Histoire des églises et chapelles de Lyon/X
CHAPITRE X
SAINTE-BLANDINE — ADORATION RÉPARATRICE — MARIE-AUXILIATRICE — MARIE-THÉRÈSE — INCURABLES — SAINT-VIATEUR — TRINITAIRES — LAZARISTES — RÉCOLLETS — CHAPELLE DE BALMONT.
près une étude sur l’église paroissiale Sainte-Blandine, nous continuerons dans le présent chapitre l’histoire des communautés religieuses anciennes et modernes, d’abord, en restant dans le quartier de Perrache, par la congrégation et la chapelle de l’Adoration-Réparatrice, puis par Marie-Auxiliatrice, Marie-Thérèse, l’œuvre magnifique des Incurables créée par Mlle Perrin, la congrégation des clercs de Saint-Viateur vouée à l’enseignement, l’ancienne communauté, aujourd’hui disparue, des religieux Trinitaires, la congrégation fondée par saint Vincent de Paul, appelée Lazaristes ou prêtres de la Mission, les Récollets de la montée Saint-Barthélemy. Nous terminerons par l’histoire d’une modeste chapelle domestique, située à Vaise, montée de Balmont, conservée intacte depuis trois siècles.
SAINTE-BLANDINE
En 1841, l’autorité ecclésiastique songea à évangéliser plus fructueusement la presqu’île Perrache, où certains habitants logeaient dans de véritables cabanes et menaient une vie presque nomade. On considéra la création d’une paroisse dans cette partie de la ville, comme le premier élément civilisateur, et on y appela, comme curé, M. Dartigue, sur lequel il ne sera pas inutile de donner ici quelques notes biographiques à cause du rôle important qu’il a rempli.
Jean-Claude Dartigue, né à Lyon en 1798, fut baptisé le 18 décembre dans l’église Saint-Nizier ; il était fils d’Antoine Dartigue, honorable médecin de notre ville. Il commença ses études au petit séminaire Saint-Jean et les acheva à Verrières. En 1814, il entra au grand séminaire de Lyon, et trois ans plus tard, devint professeur au petit séminaire de la Primatiale, où il séjourna quatre années. Devenu prêtre à vingt-trois ans, il conçut le projet de se vouer aux missions étrangères, mais il trouva, de la part de ses supérieurs, une vive opposition. M. Courbon, vicaire général, voulut le nommer supérieur du séminaire Saint-Jean, mais M. Gourdiat, curé de Saint-Poly carpe, l’obtint pour vicaire ; il demeura vingt et un ans dans cette paroisse. Durant ce vicariat, qui remplit la moitié de sa carrière, M. Dartigue se fit remarquer par une réelle perspicacité et un jugement sûr. Doué d’une extrême prudence, il se montrait pourtant d’une docilité d’enfant, au point que M. Gourdiat, l’appréciant à sa valeur, l’honora d’une entière confiance, en le chargeant de l’administration paroissiale. M. Dartigue s’appliquait surtout à instruire les ouvriers et les domestiques, par des prédications réitérées.
Quand, le 29 avril 1841, il fut placé à la tête de la paroisse Sainte-Blandine, il reçut pour vicaire l’abbé Verrier, devenu depuis curé de Charly. Tout était difficile dans l’œuvre qu’il devait accomplir : point d’église, de presbytère, d’école. Un bâtiment ayant l’apparence d’un entrepôt fut loué cours Bayard, et disposé en chapelle, après avoir été bénit, le 29 août 1841, par M. Barou, vicaire général. Le presbytère se trouvait au premier étage d’une petite maison. La population se composait en grande partie d’ouvriers travaillant dans des usines de gaz de houille ou dans des brasseries : deux casernes étaient également situées à proximité. Grâce à l’exercice d’un ministère incessant et à son dévouement personnel, M. Dartigue parvint à former un noyau paroissial très satisfaisant. Son ministère à Sainte-Blandine dura vingt années, de 1841 à 1861.
Aidé de M. Terme, médecin d’un esprit distingué et d’un libéralisme intelligent, il obtint, en 1842, du conseil municipal, les allocations nécessaires pour fonder une école de garçons qu’il confia à deux Frères des Écoles chrétiennes, et une de filles dirigée par deux sœurs Saint-Charles. Au bout d’un an, quatre cents enfants fréquentaient ces nouvelles écoles. L’année suivante, il établit une salle d’asile, dirigée par les mêmes religieuses. Avant 1848, une œuvre de dames de miséricorde avait été organisée ; plus tard, une sœur reçut la mission de veiller à la distribution des secours aux familles pauvres.
En 1847, M. Dartigue conçut le dessein de construire une église pour remplacer le
local provisoire où avaient lieu les offices. Une commission fut formée pour diriger cette grande entreprise. La municipalité voyait ce projet avec faveur. De vastes terrains lui appartenant dans la presqu’île de Perrache, elle pensait qu’un tel édifice donnerait une plus-value sérieuse à ses propriétés. Un plan fut dressé et adopté par l’administration, mais il fallait un million pour l’exécuter. La commission qui avait reçu des sommes très, insuffisantes, fit creuser les fondations et amener des pierres de taille ; puis les travaux furent suspendus faute de ressources. Une députation du conseil de fabrique se rendit auprès du maire, et obtint qu’on exécutât un projet moins grandiose, qui n’exigeait qu’une dépense de 500.000 francs. Le conseil municipal vota une allocation de 125.000 francs, que le gouvernement refusa d’approuver. La révolution de 1848 vint compliquera situation, et quinze années s’écoulèrent sans que le projet fît un pas.M. Dartigue, qui mourut le 27 septembre 1861, laissa à son successeur le mérite d’élever l’église matérielle. Le zèle de M. Merley triompha des obstacles, mais après qu’on eût abandonné l’ancien plan. Le nouveau curé commença, en avril 1863, la construction de l’église définitive ; les plans en avaient été fournis par M. Clair Tisseur, architecte lyonnais ; toutefois la flèche, le maître-autel et la chaire sont dus à M. Malaval. Le gros œuvre de l’église fut achevé en mars 1869 ; plus tard, en 1886, l’église ayant été complètement terminée et suffisamment décorée, on procéda à la consécration de l’édifice. La cérémonie fut présidée par Mgr de La Passardière. Le cardinal Caverot composa à cette occasion une inscription latine, que le curé de Sainte-Blandine fit graver sur marbre et placer dans la petite nef de gauche ; en voici la traduction : « Cet édifice a été consacré à Notre-Seigneur Jésus-Christ, Hostie du Père céleste et prêtre éternel. Il est dédié à sainte Blandine, martyre, qui, à cause de son courage et de sa constance, mérita d’être appelée Mère des martyrs lyonnais. L’autel majeur a été érigé en l’honneur de la même Blandine, vierge et martyre, aux frais de la généreuse dame veuve Constance Limousin. Église et autel ont été consacrés, à l’époque des fêtes du jubilé, par I. F. X. Jourdan de La Passardière, évêque de Roséa et auxiliaire du cardinal Caverot, archevêque de Lyon, le 27 juin 1886, au milieu d’un immense concours de prêtres et de fidèles. »
En juillet 1891, on bénit la croix placée sur le sommet de la flèche, élevée par M. le curé Vindry, aujourd’hui vicaire général. L’ancienne église avait été achetée par M. le lieutenant Gourguin et disposée en maison d’habitation : en 1899, M. le curé Faurax obtint de ce propriétaire la croix de fer qui surmontait la chapelle provisoire, et la fit placer au fond de la grande nef de l’édifice actuel.
L’église Sainte-Blandine est un remarquable monument gothique. Dégagée de toutes parts et construite au milieu d’une vaste place, elle s’impose à l’admiration du visiteur par ses justes proportions, la pureté de ses lignes, et par la flèche élancée qui surmonte la façade. Au-dessus de la porte principale, à l’extérieur, se voit un bas-relief représentant sainte Blandine exposée dans l’amphithéâtre et respectée par les lions.
Le grand autel offert, comme on l’a dit, par madame veuve Limousin, est de marbre blanc ; il est orné d’un bas-relief : le Christ couronnant sainte Blandine et saint Pontique, tandis qu’aux deux extrémités de l’autel se tiennent l’ange de la douleur et l’ange de la paix. Les stalles ont été données à M. le curé Faurax pour ses vingt-cinq ans de prêtrise. Au fond de l’abside, décorée d’une boiserie, se voient les orgues, œuvre de Merklin, offertes par M. le curé Vindry et M. A. Descours, installées par M. le curé Nilellon. Les barrières du chœur ont été données par M. Satre ; la table de communion offerte par les vicaires de la paroisse à M. Nitellon pour ses vingt-cinq ans de prêtrise.
Les basses nefs ne contiennent chacune qu’une chapelle orientée comme le grand autel, et entourée, comme le chœur, d’une boiserie. À droite, c’est la chapelle du Sacré-Cœur, où l’autel, de marbre blanc, est surmonté de la statue du Sacré-Cœur. Contre la muraille est adossé un autre petit autel de chêne dédié à Notre-Dame de Lourdes. La chapelle est éclairée par deux vitraux séparés par un large trumeau et représentant six scènes différentes. La première verrière surmonte l’autel du Sacré-Cœur et rappelle : 1° la Naissance de Jésus ; 2° l’Adoration des mages ; 3° Jésus à douze ans conduit au temple par Marie et Joseph ; 4° Jésus au milieu des docteurs ; 5° le Baptême du Sauveur ; 6° Jésus et les enfants. L’autre vitrail domine l’autel Notre-Dame de Lourdes, et représente : 1° la Cène ; 2° l’Agonie de Jésus au jardin des Oliviers ; 3° le Portement de Croix ; 4° la Crucifixion ; 5° la Mise au tombeau ; 6° la Résurrection.
Dans la nef de gauche s’ouvre la chapelle de la sainte Vierge. L’autel de marbre blanc est surmonté de la statue de la Mère de Dieu ; contre la muraille est placé un petit autel de chêne portant une statue de saint Joseph. La chapelle est éclairée par deux vitraux ; celui qui surmonte l’autel de la Vierge représente : 1° la Naissance de Marie ; 2° Sainte Anne instruisant la sainte Vierge tandis que saint Joachim les contemple ; 3° la Présentation de Marie au temple ; 4° son Mariage ; 5° l’Annonciation ; 6° la Visitation. La seconde verrière domine l’autel Saint-Joseph et représente : 1° la Fuite en Égypte ; 2° l’Atelier de Nazareth ; 3° la Descente du Saint-Esprit sur Marie et les apôtres ; 4° la Mort de la Mère de Dieu ; 3° son Assomption ; 6° son Couronnement.
À côté de ces chapelles se voient les portes des deux sacristies qui se font vis-à-vis. Elles sont toutes deux surmontées d’un tableau : celui de droite représente l’Apparition du Sacré-Cœur à Marguerite-Marie Alacoque ; celui de gauche, Notre-Dame du Rosaire. Contre les murailles des basses-nefs, à la hauteur de la chaire, se trouvent deux petits autels de chêne. Celui de droite est surmonté de la statue de sainte Blandine, les mains enchaînées, et le regard tourné vers le ciel. Tout à côté on a placé une statue du bienheureux J.-B. Vianney, curé d’Ars, offerte à M. le curé Faurax en l’honneur de ses vingt-cinq ans de ministère à Sainte-Blandine. L’autel de gauche est dédié à saint Antoine de Padoue et est surmonté de la statue du saint.
Au fond de l’église, la tribune est supportée par deux piliers et deux groupes de colonnes. Entre les piliers et les colonnes, sous une voûte, se trouve, de chaque côté, un petit autel. Celui de droite est surmonté d’une statue de Notre-Dame de Pitié ; le devant d’autel décoré d’un bas-relief représentant la couronne d’épines et les trois clous, avec ces mots : « Souvenir de la mission, 1900. » Sous la voûte de gauche, faisant vis-à-vis, se trouvent les fonts baptismaux, dont la demi-vasque est reliée à un petit édicule formant tabernacle avec porte dorée et surmontée d’une colombe. Au-dessus se trouve un petit groupe représentant le Baptême de Notre-Seigneur. Enfin, au fond, à droite de la porte principale, se voit une inscription : « Dallage donné par Mr Guillaud, en 1869. »
Le chœur est éclairé de deux rangées de baies portant chacune cinq vitraux ; ceux du haut sont divisés en trois parties. Celle du milieu représente Jésus en Croix, entre la Vierge et saint Jean. Sur la verrière de gauche on voit saint Épagathe, sainte Blandine et saint Pothin ayant près de lui une image de la Sainte-Vierge. Sur celle de droite, saint Irénée, accompagné de deux personnages, dont saint Attale ; au-dessous de ce dernier se lit une inscription latine dont le sens est : « Voici la colonne de notre église. » Les cinq vitraux du bas comptent chacun quatre scènes relatives aux martyrs de Lyon. Celui du milieu représente les différents supplices de sainte Blandine : 1° elle paraît devant les juges : 2° elle est exposée aux lions qui la respectent ; 3° elle est placée dans un filet et livrée à un taureau sauvage ; 4° on lui tranche la tête.
Sur une autre verrière, l’artiste a très heureusement représenté les cryptes de notre ville, c’est-à-dire les édifices primitifs où est gardé le souvenir du culte rendu à sainte Blandine. On y voit le cachot Saint-Pothin à l’Antiquaille, la crypte Saint-Irénée, celle d’Ainay, enfin on y a ajouté la nouvelle église Sainte-Blandine.
Les petites nefs sont éclairées chacune par quatre vitraux. À droite ils représentent : 1° Sainte Lucie, avec, au bas, les indications suivantes : « Hector Flandrin l’a peint, Pagnon l’a exécuté en 1889 » ; 2° Saint Étienne, don de deux sœurs M. G. et L. G. 1888 ; 3° Saint Antoine de Padoue donné par J. G., en 1889 ; 4° Saint Joseph protecteur de l’Église universelle, donné par M. J., en 1891. Dans la nef de gauche, le premier vitrail représente sainte Anne, par Pagnon-Déchelette, avec, au bas, l’inscription : « En mémoire de ma mère, A. C, 2 décembre 1887 — Lyon 1888. » Le deuxième rappelle saint Charles Borromée ; au bas : « En mémoire de mon père C. C, 20 janvier 1889 ». Le troisième, saint François de Sales, donné par F. C, en 1889. Il est une particularité intéressante à signaler : sur l’étole que porte le vénérable prélat, on a rappelé d’abord que cet évêque, dans ses voyages à Lyon, ne manquait pas de visiter dévotement le cachot de l’Antiquaille, où, d’après une tradition, saint Pothin et sainte Blandine ont été enfermés. En second lieu, il avait placé sa prédication du Chablais sous la protection de sainte Blandine. Le quatrième représente saint Antoine, ermite ; c’est un don de A. V., en 1891.
La grande nef reçoit abondamment la lumière par seize grandes verrières, simples mosaïques sans sujets. La tribune est éclairée par une rosace rappelant la Sainte-Trinité ; puis, au-dessus, par une large verrière représentant sainte Blandine montant au ciel entre deux anges qui s’apprêtent à la couronner ; tout à côté se trouve l’image de l’église Sainte-Blandine. La chaire est en pierre, à double escalier ; c’est un don de M. le curé Vindry. La cuve est ornée d’un agneau et de deux blasons en relief. Signalons en terminant l’inscription placée contre le pilier de droite et relative à la construction de l’église : « Église commencée en avril 1863, terminée en mai 1869, sous l’administration de M. Merley, curé de cette paroisse. »
ADORATION-RÉPARATRICE
La chapelle de l’Adoration-Réparatrice est un édifice construit avec toutes les ressources de l’art moderne et qui mérite d’attirer l’attention. Avant de l’étudier de près, il importe d’entrer dans quelques détails sur la communauté qu’elle abrite, d’autant plus que cette congrégation, fondée tout récemment, a pris un essor considérable, et que cette chapelle est des plus fréquentées par les Lyonnais.
L’institut de l’Adoration-Réparatrice a été établi par Mlle Théodelinde Dubouché, qui naquit à Montauban, le 2 mai 1809. Elle fonda, poussée par l’esprit de Dieu, et à la suite de diverses circonstances, le tiers-ordre de la Réparation, le 6 août 1848. Elle fit profession l’année suivante, et reçut, le jour de Pentecôte 1849, le nom de Marie-Thérèse. Bientôt elle se rendit à Lyon, et établit une modeste communauté, dans le quartier Saint-Jean, rue Tramassac, ancien hôtel du baron des Adrets : c’était le 3 janvier 1851.
À la suite de quelle inspiration pensa-t-elle à fonder l’Adoration-Réparatrice ? On ne saurait mieux le dire qu’en lisant les lignes qu’elle a tracées elle-même pour rappeler cet important événement. C’est une page profondément mystique, qui manifeste l’intensité de sa vie intérieure, prête à produire bientôt des fruits de vie active et extérieure.
« Étant à la messe, mon âme fut toute ravie en Dieu. Je ne voyais que son éclatante immensité. Mes facultés intellectuelles n’agissant pas plus que mes sens, j’étais dans un état absolument passif. Dans cet espace et au sein de cette lumière, je vis surgir un peuple nouveau au milieu des chrétiens. Ces saints étaient de tout sexe et de toute condition ; rien ne les caractérisait que leur grande sainteté. Ils étaient religieux mais formaient plutôt une société de personnes pratiquant, dans leur pureté parfaite, les conseils évangéliques qu’une communauté régulière ayant forme de monastère.
« Ce que je voyais surtout, c’était la gloire qu’ils rendaient à Dieu en répandant la vie de N.-S. Jésus-Christ au Saint-Sacrement. Je voyais ce peuple toujours prosterné au pied du trône eucharistique, et les prêtres de cet ordre propageant l’amour divin dans tous les cœurs. Je Aboyais ces nouveaux apôtres de la charité de Jésus vivre au milieu du monde dans un état si angélique, si plein de dignité et de simplicité, en un mot, si conforme à Jésus-Christ même, et la société entière imiter si parfaitement la sainte Famille à Nazareth que je ne pus supporter l’excès de mon bonheur ; je crus mourir de joie et je tombai entièrement défaillante à la chapelle. On me crut évanouie, on m’emporta à la sacristie : c’était la première fois qu’il paraissait en moi quelque chose d’aussi extérieur. »
Par cette fondation, rue Tramassac, proche de l’église Primatiale, la famille religieuse de sœur Marie-Thérèse devint la première congrégation en France ayant le privilège de posséder l’exposition perpétuelle du Saint-Sacrement ; elle prit ainsi l’initiative d’un mouvement que tant d’autres devaient suivre plus tard. D’autres fondations, la maison-mère de Paris, la maison de Châlons, etc., ont répandu en France l’œuvre réparatrice qui reste dans sa réalisation ce qu’elle fut dans sa conception. Bientôt l’institut obtint de Rome un bref laudatif, en attendant l’approbation canonique que la mère Marie-Thérèse prépara par un voyage à Rome. Ces sollicitudes et ces travaux n’étaient que le cadre d’une vie intérieure active et élevée. On a conservé les traces des relations spirituelles que la mère fondatrice entretint avec Mgr Luquet et Mgr Morlot. Autant dans ces relations que dans les autres manifestations de sa vie spirituelle, la mère Marie-Thérèse se montra animée de l’esprit des saints. On le vit notamment, lors de l’incendie de la chapelle de Paris, où elle fut retirée des flammes à demi brûlée : sa foi et son énergie en cette circonstance n’eurent d’égales que ses souffrances. Elle abdiqua peu après, fit élire une autre supérieure générale, et mourut le 30 août 1863.
Revenons à la fondation de Lyon : la maison de la rue Tramassac fut abandonnée en 1867 ; les religieuses se rendirent alors rue de la Charité, puis, quatre ans plus tard, rue du Plat, et, de là, rue Henri IV où elles possèdent une vaste et belle chapelle, construite sur les plans de M. Sainte-Marie Perrin. La première pierre en fut posée, en avril 1876, par Mgr Thibaudier, auxiliaire de Mgr Ginoulhiac, archevêque de Lyon. Le cardinal Caverot bénit solennellement l’édifice le 14 septembre 1877, et le lendemain le Saint-Sacrement fut apporté de la rue du Plat en grande pompe. C’est une des dernières processions qui aient eu lieu dans les rues de notre cité.
En pénétrant dans la chapelle, essayons d’en saisir le sens symbolique.
« Figurer à l’aide d’arcs surbaissés les longues et flottantes draperies d’une tente, résumer dans quelques signes caractéristiques la préparation de l’Eucharistie, rendre la pensée de la Réparation, tel est le but mystique que l’architecte s’est proposé d’atteindre et de réaliser en construisant la chapelle de la rue Henri IV. Un premier arc surbaissé portant une croix d’or avec une inscription latine (comme toutes celles qui seront citées plus bas) dont le sens est : « Pardonnez, Seigneur, à votre peuple », s’appuie sur deux colonnes, et donne naissance à une seconde voûte sous laquelle se trouve l’autel.
Les parois de la muraille racontent l’histoire de l’Ancien Testament. Tout en haut, incrustées sur des panneaux de porphyre rouge, l’arche de Noé et l’arche d’alliance, à gauche et à droite la table des holocaustes et la table des pains de proposition ; en dessous, de chaque côté, sur des panneaux de matière précieuse, le palmier oriental ; puis, au pied de l’arbre, d’une part, un champ d’épis avec l’inscription : « Il a nourri son peuple de froment » ; de l’autre, quelques ceps de vigne et ces mots : « Je suis la vigne, vous êtes les sarments. » La dernière voûte fait ciborium, tandis qu’un troisième arc, plus surbaissé encore, prépare cette dernière voûte en abside. Au milieu, une petite rosace, avec un agneau immolé et tout autour cette inscription : « L’agneau qui a été immolé est digne de recevoir la puissance et la divinité, la force, l’honneur, la gloire et la bénédiction. »
« Aux quatre angles, les emblèmes des évangélistes, c’est-à-dire à droite, le lion ailé et l’aigle au regard perdu dans le ciel ; à gauche, le bœuf ailé, et l’ange qui contemple le Saint-Sacrement ; au milieu de ces personnages, des étoiles qui, par leur forme singulière, rappellent les mondes qu’entrevit saint Jean dans l’Apocalypse. Cet arc majestueux, qui repose sur deux colonnes de marbre vert que supportent deux culs-de-lampe dorés, se recommande particulièrement à l’attention par une frise avec palmettes et rosettes ornementées de pierres fines.
« Là, quatre parties bien distinctes : une sorte d’avant-voûte sur laquelle se détachent, encadrés dans six bandes de couleur, ces mots : « Saint, saint, saint est le Seigneur, le Dieu des armées », et dont le haut présente, sur une mosaïque étincelante, le Jéhovah des Hébreux ; la voûte elle-même composée de nervures entre chacune desquelles se détachent, sur une mosaïque de Venise à fond d’or, des tiges vertes de lis aboutissant à une colombe placée au sommet de la coupole ; plus bas des nervures, neuf anges en adoration rappelant les neuf chœurs de la cour céleste ; et plus bas enfin, une splendide peinture qui forme manteau royal et présente, dans chaque pli, un nom du Seigneur. Chacun de ces noms, gravé en bleu sur fond or, trouve, dans la partie inférieure du pli du manteau, le commentaire dont il peut avoir besoin.
« Devant la table d’autel, on lit ces quatre mots, écrits en caractères du xiie siècle, lettres rouges sur fond or : « Son tombeau sera glorieux. » Ce tombeau n’est pas vide ; sous la pierre, exposée à tous les yeux, repose le corps du Christ, sculpté en marbre blanc par le grand artiste lyonnais Fabisch.
« Le tabernacle et les degrés qui l’entourent ont des incrustations en marbre du Mexique, encadrées dans une brillante mosaïque, avec l’alpha et l’oméga symboliques. Deux colonnes en marbre de Constantinople supportent le chapiteau du tabernacle, lequel présente, au milieu, un cœur en onyx rayonnant, et au-dessous, la porte du tabernacle en bronze doré et émaillé, dessinée par Bossan. Enfin, sur le rétable en mosaïque, s’étagent par degrés inégaux, quatre gradins en marbre blanc avec ce texte : « Par lui, avec lui et en lui tout honneur et toute gloire, ô Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit. »
« Sur ces gradins, l’exposition. Quatre anges en bronze doré dont deux sont debout, vêtus de la dalmatique du diacre, les ailes dressées, soutiennent, au-dessus de l’ostensoir, une couronne faite de lis d’or et de pierreries. Les deux autres anges sont prosternés et supportent la pierre d’onyx où repose l’ostensoir. De ces merveilles, Dufraisne a façonné les moules, Tissot a été l’habile fondeur, et Christophe a doré les œuvres que le talent de ses confrères lui rendaient doublement recommandables et dignes d’être soignées. On arrive à l’exposition par deux escaliers, ménagés de chaque côté de l’autel. Avant d’atteindre l’abside, on lit ces mots gravés en lettres d’or sur le mur de face : « Je crois que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. »
Deux écussons, fixés au fond des basses nefs, près du chœur, portent les armes de Pie IX et du cardinal Caverot qui a béni la chapelle. De chaque côté du chœur se trouvent deux chapelles dédiées, l’une à la Sainte-Vierge dont l’autel est surmonté d’une statue de la mère de Dieu par Fabisch, l’autre, du côté de l’épître, sous le vocable de saint Joseph. Du même côté, dans une annexe, s’ouvre la chapelle du Sacré-Cœur décorée <l’une belle statue par le même artiste.
« La tribune supérieure, établie contre le mur de la façade, est éclairée par un vitrail qui dessine une gloire autour de la croix triomphante. Les mots suivants se détachent sur «ne banderole qui contourne le sommet du vitrail : Ici flotte l’étendard du roi et resplendit le mystère de la Croix. Deux anges, appuyés sur la rampe de la tribune, montrent le crucifix qui se dresse au milieu de la tribune inférieure, ils le désignent du geste et du regard et portent sur des banderoles ces mots : Regardez, ô Dieu, notre protecteur, la face de votre Christ. Six vitraux éclairent la chapelle, un à chaque travée. Ce sont de vastes rosaces, sorties des ateliers de Miciol, artiste lyonnais, jadis grand prix de Rome. Voici l’exacte description des sujets représentés. Les deux premières verrières expriment le mot adorer : ils représentent la touchante histoire de Jésus au puits de Jacob et l’Adoration des Mages. Les deux suivantes rappellent que l’adoration se fait en union avec Jésus-Hostie. D’une part, Notre-Seigneur consacre le pain, qui est, en effet, le trait d’union entre lui et les âmes ; de l’autre, l’apôtre saint Jean donne Jésus à Marie et lui répète le mot du Calvaire : Femme, voilà votre Fils. Cette scène est en partie la reproduction d’une toile conservée au grand séminaire de Lyon. Les derniers vitraux achèvent de préciser la pensée réparatrice : Marie, au pied de la croix, fait face à Notre-Seigneur au jardin de Gethsémani. L’artiste s’est inspiré de Paul Delaroche et de la fresque de Flandrin à Saint-Germain-des-Prés ».
Dans la chapelle se trouvent deux bons tableaux : une Mater Dolorosa et une sainte Face, reproduction de toiles peintes par la fondatrice. Sous les tribunes, les statues de trois personnages de l’Ancien Testament : Melchisédech offrant le pain et le vin ; Abraham avec le couteau et la flamme du sacrifice, et Moïse descendant du Sinaï avec les tables de la loi.
Une porte pratiquée dans la muraille de gauche porte ces mots : Chemin de croix. Devant nous un Ecce Homo, puis, de chaque côté, sous une voûte d’aspect claustral, les quatorze scènes de la passion enchâssées dans le mur et dues, comme la statue de l’Homme-Dieu, au ciseau de Fabisch. Ces groupes sont pleins de mouvement et remarquables de vie. Au fond, noyée dans une grisaille, une croix rouge surmontée d’un diadème royal.
MARIE-AUXILIATRICE
Sophie de Soubiran, future fondatrice des religieuses de Marie-Auxiliatrice, naquit du mariage de M. de Soubiran avec Noémie de Gelis de Lisle d’Alby, le 16 mai 1834 ; le 17, elle fut baptisée. À l’âge de trois ans elle est guérie de la fièvre typhoïde, grâce à l’intercession de Marie, pour laquelle elle conserva une sincère reconnaissance. Elle fit sa première communion le 29 juin 184.5, et éprouva, dès cette époque, un pressant attrait pour la vie religieuse. Plus tard, elle se dévoua à la congrégation des enfants de Marie de Castelnaudary, dont son oncle était le directeur. Elle se crut la vocation d’entrer au Carmel, mais ses directeurs l’en éloignèrent. Son oncle, le chanoine de Soubiran, la poussa à l’établissement d’un béguinage au Bon-Secours de Castelnaudary. Elle prit en religion le nom de sœur Marie-Thérèse. Mais ses compagnes et elle désiraient une vie religieuse plus sérieuse, et elles furent conduites ainsi à fonder un Institut différent du béguinage, où on suivrait la règle de saint Ignace et on jouirait de l’adoration du saint Sacrement. C’était en 1854, on appela l’Institut : Marie-Auxiliatrice. Une maison de cette congrégation fut établie à Castelnaudary, une autre à Toulouse : les principaux caractères de la communauté sont, comme il a été dit : l’adoration nocturne du saint Sacrement et les œuvres de zèle faites en esprit d’expiation. Parmi ces œuvres, les maisons de famille pour les jeunes filles ouvrières tiennent la première place. Mère Marie-Thérèse obtint de Rome un bref laudatif, le 19 décembre 1868. De retour de la capitale du monde chrétien, elle lit une fondation à Amiens, puis se rendit à Lyon, où elle loua, en juin 1869, une maison, rue François-Dauphin, et l’organisa en vue de sa nouvelle destination.
Les sœurs que l’on avait fait venir dans celle nouvelle fondation eurent, au début, à souffrir de nombreuses privations dues à l’imprévoyance d’une religieuse à qui sœur Marie-Thérèse avait laissé imprudemment les rênes du gouvernement général de l’Institut. Mais quelque temps après, tout s’améliora. Les religieuses de Lyon, devant l’affluence des ouvrières lyonnaises dans leur modeste maison, s’empressèrent de louer une autre maison sur le coteau de Fourvière, où leurs jeunes filles purent jouir du bienfait de la campagne. En 1870, privées, par l’hostilité populaire, de s’occuper des jeunes filles, les religieuses les mirent dans des maisons sûres, puis partirent pour Londres où la mère Marie-Thérèse et son assistante avaient préparé une maison.
Les sœurs d’Amiens et de Toulouse vinrent rejoindre celles de Lyon. Elles se trouvèrent ainsi réunies au nombre de cinquante, et obligées d’habiter dans une petite maison à peine suffisante pour quelques personnes. La paix revenue, en juillet 1871, la fondatrice, son assistante et plusieurs religieuses reprirent le chemin de la Finance et revinrent à Lyon et à Amiens, puis s’établirent à Bourges. Mais l’imprévoyance de la mère assistante gâta tout, et l’institut fut sur la pente de sa ruine : les fondations, en effet, étaient trop nombreuses, les ressources insuffisantes. La mère Marie-Thérèse s’humilia, et s’attribua le tort, quoiqu’elle ne fut pour rien dans le désastre. Elle démissionna, le 13 février 1874, et fut même renvoyée de l’institut. Elle rentra alors à Notre-Dame-de-Charité à Toulouse, où elle prit le nom de mère du Sacré-Cœur, et mourut le 7 juin 1889. La mère assistante, devenue supérieure générale de Marie-Auxiliatrice, ne tarda pas à être jugée par les sœurs à sa juste valeur ; les obstacles s’accumulant, elle démissionna le 13 février 1890. Son successeur fut mère Marie-Élisabeth, la fille de prédilection de la fondatrice qui fut nommée supérieure générale le 29 août 1890.
Ce fut en 1869 que les religieuses vinrent s’établir à Lyon. En 1889 elles transportèrent leur maison de famille place Saint-Clair, où elles possédaient déjà un externat d’enfants : la maison s’élevait en terrasses, et ses divers étages bien aménagés, s’ouvraient à un nombre de plus en plus considérable d’employées de commerce ou d’administration, d’institutrices, d’ouvrières, obligées de travailler en dehors des sécurités et des consolations de la famille. Celles-ci sont reçues à des conditions très modérées et on cherche non seulement à les protéger au-dehors contre les dangers auxquels elles sont exposées, mais on s’efforce encore de leur donner, autant que possible, la vie de famille dont elles sont privées. Les jeunes personnes sont reçues à la seule condition morale de vivre sous la dépendance des religieuses, de mener une vie régulière, soit au dedans, soit au dehors de la maison, et de s’employer à un travail sérieux dans leur propre intérêt.
Bientôt la maison de Saint-Clair ne suffit plus. Les religieuses de Marie-Auxiliatrice eurent recours, pour construire, à la générosité privée qui, dans notre ville, ne fait jamais défaut aux œuvres chrétiennes et sociales. Un demi-million fut couvert pour fonder une société financière par actions, qu’on nomma : « La Protectrice ». Dès 1895, un nouvel établissement s’ouvrait en hâte rue Bossuet, 11, avant même que les pavillons en fussent achevés. Il abrite maintenant plus de 260 jeunes filles de toute condition. On y voit des institutrices, des gouvernantes, des étudiantes, des employées de commerce, de banque pu d’administration, des couturières et des brodeuses. Les plus fortunées prennent une pension qui leur donne droit à une chambre, les moins favorisées se logent au dortoir commun. Mais la plus parfaite égalité règne entre les unes et les autres : elles se conseillent, se soutiennent, en s’instruisant mutuellement dans les difficultés de la vie. Des cours professionnels sont faits par des religieuses très versées en leçons de choses, et des conférences préparent aux divers emplois. Parfois, dans la morte saison, on improvise des ateliers d’ouvrages à façon accessibles à toutes les bonnes volontés.
Le régime n’est pas plus celui de l’orphelinat que celui du couvent. Les religieuses, véritables mères, ne poussent à la vie religieuse que les vocations éprouvées, et acheminent surtout leurs protégées à leur devoir normal, au mariage. L’esprit d’ordre et de propreté minutieuse, de stricte économie qui caractérise la maison, lui fait une excellente enseigne, à laquelle se sont fiés d’honnêtes jeunes gens et aboutissant à des unions loyales célébrées parfois dans la modeste chapelle. Presqu’en même temps que leur maison de famille, les Auxiliatrices fondèrent une société de secours mutuels autorisée par arrêté préfectoral du 10 février 1877. Une caisse spéciale d’épargne fort bien entendue, comprenant des primes d’encouragement, des primes exceptionnelles et des pensions de retraite, fonctionne dans cette association. La chapelle de la rue Bossuet, dédiée à Marie-Auxiliatrice, fut commencée en 1895, sur les plans de M. A. Chomel, architecte, et bénite par le cardinal Coullié, le 2 mai 1897. Elle se développe sur une longueur de 27 mètres et une largeur de 8m50. Elle n’est pas indépendante de la maison et ne présente pas, par conséquent, de caractère extérieur d’ensemble. Ce défaut est toutefois racheté par une disposition très ingénieuse de l’intérieur. Elle est de style roman avec arc surbaissé, et suffisamment vaste pour contenir les nombreuses jeunes filles, pensionnaires de la maison. L’autel fort large est décoré, sur le devant, de colonnettes de bois doré et sculpté qui, en se pressant, forment des arcs, des entrecolonnements, des galeries avec perspectives du plus gracieux effet. Au-dessus de l’autel, le tabernacle mérite attention : il s’élève fort haut en s’évasant et se termine par des clochetons de bois sculpté avec petites niches. Tout autour du tabernacle on a peint des symboles et des personnages qui rappellent, à la fois, et les douze tribus de l’Ancien Testament et les douze apôtres de la nouvelle loi. C’est un des plus élégants tabernacles des églises lyonnaises.
Le chœur est fermé par deux demi-frontons, supportés par deux colonnes de granit. Ces frontons abritent des statues de la sainte Vierge et de saint Joseph. La chapelle est meublée de bancs qui ne manquent pas de style et le long des murs on a placé un chemin de croix polychrome.
MARIE-THÉRÈSE
La chapelle de Marie-Thérèse, située 59, montée du Chemin-Neuf, appartient aux religieuses de ce nom. C’est le siège de la maison-mère de la congrégation sur laquelle nous allons donner quelques renseignements historiques. Avant la Révolution, vivaient à Lyon Claude Brochet de la Rochetière, bourgeois de cette ville et son épouse Antoinette Voland. De cette union naquirent plusieurs enfants et notamment Marie-Sophie, venue au monde le 3 avril 1776. Cette famille chrétienne eut à souffrir des excès de la Révolution. Le père fut poursuivi pour avoir pris une part active à la condamnation de Chalier. La mère et les filles furent emprisonnées à Lyon : Marie-Sophie se rendit plus tard à Bordeaux et confia la direction de sa conscience à un prêtre de choix, l’abbé Lespiaut, Chartreux avant la l’évolution, puis réfugié en Irlande, et enfin revenu à Bordeaux en qualité de curé de Saint-Éloi. Sous la conduite de cet homme de Dieu, elle se sentit confirmée dans la vocation où elle pensait se trouver depuis longtemps, de fonder à Bordeaux une communauté de religieuses qui allieraient l’oraison à l’apostolat en priant particulièrement pour les prêtres, en instruisant chrétiennement les enfants pauvres et en s’efforçant de ramener à Dieu par la charité les âmes oublieuses de leur principe et de leur fin. Dans ce but, elle s’adjoignit deux compagnes, Pauline Chicard et Jeanne-Victoire Gueiseler. Mais son dessein fut retardé par les empêchements que suscitèrent les parents de Mlle Gueiseler.
Le 15 octobre 1815 enfin, naquit l’institut de Marie-Thérèse, jour où le vénérable archevêque de Bordeaux, monseigneur d’Aviau du Bois de Sanzay imposa le voile blanc aux trois jeunes filles ; Mlle Brochet de la Bochetière prit en religion le nom de sœur Marie de Jésus. Toutes trois s’établirent sans bruit, dans quelques étroites et pauvres chambres d’une maisonnette de la rue Mondenard, sur la paroisse Saint-Seurin, où elles restèrent vingt-sept mois, non sans y avoir ouvert, le plus tôt qu’elles purent, une classe gratuite pour les enfants pauvres. En janvier 1818, elles se transportèrent dans un logis plus grand et plus commode de la rue Saint-Étienne, qui faisait partie de la même paroisse, et M. Lespiaut vint habiter avec elles. Elles prospérèrent : les habitants de ce quartier, pourtant mal réputé, se laissèrent gagner ])eu à peu à la douceur et aux bons procédés de la nouvelle congrégation. La chapelle pouvait contenir quatre à cinq cents personnes : elles se remplit, et par l’autorisation de l’archevêque, devint église co-paroissiale en 1824. Les religieuses se multiplièrent sans que leur premier esprit diminuât.
En 1821, sœur Marie de Jésus commença ses voyages à Lyon, où il n’avait pas tenu à elle que fût établi le berceau de son œuvre et où elle voulait au moins fonder sa seconde maison : cela n’alla pas sans peine ; pourtant, en janvier 1824, grâce aux bons offices du chanoine Allibert, elle prit possession de l’ancien hôtel d’Albon dans la rue des deux Cousins, au quartier Saint-Jean, avec deux de ses filles que lui avaient envoyées de Bordeaux l’abbé Lespiaut : sœurs Séraphine et Louise, une converse sœur Céleste et une prétendante Marianne David. Cette seconde fondation égala la première en régularité et en fécondité. Les sœurs partageaient leur temps entre la prière, le soin du modeste externat, bientôt très fréquenté, et le travail manuel nécessaire à leur subsistance.
Le 25 juin 1824, elles quittèrent l’ancien hôtel d’Albon pour l’immeuble Généla, au no 32 de la montée du Chemin-Neuf ; mais cette maison, encore qu’elle fut plus propre à leur genre de vie, était trop étroite, aussi Mère Marie de Jésus acheta-t-elle, dès la fin de l’été, au prix d’une rente viagère, une maison et un terrain attenant à l’immeuble Généla. Elle eut ainsi les coudées plus franches. Le jardin avec ses deux allées de marronniers et de tilleuls donnait à la maison un fort bon air ; au bout de l’allée de marronniers, se trouvait un ample pavillon isolé : on en fit la chapelle en attendant mieux. L’institut dès lors se propagea assez vite : la troisième fondation fut celle de Limoges en 1832, puis vint celle de Nîmes en 1837, après que le pape Grégoire XVI eut approuvé, le 9 mai 1835, les constitutions, et le 20 avril de la même année confirmé solennellement cette approbation par un bref.
La règle définitive voulait pour directeur un supérieur général : l’abbé Lespiaut étant mort le 11 novembre 1830, M. l’abbé Féret, vicaire général de Limoges, lui succéda. Mère Marie de Jésus, cette parfaite religieuse, dont la bonté était la marque distinctive, mourut, le 6 décembre 1842, entre les bras de sa sœur, Mlle Julie Brochet de la Bochelière. Elle avait épuisé ses dernières forces par d’incessantes visites à ses diverses communautés et par le chagrin qu’elle éprouva profondément de certaines dissensions, dont l’effet après sa mort fut que la maison de Bordeaux et celle de Limoges se séparèrent de la maison-mère et se mirent sous la juridiction de leurs évêques respectifs. L’œuvre ne fut pas atteinte au cœur, toutefois, par ce déchirement : les maisons de Carcassonne, de Dijon, de Pélussin, de Madrid, établies en 1854, 1868, 1878 et 1880, en font foi. La mère fondatrice n’avait pas eu le loisir de donner à celle de Lyon tous les perfectionnements qu’elle désirait ; de vieilles masures chevauchaient confusément sur le terrain qu’elle avait acheté. Mère Scolastique, qui lui succéda, embarrassée d’affaires extérieures et distraite surtout par le schisme qui diminua son troupeau, n’eut pas la liberté d’esprit ni non plus les ressources nécessaires pour construire. La joie en fut réservée à la troisième supérieure générale, Marie-Thérèse de Jésus.
Commencées en 1870, un peu avant la guerre, les bâtiments vastes et réguliers qui s’élèvent aujourd’hui furent repris activement au printemps de 1871 et achevés pendant l’été de 1875. Le 5 août, Mgr Thibaudier, évêque auxiliaire de Mgr Ginouilhac et futur archevêque de Cambrai, consacra solennellement la chapelle dédiée au Sacré-Cœur avec sainte Thérèse pour seconde patronne.
Aujourd’hui la congrégation compte cent cinquante sujets répartis dans six maisons, savoir : la maison-mère de Lyon, qui jusqu’à cette année possédait un pensionnat, et abrite aujourd’hui l’ancien petit séminaire de la Primatiale devenu collège libre ; Nîmes, maison de refuge et de préservation ; Carcassonne, orphelinat el autrefois pensionnat ; Dijon, ex-pensionnat ; Madrid, pensionnat et externat ; enfin Pélussin, orphelinat.
La chapelle construite dans le style de M. Bossan ne comprend qu’une nef avec deux chapelles au transept. Son élévation lui donne un air majestueux, tempéré toutefois par l’aspect gracieux des ornements et des décorations dont on va parler : c’est en somme une des belles chapelles de Lyon. Le maître-autel n’offre pas de sculptures particulières, mais il est abondamment éclairé par cinq vitraux présentant chacun deux compartiments : en haut, un saint ou une sainte ; au bas une scène appropriée à l’histoire de la congrégation. Voici l’énumération de ces sujets : sainte Thérèse, sainte Claire, saint Augustin et saint Bruno, fondateur de l’ordre des Chartreux auquel appartint le Père Lespiaut ; Mère Marie-Thérèse de Jésus, fondatrice, consacre au Sacré-Cœur la première maison de la congrégation ; mère Scholastique, deuxième supérieure ; le Père Lespiaut compose les règles de l’institut ; M. Féret, second supérieur, les fait approuver à Rome par Grégoire XVI ; enfin le chanoine Allibert, secrétaire de l’archevêché de Lyon et ancien aumônier de la maison, veille à l’exécution de cette règle.
Les deux chapelles latérales sont consacrées à la sainte Vierge et à saint Joseph dont elles renferment les statues. Près de la table de communion se trouve une belle chaire en bois sculpté, décorée des portraits de saint Pierre et saint Paul. Le long des murs court un rang de stalles et de boiseries exécutées sur les dessins de M. Trémont. Au fond de la chapelle s’élève une vaste tribune. La sacristie est enrichie de quelques ornements et de missels anciens ; enfin un très remarquable Christ en ivoire, présent du cardinal Fesch, orne l’intérieur de la communauté.
INCURABLES
Le vrai merveilleux est dans l’histoire de la charité chrétienne : quelle diversité dans les œuvres, les caractères, les cœurs, et pourtant combien ils ne forment qu’un seul cœur ! Lyon a ajouté, au début du xixe siècle, une belle page aux annales du bien, conclura-t-on après avoir lu l’œuvre d’Adélaïde Perrin. C’était une humble personne qui n’avait pas à compter outre mesure sur les faveurs du monde. Née en 1789, elle n’eut, dès son enfance, aucun goût pour la parure ou les amusements ; bien plus, adolescente et jeune fille, elle possédait à un rare degré la singulière faculté de se cacher et de se faire oublier. Lorsqu’elle commença à paraître, un peu contre son gré, ce ne fut que pour soulager les maux les plus répugnants. À dater de cette heure elle crut que sa vie méritait d’être étudiée par elle-même, et elle se mit à écrire ses mémoires, son journal, afin de garder la recette du bien. Ce sont des pages admirables de style ferme, de bons sens, d’intuition, de finesse claire, comme le maître psychologue d’en haut sait en inspirer à qui le cherche tout droit ; il y a là aussi de l’économie sociale, positive, vraie.
Le commencement de l’étrange apostolat d’Adélaïde fut petit, comme sont presque tous les débuts des grandes choses. En juillet 1819, une inconnue vint, en l’absence de la pieuse demoiselle, lui recommander une jeune fille qui se trouvait à l’hôpital et qu’on se proposait de renvoyer, parce qu’elle était incurable. La novatrice ne se vante pas : elle repoussa, dit-elle, trois fois la charitable messagère qui trois fois revint à la charge. Mlle Perrin va enfin, et comme par hasard, visiter la pauvre incurable, et dès lors elle ne peut plus s’en détacher. La science lui représente que ces plaies hideuses et rebelles à tous soins, sont la suite fatale des vices des ancêtres, et qu’il est des races qui doivent s’éteindre. Elle, ne voit dans l’alourdissement fatal du mal héréditaire qu’un être innocent en lui-même qui gémit sous ses yeux. La malheureuse a une famille, elle en connaît l’indigence. Alors sans discuter avec la médecine ou la statistique, elle prend l’incurable à sa charge, puis deux, puis trois : elle était partie sur le chemin de sa vocation. N’ayant pas de fortune, elle quêtait des secours ; vingt fois elle se vit à bout d’expédients, et chaque fois Dieu lui vint en aide à point nommé : « J’admirais chaque jour », écrit-elle, « les soins de la Providence qui n’est jamais si belle que lorsqu’on la considère dans ces détails minutieux, où l’on reconnaît la tendresse d’une mère ».
Après les obstacles matériels se présentèrent des difficultés morales pires encore. Elle essaya d’apprendre à ses pensionnaires d’un nouveau genre de petits métiers qui les tireraient de leur abjection : il lui fut souvent impossible de vaincre l’inertie des âmes enfouies dans ces corps de rebut. Elle se découragea, et prit ou crut prendre la ferme résolution de ne plus s’en mêler. Sur ces entrefaites, elle fut atteinte d’une grave maladie, guérit très vite et se sentit remplie d’un courage et de forces qu’elle ne s’était jamais connues. L’œuvre cependant se développait dans l’ombre : les curés des alentours grossissaient par leurs envois le misérable troupeau.
Mlle Perrin obtint de sa mère de loger ces pauvres dans les vastes greniers de la maison qu’elle habitait place Saint-Jean. De plus, quelques amies intelligentes et dévouées, mesdemoiselles Richard, Catelin et Roch, se firent ses auxiliaires et lui permirent de respirer et d’espérer. Pourtant elle n’avait pas franchi son plus difficile passage ; le curé du quartier Saint-Georges, M. Julliard, jusque-là son guide, son admirateur, lui marqua peu à peu quelque relâchement d’amitié, quelque froideur même dont elle ne sut la cause que plus tard : il ne concevait pas qu’une semblable besogne de charité restât entre des mains laïques, et proposa à Mlle Perrin de confier ses malades à des religieuses cloîtrées, ses malades qu’elle ne verrait plus, mais à l’entretien desquelles elle continuerait à pourvoir par ses quêtes. Elle n’accepta pas ces conditions : le caractère laïque de l’œuvre lui tenait autant à cœur qu’il donnait à craindre aux prêtres les mieux disposés à son égard.
Une autre fois, bien plus tard, les vicaires généraux tentèrent un second assaut, elle écouta le plus docilement du monde leur admonestation bien intentionnée ; bien plus, elle s’offrit à être elle-même religieuse, et se mit en route sans différer pour un monastère qu’on lui indiqua, et où elle ne fut pas accueillie. Ce dernier trait de la Providence acheva de la persuader, nous citons encore ses mémoires « qu’une des vues de la bonté infinie du Christ, est de sanctifier les âmes qui se perdent, en les attirant par le spectacle de ses membres souffrants, et d’établir un rapport de bonnes œuvres entre les personnes qui vivent dans le monde et celles qui s’en sont séparées. Le Seigneur, poursuit-elle, n’est-il pas venu prêcher à tous les vertus chrétiennes, et pour montrer que les gens du monde pouvaient les suivre, n a-t-il pas appelé saint Mathieu et saint Paul à sa suite. »
Ce sage programme de piété et d’humilité, où la présomption n’avait pas de part, fut béni de Dieu. Mille industries ingénieuses augmentèrent les ressources d’Adélaïde : en voici une, par exemple, qui ne manquait pas d’originalité. Elle lançait des invitations à travailler pour les pauvres ; les jeunes filles, par curiosité d’abord, puis par une joie intérieure qu’elles ne cachaient pas se mettaient autour des tables à ouvrages ; enfin, lorsque tricots, gilets, couvertures s’amoncelaient et que les pauvres de la paroisse étaient pourvus, mademoiselle Perrin retenait timidement trois couvertures de laine pour ses incurables : on sut alors où elle prétendait mener ses invitées.
Il faudrait un volume pour raconter les péripéties, les ébranlements perpétuels de l’œuvre des Incurables, même longtemps après qu’il eut semblé à Adélaïde que l’avenir en était à peu près assuré. La bonne dame aux miracles, comme l’appelaient en riant ses amies, ne perdait jamais l’espoir, mais son caractère demeuré très vif, et sa santé redevenue faible, souffraient beaucoup de ces alternatives et de ces épreuves. Elle dut, sur ces entrefaites, quitter ses chères incurables, les confier à la garde de sa meilleure assistante, pour aller à la campagne soigner sa mère qui ne tarda pas à mourir. Or, une nuit, au chevet du lit de la malade, elle eut un songe qu’elle relate simplement : « Je vis un grand nombre de mes incurables réunies dans un grand local, et soignées par des sœurs de l’ordre de Saint-Joseph, lesquelles me firent entrer dans une chapelle, puis me montrèrent des caves, des greniers où elles avaient d’amples provisions ».
Vingt ans après cette vision prophétique, il ne restait plus rien à en réaliser : une maison spacieuse contenait cent douze hôtes de la souffrance, les Sœurs Saint-Joseph donnaient leurs soins aux jeunes incurables, et il y avait le nécessaire dans les caves et les greniers. Durant la seconde partie de sa vie, Mlle Perrin connut les prémices de la prospérité. Dès 1825, année où fut composé le conseil d’administration sous la présidence de la fondatrice, l’œuvre se développa rapidement. En 1826, M. de Lacroix-Laval, maire de Lyon, reçut, en faveur des jeunes incurables, la souscription de madame la dauphine ; l’année suivante tous les princes imitèrent ce noble exemple : en 1832, le conseil municipal obtint pour cet établissement la reconnaissance d’utilité publique, et lui alloua une annuité de mille francs.
À la mort de Mlle Adélaïde on comptait cinquante jeunes filles incurables ; en 1839 soixante-cinq. En 1840, le roi et les princes firent une abondante souscription, exemple qui, en 1842, fut suivi par le cardinal de Bonald, le préfet, le maire, le receveur général et nombre de personnes généreuses de Lyon. Cependant le nombre des malades admises croissait proportionnellement à celui des subventions : on en comptait cent en 1844, cent dix en 1831 ; lorsque le ministre de l’intérieur eut appliqué aux incurables une somme de 500 francs en 1875, elles étaient cent soixante-quatorze. Ajoutons qu’en 1853 un établissement semblable avait été fondé à Paris.
La chapelle, de vastes dimensions, est l’œuvre de M. Sainte-Marie Perrin, l’éminent architecte de Fourvière, neveu de la fondatrice ; elle date de 1898. Dépourvue d’ornements superflus, toute sa beauté réside dans la pureté et la simplicité de ses lignes. Elle est à une seule nef, et ne possède ni transept ni chapelles. Le maître-autel de pierre est surmonté par un groupe admirable : une Pietà par Dufraisne. La Vierge, avec une expression de tristesse profonde, contemple son fils mort. La vue des souffrances de la Mère de Dieu est bien propre à inspirer des sentiments de résignation chrétienne aux pauvres Incurables qui viennent prier devant ce groupe. À droite et à gauche, deux anges de grandeur naturelle placés dans une niche tiennent l’un la couronne d’épines, l’autre l’inscription : Ecce homo. De chaque côté de l’autel, on a placé les statues du Sacré-Cœur et de Saint-Joseph. L’édifice est éclairé par sept baies qui y déversent une lumière abondante.
Dans la chapelle, enrichie d’indulgences accordées par les papes Grégoire XVI et Pie IX, on voit une plaque de marbre sur laquelle est gravée cette inscription modeste comme l’âme dont elle rappelle le souvenir : « À la mémoire de Louise-Adélaïde Perrin, fondatrice, en mars 1819, de l’établissement des jeunes filles incurables, née à Lyon, le 11 avril 1789, décédée dans cette maison, le 15 mars 1838. — Bienheureux celui qui étend sur le pauvre une charité industrieuse et intelligente : Dieu le délivrera au jour de l’affliction. Psaume XL, 4. »
CLERCS DE SAINT-VIATEUR
Une des heureuses caractéristiques du xixe siècle réside dans les efforts considérables qui ont été réalisés pour l’amélioration et la diffusion de l’instruction primaire, soit officielle, soit libre. Déjà, nous avons redit les travaux et les succès du Père Champagnat et des Petits-Frères de Marie, il nous reste à rappeler l’histoire d’un homme de bien, le Père Querbes, fondateur des clercs de Saint-Viateur, dont une partie s’occupe d’instruction, et l’autre veille à la bonne tenue des sacristies. Disons de suite que l’idée maîtresse qui a présidé à cette institution, a été motivée par ce fait que les congrégations enseignantes se refusaient à envoyer dans les petites campagnes moins de trois sujets éducateurs ; nombre de paroisses privées par là du bienfait de l’instruction chrétienne, purent ensuite s’adresser aux clercs de Saint-Viateur, qui étaient autorisés à aller seuls ou à deux.
Pour rédiger l’étude qu’on va lire, nous nous sommes servis d’un précieux rapport, écrit par le Père Querbes, et adressé par lui au cardinal de Bonald : c’est une sorte d’autobiographie.
M. Querbes naquit à Lyon en 1793. Après une sérieuse éducation cléricale, il fut nommé vicaire à Saint-Nizier, puis curé de Vourles, près de Saint-Genis-Laval, c’est dans cette modeste paroisse qu’il devait réaliser son dessein.
« Arrivé, dit-il, à Vourles, en 1822, je m’empressai de faire venir des sœurs de Saint-Charles qui y formèrent, l’année d’après, leur premier établissement dans notre canton. Dès 1824, je cherchais à procurer aussi aux petits garçons de ma paroisse le bienfait d’une éducation religieuse, et à me débarrasser de deux maîtres d’école indignes de leur profession. Ma demande d’un frère à M. Courveil, alors supérieur des Maristes, ayant été repoussée, je compris, dès lors, le besoin d’une institution religieuse qui pût envoyer un à un quelques-uns de ses membres jusque dans les campagnes les plus reculées.
« Cette pensée ne m’aurait pas laissé de repos si la Providence ne fût venue alors au secours de ma pauvre paroisse. Elle m’envoya un frère des Écoles chrétiennes, directeur d’une des écoles de Paris, qui me fit offrir, par un de ses parents, propriétaire à Vourles, de venir en diriger l’école à condition que je lui donnerais des leçons de latin. Ce bon frère, qui est aujourd’hui diacre au séminaire de Brou, devint mon chantre, sacristain, catéchiste, commensal et compagnon. L’impiété laissait déjà entrevoir le dessein de s’emparer des petites écoles et d’y transporter le théâtre de la guerre qu’elle fait à la religion. Aussi je me surprenais à songer combien il serait avantageux de procurer à mes confrères des maîtres et des compagnons semblables à celui que j’avais le bonheur de posséder alors. Ce n’était point une nouvelle congrégation religieuse qu’il me semblait nécessaire d’établir ; une simple confrérie de maîtres pieux et chrétiens pouvait répondre au besoin du moment. Ces instituteurs laïques, unis par les liens de la charité, eussent pu rester célibataires ou même s’engager dans les liens du mariage, sans cesser de faire partie de la confrérie.
« Vers la fin de 1826, après avoir terminé la construction de l’église paroissiale, j’exposai, en tremblant, ces premières pensées à M. Cattet, vicaire général, et à Monseigneur d’Amasie ; ce dernier goûta le projet et chargea M. Cattet de le suivre. Il fut d’abord convenu qu’on s’occuperait d’obtenir l’approbation du gouvernement. Une correspondance s’établit avec le ministre de l’Instruction publique. Après bien des ajournements et des délais, je partis pour Paris, en juillet 1829, avec la permission de Monseigneur, muni de lettres de recommandation du recteur de l’Académie et de M. de Verna. »
À toutes les observations qui, à Paris, furent faites à M. Querbes, il répondit, après avoir consulté M. Cattet, qui lui écrivait au nom de l’archevêque. Le 8 août 1829, le conseil royal de l’instruction publique, sur le rapport favorable de M. l’abbé Clausel de Goussergues, qui en était membre, rendit la décision suivante :
« Le conseil royal de l’instruction publique, vu le rapport qui lui a été présenté concernant les statuts de l’association établie à Vourles, département du Rhône, sous le nom de société charitable des écoles de Saint-Viateur, et destiné à fournir des instituteurs primaires pour le ressort de l’académie de Lyon ; décide que son excellence le ministre secrétaire d’État au département de l’instruction publique, sera prié de solliciter une ordonnance royale qui autorise ladite société et qui approuve les statuts dont la teneur suit : 1° L’association portera le nom de société charitable des écoles de Saint-Viateur.
2° Elle sera soumise aux règlements universitaires qui régissent les associations charitables destinées à l’instruction des enfants du peuple.
3° Les postulants suivront un cours d’études de trois ans, pendant lesquels on les appliquera à la lecture, l’écriture, à l’étude de la grammaire française, de l’arithmétique et de la géométrie, autant qu’il en faut pour l’arpentage. On les instruira surtout de la doctrine chrétienne, dont il faudra qu’ils aient une connaissance approfondie, étant eux-mêmes destinés à en donner des leçons.
4° Les membres de l’association seront partagés en deux classes : celle des associés et celle des agrégés, où ils sont admis après un espace de temps suffisant et les épreuves convenables. Les premiers sont célibataires, les uns et les autres ne font aucun vœu et ne prennent aucun engagement qui puissent gêner leur sortie de l’association.
5° L’association a pour chef ou directeur le desservant de Vourles qui se fait assister d’un bureau ou conseil composé des maîtres de la maison d’institution ou école normale, lequel règle, de concert avec lui, ce qui intéresse le bien de l’association.
6° Elle s’attachera aux meilleures méthodes élémentaires, qu’elle adoptera en tout ou en partie. En attendant, le guide des écoles primaires servira de règle pour cet objet.
7° Les sujets, une fois formés, seront envoyés un à un, ou plusieurs ensemble, selon l’importance du lieu, sur la demande des autorités locales ; le directeur s’entendra avec les autorités à l’effet de pourvoir à l’entretien et au modeste ameublement des associés ; les agrégés traiteront par eux-mêmes avec les communes dans lesquelles ils seront envoyés.
Il faut rendre justice à qui elle est due ; cette décision fut le dernier acte du ministère Vatismesnil qui s’y prêta, soit par la conviction du bien, soit par le désir de faire quelque chose d’agréable à M. de Verna, député du Rhône. Pendant que M. Querbes était à Paris, un de ses amis lui écrivit qu’étant allé à l’archevêché, on lui avait dit qu’on tenait M. Querbes pour fou, qu’on lui avait permis ce voyage pour céder à son entêtement mais qu’il reviendrait comme il était allé. Aussi, un orage terrible l’attendait-il à son retour à Lyon : l’archevêque lui adressa les plus vifs reproches sur son voyage et sur ses démarches faites, disait-il, sans autorisation. Le vénérable prêtre demeura d’abord étonné et sans voix ; puis, reprenant ses esprits, il pria Sa Grandeur de se rappeler qu’elle lui avait donné elle-même la permission du voyage et qu’elle avait chargé M. Cattel de le faire remplacer dans sa paroisse ; il ajouta, quant aux démarches, qu’il n’en avait pas fait une seule sans l’avis de M. Cattet à qui Sa Grandeur l’avait adressé et dont il avait toutes les lettres en réponse aux siennes. Mgr de Pins le congédia en lui défendant de donner suite à l’exécution de ce projet. Peu de temps après, M. l’abbé Clausel de Coussergues écrivit au prélat, et M. de Verna lui parla de nouveau du projet : tout fut inutile. M. Cattet, qui éprouvait quelques désagréments à cette occasion, demanda à M. Querbes, comme un service, de lui rendre ses lettres. Celui-ci se hâta de le satisfaire.
Cependant, le 10 janvier 1830, une ordonnance du roi Charles X, rendue, sur le rapport du ministre, M. de Guernon-Hanville, vint sanctionner la décision du conseil de l’Instruction publique ; il y était dit en substance : 1° La société que le sieur Querbes se propose d’établir, sous le titre d’Association de Saint-Viateur, et dont le chef-lieu sera établi dans la commune de Vourles, est autorisée comme association charitable en faveur de l’instruction primaire.
2° La société se conformera aux lois et règlements relatifs à l’instruction publique, et notamment à l’obligation imposée à tous les instituteurs primaires d’obtenir du recteur de l’Académie le brevet de capacité et l’autorisation nécessaires.
3° Le brevet de capacité sera délivré aux membres de l’association d’après les examens que le recteur leur fera subir ; ils recevront également du recteur l’autorisation spéciale d’exercer dans un lieu déterminé, sur le vu de la lettre particulière d’obédience qui leur sera donnée par le directeur de l’association.
4° Le conseil royal pourra, en se conformant aux lois et règlements relatifs à l’administration publique, recevoir les donations et legs qui seraient faits en faveur de ladite association, à charge d’en faire jouir respectivement, soit l’association en général, soit chacune des écoles tenues par elle, conformément aux intentions des donateurs et des testateurs.
L’expédition de cette ordonnance eut lieu au moment où M. Querbes s’y attendait le moins. Loin de ranimer ses espérances, elle ne fit qu’aggraver sa position vis-à-vis de monseigneur d’Amasie. Il était facile de comprendre que cet acte avait été fait sans être sollicité, surtout sous un ministre bien intentionné, et qu’il était une suite nécessaire de la délibération du conseil royal transmise aux bureaux du conseil d’État. Monseigneur crut cependant que M. Querbes avait désobéi. Effrayé aussi de la nécessité qui était imposée de subir un examen devant le recteur, et de recevoir de lui l’autorisation d’enseigner, le prélat prétendit que cette clause de l’ordonnance portait atteinte au droit d’enseignement de l’évêque. Vainement le fondateur fit observer que cette mesure était générale depuis l’ordonnance du 21 avril 1828, qu’elle atteignait aussi les Frères de la Doctrine chrétienne et qu’aucune réclamation n’était venue l’attaquer, il resta les mains liées par le désaveu de monseigneur de Pins.
La révolution de juillet vint donner une nouvelle vigueur aux projets des hommes du jour sur les petites écoles, et fit déplorer à M. Querbes l’inaction où il était réduit avec un instrument aussi précieux entre les mains. En même temps, le conseil archiépiscopal s’occupa plusieurs fois de son déplacement : on voulut, par exemple, le charger de la direction d’un petit séminaire. La chose s’ébruita et deux de ses paroissiens, le baron Rambaud, ancien maire de Lyon, et M. Magneval, maire de Vourles, se hâtèrent d’obtenir de monseigneur l’assurance qu’il ne sortirait pas de Vourles. Une autre fois, en 1831, il fut désigné pour la cure de Bourg-Argentat : neuf mois se passèrent à attendre le résultat des efforts pour faire agréer par l’État cette nomination ; le 21 octobre 1831 jour de Saint-Viateur, il reçut une lettre portant que le refus du gouvernement était définitif, et que monseigneur se décidait enfin à présenter un autre ecclésiastique. À l’instant M. Querbes prit la plume pour faire remarquer au prélat cette coïncidence entre la détermination définitive sur son déplacement qui eût rendu l’ordonnance royale inutile et le jour de la fête de la future société. Enfin, le 3 novembre 1831, le fondateur reçut la lettre suivante signée Baron, vicaire général : « Monseigneur a agréé et approuvé en ce qui le concerne, votre institution de clercs de Saint-Viateur ; il en désire le succès, lequel ne sera pas douteux puisque le premier pasteur veut bien y donner sa bénédiction. Je me fais un plaisir de vous l’annoncer. »
Libre d’agir désormais, il fallait d’abord affronter un obstacle devenu insurmontable par la difficulté des circonstances et le défaut de ressources pécuniaires : « Hélas ! » se disait M. Querbes, « si monseigneur m’eut laissé faire en 1829, j’aurais obtenu des fonds du gouvernement et nous serions maintenant cinquante occupés à faire une bonne guerre aux instituteurs irréligieux. » Ce n’était pourtant pas le moment de reculer. Quelques sujets furent reçus à la cure pour être formés, et l’espace devenant trop étroit, il fallut penser à acquérir une maison, laquelle put être le berceau de l’association. Un local adossé à l’église paraissait convenable ; mais lorsque vint le moment de passer l’acte et de payer comptant, M. Querbes manquait des 22.000 fr. nécessaires. Les dames Comte et Mlle Lamoureux furent, en cette occasion, les dignes instruments de la Providence :. les premières, par un don gratuit de 4.000 fr., la seconde par la remise d’une somme de 6.000 fr., dont les intérêts devaient servir à l’éducation d’un jeune homme dans l’état ecclésiastique. Enfin, au moyen d’un emprunt de 12.000 fr., l’acquisition fut définitive.
En donnant son approbation à cette bonne œuvre, monseigneur avait chargé M. Cholleton, vicaire général, de la diriger. C’est de cette époque que datent les progrès réels de la société Saint-Viateur ; c’est à son zèle qu’ils sont dus. M. Cholleton eut d’abord la pensée d’unir la congrégation à celle des Petits-Frères de Marie. L’idée fut approuvée par le conseil épiscopal ; elle était vivement appuyée par l’abbé Pompalier de Vourles, prêtre mariste. Dieu ne permit pas cette union, parce que le but des deux congrégations n’était pas le même. Au milieu des difficultés de la première heure, M. Querbes commença ses essais. Divers sujets furent envoyés en plusieurs paroisses. Quatre d’entre eux, qui donnèrent lieu à des plaintes, furent retirés de leur poste, et d’autres renvoyés pour défaut de vocation. Ces renvois faisaient mauvais effet dans le public, parce que l’on croyait liés par des engagements de conscience des hommes que l’on voyait revêtus d’un costume religieux.
À travers ces difficultés, on put dresser un règlement définitif, approuvé par le conseil archiépiscopal, le 11 décembre 1833, et suivi de l’approbation du cérémonial de réception, le 27 février 1834.
La gêne se fit alors sentir dans les affaires temporelles de la société naissante. Il avait fallu nourrir et vêtir les premiers sujets qui s’étaient présentés sans aucune ressource. Les dames Comte, mères et bienfaitrices de l’établissement, couvrirent les dettes par un don généreux de 8.000 fr. Dans le même temps, par les soins de M. Cholleton, il se forma à Lyon un bureau de recteurs temporels de l’œuvre Saint-Viateur, composé de MM. Cholleton président, de Verna vice-président, chanoine Desgarets secrétaire, Pater curé de Vaise, Coste notaire, Casali notaire, Magneval avocat, et Cosle agent de change. Ces messieurs s’adjoignirent plus tard MM. Garnier-Aynard, propriétaire, Greppo, ancien conseillera la cour royale, et l’abbé Derozzi.
Au moyen des souscriptions et des collectes du bureau, on acheta le château du Poyet près de Montbrison, on le meubla et l’on y fit les réparations nécessaires. Cette mesure avait été approuvée par le conseil de l’archevêché, qui se proposa de placer dans cette maison les prêtres âgés et infirmes, et qui en fut détourné par de nombreuses réclamations. Elle avait aussi été vivement conseillée par plusieurs membres de l’administration ecclésiastique ; on pensait que les vivres y seraient à meilleur marché et que les contrées voisines fourniraient un grand nombre de sujets. Cette résidence servit pendant trois ans de maison d’études. Mais l’événement trompa les espérances. « Nous reconnûmes », dit M. Querbes, « que les frais s’augmentaient par la difficulté des communications et la nécessite de fréquents voyages. Il nous sembla remarquer aussi, de la part des enfants qui nous arrivaient du pays, peu d’aptitude pour notre profession. La belle résidence du Poyet est abandonnée, il n’y a plus qu’un de nos aides temporels pour garder la maison. »
Parmi les réflexions critiques faites sur la société naissante, celle qui prit le plus de consistance avait pour objet la robe noire sans queue, sorte de soutane adoptée par les clercs de Saint-Viateur définitivement admis dans la société. M. Caltet se plaignit au conseil archiépiscopal et en l’absence de M. Cholleton, de certains faits, et il fut décidé que M. Querbes serait invité à adopter un autre costume. Cette détermination inspira au fondateur une vive inquiétude. Il prit la résolution de demander au Saint-Siège la confirmation des statuts de la Société, afin de les mettre à l’abri de tout changement. Il partit pour Rome, le 5 mai 1838, muni d’une lettre de recommandation de Mgr de Pins ; le pape l’accueillit avec bonté. Les statuts, présentés au nom de Mgr d’Amasie, furent mis entre les mains du P. Rosaven, qui y fit quelques changements ; puis, sur le rapport du cardinal Angelo Maï, la congrégation des évêques et réguliers rendit, le 21 septembre 1838, un décret portant approbation des statuts ; le même jour Sa Sainteté donna l’ordre d’expédier des lettres apostoliques. Cet acte important parut le 31 mai 1839, grâce aux soins de M. Garnier-Aynard qui se trouvait à Rome, et qui lit tous les frais nécessaires.
Dès lors M. Querbes songea à faire disparaître tout ce que l’état provisoire de la société avait laissé subsister jusqu’à ce moment. Les clercs de Saint-Viateur comprenaient que la société ayant été mise au nombre des congrégations légitimement établies dans l’Église de Dieu, et qu’ils devaient remplir les conditions imposées pour l’entrée en la vie régulière ; ils demandèrent donc qu’on ouvrît au plus tôt le noviciat sous la direction d’un Père Jésuite, et, s’il était possible, du Père Brumauld, qu’ils avaient eu l’occasion d’apprécier. Cette demande ayant été favorablement accueillie par le Père Général, l’un des clercs fut envoyé au noviciat des Jésuites d’Avignon pour se former aux fonctions de maître des novices ; enfin le noviciat s’ouvrit à son retour.
Plus tard, l’abbé Faure, prêtre et catéchiste de la société, alla ouvrir et diriger un juvénat à Nevers, par suite de la donation d’une maison faite par M. le vicomte de Maumigny, et lorsque les souscriptions eurent fourni aux besoins de la maison.
Cependant la congrégation passait par une rude épreuve de pauvreté, conséquence des pertes causées à Lyon par les inondations de 1840. Voici comment M. Querbes s’exprime à ce sujet : « Nous avions bon nombre de novices, excellents sujets, reçus gratuitement à ce titre. L’été s’était passé comme à l’ordinaire, en supportant nos charges et en attendant avec impatience le retour de l’hiver et de M. de Verna, pour reprendre les assemblées du bureau de nos recteurs et la collecte de nos souscriptions et de nos bourses. Mais l’inondation vient tarir la source des dons de la charité publique et privée, abattre et décourager le zèle, et nous obliger, je le dis avec douleur, à renvoyer ceux de nos novices qui ne paient pas leur pension. Nous avons 28.000 francs de dette fixe, laquelle est reconnue par le bureau de nos recteurs temporels. Nos dettes courantes s’élèvent, en outre, à la somme de 7.000 francs. Malgré les charges énormes de cette année, ces dettes ne se sont point augmentées. Pour faire face aux dettes passées, le bureau avait, sur ma proposition fait imprimer des billets à distribuer pour obtenir des dons de 50 et de 100 francs. Pour nous créer des ressources pendant quelques années à venir, on avait également dressé des feuilles de souscription dont chacune formait une bourse de 500 francs. On en avait déjà distribué un certain nombre. Ont-elles été remplies ? Nous avons mis en vente le château du Poyet et une maison sise à Panissières. La première propriété vaut 15.000 francs, la seconde 5.000 francs. Le château du Poyet conviendrait pour une maison de retraite et de refuge pour quelques ecclésiastiques qui auraient besoin de se dérober au monde, tandis que d’autres trouveraient à Fourvière un repos honorable, en qualité de chapelains ou de chanoines de cette insigne chapelle. La maison de Panissières conviendrait pour les sœurs de Saint-Charles du même lieu. »
Nous ne savons quelle réponse fut donnée par l’administration ecclésiastique aux desiderata du respectable prêtre. À ce moment la société se composait de cinq catéchistes majeurs ou du premier rang, dont deux prêtres ; de douze catéchistes formés ou du second rang, les uns et les autres ayant fait des vœux perpétuels. Il s’y trouvait, de plus, dix-huit catéchistes mineurs ou du troisième rang, au nombre desquels un prêtre, ceux-ci avec vœux temporaires de cinq ans. Une huitaine de novices avaient été renvoyés, et il en restait dix-huit à la maison, sur lesquels quatre retournaient à Nevers et six ou huit se disposaient à partir pour l’Amérique : Mgr Rosati avait été prié de se faire allouer le prix de la pension de ces derniers par le conseil de la Propagation de la foi ; restait enfin une dizaine de petits aspirants, dont sept déjà employés dans les établissements.
À cette époque la congrégation avait fourni des instituteurs aux paroisses de Vourles, Amplepuis (Rhône), Ambierle (Loire), Brangues (Isère), Mars (Loire), Gosné (Allier), Nîmes (Gard), La Louvesc (Ardèche), Salle-Guran (Aveyron), et dans la Nièvre à Nevers, Saint-Sulpice, Germigny, Azy-le-Vif, Fougues, Saint-Benin-d’Azy, la Machine, Château-Chinon, Thianges, enfin des sacristains dans plusieurs églises de Lyon et de Saint-Étienne.
Depuis cette époque lointaine, l’institut Saint-Viateur a fait de considérables progrès en France et à l’étranger : avant la mort de son fondateur survenue en 1852, il avait fondé deux nouvelles provinces, à Saint-Flour et à Rodez, en s’affiliant deux congrégations diocésaines, celle des frères de Saint-Odilon (1844) et celle des frères de Saint-Jean (1854), et une province au Canada, à la demande instante de Mgr Bourget. Cette dernière devint en quelques années si florissante, qu’elle put à son tour transplanter aux États-Unis, dans l’Illinois, un rameau plein de sève et d’avenir. Sans sortir de son but, en élargissant seulement sa sphère d’action, l’institut Saint-Viateur a ajouté à ses œuvres primitives des orphelinats professionnels et agricoles, des écoles de sourds-muets, des collèges d’enseignement moderne et classique, dont quelques-uns sont devenus, comme au Canada et aux États-Unis, de petits et même de grands séminaires.
On a élevé à Vourles un magnifique bâtiment avec une vaste chapelle, où ne retentit plus actuellement la louange de Dieu, puisque maison et chapelle ont été vendus par le fisc. Pourtant, dans le modeste village de Vourles comme dans le clergé de Lyon, le souvenir du Père Querbes reste en vénération et son œuvre, si elle subit présentement une éclipse, n’a pas perdu, loin de là, sa raison d’être et son utilité : elle reprendra plus tard sa place lorsque luira le soleil de la liberté.
LAZARISTES
Il n’est personne qui ne connaisse de réputation la congrégation de missionnaires fondée par saint Vincent de Paul et répandue maintenant dans le monde entier. Ce grand serviteur de Dieu naquit à Pouy, au diocèse de Dax, en 1576, de parents obscurs : il garda d’abord les troupeaux, mais la pénétration et l’intelligence qu’on remarquait en lui engagèrent ses parents à l’envoyer à Toulouse. Après avoir fini ses études, il fut élevé au sacerdoce en 1600. Un modique héritage l’ayant appelé à Marseille, le bâtiment sur lequel il revenait à Narbonne tomba entre les mains des Turcs ; esclave, à Tunis, sous trois maîtres différents, il convertit le dernier. Tous deux s’embarquèrent, et abordèrent heureusement à Aigues-Mortes en 1607. Le vice-légat d’Avignon, instruit du mérite de Vincent, le conduisit à Rome. Là, il fut chargé d’un important message pour Henri IV en 1608. Louis XIII le nomma abbé de Chaulne, et la reine Marguerite de Valois le prit pour aumônier.
Madame de Gondy, chez qui, plus tard, il devint précepteur, l’engagea à former une congrégation de prêtres qui iraient faire des missions à la campagne. Cette communauté, qui connut d’abord d’humbles débuts, et dont les membres se nommèrent prêtres de la Mission, prit le nom de Lazaristes, lorsque le prieuré de Saint-Lazare lui fut cédé par les chanoines de Saint-Victor, en 1633. Le digne prêtre mourut dans cette maison, le 27 septembre 1660, après une vie consacrée tout entière à des œuvres de prédication et de charité.
La fondation d’une maison à Lyon ne devait venir qu’après la mort du saint prêtre. Elle se produisit dans des circonstances particulièrement intéressantes.
Décidée le 30 août 1668, elle est due à l’abbé Pierre Chomel, comme l’apprend un acte conservé aux Archives départementales, et dont voici des extraits : « Par devant les notaires du roi, au Châtelet de Paris, soussignés, fut présent Pierre Cluimel, prestre, ci-devant conseiller du roi en sa cour de parlement de Paris, demeurant dans le séminaire des Bons-Enfants, proche la porte Saint-Victor, paroisse Saint-Nicolas du Chardonnet, lequel ayant connaissance des grands biens spirituels que font les prêtres de la congrégation de la Mission, partout où ils sont établis et exercent les fonctions de leur institut, et désirant reconnaître les obligations qu’il a à cette congrégation depuis plusieurs années, il a cru ne le pouvoir mieux faire qu’en contribuant à une fondation de ces prêtres en quelque diocèse, où jusqu’à présent ils ne sont point établis. Ayant appris qu’une maison serait fort nécessaire à ces prêtres à Lyon, à cause du besoin qu’ils ont de passer fréquemment par cette ville pour aller dans les provinces voisines, et dans l’Italie où ils ont plusieurs maisons : il a jeté les yeux sur la ville de Lyon, préférablement à toute autre, dans l’espérance que les fonctions de la congrégation produiront, avec le temps, des fruits considérables dans toute l’étendue du diocèse et particulièrement dans les paroisses de la campagne, où les prêtres ont coutume de faire des missions gratuitement pendant sept à huit mois de l’année, sans être aucunement à charge aux peuples.
« Pour ces causes, le sieur Chomel a donné, par ces présentes, par donation irrévocable, à la congrégation de la Mission stipulant par René Aimeras, prêtre, supérieur général, demeurant en la maison de la Mission établie à Saint-Lazare-lès-Paris, mille livres de rente, appartenant au donateur, et à lui dus par Philippe Andrault de Langeron, chevalier, comte de Langeron et dame Claude Paye Despesses, son épouse, qui ont solidairement constitué cette rente à son profit, sous l’acceptation de Claude Chomel, son frère, moyennant la somme de 20.000 livres, par contrat passé par devant Louis Langlois et Philippe Le Moyne, notaires au Châtelet, le 10 juin 1659. À ce contrat est intervenu Séraphin de Mauroy, conseiller du roi, constitué caution pour les sieurs et dame de Langeron, de la rente. Outre, le donateur transporte à la congrégation, sous l’acceptation du sieur Aimeras, les arrérages dus et échus de la rente depuis le 10 juin dernier.
« La présente donation est ainsi faite pour être employée au commencement de l’établissement d’une maison de la Mission à Lyon, qui sera composée de tel nombre de prêtres qui sera jugé à propos par le supérieur général, et à proportion du revenu de la fondation qu’il a dessein d’augmenter avec le temps, tout autant qu’il pourra, pour donner lieu aux prêtres de faire plus facilement leurs fonctions dans le diocèse. Le tout sous le bon plaisir et l’agrément de monseigneur l’archevêque de Lyon. » Afin de faciliter cet établissement qui est irréalisable si les missionnaires n’ont pas un logement dans notre ville, le donateur « promet de fournir au sieur Aimeras, dans deux ans, et même plus tôt, la somme de 10.000 livres, pour être employée à l’acquisition d’une maison à Lyon, propre à loger les prêtres. Et, jusqu’au payement de la somme de 10.000 livres, le donateur payera 500 livres par an, du jour que les prêtres auront pris à loyer une maison à Lyon ; pour laquelle meubler le donateur a présentement fourni au sieur Almeras la somme de 1.000 livres, en louis d’or, louis d’argent et monnaie ».
Deux mois après cette donation, le 29 octobre 1668, le supérieur de la Mission acceptait l’offre de M. Chomel, et recevait de celui-ci la somme promise de 10.000 livres pour l’achat de la maison nécessaire aux prêtres missionnaires. On n’avait pas négligé de s’assurer des dispositions de Camille de Neuville, archevêque et comte de Lyon, qui, le 14 novembre, confirmait l’établissement à Lyon des prêtres de la Mission, en donnant d’intéressantes explications, utiles à rappeler ici. « Bien que », dit-il, « par l’établissement que nous avons déjà fait, en notre diocèse, de deux séminaires et de deux communautés de prêtres missionnaires, nous ayons tâché de procurer aux ecclésiastiques de notre diocèse, et, par eux, aux peuples commis à notre charge, la connaissance et les instructions nécessaires pour leur salut, nous croyons néanmoins qu’il est encore de notre soin pastoral d’augmenter, autant que nous pouvons, le nombre de ceux qui, par la dispensation de l’évangile et la pratique des vertus, peuvent enseigner utilement les devoirs chrétiens, et insinuer dans les cœurs l’amour de Dieu. C’est dans cette vue qu’étant pleinement informé de la capacité, du zèle ardent et de la vertu exemplaire des prêtres de la congrégation de la Mission, dûment autorisée par les souverains pontifes, et des grands secours spirituels qu’en reçoivent plusieurs diocèses où ils sont établis, tant pour les séminaires que pour les missions ; vu la requête à nous présentée par René Aimeras, supérieur général de la congrégation, par laquelle il nous a exposé que Pierre Chomel, prêtre et ci-devant conseiller au parlement de Paris, avait, par un saint mouvement, formé le dessein de donner commencement à un établissement de cette congrégation à Lyon, nous, archevêque et comte de Lyon, avons, pour la plus grande gloire de Dieu et l’avantage de notre diocèse, permis l’établissement en cette ville d’une maison des prêtres de la Mission, pour y vaquer par eux les fonctions de leur institut, et y faire un séminaire ecclésiastique dans la ville et des missions gratuites dans les villages où le besoin le demandera. À condition toutefois qu’ils ne pourront prêcher, catéchiser, confesser ni rendre aucune assistance au prochain que sous notre autorité et par notre permission. Nous prions le ciel qu’il rende à messire Chomel la digne rétribution de sa piété et libéralité et qu’il favorise ses saintes intentions de ses grâces et bénédictions. »
Il fallut ensuite obtenir les autorisations nécessaires du Consulat ; elles ne tardèrent pas. Le 20 novembre, le prévôt des marchands donnait en ces termes son consentement à la fondation : « Ayant vu les lettres de monseigneur l’archevêque et comte de Lyon ; et après que le sieur Berthe, prêtre de la congrégation de la Mission, nous a assuré que les missionnaires ne seront en aucune façon à charge à cette ville, nous consentons que les missionnaires s’établissent en cette ville, en tel endroit qu’ils jugeront à propos ; à la charge que voulant y faire bâtir, ils seront tenus de prendre du Consulat les mesures et alignement en la forme et manière accoutumée, et auparavant de nous indiquer le lieu où ils désireront s’établir ; et aussi à condition que pour leur subsistance, ni pour quelque autre cause et occasion que ce soit, ils ne seront à aucune charge à cette ville. » Le document est signé : Mascrany, Falconet, Boisse et Blauf.
Tous ces préliminaires étaient nécessaires pour obtenir l’autorisation du pouvoir central. L’année suivante, en février 1669, Louis XIV accordait des lettres patentes à l’établissement et s’exprimait ainsi : « Désirant ne rien omettre de tout ce qui tourne à la gloire de Dieu et à l’édification de nos peuples, et d’ailleurs considérant que par la déclaration que nous avons fait expédier au mois de décembre 1606, touchant les nouveaux établissements, nous avons dispensé ceux des séminaires de toutes les formalités portées par la déclaration ; après avoir vu l’ordonnance du sieur archevêque de Lyon, du 14 novembre 1668, et le contrat de donation de Pierre Chomel : nous approuvons par ces présentes, signées de notre main, l’établissement des prêtres de la Mission à Lyon, pour y faire un séminaire ecclésiastique, exercer par eux les fonctions de leur institut, et faire des missions gratuitement dans les villages où besoin sera. Et en faveur dudit établissement, nous amortissons la maison dans laquelle seront logés les prêtres de la Mission et l’enclos d’icelle, sans qu’ils puissent être troublés en la possession et jouissance, comme étant dédiés à Dieu et à son église, ni qu’ils soient tenus de nous payer aucune finance ni indemnité de laquelle nous leur faisons don. » Ces lettres patentes furent enregistrées au Parlement le 21 mars 1669.
Cette même année, la congrégation de la Mission fut unie à la communauté de Saint-Michel et ce fut là un événement capital sur lequel un document des archives donne d’intéressants détails. Cette dernière avait été fondée par un digne prêtre de Saint-Étienne, pour l’évangélisation des pauvres et avait pris un prompt essor. « Antoine Roussier, prêtre d’une vertu éminente », raconte l’acte d’union, « natif de Saint-Étienne de Furan, (en Forez), ayant vu l’extrême ignorance des mystères de notre religion et le débordement des vices où vivaient la plupart des peuples de ce diocèse, et surtout ceux de la campagne, par un zèle vraiment apostolique, entreprit de chasser l’ignorance et combattre le péché, et commença pour cet effet, dès l’année 1630, de catéchiser et faire des missions dans les paroisses de ce diocèse. Antoine Journet, d’Arlant en Auvergne, et Jean Bréas, de Saint-Étienne, prêtres d’un mérite excellent, touchés d’un si saint exemple et pleins d’un zèle semblable s’étaient associés avec Roussier, et tous trois consacrèrent leurs travaux et leurs vies à ces charitables et pénibles exercices. » Loris Bruyas, de Saint-Héand en Forez, archiprêtre de Jarez, après avoir longtemps vaqué en personne aux missions, avait, par un généreux mouvement, fait don, le 20 juin 1642, de la somme de 12.000 livres, et peu après de 7.000 livres « pour être les revenus employés à l’entretien de Journet et Bréas qui vivaient dans une pauvreté évangélique, et à celui d’un troisième missionnaire, et, après eux, à l’entretien d’autres prêtres qui succéderaient. »
D’autres bienfaiteurs firent des libéralités pour l’œuvre des Missions ; par exemple : Etienne Bouquin, curé de Saint-Ennemond de Saint-Chamond, avait versé la somme de 3.600 livres sous la réserve néanmoins d’une pension de 200 livres sa vie durant ; André Jacquemin, prêtre de Saint-Genest-Malifaux, 1.000 livres sous la réserve de 50 livres de pension sa vie durant ; Mathieu Guyot, obéancier de Saint-Just, celle de 6.500 livres pour la fondation d’une quatrième place de catéchiste missionnaire ; François de Grésolles, seigneur dudit lieu, avec mesdames de Sassenages et de Liergues, celle de 3.000 livres dont le revenu devait être distribué aux pauvres assistant aux catéchismes qui avaient lieu pendant les missions, « desquelles sommes la plus grande partie a été employée en l’acquisition de quelques domaines ruraux et d’une maison, en cette ville, dite du Bouquet. Successivement plusieurs ecclésiastiques savants et vertueux se sont unis avec ces prêtres, ont catéchisé, fait beaucoup de progrès spirituels et attiré les bénédictions du ciel. Ce qui ayant été reconnu, Camille de Neuville, archevêque et comte de Lyon, afin que les missions fussent conduites avec plus d’ordre, de discipline et de fruit, a érigé et établi une communauté, qui a été confirmé par lettres patentes de sa Majesté. » Veut-on savoir pourquoi la communauté s’appela Saint-Michel ? Parce que Camille de Neuville la gratifia des revenus de la cure et de l’église paroissiale Saint-Michel de Lyon et de la chapelle « ou hermitage du mont Dizoure (d’Izore) en Forest. »
Mais revenons à la fusion des deux communautés ; en voici les raisons. « Ledit seigneur archevêque, veillant sur les nécessités de son diocèse, et reconnaissant de plus en plus l’abondance de la moisson et le besoin d’ouvriers, a établi à Lyon une maison des prêtres de la congrégation de la Mission, instituée en ce siècle par le grand serviteur de Dieu Vincent de Paul, de laquelle l’emploi est de vaquer aux missions et à l’instruction des peuples. Cette conformité d’exercices avec ceux des prêtres de Saint-Michel, et la connaissance que toute la France a des succès heureux dont il plaît à Dieu de favoriser les travaux de la congrégation, composée de grand nombre d’ecclésiastiques savants, vertueux et exemplaires et déjà répandue en plusieurs diocèses, auraient fait penser à quelques personnes pieuses que si la communauté de prêtres catéchistes et missionnaires de Saint-Michel était unie à la maison de la Mission établie à Lyon, ce serait un bien commun aux deux et un grand avantage pour le diocèse, et ce serait aussi suivre les intentions de messire Brujas, premier bienfaiteur, qui, comme par un esprit de prophétie, a opposé, par une clause expresse, dans son contrat de fondation, que pour perpétuer la mission, il serait loisible à ceux qui y seraient employés de s’unir et s’agréger, de l’autorité de monseigneur l’archevêque, à la congrégation de la Mission établie à Saint-Lazare à Paris, où il se trouverait toujours nombre suffisant de sujets pour les missions.
« Ces personnes ayant proposé la chose aux uns et aux autres, après avoir vu qu’ils y inclinaient, ils en ont ensuite donné communication à monseigneur l’archevêque et ayant trouvé en lui les saintes dispositions qu’il a toujours pour l’avancement de la gloire de Dieu et le salut du prochain, après quelques assemblées et conférences entre les catéchistes missionnaires de Saint-Michel et le supérieur de la maison de la Mission établie à Lyon, par devant le notaire gardenotes du roi à Lyon, soussigné, présents les témoins bas nommés, François de Gresolles, seigneur de Gresolles, Marc-Antoine de Lamure, seigneur de Chamlois, Pierre Baudrand, bachelier de Sorbonne, et Jean Groslebois tant en son nom que comme procureur de Jean de Giraud prieur de Roizé supérieur, et de messire Jean Blanc, tous prêtres représentant la communauté de prêtres catéchistes de Saint-Michel, d’une part ; et Thomas Berthe, supérieur de la maison de la Mission établie à Lyon, tant en son nom que comme procureur fondé de René d’Almeras, supérieur général de la Mission, d’autre part ; lesquelles parties, de leur bon gré, sous le bon plaisir toutefois dudit seigneur archevêque, consentent que la communauté de prêtres catéchistes missionnaires de Saint-Michel soit dès à présent unie par monseigneur l’archevêque à la maison de la Mission établie à Lyon, en sorte que des deux il n’en soit, fait qu’une. » Pour aider à cette union, les prêtres de Saint-Michel cèdent à la maison de la Mission « l’hermitage et chapelle du Mont Dizoure avec ses revenus, les domaines ruraux, la maison située à Lyon, les meubles, ornements d’église appartenant à leur communauté, pour en être ceux de la Mission de Lyon faits possesseurs en toute propriété, à commencer du 1er janvier prochain. » En signe de cession, les Lazaristes reçoivent tous les titres, contrats, documents et autres papiers concernant la communauté Saint-Michel, à la charge, néanmoins, d’un inventaire qui sera fait tant des papiers que des meubles et ornements d’église, sans que toutefois les prêtres catéchistes et missionnaires de Saint-Michel soient tenus d’aucune garantie ni engagement quelconque de leurs biens temporels et patrimoniaux.
De leur côté, les prêtres de la Mission seront tenus et obligés, comme le sieur Berthe promet tant pour lui que pour eux, » de s’acquitter ponctuellement et fidèlement des charges, devoirs et obligations prescrites et imposées à la communauté de Saint-Michel, soit par les titres, contrats de fondation, donation et dotation, soit par ceux d’érection en communauté, lettres patentes du roi, arrêt de l’enregistrement et titre d’union du mont Dizoure, sans préjudice des autres obligations qu’ils peuvent avoir à l’égard de ce diocèse. Ils seront tenus de payer, pour une fois, la somme de 2.000 livres due en reste par la communauté pour l’acquisition et affranchissement de la maison située à Lyon dite du Bouquet, comme aussi ceux de la Mission seront tenus d’approuver tous les traités, contrats et conventions faits par la communauté au sujet de leurs affaires faites jusques à présent. »
Quelle sera désormais la situation réciproque des membres des deux communautés ? Trois membres de la société Saint-Michel, « messires de Giraud, de Gresolles et Chamtois travaillent volontairement et sans rétribution aux missions depuis plusieurs années ; trois autres, messires Blanc, Baudrand et Groslebois, occupent trois desdites places fondées (la quatrième n’étant remplie pour n’y avoir jusqu’à présent un revenu suffisant). » Il est convenu entre les parties, qu’ils pourront continuer comme auparavant et vaquer aux missions sous l’autorité de monseigneur l’archevêque conjointement ou séparément avec ceux de la Mission, et sans obligation à l’égard des trois premiers, ni à l’égard des trois derniers, que celles qui sont portées par les titres des fondations et les traités par eux faits avec la communauté, et sans aucune sujétion ou dépendance de la congrégation de la Mission. Celle-ci sera tenue de fournir à Blanc, Baudrand et Groslebois la somme de 336 livres à chacun, payable chaque année pendant leur vie, « ou qu’ils voudront être de ladite Mission, par avance et de quartier en quartier, le premier terme commençant au 1er janvier prochain, sans que la pension leur puisse être refusée pour quelque cause que ce soit, même de maladie, vieillesse, ou autre impuissance de vaquer auxdites missions, le tout conformément aux traités faits avec eux. Pourront les trois prêtres demeurer quand bon leur semblera dans la maison de la Mission, où ceux qui la composent seront obligés de les nourrir et fournir à chacun une chambre, moyennant douze sols par jour, même en cas qu’ils vinssent à être malades, tandis qu’ils seront dans la maison ou en mission. Ceux de la maison de la Mission seront tenus de les traiter, médicamenter, nourrir et leur fournir toutes autres choses nécessaires, sans pouvoir rien prétendre que douze sols par jour, dont ils seront aussi obligés de se contenter pour leur nourriture lorsqu’ils seront ensemble en mission. »
Messieurs de Gresolles, de Giraud et de Chamtois désirent continuer les exercices des missions, où depuis tant d’années ils s’emploient gratuitement : c’est pourquoi ils pourront travailler aux missions selon leur volonté, comme ils ont fait jusqu’à présent, sans aucune obligation, ensemble ou séparément, avec ceux de la Mission ou ceux de la communauté Saint-Michel ; ils pourront, quand ils voudront, se retirer et séjourner autant de temps que bon leur semblera, dans la maison des Lazaristes à Lyon. Ceux-ci seront obligés de les recevoir, les nourrir et leur fournir un appartement honnête et commode, lequel, ainsi que les chambres des trois autres catéchistes missionnaires, sera garni principalement des meubles cédés à présent par la communauté Saint-Michel, et ce moyennant quinze sols par jour pour chacun. Messires de Giraud, de Gresolles et Chamtois non plus que Blanc, Baudrand et Groslebois n’entendent pas s’obliger aux règlements de la Mission, mais seulement se conformer aux exercices extérieurs. Il y a donc liberté absolue pour les prêtres de Saint-Michel ; mais d’autre part, au cas où un d’entre eux « ne pourrait s’accommoder à ce genre de vie, ou qu’il en naîtrait quelque inconvénient, il sera libre au supérieur de la Mission de prier lesdits sieurs de se retirer ailleurs, après toutefois que Mgr l’archevêque aura connaissance du motif et approuvé la retraite ». Même dans ce cas les pensions ne pourront être refusées aux sieurs Blanc, Baudrand et Groslebois. Si l’un d’eux venait à se désister ou à renoncer à sa place par acte valable ou par mort, « la maison de la Mission sera tenue de remplir incessamment la place vacante d’un sujet de son corps et de la qualité requise » ; en sorte qu’il y ait toujours trois missionnaires dans le diocèse de Lyon. Après que, par la mort de messire Bouquin, la rente de 200 livres dont est chargée la communauté de Saint-Michel sera éteinte, et que le revenu « de ce qui est cédé et transporté présentement à la Mission vaudra 1.600 livres annuellement », celle-ci sera tenue de fournir et d’entretenir constamment quatre missionnaires avec un frère dans le diocèse de Lyon, sans préjudice des autres missionnaires Lazaristes qu’ils doivent y employer suivant l’acte de leur fondation.
Quant à « l’ermitage du mont Dizoure, à présent régi et occupé par messire Claude de Lestang », prêtre commis à cet effet par la communauté Saint-Michel. Lestang ne pourra être dépossédé sa vie durant, et tant qu’il voudra y demeurer, « il jouira de tous les revenus du lieu, comme ci-devant. Après lui, la maison de la Mission sera obligée d’y tenir un prêtre servant et résidant ». Comme la congrégation des Lazaristes désire n’être chargée d’aucune cure, afin de pouvoir vaquer plus facilement aux exercices de sa règle, on conclut que l’affaire de la cure sera exclue de l’union qu’on veut accomplir, et que celle-ci restera dans le statu quo. Comme marque de gratitude pour les prêtres de Saint-Michel « hommes excellents qui ont commencé, poursuivi, doté et fondé les missions », les Lazaristes chanteront chaque année, dans l’octave des Morts, une messe solennelle, et chaque prêtre récitera une messe basse à leur intention. Enfin les prêtres de Saint-Michel, « tant morts que vivants, seront faits participants des bonnes œuvres et prières de la congrégation de la Mission ». À la fin de l’acte, les deux parties supplient unanimement et humblement Mgr l’archevêque d’agréer cette union ; elles s’en rapportent toutefois à lui pour corriger, modifier les conditions, selon que bon lui semblera, et promettent de se soumettre avec respect à tous ses ordres.
Cet accord était dressé le 23 décembre 1669 ; un mois après, le 25 janvier 1670, Camille de Neuville approuvait l’union des deux maisons ; il en montrait les avantages, en particulier par rapport à l’augmentation du nombre des missionnaires. La congrégation de la Mission de Lyon, ayant un revenu de 1.000 livres par sa fondation, sera obligée de fournir deux missionnaires sur cette somme, et, de plus, trois autres, en conséquence de la présente union, « même un quatrième lorsque le revenu de tous les biens cédés se trouvera monter à 1.600 livres, et un cinquième, outre et par dessus les deux premiers, lorsque le supérieur aura conféré le prieuré fondé par Jean Valoux », prieuré uni à la Mission le 19 mai 1686 ; « ce qui fera en tout sept prêtres missionnaires ».
Les Lazaristes ne cessèrent de prospérer à Lyon, et, avec le temps, il fallut songer à agrandir la modeste chapelle du début et même bâtir grand : c’est ce qu’on fit au xviiie siècle. Là encore les archives fournissent de précieux renseignements.
En 1763, une convention fut passée entre Jean-Baptiste Casson, Antoine Margant, Pierre-Joseph Prost, Anthelme Mognet, tous quatre de la paroisse de Villebois en Bugey, et Gabriel Mercier, prêtre, procureur de la Mission ; les premiers s’engageaient à fournir et à rendre sur les ports des Cordeliers ou des trailles du Rhône à Lyon la pierre de taille de choin brute, conformément aux mesures qui leur avaient été données. En 1769, un autre traité fut passé entre François Daudet, procureur de la Mission, et Maurice Benoît, de la paroisse de Bassy en Savoie. Ce dernier promit de fournir et de conduire au port de Lyon, la pierre blanche de la meilleure qualité, provenant des anciennes carrières de Sainte-Foy en Savoie ; les pierres « seront sans clous, sans veines terreuses, équaries et d’égale épaisseur de partout, propres à tailler, et seront reconnues aux us et coutumes de Lyon. » En 1768, on continua la construction de l’église. On éprouva des difficultés avec les marchands de pierre de Villebois, à cause du retard apporté à la livraison des pierres de choin. Les difficultés aplanies, on creusa les fondations du mur de façade de l’église jusqu’à la recoupe.
Un document inédit, la toisée des ouvrages en maçonnerie, fait connaître les dimensions diverses de l’église, renseignements d’autant plus intéressants qu’ils sont très précis. Longueur du mur de l’église jusqu’au pilastre du sanctuaire 64 pieds ; mur du sanctuaire depuis le pilastre 21 pieds ; mur du fond du sanctuaire en face du côté d’occident 22 pieds ; mur de face de la sacristie et des chapelles côté du midi 62 pieds ; mur de façade des chapelles côté du midi formant arrière-corps sur la face côté d’orient 14 pieds ; mur de refend suivant tirant côté d’occident 12 pieds ; mur de refend séparant la sacristie 12 pieds ; arc dans la sacristie, longueur en circonférence, 16 pieds ; dosseret au-dessus pour la tribune, o pieds ; dosseret au-dessus du mur de la sacristie, 2 pieds ; mur de la sacristie, côté d’occident, li pieds ; hauteur à la recoupe et fondation, 21 pieds ; partie au-dessus, hauteur 9 pieds ; mur de façade au-dessus du portail, formant avant-corps, côté d’orient, longueur 33 pieds, hauteur 6 pieds ; arc au mur de face dans l’angle côté septentrion, longueur en circonférence 33 pieds ; mur de façade des chapelles du côté septentrion, 62 pieds ; mur de façade de la sacristie, côté d’occident, 14 pieds : arc dans la sacristie, longueur en circonférence, 16 pieds ; mur de refend des chapelles, côté d’occident, 12 pieds ; autre mur de refend suivant côté d’orient, 12 pieds ; mur de façade des chapelles faisant arrière-corps sur la façade côté d’orient, 14 pieds. À l’intérieur, on comptait quatorze chapiteaux faisant saillie sur les murs ornés d’arcs et de clefs également en saillie.
La congrégation avait à diverses époques acheté des maisons qui avoisinaient la sienne ; sans entrer dans trop de détails à ce sujet, il sera utile de signaler quelques acquisitions dont l’une, fort intéressante, se rapporte à une petite chapelle à peine connue, Saint-Barthélemy, qui, après avoir été recluserie, passa aux Ursulines, servit aux dames de la Doctrine chrétienne, et appartint enfin aux Lazaristes.
Le 4 mai 1673, Paul Mascrany, écuyer et seigneur de la Verrière, ancien prévôt des marchands de Lyon, et Anne Pellot son épouse, vendaient à Boniface Dubois, supérieur de la Mission, une grande maison appelée de Montangle, sise au quartier de Fourvière, paroisse Saint-Paul, consistant en plusieurs corps d’hôtel avec jardins, vignes, prés, vergers, écuries, fenil, remise de carrosse, cours et terrasses ; le tènement était situé «jouxte les maisons de Michel Pros, seigneur de Saint-Joyre, et encore la maison et monastère des dames religieuses de Sainte-Ursule, la maison du sieur de Rhodes, docteur médecin, le tout de matin ; la rue de Saint-Barthélémy, tendante à l’église des pères Récollets, aussy de matin, l’église et couvent desdits pères Récollets, une mette commune entre deux, le jardin et verger des pères Récollets de vent ; un chemin tendant à l’église dudit Fourvière de soir et bize, et la rue tendant du couvent des pères Carmes Déchaussés à la maison du sieur Octavio Mey, proche le couvent des Cappucins, le tout de bize ». L’acquisition fut faite moyennant le prix de 83.000 livres.
En 1756, les prêtres de la Mission achetèrent la maison des religieuses Sainte-Ursule, qui confinait à la maison de Montangle. Le monastère des sœurs renfermait une chapelle dédiée à saint Barthélémy et sur laquelle les Archives donnent d’intéressants renseignements. M. de Saint-Nizier, sacristain de Saint-Paul, écrivait, le 2 juillet 1738 : « Je reconnais que c’est à ma prière que les dames religieuses du premier monastère de Sainte-Ursule de Lyon ont accordé l’usage de leur chapelle de Saint-Barthélémy, située à la montée des Récollets, tant à M. l’abbé Pitiot qu’à moy, pour raison de quoy, elles m’en, ont remis les clefs, que je promets leur rendre toutes et quantes fois qu’elles les souhaiteront, et de faire murer la grille de la mesme manière qu’elle l’étoit ; promettant en outre de les faire tenir quittes de l’indemnité que pourroit demander la veuve Greny, qui loue et occupe le bas à côté de la chapelle, servant autrefois de chœur aux dames religieuses qui y habitoient, pour raison de la démolition de la grille et de l’usage qu’on fait dudit bas. »
Seize ans plus tard, le 4 juillet 1754, les clefs de cette chapelle étaient remises par les Ursulines, alors établies rue de la Vieille-Monnaie, aux filles de la Doctrine chrétienne, fondées à Lyon par Charles Démia, et qui maintenant portent le nom de sœurs Saint-Charles. D’après l’acte de location, Charlotte Pinet, Marguerite Perrier et Clémence Magot, filles majeures, supérieure, assistante et secrétaire de la congrégation des filles de la Doctrine chrétienne, demeurant à Lyon, rue du Four, rue Juiverie et rue du Charbon-Blanc, déclarent que les membres de cette société s’assemblaient autrefois pour leurs exercices de piété dans la chapelle Saint-Romain, et depuis quelques années dans la chapelle Saint-Alban, place du palais. Au nom des religieuses composant la Congrégation, elles acceptent avec empressement l’usage de la chapelle Saint-Barthélémy, prêtée par les Ursulines, et reconnaissent « que ce n’est et ne pourra jamais être qu’à titre précaire qu’elles occupent la chapelle pour y faire leurs exercices de piété, sans que le droit de propriété du monastère en la chapelle puisse jamais être susceptible d’aucune prescription. » Les filles de la Doctrine chrétienne promettent de rendre les clefs « toutes les fois qu’elles en seront requises par les religieuses, sans qu’en aucun temps et sous aucun prétexte les religieuses puissent être tenues de rembourser à la Congrégation les réparations et ajancements qu’elles pourroient faire dans la chapelle, lesquelles réparations apartiendront au monastère à quelques sommes qu’elles puissent monter. »
Avant la remise de l’édifice, on fit un inventaire dont voici des extraits : « Elles ont trouvé la chapelle boisée tout le tour jusqu’à l’hauteur environ de dix pieds, et au-dessus de la boiserie jusqu’aux planches, des toiles peintes en tableaux clouées sur cadre ; de plus, il s’y est trouvé les effets suivants : dans le chœur : 1° un autel avec deux rétables garnis de leurs parements en soye, galons soye, avec le cadre doré, les gradins, tabernacle double, la niche pour l’exposition du Très Saint-Sacrement, le tout bois doré, surmonté d’un tableau aussi à cadre doré, représentant Notre-Dame de Pitié ; plus haut, un baldachin bois doré, garny au-dessus de deux statues représentant deux anges ; l’autel ayant sa pierre sacrée et un tapis, et garny tout le tour de marche-pieds de bois noyer ; 2° deux statues, l’une représentant saint Genest et l’autre saint Barthélémy, bois doré et peint, placez aux deux coins du chœur près l’autel, sur deux colonnes formées par la boiserie ; 3° deux ornements, bois doré, avec leurs chapiteaux, placés l’un contre une grille qui répondoit de l’ancien chœur des religieuses au chœur de la chapelle, et l’autre vis-à-vis ; 4° une ballustrade, bois noyer, de deux pieds d’hauteur, à colonnes, garnie de ses portes ferrées, séparant le chœur d’avec le reste de la chapelle. Dans la chapelle, en deçà du chœur : 1° une chaire de prédication, bois marbré, avec son chapiteau et ornement doré ; 2° dans un enfoncement du mur et à côté de ladite chaire, un autel avec son parement satin broché, galon soye blanche, avec son cadre bois peint, le dedant dudit autel garny de rayons bois sapin, des gradins bois doré, d’une statue de la Sainte Vierge portant l’Enfant Jésus, surmontée par deux anges portant un couronne, le tout bois doré et appliqué, deux bois de reliquaires ; l’autel ayant son marchepied, bois noyer, fermé de deux petits rideaux de taffetas broché doublé de toile bleue ; 3° au côté dudit autel un tronc bois noyer happé dans le mur ; au-dessus est une plaque cuivre pareillement happée dans le mur, sur laquelle est gravée la fondation de la demoiselle Sublin, et finalement un petit bénitier pierre attaché au mur, et des bancs de noyer tout le tour de la chapelle, clouez au mur ». Enfin, dans le clocher se trouve une cloche «bon métal, de six pouces de hauteur, sur huit pouces de largeur, mesurés par le bas. »
Les Filles de la Doctrine chrétienne ne devaient pas garder longtemps l’usage de la chapelle. Celle-ci, deux années plus tard, passait aux mains des prêtres de la Mission. Catherine de Ruolz supérieure, et les religieuses professes du premier monastère de Sainte-Ursule, établi rue de la Vieille-Monnaie, tinrent conseil, dit un document inédit, en vue d’examiner la proposition à elles faite par les prêtres de la congrégation de la Mission établis rue et montée Saint-Barthélemy, d’acheter d’elles le tènement de maisons, chapelle et jardin situés montée Saint-Barthélemy, appartenant à leur monastère, en conséquence de la réunion de la communauté des Ursulines de Saint-Barthélemy avec le monastère de la Vieille-Monnaie. Elles se décidèrent à accepter cette proposition d’autant plus volontiers que, « par ce parti, elles arrêtent les sujets de contestations qui étoient à la veille de s’élever entre le monastère et la Congrégation, au sujet du partage et distribution des eaux qui sont communes, que d’ailleurs elles s’assurent un revenu plus fixe et plus solide, et se débarrassent du soin de réparations auxquelles lesdites maisons sont sujettes. »
Le 13 avril 1756, les religieuses, en vue d’obtenir l’autorisation nécessaire, présentèrent une requête au cardinal de Tencin pour qu’il voulût bien leur permettre de faire cette aliénation, ce qui leur fut accordé. Le roi donna également son autorisation par lettres patentes datées de Compiègne, juillet 1756. En conséquence, le 16 septembre, les religieuses vendirent aux prêtres de la Mission « tout le tènement appartenant au monastère de Sainte-Ursule, consistant en maisons hautes, moyennes et basses, chapelle, jardin, cabinet, avec les boisages étant dans iceluy et adossés à la maison Pilata, terrasse, cour et fontaine. Lequel tènement se confine par la montée Saint-Barthélemy d’orient, les fonds et clos de la dite Congrégation d’occident, la maison du sieur Chancey et les jardins desdits missionnaires de midy, les bâtiments de la maison Pilata, et le pré de ladite congrégation de septentrion. » Le prix de la vente fut fixé ainsi : 1° une rente annuelle de 800 livres, payable au monastère Sainte-Ursule, par moitié, de six mois en six mois ; 2° la somme de 10.000 livres, qui demeura convertie en une rente annuelle de 400 livres, payable elle aussi en deux termes, à la fête de Noël et à celle de Saint-Jean.
Malgré cet acte de vente, les filles de la Doctrine chrétienne gardèrent la jouissance de la petite chapelle Saint-Barthélémy comme l’apprennent deux actes postérieurs à la vente. Par le premier, elles reconnaissent que les prêtres de la Mission ne leur permettent qu’à titre précaire d’occuper la chapelle Saint-Barthélémy pour y faire leurs exercices de piété. « Outre la chapelle, ils ont bien voulu nous donner la jouissance d’un local pour nous servir de sacristie, de vingt pieds de long sur sept de large, dans le bas attenant à la chapelle, à prendre depuis la porte du sanctuaire communiquant au local, jusques à la porte de la chapelle, c’est-à-dire dans toute la longueur ; nous nous engageons à leur payer chaque année, tandis que nous en jouirons, la somme de 30 livres, à commencer à la fête de tous les Saints 1759. » Dans le second acte, daté du 13 décembre 1788, Mlles Roviol, Corsent, Benoît et Bal, supérieure, assistante, trésorière et secrétaire de la congrégation de la Doctrine chrétienne, reconnaissent les prêtres de la Mission comme seuls possesseurs de la chapelle, et s’engagent à faire toutes les réparations nécessaires dans l’église et à la toiture.
À la Révolution, la propriété entière des Lazaristes fut saisie et vendue comme bien national. Il ne sera pas sans intérêt d’entrer à ce sujet dans quelques détails.
En 1792, la municipalité fit dresser l’inventaire des objets contenus dans la chapelle des Lazaristes. On trouva dans la sacristie cinq calices d’argent avec leurs patènes, deux ciboires, dont l’un plus grand et l’autre fort petit ; un ostensoir, une pixyde ; un encensoir aussi d’argent ; une niche garnie en étoffe d’or ; trente-quatre chandeliers d’arquemie et de cuivre ; une croix et huit urnes de même métal que les chandeliers ; cinq ornements complets, c’est-à-dire composés chacun de deux dalmatiques, de trois chappes, de trois chasubles et d’une écharpe, plus trois chasubles, dont deux de velours et une de toile d’argent ; quinze chasubles en soie pour les dimanches, dix chasubles de camelot pour tous les jours ; environ vingt nappes d’autel toutes assez usées, trente aubes, cent soixante amicts, deux cents corporaux et purificatoires, enfin cent vingt surplis.
La bibliothèque comptait environ 700 volumes in-folio, 500 in-quarto, 400 in-octavo et 3.000 in-12.
Au moment de la Révolution, la maison des Lazaristes de Lyon avait vu passer trois cent quatre-vingt-dix prêtres et deux cent trente-cinq frères. Outre la maison de Lyon, la congrégation possédait encore dans le diocèse deux résidences : la première était située à Valfleury (Loire). Les Lazaristes y arrivèrent en 1 687, mais leur établissement n’acquit la stabilité légale que par une ordonnance royale de 1711, contestée d’ailleurs et poursuivie en justice par les Bénédictins jusqu’en 1744. Dans cette maison se trouvaient trois prêtres sans cesse occupés aux missions. Le second établissement était situé à Mornant. Il fut fondé en 1717 par MM. de Murât et de Roquemond. Les Lazaristes y établirent un petit séminaire avec des classes depuis la sixième jusqu’à la philosophie, et y admirent seulement cinquante pensionnaires qui avaient chacun leur chambre. Cette maison eut l’honneur de compter quatre prêtres qui confessèrent la foi pendant la Révolution ; ce furent :
M. Guinand, né à Mornant, et de la maison de cette ville, pris à Lyon et y exécuté le 16 janvier 1794, à l’âge de 60 ans ;
M. Imbert, né à Lyon, professeur à Mornant, prisàSaint-Chamond, et exécuté à Feurs, à la fin de 1793, à l’âge de 65 ans ;
M. Leclerc, de Saint-Chamond, supérieur du séminaire de Mornant, condamné à l’échafaud, à Lyon, le 24 février 1794, à l’âge de 74 ans ;
M. Verne, du diocèse du Puy, professeur au séminaire de Mornant, fut pris au Puy, et y mourut en prison, à l’âge de 61 ans.
Le 12 juin 1796, les administrateurs du département du Rhône vendaient à Pierre Lassaveur, négociant de Lyon, la totalité des possessions des Lazaristes. Elles consistaient « en plusieurs maisons sur la montée Saint-Barthélemy, cours sur les derrières, église, maisons claustrales, terrasses, jardins, prés, verger, terres, allées et vignes au-dessus ». Ces propriétés étaient limitées : à l’est, parle pré et jardin du sieur Lortet et par la montée Saint-Barthélemy ; au midi, par les Récollets, une ruelle commune entre les bâtiments, et par la maison Olivier ; au nord-ouest, par la montée des Anges ; au nord, par la montée des Capucins, dite aujourd’hui montée des Carmes-Déchaussés et par les jardins de Lortet ; enfin, à l’ouest, par le jardin du même Lortet. Le tout contenait environ trente bicherées. Ces biens furent vendus 123.354 livres. L’acquéreur ne pouvait aucunement disposer des eaux de source, dont la propriété demeurait réservée à la nation ; il n’avait à exiger d’autres titres de propriété que ceux qui lui étaient remis à l’amiable. Enfin, on exceptait de la vente les livres de la bibliothèque des Lazaristes.
On sait que l’ancienne propriété des Lazaristes est aujourd’hui occupée par le grand pensionnat ayant appartenu aux frères des Écoles chrétiennes et maintenant dirigé par une Société civile. Lorsque nous étudierons l’histoire des établissements créés à Lyon, par les fils de saint de La Salle, nous aurons l’occasion de traiter plus amplement de cette maison.
En 1861, les Lazaristes furent rétablis à Lyon ; bientôt, l’Institut prospéra et s’agrandit. Le 23 janvier 1873, le supérieur général de Saint-Lazare était autorisé par le ministre des cultes à acquérir, au prix de 27.000 francs, de Mme veuve Regipas, un immeuble avec jardin situé 47 et 49, montée du Chemin-Neuf. C’est là que vécurent les Lazaristes, jusqu’au moment où, par suite d’une brutale expulsion, ils durent quitter, il y a trois ans, la maison où ils avaient fait tant de bien. Là se trouvait un personnel de neuf prêtres, occupés soit aux missions, soit au juvénat. Les Lazaristes donnaient une moyenne de soixante missions ou retraites annuelles. De plus, ils avaient la direction de soixante maisons de Filles de la Charité situées dans sept départements voisins du diocèse de Lyon. La chapelle des Lazaristes, située 49, montée du Chemin-Neuf, est de style roman. Elle fut construite, en 1867, par l’architecte Franchet qui débutait alors. Cet édifice remplaça un oratoire provisoire dont le sanctuaire devint la sacristie de la nouvelle chapelle. En 1874, la chapelle reçut des embellissements, c’est-à-dire des peintures et des statues. Elle fut enfin complétée, aux dépens des bâtiments réservés aux missionnaires, lorsqu’on établit, dans la chapelle, une vaste tribune qui correspondait au premier étage ; dans le vestibule de cette tribune on installa deux autels et des confessionnaux.
Le maître-autel, de bois sculpté, est dédié à Notre-Dame de Lourdes ; on l’a décoré de cinq statuettes : le Bon Pasteur ayant à ses côtés saint Pierre et saint Paul et, aux extrémités, sainte Jeanne de Chantai, fondatrice de la Visitation, et la vénérable Louise de Marillac, veuve Legras, institutrice des filles de la Charité ou religieuses Saint-Vincent de Paul. Les statues qui ornent la nef sont celles de saint Vincent de Paul, de l’apôtre saint Jean, de saint François de Sales et de saint Louis. Les deux autels placés dans le vestibule sont de marbre blanc et dédiés l’un au Sacré-Cœur, l’autre à saint Joseph. La tribune en possède un autre sous le vocable de saint Vincent de Paul. Mentionnons enfin qu’au-dessous de la sacristie se trouvait un petit oratoire dédié à la Passion de Notre-Seigneur, avec autel et chemin de croix.
TRINITAIRES
L’ordre des Trinitaires fut fondé en 1199, par saint Jean de Matha ; celui-ci naquit en Provence, fit ses études à Aix, puis à Paris, où il prit ses grades en théologie. Lorsqu’il célébra sa première messe, dans la chapelle de l’évêque de Paris, il aperçut, dans une vision céleste, un ange velu de blanc qui portait sur la poitrine une croix rouge et bleue ; ses mains étaient enchaînées et près de lui se tenaient deux esclaves, l’un chrétien et l’autre Maure. Il comprit que Dieu l’appelait à s’occuper de la rédemption des captifs. Il se joignit à Félix de Valois, prince de sang royal, qui avait été inspiré de la même vocation. Tous deux se rendirent à Rome et obtinrent d’Innocent III l’approbation de leur institut. De retour en France, ils se fixèrent à Cerfroid, dans le diocèse de Meaux. Le pape leur donna des lettres pour le sultan du Maroc, et bientôt l’ordre de la Rédemption ou des Trinitaires se propagea avec rapidité, non seulement en France, mais en Italie, en Espagne et en Allemagne.
L’établissement à Lyon des chanoines réguliers de l’ordre de la Trinité pour la rédemption des captifs eu lieu en 1658. Depuis cette époque, les Trinitaires ont toujours été protégés par les magistrats de Lyon. Louis XIV, par ses lettres de chancellerie, en date du 22 août 1689, donna son consentement à l’acquisition d’une maison appartenant aux Mascrany et située à Bellecour. Dans l’acte royal, il est fait mention du « consentement positif et agrément du roy de l’établissement des Trinitaires en la ville de Lyon, pour concourir au soulagement des pauvres captifs, pour lesquels Sa Majesté a toujours donné des marques de miséricorde ».
Les Trinitaires furent aidés dans leur établissement par la charité et les legs de personnes pieuses faits en faveur des captifs chrétiens, livrés à la fureur des mahométans. Ils payèrent toujours, d’ailleurs, les amortissements de leurs acquisitions ou de ces legs pieux.
En 1658, le P. Roch Blanc, visiteur provincial de la congrégation réformée des Trinitaires de Provence, s’adressant à Antoine de Neuville, abbé de Saint-Just et vicaire général de Lyon, lui demandait l’autorisation d’établir à Lyon un hospice où habiteraient quelques moines, pour recevoir les religieux qui passent dans cette ville en conduisant les captifs rachetés qu’on mène ordinairement des ports de Provence à Paris, comme aussi pour aider à la communication des couvents situés à Paris avec ceux des provinces voisines. Camille de Neuville, persuadé des avantages que procurait à la chrétienté l’institut des Trinitaires, permit, le 16 juillet 1658, « aux religieux de la province de Provence d’établir, selon les formes, pouvoirs et facultés de leurs règles, et aux termes du droit, un hospice de leur ordre en la maison sise en la montaigne du Gourguillon, qui fut cy devant habitée par les filles Pénitentes transférées au couvent de Bellecour, aux charges et conditions suivantes, savoir : qu’ils ne pourront prétendre que ce soit un couvent, mais seulement un hospice ; qu’ils ne pourront y chanter aucun office, mais seulement dire la messe les portes fermées ; ne pourront avoir aucune cloche ny clocher, ny s’immiscer en aucune façon à l’administration des sacremens ; sauf en tout les droits de monseigneur l’archevêque et de ses successeurs et les devoirs paroissiaux ».
Le 26 juillet de la même année, le prévôt des marchands et les échevins de Lyon permirent aux Trinitaires de s’établir dans notre ville, à condition qu’ils ne seraient pas à charge et qu’ils ne pourraient y quêter. Antoine de Neuville, vicaire général, écrivit, le 24 juin 1659, à l’archevêque de Lyon, en séjour à Paris, pour lui représenter que si les religieux ne pouvaient ouvrir leur chapelle au public, leur installation serait, en partie, infructueuse. En conséquence, le 26 juillet, monseigneur permettait « d’ouvrir la chapelle de leur hospice, dire publiquement la messe et les offices divins, suivant l’institution de leurs règles, dérogeant sur ce point à l’acte d’établissement, que nous voulons être observé et entretenu en tous ses autres points ».
Il importe de remarquer que ces religieux demeurèrent fidèles à leur règle de charité ; les preuves et les exemples abondent dans les documents. Bornons-nous à raconter le passage à Lyon de trois cent treize esclaves. Le bureau du conseil général s’assembla, le 11 septembre 1785, pour délibérer sur le choix de quatre confrères devant augmenter le nombre des quêteurs pour « la procession » des esclaves chrétiens qui devaient passer à Lyon. Les sieurs Billet, Cottent, Bégule et Maute voulurent bien se joindre aux sieurs Burlat et Auroux, choisis par le curé de Saint-Nizier, pour faire la quête. On s’engagea à bien traiter ces malheureux. « M. le recteur portant la parole a dit : que plusieurs compagnies, chapitres et corps de cette ville s’empressent à l’envi de donner aux trois cent treize esclaves chrétiens récemment rachetés, et qui doivent passer au plus tôt dans cette ville, des témoignages de l’intérêt qu’ils prennent aux misères et cruauté qu’ils ont éprouvées dans leur captivité ». Il serait trop long d’analyser ici le dossier de cette affaire qui fit grand bruit à l’époque.
Nous manquons de renseignements sur la chapelle des religieux, mais un document des archives du Rhône donne une description détaillée de leurs possessions en 1618. En voici quelques extraits : « Les R. P. Trinitaires possèdent de la directe de l’archidiaconé, un tènement consistant premièrement en un bas servant de serre pour les orangers, sur lequel est partie de l’église, à l’orient du bas, une cour close de murailles, et dont la partie septentrionale est couverte ; plus, à l’orient de la cour, partie d’un pavillon ou corridor, et à l’orient du pavillon, une serve d’eau, et partie d’un jardin et allée en treillage de vigne, le tout joint et contigu de la contenue de 3.060 pieds quarrés, situé en cette ville dans la rue tendante de la fontaine de Gourguillon, ou de la place de la Trinité à la rue de Luco ou à la boucherie Saint-Georges. Reconnue au profit de la directe de l’archidiaconé par dame Louise de Langes, femme de Balthasar de Villars, le 18 décembre 1618. »
RÉCOLLETS
On sait quelles interminables querelles les frères Mineurs Récollets soutinrent contre les frères Mineurs des diverses réformes observantes et contre les Observants proprement dits pour tirer à eux l’origine de l’ordre, c’est-à-dire pour se prétendre issus de la stricte pratique de la première règle franciscaine qui, dès le xive siècle, aurait été réduite à de rares communautés dispersées et presque invisibles sous beaucoup de noms variés et que saint Pierre d’Alcantara aurait retrouvée, recueillie et transmise intégralement et purement à ses disciples qu’il aurait appelés recueillis, Recollecti, bien plus pour cette raison que pour leur signifier qu’ils devaient se retirer, se ramasser hors des relâchés. À la distance des siècles, où se dépensa beaucoup d’encre, ces polémiques semblent puériles : elles n’en étaient pas moins sérieuses en ce qu’elles suscitaient des recherches historiques intéressantes et stimulaient des diversités de zèle très respectables dans le partage du merveilleux et simple idéal proposé au monde par le patriarche d’Assise.
Les Récollets de Lyon, quoique tenus en suspicion ou en jalousie longtemps encore après leur arrivée, par les Observants, autant et plus que par les Conventuels dits Grands Cordeliers, ne s’attardèrent pas trop au soin de leur naissance spirituelle. Ils se montrèrent, dès leurs difficiles débuts, mortifiés et laborieux, attachés à la prière chorale et à la stricte vie de pauvreté, fondements de la perfection franciscaine. Peu à peu ils déracinèrent les préjugés et les ressentiments et acquirent l’estime et l’affection de leurs confrères en saint François, et notamment des derniers Franciscains, enfants nouveaux venus dans l’immense famille séraphique, c’est-à-dire des Capucins. Ceux-ci parurent enlever aux Récollets leur qualité d’avant-garde ; ils furent toutefois leurs meilleurs amis.
Une mésaventure assez curieuse signala l’entrée à Lyon des bons religieux. Le consulat s’étonna de ce nom de Récollets y flairant quelque résurrection et déguisement d’une secte hérétique. C’était au commencement de l’année 1619, il fallut que le père Exupère, pro-gardien, c’est-à-dire futur gardien, se défendît de ce soupçon étrange par une longue épître dont on trouve un résumé dans les pièces de fondation du couvent de Lyon, qu’il démontrât l’antiquité vénérable du nom de Récollets, et qu’il citât in-extenso la bulle d approbation de la réforme récollecte de stricte observance où Clément VII fait un particulier éloge de ce retour à la vraie tradition de l’esprit et des mœurs des primitifs disciples du mendiant d’Assise. Ce qui ne laisse pas de surprendre, dans le cas présent, c’est que le nom, déjà si connu dans le midi de le France, depuis la première moitié du xvie siècle, pût être discuté après les lettres patentes d’Henri IV et l’engagement que prit, le 30 mars 1616, l’assemblée du clergé de France de favoriser les Récollets comme les réformateurs de la stricte observance.
Ce ne fut là d’ailleurs qu’une courte alerte : rétablissement devait amener de réelles difficultés. Dans les archives du monastère lyonnais, parmi les courtes notices des fondations récollectes du Lyonnais et des environs, on trouve celle du couvent de Lyon, la dix-septième en date de la province. On souhaiterait un complément de renseignements à ces quelques lignes, que voici : « Nos pères de Lyon visitèrent la ville, le 14 novembre 1619, ayant toute la permission nécessaire pour cela, ils s’établirent au-delà du faubourg de la Croix-Rousse ; ils y demeurèrent trois années de suite. Mais la reine-mère Marie de Médicis voulut qu’ils fussent logés dans la ville et obtint toutes les permissions pour cela : c’est pourquoi ils quittèrent le lieu de la Croix-Rousse où ils étaient très mal, le 23 septembre 1622. Monseigneur l’évêque prince de Genève, commis par sa majesté, déplanta ladite Croix et la transporta au lieu où sont à présent les Récollets, ce qui se lit en 1623. On célébra la première messe de l’autorité de monsieur de La Faye, grand vicaire de l’éminentissime cardinal de Marquemont, archevêque et comte de Lyon, primat des Gaules, et furent logés cinquante religieux en une maison pour toute la ville. »
Ce mémento est succinct. On n’y peut ajouter de documents sur la première installation, qu’une bulle de 1619 du pape Paul, donnant un couvent de l’Observance de Lyon aux Récollets et instituant l’archevêque pour les mettre en possession de cette maison régulière vulgairement nommée Sainte-Marie des Anges, enfin les plaçant sous la custodie du Dauphiné. Joignons-y l’acte de réception et d’autorisation du consulat, en date du 14 novembre de la même année, noble François de Merle étant prévôt des marchands. Dans cet acte il est dit en substance que les Récollets, « ayant reçu permission de M. le marquis de Villeroy, gouverneur général, se sont transportés au lieu de la Croix-Rousse lequel, entre tous ceux de la ville, avait été jugé le plus commode à bâtir et construire pour être de grande étendue et donnant facultés de dresser de longs communs et de former jardins et vignes. » Cette attestation ne manque pas de contredire quelque peu la concise appréciation du résumé copié plus haut : « ils quittèrent le lieu de la Croix-Rousse où ils étaient très mal. » C’est que, sans doute, le domaine qu’on avait destiné aux Récollets ne leur avait pas été accordé en entier. Une lettre d’un religieux, du 2 janvier 1620, apprend que la communauté est à l’étroit et resserrée entre des voisinages incommodes. La suite de l’acte précité indique quels étaient ces voisinages qui, eux aussi, estimaient fâcheux les Récollets. Il y eut plainte au consulat par les administrateurs de l’Aumône générale, de l’hôpital du pont du Rhône et de l’hospice du Petit-Jésus, tant sur l’établissement de ces nouveaux mendiants, que sur celui des Carmes réformés ou déchaux et sur celui des Feuillants.
Les échevins ne se mêlèrent pas à la plainte et ne s’en émurent pas à l’excès : ils gardèrent leur bienveillance aux religieux mendiants, quoiqu’ils reconnussent que ce régime de vie basé sur l’aumône privait de ressources les hôpitaux et les autres instituts dont les possessions ou les couvents se trouvaient sur la colline Saint-Sébastien ou de la Croix-Rousse. Enfin, tout bien pesé, et pour mettre du baume sur la plaie, malgré que la ville se fût grevée de grandes dépenses pour l’accueil fait à madame royale de France, princesse de Piémont, elle donna aux frères Mineurs Récollets la somme de deux mille livres pour être employée en constructions. Cette madame royale, princesse de Piémont, que l’on voit, entre parenthèse, comme circonstance atténuante ou comme échappatoire, était Christine, seconde fille de Henri IV, mariée à Victor-Amédée, fils et héritier présomptif de Charles-Emmanuel Ier, duc de Savoie.
La générosité continue du consulat ne fit guère de profit sur l’heure aux Récollets déjà décidés à émigrer dans un quartier moins encombré d’œuvres pies ; par un scrupule louable ils voulurent rendre la somme en passant le pont pour se fixer à Bellegrève, en la montée Saint-Barthélemy ; mais les consuls la leur laissèrent par lettre du 22 décembre 1622, puisque, aussi bien, ils n’avaient pu encore la dépenser pour son objet, et qu’ils n’avaient pas un moindre besoin de construire en changeant de lieu sans que ce fût de leur volonté. Leur nouveau séjour était agréable et assez dégagé sur le Garillan. Peu après on vit s’établir à leurs côtés les Lazaristes, qui, eux, se comportèrent en voisins de bonne composition pendant plus d’un siècle. L’abbaye de Chazeaux ne fut pas non plus une voisine pointilleuse.
L’année 1622 donna aux Récollets l’assiette qu’ils n’avaient pas encore obtenue en trois années : ils eurent permission de Thomas de Meschatin La Faye, vicaire général, de faire le plantement de la Croix dans la ville, et du consulat une seconde autorisation de bâtir, cette fois, dans l’enceinte. On sait, par une circulaire provinciale de 1630, que, dès l’année précédente, ils étaient dans l’intention d’ériger une chapelle assez ample. Leur bonne volonté ne fut vraisemblablement pas soutenue par de bons moyens, car la première chapelle assez misérable dut être démolie. L’acte de consécration de la seconde, par Mgr Camille de Neuville, n’est que de 1659. Voici la substance du procès-verbal : « Qu’il soit connu que l’année du Seigneur 1659, le dimanche de Pâques, trentième jour du mois de mars, nous avons dédié et consacré à l’honneur de Dieu tout-puissant, de la glorieuse Vierge et de tous les saints l’église édifiée de neuf au monastère des Pères Récollets, sur la montagne de Fourvière, en notre ville. Cette église possède trois autels ; le majeur et principal sous l’invocation et à l’honneur de saint François renferme des reliques des saints Fulgence et Valentin ; celui qui est sous le titre de la bienheureuse Vierge Marie, des reliques de sainte Anne sa mère et des saints martyrs Candide et Paulin ; celui enfin qui est voué à saint Didace, confesseur, des reliques des saints martyrs Cassien et Flavien ». L’acte se termine par la concession de 10 jours d’indulgence à tout fidèle qui visitera l’église dans les dispositions et aux conditions requises. Entre toutes les églises monastiques qui couvraient Fourvière, cette chapelle fut particulièrement populaire, il s’y fit maintes belles cérémonies et, qui mieux est encore, plusieurs abjurations de protestants d’importance, et cela l’année même de la consécration.
Le 24 mars 1653, le père Fortuné, gardien aussi distingué par sa science que par sa vertu, bénit une seconde chapelle petite, mais de justes proportions et de bon style, la chapelle de l’infirmerie, qu’il dédia à Notre-Dame-de-Pitié. Auparavant, le 3 janvier 1673, le définitoire, sorte de conseil, en sa première session de l’année, avait accepté de Michel Gros, seigneur de Saint-Joyre, gentilhomme charitable résidant à Lyon, la fondation, dans l’église du monastère, déjà enrichie de plusieurs présents, d’une chapelle dédiée à Saint-Pierre d’Alcantara, Franciscain. «. M. Michel Gros, seigneur de Saint-Jouerre et M. Antoine Michallet, architecte, lit-on dans l’acte de fondation, ont, étant présents par devant nous notaire royal, pris engagement de faire et construire une chapelle dans l’église des Révérends Pères Récollets, à l’entrée d’icelle, du côté de bise, de la longueur et largeur de la place qui est entre la chapelle de M. Guiston, baron de Vaulx, du côté du soir, et l’entrée maîtresse du côté du matin ; et sera tenu ledit sieur Michallet de faire rehausser le mur de ladite chapelle de toute la hauteur et longueur nécessaire pour la construction ; item, de faire la voûte de ladite chapelle avec celle de la sépulture couvert en dôme. » Le 12 février 1673, le père Morin, gardien, remercie le seigneur de Saint-Joyre de la protection et de la générosité que marqua toujours sa famille envers les Récollets, et de la chapelle Saint-Pierre d’Alcantara qu’il a fait construire : en retour, il lui reconnaît tous les droits et privilèges que les frères Mineurs peuvent accorder à leurs bienfaiteurs, celui surtout de mettre ses armes et les armes de madame de Saint-Joyre sur ladite chapelle, enfin d’y être enterrés tous deux.
Un témoignage de reconnaissance que nous a gardé un immense et beau parchemin digne de la calligraphie qu’il contient, est celui qu’adressèrent, le 16 janvier 1713, au prévôt des marchands et aux échevins, au nom du monastère, les frères Bénigne de Villaret, provincial, Prosper de Romans, gardien, Épiphane Nicaud, ex-provincial, René de la Coste, définiteur, et Ferdinand d’Arnal, définiteur, en un style cordial et très digne. Ils rendent grâce à Messieurs de la ville « des bienfaits qu’ils n’ont cessé d’en recevoir, depuis le 22 décembre 1622, où ils leur permirent de bâtir le monastère, auquel leur protection a été un signe de l’approbation d’En-Haut, comme il a paru à la suite heureuse de son histoire ». Ils rappellent les facilités qu’ils eurent de leur bienveillance, les aumônes nombreuses qu’ils reçurent de leur charité et de leur piété dans des commencements malaisés ; ne leur donnaient-ils pas tout récemment encore la réparation du vitrage du réfectoire ? Ils rappellent aussi qu’en signe de gratitude, les armes de la ville étaient apposées depuis longtemps sur la porte du monastère Saint-François de Lyon, et enfin ils supplient le consulat de vouloir se reconnaître pour vrai et légitime fondateur de cette maison et de celles qui en sont nées dans la province. Le consulat se rendit volontiers à cette requête, et jusqu’à la fin de l’ancien régime il demeura en bonnes relations avec les Récollets.
Ceux-ci n’enflèrent pas leur cœur dans la prospérité ni dans leur multiplication extraordinaire, non plus que dans les succès obtenus en chaire, notamment dans la première moitié du xviiie siècle. Depuis qu’ils avaient une province distincte de Saint-Bonaventure, une province à eux, la province Saint-François, et qu’en 1637, le souverain pontife avait supprimé leurs litiges avec les Cordeliers, ils s’étaient accrus d’année en année, on pourrait presque dire de mois en mois. Le chapitre général de la province Saint-François, tenu au couvent Saint-François de Lyon, du 12 au 19 octobre 1707, fit état de vingt-neuf couvents et d’un oratoire. Les plus prospères de ces couvents étaient Mont-Calvaire, Notre-Dame de Grâces à la Côte-Saint-André, les Saints-Anges près de Saint-Marcellin, le Saint-Esprit près de Saint-Amand. Bientôt il fallut dédoubler la province Saint-François ; nous possédons des livres de profession soigneusement tenus et des biographies exactement rédigées dans lesquelles se trouve le récit du martyre du Père Clément, de Lyon, survenu au Caire, en décembre 1703, et des correspondances spirituelles qui méritent d’être signalées.
Mais qu’est-ce que cela auprès de ce qui a été perdu ; on regrettera, par exemple, qu’il ne subsiste presque rien des lettres aux Clairsses de Montbrison, de Romans et de Clermont qui avaient été mises sous l’autorité des Récollets de Lyon ; qu’il manque la plupart de celles qu’écrivirent les provinciaux et gardiens sur l’interprétation que les Observants voulaient faire de la déclaration du pape Urbain VIII accordant, en 1625, au ministre général le même pouvoir sur les Observants réformés dits Récollets que sur les Observants eux-mêmes. C’est grand dommage enfin de constater la perte des papiers du père Legault, du couvent de Lyon, lequel eut, le premier des Récollets, en 1640, la charge de vicaire général de l’ordre de Saint-François, en France, qui se mêla aux grandes affaires religieuses et politiques, écrivant beaucoup et parlant habilement.
Pour la conservations de son temporel, le couvent Saint-François de Lyon répugnait à l’abus des grimoires judiciaires, au contraire de tant d’autres couvents qui se laissaient aller à ces excès. Un avertissement de la généralité aux Récollets, en date du 26 avril 1672, sur requête du Sieur François de Nauzelle, écuyer, seigneur de Jonché et de Combelande, avec ordre de réparer la muraille du côté de bise qui, déchaussée dans ses fondations, peut causer des accidents notables ; une convention, du 19 novembre 1682, entre Vidend, seigneur de la Tour, père temporel, et Joachim Blampignon, pour l’exhaussement des murailles et la réfection d’une plate-forme ; l’attestation que le couvent a été aligné dans sa façade sur la rue, en la montée Saint-Barthélemy, comme il a été ordonné par les consuls ; une cession d’eau faite par les religieux à la ville en 1714 pour l’entretien de la fontaine de Graillan ; quelques chicanes avec les Lazaristes sur des mitoyennetés et des réparations à débattre : voilà tout ce que nous a légué à cet égard le chroniqueur qui s’appliquait de préférence aux actes des chapitres et des congrégations.
Et précisément le dernier document qu’on possède des Récollets de Lyon est l’acte du chapitre provincial de 1781 que présida le Père Roch Gaget, commissaire général, et où furent élus les pères Deberc, ministre pour la troisième fois, Pie Allard, provincial pour la deuxième fois, Albain, custode, Amable Puray, Vincent Carrière, Sebin, Pécoult, Théodore Berger, définiteur.
Le couvent des Récollets fut vendu, le 30 juin 1796, comme bien national ; un acte donne à ce sujet d’intéressants détails. La vente se fit par les administrateurs du département du Rhône à Laurent Deville, de Saint-Étienne-en-Forez, représenté par Pierre Montagne, négociant de la même ville, son fondé de pouvoir. Les biens se composaient alors de la maison claustrale, montée Saint-Barthélemy, avec bâtiments, église, terrasses, jardin et clos. La maison était confinée à l’est par la montée Saint-Barthélemy et le clos des Lazaristes, à l’ouest par le clos de la maison d’Albon, au midi par les Chazeaux. La maison et le tènement comprenaient une superficie de 189.428 pieds carrés, dont 26.653 pieds pour la maison claustrale, l’église, le cuvier et la hangar, et le reste en terrasses, jardin, vignes et terrains ensemencés, le tout formant une surface de 15 bicherées faibles.
La maison claustrale joignait l’église au midi, et l’on y parvenait par un grand escalier en pierre à doubles rampes avec palier, construit dans un péristyle ayant son entrée sur la montée Saint-Barthélemy. La maison formait trois corps de bâtiments, dont deux pour les ailes ; au centre se trouvaient la terrasse et le jardin. L’édifice était desservi par deux escaliers, le premier étage comprenait le réfectoire et d’autres grandes pièces ; le second les chambres des religieux, séparées par des cloisons, couloirs et corridors ; le troisième d’autres cellules et le grenier. L’église joignait au nord le bâtiment claustral, prenait comme lui son entrée sur le palier du grand escalier, construit dans le péristyle. Au midi du corps de bâtiments longeant la montée Saint-Barthélemy, du côté de l’est, se trouvait une terrasse avec jardin ; puis, à l’extrémité méridionale, un hangar et un cellier dans lequel étaient un pressoir et une cuve pour la vendange. À la suite et à l’ouest de cette première terrasse, il en existait une seconde formant aussi jardin et terre ensemencée, puis, toujours à l’ouest, une terre à froment et à vigne, l’une et l’autre contiguës et situées sur la pente de la montagne.
La vente eut lieu pour la somme de 65.132 livres ; on en excepta toutefois la bibliothèque des religieux appartenant à la nation et qui se trouvait dans une pièce au-dessus de l’église. De plus, le droit du propriétaire fut limité quant au régime des eaux. Aujourd’hui, la chapelle des Récollets a disparu, et cet ordre religieux lui-même ne possède plus à Lyon aucune maison.
CHAPELLE DE BALMONT
Dans le quartier de la Duchère, à Vaise, près de la limite de Lyon, au no 1 de la montée de Balmont, se trouve une modeste chapelle dont nous allons retracer l’histoire. Par une bonne fortune bien rare, les documents abondent sur cet oratoire, et on en peut suivre l’histoire pendant deux siècles et demi.
La chapelle fut fondée, le 2 mai 1656, par Pierre Roy, marchand, tireur d’or, à Lyon. Le 1er août de la même année, l’édifice étant achevé, on procéda à sa bénédiction. Trente ans plus tard, le 26 septembre 1687, sans doute à la suite de réparations, on mit sur l’autel une pierre sacrée de marbre blanc, qu’on enveloppa d’un treillis vert, et on y glissa un parchemin mentionnant la fondation qu’on vient de rapporter. Le 1er janvier 1708, on procéda à une révision ou inventaire. En 1719, le sieur Chalmette ayant acheté la propriété à Jean-François Benoît, sollicita de l’archevêque la reconnaissance du culte. Le prélat répondit par le décret suivant :
« François-Paul de Neufville de Villeroy, archevêque et comte de Lyon, primat de France, conseiller du Roy en tous ses conseils, sçavoir faisons que sur ce qui nous a été représenté de la part de sieur Jean-François Benoît, marchand de cette ville, qu’en l’année 1719, il acquit du sieur Chalmette un domaine situé aux extrémités de la paroisse de Vaize, dans lequel il y a une chapelle en bon état, où l’on a jusqu’à présent célébré le saint sacrifice de la messe avec deuë permission ; mais, comme ledit sieur Benoît n’a trouvé aucun titre de concession de ladite chapelle, lesquels peuvent avoir été égarés, soit par le laps des temps ou par la négligence des possesseurs dudit domaine, il nous a très humblement fait supplier de permettre que l’on continue à célébrer dans ladite chapelle, et de luy accorder pour cet effet nos lettres sur ce nécessaires. À ces causes, nous, archevêque et comte de Lyon susdit, voulant favoriser ledit sieur Benoît et après avoir été certifié que ladite chapelle n a point été profanée, qu’elle est décemment construite, pourvue de toutes les choses nécessaires au service divin, et nullement sujette aux usages domestiques : avons permis et permettons à tous prêtres séculiers et réguliers de continuer à y célébrer le saint sacrifice de la messe, à la réserve des jours exceptés par les règlemens généraux de notre diocèse, sauf en tout néantmoins les droits et devoirs parroissiaux, et à condition que ladite chapelle demeurera sujette et soumise à perpétuité à notre authorité, visite et juridiction, et de nos successeurs. Donné à Lyon, dans notre palais et sous notre scel archiépiscopal, ce vingt-deuxième septembre mil sept cent vingt-deux ».
On sait qu’il est dans les usages ecclésiastiques de faire visiter, de temps en temps, par un délégué de l’archevêque, les lieux consacrés au culte, afin de s’assurer s’ils sont en bon état et toujours dignes de l’usage qu’on en fait. On a conservé le procès-verbal de la visite de cette chapelle, dressé, le 21 avril 1738, par Legras, curé de Limonest. Il ne sera pas sans intérêt de donner le texte de cette visite.
« Nous, Hugues-François Legras, prêtre et curé de la paroisse de Limonest-au-Mont-d’Or, en conséquence de la commission en datte du 21 février dernier, adressée par monseigneur l’illustrissime et révérendissime Charles-François de Châteauneuf de Rochebonne, archevêque et comte de Lyon, primat de France et pair de France, pour faire la visite d’une chapelle dépendante d’un domaine que monsieur Louis Balmont, bourgeois de Lyon, possède dans la parroisse de Veyse : avons procédé à ladite visite, et, pour cet effet, ce jourduy 21 avril de la présente année, nous nous sommes transportés audit domaine, où étant arrivé, nous avons été conduit à ladite chapelle qui est entièrement séparée de tous bâtimens. Elle est fort éloignée de l’église parroissiale, le chemin qui y conduit est mauvais dans les temps de pluye et d’hyver, et la maison dudit sieur Balmont étant située à la montée vulgairement appelée Balmont et qui est très rapide, ledit chemin par conséquent est très incommode et difficile surtout pour les personnes âgées et infirmes ; ladite chapelle est éloignée des antres églises de demie lieue. Ensuitte, ouverture nous ayant été faille de ladite chapelle, nous avons reconnu qu’elle ferme à clef, que la voûte a canne, le carrelage, les murs, les vitres, le couvert, l’autel qui est proprement orné, le tableau dudit autel représentant le mistère de l’Assomption de la très sainte Vierge et qui est très décent, sont en bon état. Après quoy, ayant examiné le calice qui est d’argent, et a la coupe dorée en dedans ainsy que la patène, comme aussy la pierre sacrée, les nappes, chasubles, missels, aubes, ceintures, linges et autres ornemens nécessaires pour la célébration du saint sacrifice de la messe, nous avons trouvé le tout en très bon ordre, et dans toutte la décence requise et convenable. Dont et du tout nous avons dressé notre présent procès-verbal que nous certifions véritable. Et en foy de quoy, nous avons signé ledit jour 21e avril 1738. (Signé :) Le Gras, curé de Limonest-au-Mont-d’Or. »
On remarquera que le domaine appartenait à ce moment-là à la famille Balmont, qui a sans doute, à cette époque, donné son nom à la montée. Cette visite avait été faite à la demande même de Louis Balmont. À la suite de cette enquête, l’archevêque rendit la sentence suivante :
« Charles-François de Chateauneuf de Rochebonne par la miséricorde de Dieu et l’autorité de Saint-Siège apostolique, archevêque et comte de Lyon, primat de France, pair de France. Vue la requête à nous présentée par sieur Louis Balmont, bourgeois de Lyon, par laquelle il nous exposeroit que de son domaine situé à la montée de Balmont, parroisse de Vaize, dépend une chapelle domestique fort ornée et canoniquement construite, et comme l’éloignement de l’église parroissiale est fort considérable, que les chemins en sont impraticables en tems de pluye, que le supliant est déjà fort avancé en âge, et par conséquent plus exposé par ce motif à manquer au service divin les fêtes et dimanches ; il nous suplioit vouloir rétablir ladite chapelle interdite par notre mandement général du 1er septembre 1736, faisant offre d’y faire dire douze messes par le sieur curé du lieu toutes les années et d’en justifier, vue notre ordonnance du 21 février de la présente année, qui commet Monsieur Hugues-François Le Gras, prêtre curé de Limonest, pour examiner la décence, la régularité, la nécessité de ladite chapelle, son éloignement de l’église parroissiale et autres églises ; le procès-verbal de Monsieur Legras, 21e du passé, par lequel il conste que ladite chapelle est entièrement séparée de tous bàtimens, très proprement ornée et dans la décence requise, éloignée considérablement de l’église parroissiale et de demy lieue des autres églises, avec une montée très rapide, incommode et difficile surtout pour les personnes âgées. Le tout examiné et considéré, nous, archevêque et comte de Lyon susdit, avons permis et permettons au supliant de faire célébrer le sacrifice de la messe dans la chapelle domestique de son domaine, situé à la montée de Balmont, parroisse de Vaize, exceptés les jours réservez, et en se conformant à nos intentions exprimées dans notre mandement du 1er septembre 1736, spécialement à ce que les douze messes que nous aurions désiré être fondées y soient néanmoins acquittées, une chaque mois et un jour ouvrable par les sieurs curé ou vicaires du lieu, sous la rétribution de vingt sols chacune dont justifiera chaque année le supliant au secrétariat de notre archevêché par quittance dudit sieur curé, à défaut de quoi ladite chapelle sera et demeurera interdite par le seul fait jusqu’à ce qu’il en soit par nous autrement ordonné ; sauf et sans préjudice des droits et devoirs parroissiaux et à condition que ladite chapelle restera sujette et soumise à notre autorité, visite, juridiction et de nos successeurs archevêques. Et copie de notre présente ordonance sera affichée dans ladite chapelle pour servir de règle à ceux qui y célébreront et qui ne pourront y célébrer s’ils sont étrangers, qu’ils ne se soient présentés au sieur curé du lieu qui examinera leurs lettres, pouvoirs et exeats. Donné à Lyon, dans notre palais et sous notre scel archiépiscopal, le neuf du mois de may 1738. »
De cette date jusqu’à la révolution, le culte se poursuivit paisiblement dans la chapelle domestique. Après la révolution qui avait fermé tous les oratoires, le domaine appartenait à Jean-Gaspard Myèvre, qui, le 12 avril 1803, adressa au cardinal Fesch la supplique suivante :
« Vous supplie humblement le sieur Jean-Gaspard Myèvre, propriétaire d’une maison de campagne à l’extrémité de la succursale de Vaize, de luy accorder la permission de faire célébrer la messe, le dimanche, pendant son séjour, dans sa chapelle cannonique à tous égards ; cette permission a été accordée sans interruption depuis 1737 à ses prédécesseurs et à luy successivement par les divers archevêques et grands vicaires de ce diocèse ; la dernière a été donnée par M. de Beauboisset pour Mgr de Mérinville. Je me flatte, monseigneur, que vous accueillerez d’autant mieux ma prière que j’ay chez moy ma belle-sœur infirme. »
Le lendemain, MM. Courbon et Renaud, vicaires généraux, accordaient l’autorisation « provisoirement pendant trois mois, à la charge de se pourvoir auprès du gouvernement de l’autorisation demandée ». Le préfet du Rhône, M. Bureaux-Pusy confirmait sa permission provisoire de trois mois le trois floréal, an XI.
Cependant M. Myèvre faisait des démarches à Paris, pour la reconnaissance définitive, et faisait agir M. Audo, ancien jurisconsulte, ami de David Portalis, lequel était chef de la comptabilité pour les affaires concernant le culte. Un si puissant appui ne pouvait rester vain, aussi le 13 floréal an XII, Portalis écrit-il à son ami la lettre suivante :
« Vous m’aviez chargé, monsieur, de la demande de M. Jean-Gaspard Myèvre, propriétaire à la montée de Balmont, commune de Vaize, département du Rhône. Vous avez paru mettre un grand intérêt à ce que cette demande fut favorablement et promptement accueillie par le gouvernement. Le rapport en a été fait au gouvernement, le 14 de germinal dernier, et approuvé le même jour. Lorsque l’expédition nous est parvenue, nous en avons fait passer une seconde expédition au citoyen préfet et à M. le cardinal archevêque de Lyon pour que l’exécution s’en ensuive. Quoique nous ne soyions pas en usage de délivrer des expéditions aux parties intéressées j’ai exigé qu’on m’en fit une exprés pour vous être présentée afin de vous procurer la satisfaction de l’offrir à votre ami pour lequel vous avez si fortement agi. Je suis charmé, monsieur, que vous m’ayez mis à même de pouvoir vous donner la preuve de mon vrai et sincère attachement. »
La chapelle de Balmont appartint en dernier lieu à M. Forestier à qui elle échut vers 1850, il y transporta l’œuvre des sourds-muets qu’il avait fondée tout d’abord aux Minimes. Il n’est pas de lyonnais de cette époque qui n’ait connu cette œuvre. M. et Mme Forestier étaient sourds-muets, et puisèrent dans leur bon cœur une grande pitié pour ces déshérités de la nature. C’est là que pendant cinquante ans ont été élevés plusieurs générations de ces infortunés. Leur œuvre n’existe plus, elle a disparu avec les fondateurs dans des conditions qu’on doit rappeler. On sait qu’autrefois l’instruction des sourds-muets se faisait par signe. Le progrès veut qu’aujourd’hui ces infortunés s’essayent à parler comme tout le monde. M. Forestier n’était point accoutumé à cette nouvelle méthode. Son âge ne lui permettait pas de recommencer son éducation, il acheva d’élever les enfants qui se trouvaient dans sa maison, puis la légua aux abbés Lémann pour y installer une œuvre de bienfaisance. Les nouveaux directeurs, si connus à Lyon et dans toute la France par leurs études et leur prédication, ont installé dans la grande propriété un orphelinat de jeunes filles. Ces parlantes, comme on dit, font un singulier contraste par leurs bruyants ébats et leur gaîté avec le silence et la tristesse de ceux qui les ont précédées.
Pour aider au bon entretien de la maison les abbés Lémann firent appel au dévoûment des religieuses Franciscaines de Saint-Sorlin (Rhône), congrégation fondée par la mère Marie-François d’Assise, dont il importe de donner ici un courte notice biographique.
Cette digne personne naquit, le 25 décembre 1828, à Saint-Loup, près de Tarare. Voici comment le toit paternel abrita les prémices du futur institut des petites sœurs :
Quelques petites orphelines ayant été recueillies, un commencement de vie religieuse s’établit ; l’humble congrégation grandit peu à peu, et lorsqu’on quitta le toit paternel, on fonda un premier établissement à Saint-Sorlin, dans le canton de Mornant. En 1868 seulement, eut lieu l’institution canonique de la communauté.
L’accroissement de l’œuvre ne cessa, depuis, de s’affirmer sous la direction toujours plus généreuse de la fondatrice dont la vie entière se passa au service de la communauté. Lorsqu’elle mourut, les soins qu’elle avait donnés aux pauvres orphelines délaissées lui formaient une magnifique couronne.
La chapelle actuelle de Balmont est un édifice qui occupe le centre de la propriété. Elle présente la forme d’un petit temple grec avec un fronton de bon goût. À l’intérieur, au-dessus de l’autel, on voit encore le tableau de l’Assomption dont il a été question dans les documents indiqués plus haut. De chaque côté, on a placé deux statuettes : Notre-Dame de Lourdes et Saint-Joseph. Dans la nef, on voit deux autres statues du Sacré-Cœur et de Saint Augustin ainsi qu’une bonne toile, représentant la Descente de croix.
BIBLIOGRAPHIE DU CHAPITRE X
SAINTE-BLANDINE
Bulletin paroissial de Sainte-Blandine, petite revue des familles, mensuel, 1re année, n° 1. janvier 1900, Lyon, Paquet, in-16 à 2 col., 8 p.
Jean-Claude Dartigue, premier curé de la paroisse Sainte-Blandine à Lyon, par P. Brac de la Perrière. Lyon, Bauchu & Cie, 1874.
ADORATION-RÉPARATRICE
Adoration-Réparatrice, recueil de prières à l’usage des
associés et notice de l’œuvre. (À la fin :) Lyon, imp. catholique, sans date, in-32, 2 parties, 79 p.-1 f.-14 p.
Institut de l’Adoration-Réparatrice, agrégation de l’Adoration-Réparatrice, règlement et cérémonial. Tournai, société S. Jean l’évangéliste, Desclée, Lefebvre et Cie, sans date, in-32, viii-39 p.
Notice sur l’Institut de l’Adoration-Réparatrice. Maison-Mère, Paris, sans date, in-8, 12 p.
Annales catholiques, 15 avril 1876, 22 septembre, 10 et 17 novembre 1877 et 3 août 1878.
Sermon donné le 22 février 1879 dans la chapelle de l’Adoration-Réparatrice, rue Henri IV, 10, pour la clôture de l’octave annuelle de réparation, par M. l’abbé James Comdamin, professeur à la Faculté des lettres de l’Université catholique. Lyon, imp. catholique. 1870, in-8, 19 p.
L’Adoration-Réparatrice à Lyon, extrait de l’Écho de Fourvière, nos des 22 et 29 mai 1880, par Joseph Blanchon, souvenir de la retraite de 1880, offert par les dames zélatrices aux associés et aux amis de l’œuvre. Lyon, imp. catholique, 1880, in-32, 39 p.
Constitutions des sœurs de l’Adoration-Réparatrice. Solesmes, imp. Saint-Pierre, 1886, in-32, 2 f.-224 p.
Vie de la mère Marie-Térèse, fondatrice de la congrégation de l’Adoration-Réparatrice, par Mgr d’Hulst, recteur de l’Institut catholique de Paris, quatrième édition. Paris, librairie Poussielgue, 1887, in-18, xii-154 p., portrait.
Une sœur de fra Angelico, étude biographique et artistique sur la révérende mère Marie-Thérèse du Cœur de Jésus, fondatrice de la congrégation de l’Adoration-Réparatrice, par M. le chanoine Jules Didiot, de l’Université catholique de Lille. Lille, Desclée, de Brouwer & Cie, 1900, in-32, 46 p.-1 f., portrait.
Institut de l’Adoration-Réparatrice, fondation de Lyon, 1851, 29 janvier 1901. Lyon, imp. Emmanuel Vitte, 1901, in-16, 3 f.-25 p.
MARIE-AUXILIATRICE
Œuvre de Marie-Auxiliatrice, place Saint-Clair, 1, 229e société de secours mutuels, autorisée le 10 février 1877, demoiselles employées dans le commerce, assemblée générale du 26 avril 1893, compte rendu de l’exercice 1892. Lyon, Mougin-Rusand, in-8, 27 p. — Compte rendu annuel.
La fondatrice des sœurs de Marie-Auxiliatrice, par l’abbé Théloz, chanoine honoraire de Belley, supérieur du petit séminaire de Meximieux, ouvrage béni par s. ém. le cardinal Richard, archevêque de Paris, et approuvé par nn. ss. les évêques de Nîmes et de Belley. Lyon, Vitte, 1894, in-16, 5 f.-419 p., portrait.
MARIE-THÉRÈSE
La fondatrice des sœurs de Marie-Auxiliatrice, par l’abbé Théloz, chanoine honoraire de Belley, supérieur du petit séminaire de Meximieux, ouvrage béni par s. ém. le cardinal Richard, archevêque de Paris, et approuvé par nn. ss. les évêques de Nîmes et de Belley. Lyon, Vitte, 1894, in-16, 5 f.-419 p., portrait.
Vie de la bonne mère Marie de Jésus, née Sophie Brochet de la Rochetière, fondatrice et première supérieure générale des religieuses de Marie-Thérèse, solennellement reconnues et approuvées par s. s. Grégoire XVI, bref du 25 avril 1835, par l’abbé James Condamin, professeur à l’Université catholique de Lyon. Lyon, Vitte, 1897, in-8, xxxviii p.-l f.-717 p., portrait.
INCURABLES
Notice historique sur l’établissement de charité des jeunes filles incurables, rue de l’Abbaye-d’Ainay, 1, par M. l’abbé Sève, aumônier de l’hôpital militaire de Lyon, chanoine honoraire de Nancy. À l’établissement, et chez Louis Perrin, imprimeur, 1836, in-8, 2 f.-179 p.-2 f.
La ville des aumônes, tableau des œuvres de charité de la ville de Lyon, par l’abbé Nicolas Bez. Lyon, librairie chrétienne, 1840, in-8, 282 p.
Théodore Perrin, Notice biographique sur Louise-Adélaïde Perrin, fondatrice de l’établissement des jeunes filles incurables de Lyon. Lyon, Girard et Josserand, 1852, in-8, 19 p. Extrait du Journal des bons exemples.
Rapport sur le concours ouvert par l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, pour l’éloge de Mlle Adélaïde Perrin, fondatrice de l’œuvre des jeunes filles incurables, lu à la séance publique du 22 décembre 1874, par M. Louis Guillard, chef de l’institution du Verbe-Incarné, ex-président de l’académie, etc. Lyon, imp. Louis Perrin, Alf.-Louis Perrin & Marinet, succ., 1875, in-8, 26 p.
Compte rendu de l’établissement de charité des jeunes filles incurables, rue de Jarente, 6, fondé en 1819, par Mlle Adélaïde Perrin. Exercice 1896, assemblée générale du 1er avril 1897. Lyon, imp. Emmanuel Vitte, 1897, in-16, 18 p.-1 f. — Publication annuelle.