux de la haine, par le seul intérêt de son repos… L’état de la vertu n’est pas un état sans peine. On y souffre une contestation éternelle de l’inclination et du devoir. Je puis dire de moi une chose extraordinaire, c’est que je n’ai presque jamais senti ce combat intérieur de la passion et de la raison : la passion ne s’opposoit point à ce que j’avois envie de faire par devoir ; et la raison consentoit volontiers à ce que j’avois envie de faire par plaisir. Je ne prétends pas que cet accommodement si aisé me doive attirer de la louange ; je confesse, au contraire, que j’en ai été souvent plus vicieux : ce qui ne venoit point d’une perversion d’intention, qui allât au mal, mais de ce que le vice se fesoit agréer comme une douceur, au lieu de se laisser connoître comme un crime. »

Il étoit supérieur dans la conversation ; et l’on peut voir comme il en montre habilement les ressorts et les triomphes, dans la même Lettre au maréchal de Créqui. Comme il connoît bien ce qui fait réussir auprès des femmes ! Comme il apprécie les conditions plus difficiles du succès, dans la conversation des hommes ! Aussi se montre-t-il accommodant, quand il s’agit de ce talent si rare. « J’ai été autrefois, dit-il, plus difficile qu’aujourd’huy ; et je pense y avoir moins perdu du côté de la délicatesse, que je n’ai gagné du côté de la raison. Je cherchois alors des personnes qui me plussent, en toute chose ; je cherche aujourd’hui, dans les personnes, quelque chose qui me plaise. C’est une rareté trop grande, que la conversation d’un homme en qui vous trouviez un agrément universel, et le bon sens ne souffre pas une recherche curieuse, de ce qu’on ne rencontre presque jamais… Ce n’est pas, à dire vrai, qu’il soit impossible de trouver des sujets si précieux ; mais il est rare que la nature les forme, et que la fortune nous en favorise… Dans les mesures que vous prendrez pour la société, faites état de ne trouver les bonnes choses que séparément, etc. Ce grand maître du théâtre, à qui les Romains sont plus redevables de la beauté de leurs sentiments, qu’à leur esprit et à leur vertu, Corneille, devient un homme commun, lorsqu’il s’exprime pour lui-même. Il ose tout penser pour un Grec ou pour un Romain ; un François ou un Espagnol diminue sa confiance ; et quand il parle pour lui-même, elle se trouve tout à fait ruinée. Il prête à ses vieux héros tout ce qu’il a de noble dans l’imagination ; et vous diriez qu’il se défend l’usage de son propre bien, comme s’il n’étoit pas digne de s’en servir. »

Les ouvrages de Saint-Évremond ont donc été, dans l’ancienne société françoise, comme le Manuel de l’homme du monde. Aujourd’hui même, ce Manuel n’est pas suranné, parce que la nature ne l’est jamais, et que d’ailleurs le grand art d’écrire a dans Saint-Évremond un interprète admirable. Il possède le don heureux de la composition et du langage élégant : ce soin assidu, cette coquetterie de la forme, qui sans être la condition du succès, y conduit presque toujours, et assure au livre le suffrage de la postérité. Le naturel simple n’est pas, si l’on veut, la qualité dominante de son style ; c’est le naturel orné. La grâce y est constante : quelquefois négligée, toujours piquante et délicate ; de la finesse, en toute occasion, souvent de la profondeur, beaucoup d’esprit, mais aussi, parfois, quelque reste des manières de Voiture, avec le désir de produire un effet. Cependant, l’auteur n’absorbe jamais l’homme lui-même. L’homme de sens, l’homme de raison, l’homme d’esprit, respire à toutes les pages de ses œuvres. Mais cet homme qui ne vouloit écouter que la nature, dans son vivre, court volontiers après l’art, dans l’écriture, même dans l’intimité épistolaire : différent en cela de Chapelle, qui étant inégal et négligé par caractère, l’est sans aucune gêne, en ses écrits, tout comme Chaulieu. Saint-Évremond a beaucoup critiqué les Précieuses ; et, pour les avoir trop connues, il lui reste quelque chose de leurs habitudes. Il est facile de juger qu’il exerçoit son esprit, comme on exerce son corps, pour lui maintenir la souplesse et la santé. Jamais il ne s’emporte ; il fuit même l’élévation : elle lui semblerait de la passion. Mais le fin, le délicat, le recherché, voilà ce qui l’occupe, et c’est là qu’il excelle. Il le poursuit en toutes choses, parce qu’il applique son esprit à toutes choses ; l’histoire, la poésie légère, la philosophie morale, la musique, l’art épistolaire, la critique, la poétique. C’est le premier type du polygraphe, que nous ayons dans notre langue14, avant Voltaire. Avec lui est partie pour l’exil l’école épicurienne, et l’on s’en ressent, désormais, dans notre littérature ; mais la société épicurienne est restée, qui n’ayant plus de régulateur, a laissé perdre insensiblement la bienséance que recommandoit Saint-Évremond, et dont il donnoit l’exemple. Il n’est pas sorti de livre, proprement dit, de cette école épicurienne. Le livre est un effort, et l’épicurien s’en abstient ; mais ces riens charmants, ces productions légères, dont l’agrément et le trait font le mérite principal, et qui sont l’expression agréable et vraie de l’esprit du monde, on ne les trouve nulle autre part aussi polis, aussi gracieux, que dans l’école de Saint-Évremond, lequel, pour son compte personnel, a écrit cependant, après des badinages pleins de goût, et sous la rude épreuve de l’exil, les Réflexions sur les divers génies du peuple romain. L’auteur de l’Esprit des loix y préludoit aussi par les Lettres persanes, et s’en délassoit par le Temple de Cnide.

Déjà fort connu de tous les beaux esprits de l’Europe, lorsqu’il quitta la France, la considération qu’il acquit en Angleterre le mit encore plus en évidence. Les philosophes de tous les pays y vinrent se grouper autour de lui. Alors commence à se former, à Londres, et bien avant de se montrer à Paris, une bonne compagnie, en quelque sorte européenne, qui s’élève au-dessus des préjugés et des caractères nationaux : véritable tribunal d’opinion publique, absorbant les opinions particulières, et visant au gouvernement de l’humanité civilisée ; le salon de la duchesse Mazarin en a été la métropole momentanée. Saint-Évremond écrivoit au maréchal de Créqui :

« Depuis dix ans que je suis en pays étranger, je me trouve aussi sensible au plaisir de la conversation, et aussi heureux à le goûter, que si j’avois été en France. J’ai rencontré des personnes d’autant de mérite que de considération, dont le commerce a su faire le plus doux agrément de ma vie. J’ai connu des hommes aussi spirituels que j’en aie jamais vu, qui ont joint la douceur de leur amitié à celle de leur entretien. J’ai connu quelques ambassadeurs si délicats, qu’ils me paroissoient faire une perte considérable, autant de fois que les fonctions de leur emploi suspendoient l’usage de leur mérite particulier.

« J’avois cru autrefois qu’il n’y avoit d’honnêtes gens qu’en notre cour ; que la mollesse des pays chauds, et une espèce de barbarie des pays froids, n’en laissoient former, dans les uns et dans les autres, que fort rarement ; mais, à la fin, j’ai connu par expérience qu’il y en avoit partout ; et si je ne les ai pas goûtés assez tôt, c’est qu’il est assez difficile à un François de pouvoir goûter ceux d’un autre pays que le sien. Chaque nation a son mérite, avec un certain tour qui est propre et singulier à son génie. Mon discernement, trop accoutumé à l’air du nôtre, rejetoit comme mauvais ce qui lui étoit étranger. Pour voir toujours imiter nos modes, dans les choses extérieures, nous voudrions attirer l’imitation, jusques aux manières que nous donnons à notre vertu. »

Reconnoissons, dans ces paroles, un esprit d’universalité, dont le dix-septième siècle françois, en dehors de Bossuet, offre bien peu d’exemples. L’exil n’a point éteint les sentiments françois de Saint-Évremond ; mais il a haussé son entendement à l’idée d’une société humaine, d’une politesse supérieure, d’un art universel, d’une raison générale des choses. Du cercle brillant de la duchesse Mazarin ou de lady Sandwich, à Londres, ou bien du fond de la taverne fameuse de Wyl, où on le voyoit souvent, en compagnie de Waller et du vieux Dryden, il prêtoit l’oreille à tout bruit littéraire ou philosophique, parti de France. Les intérêts de la langue françoise lui étoient aussi chers à Londres qu’à Paris. Lisez sa dissertation si exacte sur l’acception du mot vaste. Ni Vaugelas ni Bouhours ont-ils jamais eu plus de sollicitude pour la précision du langage, ni rien écrit d’aussi délié, que ce petit chef-d’œuvre de critique grammaticale ? Son opinion sur le genre faux de l’Oraison funèbre ne l’empêchera point d’admirer Bossuet. Mais l’immolation de Corneille à Racine lui arrache des cris. Le premier, parmi les François, il signale à son pays, et au continent européen, les beautés et les défauts du théâtre anglois. Si une polémique s’engage à Paris, à l’occasion du débat célèbre de la prééminence des anciens sur les modernes, il prendra feu dans la querelle, élèvera la polémique, et s’élancera en avant, dans la discussion d’une question si mal posée et si sottement controversée.

Il n’y a qu’une chose venant de France que Saint-Évremond semble oublier : c’est lui-même. Il ne lui échappe ni aigreur, ni plainte, ni importunité, ni désaveu de son prétendu crime. Son seul chagrin semble avoir été que sa disgrâce fût contraire au bon sens. « Un jour, dit-il, on me louera d’être bon François, par ce même écrit qui m’attire des reproches ; et si M. le Cardinal vivoit encore, j’aurois le plaisir de me savoir justifié dans sa conscience, car je n’ai rien dit de lui qu’il ne se soit dit intérieurement cent fois lui-même. Jaloux de l’honneur du Roi et de la gloire de son règne, je voulus laisser une image de l’état où nous étions avant la paix, afin que toutes les nations connussent la supériorité de la nôtre, et, rejetant le mauvais succès de la négociation sur un étranger, ne s’attachassent qu’à considérer les avantages que nous avions eus dans la guerre. »

Le maréchal de Grammont lui ayant écrit, en 1664, une lettre affectueuse, où il le blâmoit de ne pas mettre ses amis en mouvement, pour faire sa paix avec la cour, Saint-Évremond lui répond par la lettre suivante, que tout esprit délicat appréciera. « Vous me reprochez de ne point donner de mes nouvelles à mes amis, et je vous réponds qu’il faut les connoître avant de leur écrire. On se méprend dans la mauvaise fortune si on compte sur de vieilles habitudes, qu’on nomme assez légèrement amitiés. Bien souvent nous voulons faire souvenir de nous des gens qui veulent nous oublier, et dont nous excitons plutôt le chagrin que les offices. En effet, ceux qui veulent bien nous servir dans nos disgrâces sont impatients de faire connoître l’envie qu’ils en ont, et leur générosité épargne à un homme la peine secrète qu’on sent toujours à expliquer ses besoins. Pour ceux qui se laissent rechercher, ils ont déjà comme un dessein formé de nous fuir : nos prières les plus raisonnables sont pour eux des importunités assez fâcheuses. Je ferai une application particulière de ce sentiment général, et vous dirai que je pense avoir reçu des nouvelles de toutes les personnes qui voudroient s’employer en ma faveur : je fatiguerois inutilement des miennes ceux qui ne m’ont pas donné des leurs jusques ici.

« Parmi les amis que la mauvaise fortune m’a fait éprouver, j’en ai vu qui étoient tout pleins de chaleur et de tendresse ; j’en ai vu d’autres qui ne manquoient pas d’amitié, mais qui avoient une lumière fort présente à connoître leur inutilité à me servir ; qui, peu touchés de se voir sans crédit en cette occasion, ont remis aisément tous mes malheurs à ma patience. Je leur suis obligé de la bonne opinion qu’ils en ont ; c’est une qualité dont on s’accommode le mieux qu’il est possible, et dont on laisseroit pourtant volontiers l’usage à ses ennemis. Cependant il faut nous louer du service qu’on nous rend, sans nous plaindre de celui qu’on ne nous rend pas, et rejeter autant qu’on peut certains sentiments d’amour-propre qui nous représentent les personnes plus obligées à nous servir qu’elles ne le sont. La mauvaise fortune ne se contente pas de nous apporter les malheurs, elle nous rend plus délicats à être blessés de toutes choses ; et la nature, qui devroit lui résister, est d’intelligence avec elle, nous prêtant un sentiment plus tendre pour souffrir tous les maux qu’elle nous fait.

« Dans la condition où je suis, mon plus grand soin est de me défendre de ces sortes d’attendrissements. Quoique je montre un air assez douloureux, je me suis rendu en effet presque insensible : mon âme, indifférente aux plus fâcheux accidents, ne se laisse toucher aujourd’hui qu’aux offices de quelques amis et à la bonté qu’ils m’ont conservée. Depuis quatre ans que je suis sorti du royaume, j’ai éprouvé de six mois en six mois de nouvelles rigueurs, que je rends aussi légères que je puis, par la facilité de la patience. Je n’aime point ces résistances inutiles, qui, au lieu de nous garantir du mal, retardent l’habitude que nous avons à faire avec lui. . . . . . . .

« Je finis un si fâcheux entretien : c’est un ridicule ordinaire aux disgraciés d’infecter toutes choses de leurs disgrâces, et possédés qu’ils en sont, d’en vouloir toujours infecter les autres. La conversation de M. d’Aubigny, que je vais avoir présentement, me sauve d’une plus longue impertinence, et vous de la fatigue que vous en auriez. . . . . . . . »

Il fut un jour où la Hollande, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie, le consultèrent comme un oracle de bon goût et de raison ; et la fin du siècle n’arriva pas, sans que la France pût lui montrer, par les plus éclatants témoignages, quel souvenir profond on avoit gardé dans sa patrie, de son cœur et de son esprit.

Telles ont été les conséquences de la disgrâce de Saint-Évremond, au point de vue de sa destinée littéraire et du succès populaire de ses ouvrages. Il nous reste à voir, en détail, comment il a lutté, sur la terre étrangère, contre la mauvaise fortune ; comment il en a triomphé ; quelle est l’influence qu’il a exercée sur la société angloise, ou qu’il en a reçue ; et quelles sont les compositions qui l’ont illustré, dans cette dernière période de sa vie.

Saint-Évremond en Angleterre, à la cour de Charles II et de Guillaume d’Orange, sera l’objet d’une dernière partie de cette Histoire qui se rattachera plus particulièrement aux relations avec la duchesse Mazarin. Quelques documents nouveaux lui donneront, sans doute, un intérêt particulier.


NOTES

1. L’hôtel du comte de Bautru étoit rue Neuve-des-Petits-Champs, entre la rue Vivienne et la rue Richelieu. Il a été fondu dans les bâtiments de la Bibliothèque impériale. Bautru étoit un ami de Ruvigny, et sceptique comme Saint-Évremond. Il a son Historiette dans Tallemant, tome II de l’édit. citée.

2. Le commandeur de Jars, de la maison de Mortemart, habitoit, rue Richelieu, un hôtel, qui a été connu, jusqu’à ces derniers temps, sous le nom d’hôtel de Malte, et qui avoit été bâti par Mansart l’ancien.

3. Saint-Évremond avoit vu mourir, à Arras, un autre frère de Mlle de Vigean, dont la sœur aînée avoit épousé le frère aîné de Miossens. Il a dû connoître particulièrement la jeune et sensible amie du grand Condé, à laquelle l’hôtel de Sully, rue Saint-Antoine, a donné l’hospitalité avant qu’elle prît le voile aux Carmélites.

4. L’hôtel de Montmorency-Boutteville se voyoit rue du Jour, près Saint-Eustache. C’est le numéro 21-23 d’aujourd’hui. Le maréchal de Luxembourg y étoit né. Ce dernier a transporté son logement, en 1673, dans un vaste hôtel, construit sur les jardins des Capucines, et qui, du boulevard, alloit jusqu’à la rue Saint-Honoré, en face de l’Assomption. Sur son emplacement a été percée, en 1719, la rue actuelle de Luxembourg. Voy. Jaillot, 5e Quartier, p. 60.

5. L’hôtel de Lionne occupoit, près du passage Choiseul, l’espace compris entre la rue Neuve-dés-Petits-Champs et la rue Neuve-Saint-Augustin, du côté de la rue Sainte-Anne.

6. L’hôtel du maréchal de Créqui étoit rue de l’Oratoire-du-Louvre, à la hauteur du chevet de l’église de ce nom. Voy. Jaillot, Quartier du Louvre, p. 55.

7. Voy. aussi une lettre de Guy-Patin, du 13 décembre 1659, où se trouvent des détails sur l’exécution du marquis de Bonnesson, un des chefs de la conspiration des Sabotiers, dont le cardinal eut une crainte si ridicule, et dont il est parlé dans la Lettre de Saint-Évremond sur la paix des Pyrénées.

8. L’hôtel de ce vieux ami de Saint-Évremond étoit rue du Bouloi, no 11. C’est l’hôtel des Empires d’aujourd’hui. On y voit encore une rampe ouvragée, qu’on dit dater du temps du maréchal. Les nos 8 et 10, de la même rue, étoient l’hôtel du Lude, en face de celui de Clérambaut. Au no 24, l’hôtel des Fermes d’autrefois, étoit la magnifique demeure du chancelier Séguier.

9. Fouquet, étant procureur général, habitoit un bel hôtel, indiqué sur le plan de Gomboust, et aujourd’hui divisé en deux, rue du Temple, nos 101 et 103.

10. Cette lettre a été imprimée pour la première fois en Hollande, à la suite de l’Histoire de la paix conclue sur les frontières de France et d’Espagne entre les deux couronnes, l’an 1659 (traduit de l’italien de Gualdo Galeazzo Priorato par H. Courtin), avec les traites, et un Recueil de diverses matières concernant le duc de Lorraine ; augmentée du plan de l’Isle de la Conférence. Cologne, P. de la Place (Holl. Elzevir), 1667, deux part. en 1 vol. petit in-12. Elle n’a pas été comprise, comme on le devine aisément, dans les Recueils publiés par Barbin ; mais elle est insérée dans l’édition hollandaise, de 1699, des Œuvres meslées de Saint-Évremond.

11. Voy. Feuillet de Conches, Causeries d’un curieux, tome II, p. 516. L’histoire de l’administration et de la disgrâce de Fouquet nous est aujourd’hui parfaitement connue, grâce aux recherches de M. Walckenaer et de M. Chéruel. Je renvoie mes lecteurs à leurs ouvrages, qui sont dans les mains de tout le monde.

12. Il a été recueilli par Des Maizeaux, dans les Œuvres supposées de Saint-Évremond.

13. Sur l’émigration des Ruvigny, voy. Saint-Simon. M. H. Martin a confondu le père et les enfants, notamment dans la relation de la bataille de Nerwinde.

14. Pascal avoit dit : « Puisqu’on ne peut être universel et savoir tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir un peu de tout… Cette universalité est la plus belle. »