Histoire des églises et des chapelles de Lyon/II/12

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H. Lardanchet (vol. IIp. 413-486).
Les Cordeliers de Saint-Bonaventure, sur le Rhône, d’après une gravure d’Israël Sylvestre, conservée aux archives municipales de Lyon.

CHAPITRE XII

SAINT-BONAVENTURE. — LES CONFALONS


S i l’amour-propre ne nous prêtait trop souvent, pour mieux voir, des verres grossissants, je prendrais volontiers, à mon propre compte, l’appréciation d’un vieil historien du couvent Saint-Bonaventure et je commencerais ces notes, en citant ses paroles mêmes : « Cette église, dit le Père J.-B. Bazin, est, sans contredit, une des plus belles et des plus agréables de Lyon, et peut-être des plus régulières de France, par sa bâtisse et par ses dimensions : car tout y est beau, tout y est grand, tout y est magnifique. » Les curieux, qui l’admirent, seront satisfaits d’apprendre, avec ses origines, la date de ses accroissements divers, le nom des bienfaiteurs, qui la dotèrent de ses richesses, celui des artistes, dont les œuvres l’embellirent. Ils aimeront surtout à ne rien ignorer des événements, qui contribuèrent à sa conservation, à travers les âges, et quelles mains entreprirent de la restaurer et de la tirer des décombres, où la Révolution l’avait ensevelie, en la rendant méconnaissable. Nous nous attacherons, plus particulièrement, à la seconde partie de cette tâche, si on veut bien nous le souffrir ; la première a été traitée, maintes fois, et par des écrivains d’une sérieuse valeur et d’une érudition incontestable : le P. Fodéré, le P. Bazin, l’abbé A. Pavy ; on nous permettra de renvoyer à leurs livres ; pour chacun d’eux et sur certains points, ils sont des dépositions de témoins oculaires ; nous n’en donnerons ici qu’un très sommaire abrégé. Il est très naturel, que nous nous réservions d’insister davantage sur ce qui est plus proche de nos contemporains, sur ce qui s’est passé, sous leurs regards, à la portée de notre observation et de nos recherches. Si, dans cette étude, le siècle, qui vient de s’écouler, relègue un peu dans l’ombre ceux qui l’ont précédé, si le clergé séculier nous occupe davantage que les religieux, leurs prédécesseurs, il ne faut pas en chercher une autre raison, que dans le désir d’ajouter ce complément nécessaire à la chronique de nos devanciers.


I


L’arrivée et l’établissement des disciples de saint François sont généralement fixés à l’année 1220 ; leur petite colonie quitta Assise, après le chapitre, sous la conduite de Michel de Pérouse et la bénédiction du Patriarche ; un puissant seigneur, nommé Humbert de Grôlée, l’hébergea dans sa maison ; il lui céda un vaste tènement, à côté, sur la rive droite du Rhône, dont la superficie formerait aujourd’hui le rectangle, compris entre la place des Cordeliers, le quai de l’Hôpital, la rue Ferrandière, la rue Grôlée, inclinant à l’ouest jusque vers l’issue de la rue Grenette. L’église actuelle fut précédée d’une autre, de proportions plus modestes, qui subsista un siècle environ ; elle était tournée, selon le sens traditionnel, du couchant au levant ; il est facile de déterminer son emplacement, car l’on sait que les absides du premier et du second de ces édifices se joignaient, à angle droit d’équerre. On n’en soufflerait mot, si elle n’avait pas eu la gloire de retentir, pendant six mois, de l’éloquence du cardinal Jean de Fidenza, si célèbre sous le nom de frère Bonaventure, de recevoir sa dépouille mortelle, de lui servir de tombeau, et comme de théâtre pour les miracles, qui décidèrent de sa canonisation. La popularité toujours croissante des Cordeliers les obligea à la quitter, pour une enceinte plus vaste, et ils reçurent du petit-fils de leur fondateur, le sénéchal Jacques de Grôlée, les moyens de l’élever. Il est probable que les fondations furent creusées, au cours de l’année 1325 ; trois ans après, quelques parties de l’œuvre semblèrent assez avancées, pour que l’archevêque de Lyon, Pierre de Savoie, procédât à une consécration solennelle ; nous avons, dans l’épitaphe reproduite ci-contre, avec la plus vieille pierre de notre monument, la preuve que la chapelle de la Sainte Vierge, au fond du collatéral droit, fui inaugurée, le 4 mai 1331, et que les moines en étaient redevables, en partie, à un citoyen lyonnais, Jean Ogier, dont le nom appartient à nos fastes consulaires. Bourgeoisie et noblesse disputaient entre elles de générosité et de sympathie. L’inscription, qui nous suggère cette conjecture, a été citée par Fodéré, mais avec des fautes sensibles de lecture : les Grands Cordeliers de Mgr Pavy l’ont omise ; des abréviations bizarres en compliquent la traduction ; nos lecteurs ne seront donc pas fâchés d’en avoir, sous les yeux, un texte fidèle.

Hic est introitus monumenti in quo jacet Johannes Ogerii, civis Lugdunensis, qui obiit XXIIa die mensis februarii, anno Domini M°CCC°XXVII° et fuit translatus supra cum
saint-bonaventure
Pierre tumulaire de Jean Ogier.

ossibus domine Daviete, matris sue, claustro in hoc monumentum, anno Domini M°CCC°XXXI, carta die mait ; et eadem die fuit dicta capella consecrata. Quorum anime requiescant in pace Amen. Dictus vero Johannes reliquit suo testamento tam pro fabrica ecclesiæ quam pro presenti capella consecrenda duo milia et CCC libr. Vien., quam Guillermus de Durchia, heres dicti Johannis solvit integre et perfecte et ipse Guillermus heres elegit hoc monumentum pro se et suis et fuit sepultus XXI die Maii anno Domini M°CCC°XXXV.

Selon l’habitude du temps, la bâtisse n’avança qu’avec une lenteur mesurée sur l’affluence des ressources ; ainsi, nous savons qu’un peu avant 1348, un religieux, Étienne Munet, avec les aumônes recueillies à l’occasion du cinquantenaire de sa profession, de son jubilé, paya le dernier pilier du chœur, à droite ; des marchands de la ville de Troie commencèrent la première chapelle de la petite nef de ce même côté, en 1345 ; la dernière, dédiée à saint Antoine de Padoue, le fut en 1388. Le monument alors ne se continuait pas plus loin ; au delà, c’était l’auditoire, à ciel ouvert, allant probablement jusqu’au portail actuel et fermé par deux murs de courte élévation. Dans la seconde moitié du xve siècle, en 1468, un médecin, transplanté d’Italie à Lyon, aussi fameux que charitable, Simon Hovedis, « autrement de Pavie ».

À la louange et exaltation
De Jhesu Xrist par grant dévocion
Puis la chapelle où est saint Bernardin
Jusqu’au portai qui est au grant chemin
De la syme jusqu’aux fondemens
A fait tous faire ces deux murs et portal
Et ce qui signe Jhesus et Maria.

De plus, on lui fui redevable de la chapelle de l’Annonciade, érigée en 1471, enrichie de précieuses indulgences, sur sa prière, par le pape Sixte I"’, où il demanda de recevoir la sépulture, où l’on lit toujours, sur une large plaque de marbre, un peu trop dans l’ombre, la gratitude que lui vouèrent les religieux, longuement et lyriquement exprimée en soixante-seize vers léonins, hexamètres et pentamètres, se terminant par ce souhait ambitieux, mais en très bonne voie de réalisation :

Inclita quem quondam genuit sic Itala tellus
Francia perpetuum jam nunc servabis honorem ;
De Rovedis nomen nullum moriatur in œvun.
Inscription dédicatoire encastrée dans la façade de l’église.

L’église désormais s’offrait au regard, dans toute son étendue, 70 mètres de longueur sur 30 de largeur : la voûte en ogive surbaissée ; les trois nefs, séparées par huit arcades, dont les colonnes, qui les portent, ont des chapiteaux sans ornement ; son abside demi-hexagone, percée de cinq fenêtres, ses seize chapelles latérales, irrégulières de style, mais déjà pleines d’œuvres d’art. On crut le moment propice de lui donner une seconde bénédiction et un nouveau patron. Le suffragant, Étienne de la Chassagne, évêque titulaire d’Utique, célébra celle dédicace et saint Bonaventure, le docteur séraphique, la lumière du seizième concile œcuménique, fut adopté et proclamé pour titulaire. Il y avait cinquante ans, déjà, que ses restes avaient été transportés, près du maître-autel, contre la muraille, à l’endroit où ont été percés, en 1846, les deux arcs qui mettent en communication le sanctuaire et la chapelle latérale de gauche. Depuis deux ans, depuis le 18 mai 1482, l’illustre maître général, dont le gouvernement avait assuré à l’ordre une paix si désirable et de si sages règlements, était élevé sur les autels ; son culte, devenu officiel par la bulle de canonisation, si répandu à l’avance parmi les habitants de Lyon, atteignit bientôt une extrême popularité ; les pèlerinages se multiplièrent à son tombeau et des actes officiels de l’Échevinage, des rois et des reines de France, de nos gouverneurs et de nos archevêques, ne tardèrent pas à publier que son intercession n’était pas moins.

secourable qu’elle était recherchée. Pour abréger, nous ne mentionnerons que la visite de Charles VIII et de sa femme, Anne de Bretagne, confirmant, auprès de ses saintes reliques, leur résolution de fonder un second monastère franciscain, Notre-Dame de l’Observance ; le don princier d’Anne de France, dame de Beaujeu, fille de Louis XI, qui enchâssa le chef de cet incomparable génie, dans un buste d’argent ciselé « au naturel », où elle sema ce que sa cassette contenait de phis rare en pierreries, topazes et turquoises. Cette période, qui enjambe sur la dernière moitié du xve siècle et le commencement du xvie, fut une des plus florissantes du monastère ; elle est marquée, dans la discipline, par un retour sérieux aux observances primitives et, dans les pratiques religieuses, par l’institution de la plupart des confréries corporatives, dont l’influence fut aussi heureuse qu’étendue. Il n’est pas trop invraisemblable de rattacher à cette époque le premier fonctionnement de celle de Saint-Bonaventure, la plus célèbre et la plus recherchée de toutes. Seuls les jeunes hommes de bourgeoisie lyonnaise y étaient admis, avant leur mariage : chaque année, le 6 juin, sous la présidence du Prévôt des marchands ou de l’un des Échevins, on procédait à l’élection de quatre courriers et cette charge, quoique dispendieuse à cause des frais qu’elle entraînait, pour la fête et l’Octave, était fort ambitionnée ; elle était le premier degré à franchir, avant d’atteindre aux dignités communales.

Buste-reliquaire donné par Anne de France, dame de Beaujeu.

Les troubles de la Réforme, les guerres civiles qu’ils provoquèrent, les dévastations dont se rendirent coupables, à Lyon, ses bandes de soldats et des ministres, tels que Viret et Jacques Ruffy, changèrent en deuil ce concours et ces joies. Les fureurs huguenotes s’abattirent, comme une trombe néfaste, sur les couvents et les églises. Les Cordeliers furent parmi les victimes les plus persécutées ; on pilla leur cloître ; on mutila, dans les chapelles, les statues qui les décoraient ; on souilla les autels ; on jeta au feu les tableaux, les missels et les ornements ; vainement on avait enfoui les ossements de saint Bonaventure ; la cachette fut découverte et les reliques précipitées dans le Rhône ; le buste demeura introuvable, malgré des fouilles acharnées ; furieux de leur déconvenue, les Huguenots se saisirent du Père Gardien, qui n’avait pas fui, avec ses compagnons, ils l’enfermèrent, sans nourriture, dans la chambre même du trésor, et menacèrent de le laisser mourir d’inanition, si le reliquaire ne leur était pas restitué. Le P. Gayète résista aux plus horribles tourments de la faim et de la soif, et fut muet ; désespérant de le vaincre, on décréta de le conduire à la prison de Roanne, mais, avant d’y arriver, sur le pont de Pierre, des soudards fanatiques se ruèrent sur lui, le percèrent de cinq coups de hallebarde et le lancèrent dans la Saône.

L’édit de pacification ramena les Cordeliers, chez eux, et ils reprirent leur vie de prière et d’apostolat. Si dure que soit l’épreuve qu’ils avaient subie, si incertain l’avenir, dont Calvin menaçait Rome, la communauté se reconstitua ; une liste, conservée aux archives départementales du Rhône, accuse, en 1576, trente-six religieux prêtres, un novice et sept frères lais.

La fin du siècle fut plus calme que son milieu et, après avoir été édifiés de voir Henri III, sous la cagoule blanche des pénitents du Confalon, nos ancêtres, chauds ligueurs, pourtant, se réjouirent d’apprendre qu’Henri IV avait pardonné à Biron, après un entretien, dans le cloître franciscain. Le bon béarnais, afin que le souvenir de cette clémence persistât plus agréablement dans le lieu, qui la lui avait inspirée, lit cadeau d’un millier d’écus à ses hôtes, en leur disant adieu. L’aubaine tombait à pic. Les moines réparaient leur chœur ; leur supérieur, le R. P. Roux-Murgat, de Vienne, embellissait l’autel, élargissait les fenêtres, remplaçait et augmentait les stalles, rêvait d’un lutrin gigantesque de marbre et de bronze. Grâce au bienfait royal, il solda la dépense et s’empressa d’éterniser la mémoire du bienfaiteur. L’inscription qu’il composa et qu’on grava, au-dessus du centime de la porte, qui menait de l’intérieur de l’église à la sacristie, n’a pas été effacée, aussi bien, du reste, que l’invocation, par laquelle il tint à consacrer son œuvre, et que nous rendrons ici à son véritable sens :

Ore tuo, christe, benedictus sit chorus iste ;
Sit pax intranti ; benedictio cuique precanti.

La renommée de Saint-Bonaventure lui venait principalement de ses chapelles et des confréries, dont chacune d’entre elles était le siège. On comptait, en outre de l’autel majeur, trente des unes, dix-huit indépendantes dans les bas-côtés, et douze, adossées aux piliers, à l’intérieur de la grande nef ; les autres dépassaient la quarantaine. Une partie de la vie religieuse populaire se liait à ces associations de petites gens, la plupart du temps, groupées par métier, d’autrefois simplement par la cohabitation dans le quartier, ou par affinité mystique. Le tableau des mœurs de ces âges de foi serait incomplet, si l’on écartait d’un coup de plume trop rapide ces sentiments et ces habitudes, qui soulageaient l’âme des fatigues du corps et des privations de l’isolement. Rien, dans ces unions fraternelles, ne semble plus indifférent ou superflu, quand on devine les faisons de l’élection du patron, le symbolisme du pain bénit, distribué le jour de sa fête, l’orgueil et la sécurité que l’on tire de l’assurance d’avoir sa tombe, sous la dalle, où si souvent l’on s’est agenouillé. Aussi, malgré que l’énumération en soit un peu longue, nous nommerons, avec une fidélité assez rigoureuse, chacune des dévotes institutions de ce passé, dont nous sommes si loin. L’ordre topographique, en cette occasion, nous paraît le plus commode de tous ; nous proposons donc à nos lecteurs, comme une promenade circulaire dans le temple, partant de l’extrémité de l’absidiole droite, côté de l’épître, descendant vers l’entrée, pour remonter ensuite dans le collatéral gauche, jusqu’à son extrémité, côté de l’évangile. À mesure qu’elles se rencontreront, nous indiquerons le nom de ces chapelles, leurs divers titulaires, et quel genre de fidèles y tenaient leurs assemblées, y déployaient leurs bannières, y possédaient leurs caveaux funèbres.

Inscription tumulaire dans la chapelle du Christ.

La première, face à la nef, dédiée à Notre-Dame de Grâces, plus tôt à Notre-Dame des Anges, ou à Notre-Dame de Lorette, était affectée aux marchands boutonniers ; la seconde, sur le côté droit, était placée sous le patronage de saint Fortunat, à l’usage des affaneurs et des emballeurs ; les trois suivantes jusqu’à la petite porte occidentale, appartenaient l’une aux tailleurs, sous l’invocation de saint Jacques et de saint Philippe et aussi de saint Hommebon, l’autre, aux membres du Cordon de saint François, la dernière, aux teinturiers, avec Saint-Maurice pour vocable. Saint-Antoine de Padoue venait ensuite ; il y avait une statue de sainte Marthe pour les logeuses, de saint Sixte pour les aubergistes ; les taverniers et les pigniers y prétendaient aussi des droits. La chapelle de saint Simon et de saint Jude était réservée aux corroyeurs, celle de saint Matthieu, à la suite, aux tondeurs de drap ; les cergiers et les confituriers invoquaient sainte Geneviève, dans la dernière. À gauche, saint Hubert réunissait, autour de son image, et près du cerf miraculeux, les fondeurs, les doreurs sur métal, les ceinturiers et faiseurs de baudriers ; au-dessus, les fondateurs de la chapelle Saint-Michel, les Jucuria, maison princière d’Allemagne, avaient disparu et leurs droits étaient périmés ; on la nommait la cliapelle des chandeliers ; ils la partageaient avec les poulaliers, dont la rue était voisine, et les fromagiers à cause de la balance de l’archange. Le titre de l’Annonciade avait été aboli ; saint Luc et saint Clair l’avaient remplacé, de par la volonté des peintres, des doreurs sur bois et des vitriers, qui n’avaient pas reculé, en 1619, devant une espèce d’émeute, pendant une grand’messe, et avaient député au célébrant un huissier, porteur d’une sommation judiciaire. Plus haut saint Bernardin de Sienne était honoré par la corporation des bouchers, plus spécialement, je pense, par ceux dont les étaux s’abritaient sous les boutiques, louées par l’Hôlel-Dieu. La chapelle actuelle de la Sainte Vierge en renfermait alors trois, séparées et closes ; l’érudit écrivain des Grands Cordeliers, l’abbé Pavy, n’a pas su les distinguer et il a placé, parmi elles, une chapelle de Notre-Dame de Grâces, qui n’a jamais existé en cet endroit. Voici leur ordre véritable, en allant de bas en haut : d’abord Saint-Nicolas, l’Assomption ensuite, en dernier lieu Saint-Bonaventure et, dès 1662, en concomitance, Notre-Dame de Bonne-Délivrance. Les marchands, bateliers, négociants et voituriers par eau se réservaient Saint-Nicolas, jadis sous l’invocation de Notre-Dame du Chapelet ; il est probable qu’ils avaient contribué à sa reconstruction, en 1572, après que les Protestants l’eurent démolie, pour s’ouvrir un passage plus commode dans le verger du monastère. L’Assomption fut cédée, par contrat du 4 mars 1515, « aux ouvriers du métier de tissoterie ». Le Prévôt des Marchands et les Consuls intervinrent et, comme si les religieux avaient eu le pressentiment de la prospérité future de cette corporation de la soierie, leur chapitre, à son égard, usa des plus larges et des plus gratuites concessions. Avec la chapelle Saint-Bonaventure, ou de la Délivrance, nous louchons d’après le témoignage de Bazin, à la partie la plus curieuse et la plus riche de l’église ; mais il convient de le citer ; il a vu ce qu’il décrit. « Les peintures, dit-il, en sont fort belles ; elles consistent en figures, en fleurs et en ornements dont la voûte même est remplie, où différents peintres ont travaillé et tous les cadres en sont dorés. La grande balustrade, qui la ferme, et celle où l’on communie sont des mieux travaillées de tout le pays. Les panneaux d’ornement en feuillage, relevés sur le fer, les chapiteaux, les corniches, les bases et les pilastres sont de bronze, avec des têtes d’aigle qui servent de naissance aux ornements desdits panneaux ; et le tout y est fort artistement mêlé avec le fer, ce qui fait un très-bel effet. Enfin tout l’autel, depuis la voûte jusqu’au plain-pied, en est d’or. En outre des figures de saint Joseph et de sainte Marguerite, de sainte Reine et de sainte Apollonie, on y voit deux grands anges dégagés et comme en l’air aux extrémités d’un gros pavillon à fleurs damassé et à franges d’or, qui en occupe tout le fond, d’une manière très riche et tout à fait agréable. » C’est, je pense, dans le haut de ce retable, que, par un lanternon vitré, on apercevait le buste de saint Bonaventure, enfermé dans un cabinet-oratoire supérieur, ouvrant en dehors sur l’escalier du dortoir. Ce reliquaire n’était descendu, qu’une fois l’an, et exposé, pendant l’octave de la fête, à la vénération publique. Pour Notre-Dame de Délivrance « Virgo in expectatione Partus », la confrérie convoquait ses membres dans la neuvaine qui précédait Noël ; les jeunes épouses, averties d’une maternité prochaine, y couraient en foule ; elles venaient faire bénir les langes qu’elles avaient brodés, et fréquemment leur première sortie, après la naissance de leur enfant, les conduisait aux pieds de la Madone bienveillante ; elles plaçaient le nouveau-né sur l’autel même, comme pour le rendre et le vouera la Mère de Dieu, qui en avait, miraculeusement quelquefois, favorisé la venue. Deux brefs d’Alexandre Vil (28 novembre 1661 et 4 juin 1664), un de Clément IX (8 novembre 1669) accordaient aux associées de nombreuses indulgences et, sous Clément X, le 25 avril 1675, elles furent agrégées à la confrérie de Notre-Dame du Porche, ou de la Consolation, à Sainte-Marie-Majeure. J’avoue regretter que ces traditions, brisées par l’anéantissement de la communauté franciscaine, n’aient pas été rétablies ; il n’est guère admissible qu’un excès de pudeur, introduit dans les mots plus qu’imposé par les choses, arrête l’élan du cœur et de la piété, lorsque les alarmes sont les plus vives et la foi le plus nécessaire.

Enfin dans la chapelle extrême de ce collatéral gauche, nous trouvons, pour titulaires, saint François d’Assise et saint Louis ; les huissiers et les sergents royaux en disposent, sans doute, parce que le roi de France « fut un bon sergent de Dieu ».

Les colonnes des travées, comme nous l’avons dit, avaient également un autel et deux autres étaient adossés à la barrière d’entrée du chœur. Ceux-ci étaient consacrés à sainte Anne, pour les veuves, et à saint Claude pour les tourneurs ; dans la nef, il y avait, au levant, saint Crépin, pour les savetiers ; saint Éloi, pour les maréchaux ; sainte Barbe, pour les apoplectiques ; sainte Marguerite, pour les femmes enceintes ; encore saint Éloi, pour les charretiers, rouliers et voituriers par terre ; à l’occident, le Sacré-Cœur, érigé en 1721 ; saint Antoine, le solitaire d’Égypte, pour les tripiers et vendeurs de langues ; saint Christophe, pour les porte-faix elles gagne-deniers ; saint André, pour les éguilletiers, bourciers et alaigniers ; l’Ascension, pour les maîtres-ouvriers en fer-blanc, saintSixte, pour les taverniers et les vinaigriers. Enfin, l’autel majeur, d’une hauteur de plus de 50 pieds, dont nous renonçons à détailler l’ornementation, les six grosses colonnes torses, cannelées aux deux tiers et le reste couvert de ceps de vigne grimpante, le tabernacle agrémenté de deux niches, pour l’exposition du Saint-Sacrement, de figurines en bois doré et de glaces, « un des plus accomplis qui se voient », était utilisé par les potiers d’étain, sous l’égide de saint Fortunat, les compagnons imprimeurs, clients de saint Jean Porte Latine, les ouvriers en bas de soie, de saint Michel, les frangiers, de saint François ; on y invoquait aussi pour les agonisants saint Claude, cet ancien évêque de Besançon, abbé de Condat. En dehors du temple, si la tâche n’était pas réservée à un de nos plus distingués collaborateurs, nous aurions à signaler, dans l’enclos, les Confalons et Notre-Dame de Bon-Rencontre. La notice des Confalons sera en post-scriptum de la nôtre ; pour le second oratoire, qui réclame un historien, on n’a pas perdu le contrat de sa fondation, datée du 13 juin 1588 ; ses dimensions étaient modestes, son architecture n’avait rien d’ambitieux ; il s’élevait à l’angle sud-ouest du jardin claustral ; jadis ce carrefour des rues du Port-Charlet et de Grôlée, était si mal famé, si peu sûr, qu’on avait pratiqué une niche dans la muraille et qu’on y avait installé une image de la Mère de Dieu, afin d’inspirer confiance aux passants attardés, et quelque crainte aux détrousseurs de bourse ; les religieux en avaient accepté la desservance ; chaque samedi, on y récitait les litanies de la Sainte Vierge et, les vendredis de carême, on y chantait un Stabat ; les fêtes de Pentecôte étaient solennisées, comme les plus importantes de la liturgie, elles se prolongeaient pendant trois jours et se terminaient par une procession à Saint-Roch de la Quarantaine. Le 3 janvier, les capitaines pennons du quartier élisaient les courriers ou administrateurs laïcs. On frappait, à ce nom, des médailles, pour être suspendues au col, et d’autres, pour être épinglées, comme porte-veine, au chapeau ou à la boutonnière de l’habit. Le cabinet des médailles de Lyon en a recueilli plusieurs, en plomb et en cuivre. L’une d’elles, de forme ovale, porte, à l’avers, la Vierge et l’Enfant ; au revers, on y voit saint Joseph et un compagnon, devant un rocher, d’où jaillit une source, avec cette légende : Fontaine de saint Joseph. J’ignore, si ce nom fut donné à la pompe, adossée au mur de la chapelle, du côté du midi, construite, en l’année 1773, sous la prévôté de M. Claude Espérance, marquis de Bellescizes.

Le consciencieux auteur des Quelques remarques sur le grand couvent de Saint-Bonaventure de Lyon, dont nous nous sommes servi pour la nomenclature des chapelles, n’est pas moins prolixe sur les objets et œuvres d’art, que les confréries avaient offerts, ou bien que les Cordeliers avaient commandés eux-mêmes. Quelques tableaux, surtout, étaient du plus excellent mérite, » dont les curieux faisaient état », comme il s’exprime. Le nom de l’artiste et le sujet des principales de ces toiles sont connus par tradition, mais, à part une ou peut-être deux, toutes ont disparu, sans que l’on sache les galeries où elles sont entrées. Les deux Stella, François et Jacques s’y trouvaient admirablement représentés, celui-ci par une Nativité, que l’on est unanime à regarder comme son chef-d’œuvre, heureusement accrochée depuis au musée Saint-Pierre, celui-là par une Assomption, un saint Hubert, un saint Éloi, les sept sacrements dans la sacristie, les épisodes de la vie de saint Bonaventure dans la chambre où il mourut. Citons une sainte Geneviève du Golchin, de Périerle jeune, une Ascension, de François Périer, l’oncle, l’Adoration des Mages, au retable du maître-autel, mesurant plus de vingt pieds de hauteur, une Assomption de François Porbus, un saint Fortunat de Panthot, un saint Michel, d’un inconnu, « qui n’a pas son semblable ». André Clapasson, auteur de la Description de Lyon, sous le pseudonyme de Paul Rivière de Brinais, admirait beaucoup, dans la chapelle des peintres, le tableau de l’autel par Blanchet : il l’estimait comme une de ses meilleures pièces, mais, à son propos, je suis obligé de lui reprocher une grave distraction : trop confiant en Spon, il a pris l’épitaphe de Simon de Pavie pour celle de Symphorien Champier. Nulle part, sous ces voûtes d’aspect plutôt sévère, la sculpture ne luttait avec la peinture, de mérite et de beauté ; on n’y admirait pas de ces statues, dont la façon l’emporte infiniment sur la matière, aucun bas-relief de prix, aucun mausolée fastueux, ainsi qu’à la Charité et aux Jacobins. Cependant Lyon, au xviie siècle, surtout, s’honorait d’artistes de talent. Mais les Cordeliers ne furent jamais une nécropole de grands seigneurs ou de héros ; la liste des morts, qui ont reposé là et dont les ossements sont tombés en poussière, en attendant la résurrection, n’est pleine que de noms plébéiens ; des dalles funéraires, qui ont résisté à l’usure du temps ou aux injures de plusieurs sortes de vandalisme, une seule nous révèle les titres d’un grand seigneur, le neveu de Mandelot, François de Colombier, tué au siège de La Mure, à 22 ans, le 19 octobre 1390 ; nous devons toutefois à leur mémoire de ne pas omettre quatre ou cinq personnages, dont les titres, pour n’avoir pas trop franchi les limites provinciales, ne nous en sont que plus chers ; Simon de Pavie, Symphorien Champier, médecin comme lui et de plus historiographe, Meyssonier, encore un confrère des deux précédents, décédé sous l’aumusse de chanoine de Saint-Nizier, le 26 février 1676, le peintre François Stella,
Le couvent et l’église des Cordeliers, au xvie siècle
D'après une restitution de M. R. Lenail.
Michel Perrache, inhumé dans la chapelle de l’Annonciade, le 21 décembre 1750, demandèrent aux Pères, leurs amis, une tombe et des prières.

Dans le cours du xviiie siècle, les événements particuliers du couvent ne dénoncent pas trop un refroidissement de zèle et de foi, que les historiens rencontrent, un peu partout, à cette époque, même dans les maisons les mieux réglées. Notre communauté lyonnaise, vingt à trente ans avant la Révolution, qui amena sa dispersion, grâce à des hommes de valeur et d’énergie, les Pères Michel, Jean Morand. Escalle, Dumas, recommandables par leur austérité et leur amour de la discipline, se maintenait contre les tentations de relâchement et d’une vie plus commode et plus indépendante. Le nombre de ses profès n’était pas descendu au-dessous de vingt-cinq ; l’école de théologie et le noviciat se recrutaient moins : si le lecteur avait un petit cercle d’étudiants, le maître des novices se contentait de deux ou trois postulants. Cependant les archevêques n’épargnaient point les marques ; de leur faveur ; Mgr François-Paul de Villeroy se rendit plusieurs fois au couvent, pour des solennités religieuses ; le 4 octobre 1727, par exemple, il assista à une messe, chantée en l’honneur de son patron et au sien, par les membres du Concert, et il reçut du supérieur, avec les compliments les plus respectueux, un bouquet dont les fleurs artificielles étaient composées par des coquillages marins ; le cardinal de Tencin, en 1747, ouvrit l’octave de saint Bonaventure et Mgr de Montazet, qui lui succéda, présida les processions de 1759 et de 1761. Aux cérémonies traditionnelles, l’occasion en ajouta d’autres, non moins agréées et tout autant fréquentées par la multitude. La plus curieuse, sans contredit, fut la célébration, des noces d’or sacerdotales du Révérend Père Jean Morand, le 19 juillet 1721 ; ce vénérable religieux jouissait du plus grand crédit, près des siens et au-dehors ; jamais personne, selon le mot de l’annaliste conventuel, n’a eu et peut-être n’aura la confiance du public, au même degré que ce directeur renommé, auquel s’adressaient gens de tout état. Il avait, dit un second, un pathétique si insinuant qu’il était impossible de lui refuser ce qu’il souhaitait. Il exerça, pendant deux triennats, la charge de gardien et conserva la surveillance de la sacristie à peu près jusqu’à sa mort. Sa cinquantaine réunit, pour le combler de félicitations et d’honneurs, les dignitaires du diocèse et les magistrats de la cité, les riches et les pauvres ; l’archevêque accepta de lui servir de parrain ; Mme Poulletier, femme de l’intendant, revendiqua le titre de marraine ; deux évêques, dont Mgr de Rochebonne de Noyon, furent présents, et les musiciens qui chantèrent la messe à grand orchestre se surpassèrent. À l’issue de l’office et du Te Deum, le monastère fut envahi par la foule, qui suivit l’archevêque et le jubilaire ; les religieux ne furent plus maîtres chez eux qu’après cinq heures du soir, avec des estomacs, paraît-il, qui criaient famine. Notons rapidement, en 1727, la fondation des Quarante-heures, qui attirèrent beaucoup de pieux adorateurs, les trois derniers jours du carnaval ; en 1729, la canonisation de saint François Solano et de saint Jacques de La Marche, pour laquelle on renouvela les magnificences et les décorations, consacrées, trente ans auparavant, à deux autres franciscains, inscrits au Martyrologe, Jean Capistran et Pascal Baylon ; en 1748, la bénédiction de la croix de la place, menaçant ruine et restaurée parle Consulat, mais abattue, vingt et un ans plus tard, remplacée par la colonne du Méridien et la statue d’Uranie de Clément Jayet ; trois processions, organisées par les Pères Trinitaires, conduisant du Gourguillon, où était leur résidence, aux Cordeliers, les captifs qu’ils avaient rachetés, dans les pays barbaresques, quêtant sur le parcours de quoi en délivrer de nouveaux. L’exaltation au Souverain Pontificat de Laurent Ganganelli, de l’ordre de Saint-François, sous le nom de Clément XIV, donna lieu, le 19 juin 1769, à une messe d’actions de grâces, où furent invitées toutes les communautés de la ville et des faubourgs. Le doyen du chapitre Primatial, M. de Montjouvent, officia, assisté comme diacre et sous-diacre des comtes de Lescoët et de Chabans ; on mêla la poudre à l’encens et on unit, au carillon joyeux des cloches, le bruit de boîtes et de pétards. L’affluence des invités charma les Pères, et pour l’expliquer, l’un d’entre eux suppose que « les vertus éminentes du pape étaient déjà connues et qu’elles avaient pénétré les cœurs de reconnaissance ; chacun bénissait le Seigneur d’avoir jeté un œil de miséricorde sur son Église, en lui accordant un chef selon son cœur ».

Le R. P. Jean-Henri-Bonaventure Dumas, cordelier (1698-1772).

Pendant la même période, l’édifice conventuel, la maison de Dieu et la maison des moines, ne furent pas négligées. La partie du bâtiment, réservée au dortoir, parallèlement au Rhône, inclinait vers un effondrement total ; on la remplaça par la belle et solide maison, numérotée 2, 3 et 4 du quai de l’Hôpital, 3, 3, 7 de la rue de Pavie, lorsque la société de la rue Grôlée l’expropria et l’abattit en 1892. Construite par un architecte en retraite, Étienne Fahy, elle présentait, en première façade, sur le fleuve, cinq vastes arcades de plein cintre, où l’on ménagea des magasins et des entresols spacieux, loués pour la plupart à des libraires. Sur la seconde façade de derrière, à l’angle nord-ouest, on avait eu soin de conserver, au moins, les voûtes de la chambre, dite de saint Bonaventure, et en dehors, entre les deux fenêtres, qui l’éclairaient, un dévot négociant, M. Fayet, avait érigé une statue du séraphique docteur, sculptée par Perrache père. Le chœur, dans l’église, le sanctuaire et son autel furent entièrement renouvelés, avec plus ou moins de continuité, de 1732 à 1764. La mode proscrivait ces retables d’une hauteur démesurée, que les contemporains de Louis XIV avaient tant goûtés ; le marbre triomphait du bois peint, des colonnes, des guirlandes de fruits, des pots de flammes ; on revenait à plus de simplicité. Le Père Dumas, qui nous parle de la restauration de Saint-Bonaventure, commandée à Michel Perrache, a bien le courage d’appeler « un placard doré » le chef-d’œuvre, dont Bazin nous avait fourni, un demi-siècle auparavant, une description si complète et si enthousiaste. Les douze petites chapelles, adossées aux piliers, furent supprimées ; la mesure était sage, quoiqu’elle ait soulevé de vives récriminations de la part des confréries, qui s’en regardaient un peu comme propriétaires. Elles étaient encombrantes ; chacune d’entre elles se composait d’un autel, débordant la colonne, qu’un tableau de plus ou moins grande dimension surmontait et qu’une balustrade environnait, le protégeant contre les allées et venues des passants ; cela prenait un espace qu’on regrettait de perdre, les jours d’affluence extraordinaire.

Moins de dix années suffirent à bouleverser, de fond en comble, ou plutôt à anéantir, ce que tant de générations monacales, pendant cinq siècles et demi, avaient édifié et maintenu ; les lois décrétèrent la nationalisation des biens ecclésiastiques et la suppression des ordres religieux : les Cordeliers, expulsés de leur asile, se dispersèrent au hasard d’une vie errante et inoccupée ; la spéculation survint, elle acheta en bloc et revendit en détail, perça des rues, transforma les lieux, au point de les rendre méconnaissables. Dès fructidor 1796, le citoyen Joseph Villette avait remplacé les fils de saint François.

Il serait plein d’intérêt de pouvoir dire avec quels sentiments, déjà diminué en nombre et touché par un relâchement visible dans les observances extérieures, le couvent accueillit la constitution, ses réformes, ses empiétements, ses exécutions. Aucun document n’existe, en dehors des procès-verbaux de visites et d’inventaires par la commission municipale : nous tâcherons au moins de ne rien négliger de ce qu’ils nous apprennent. Rappelons, pour mémoire, que les électeurs des trois ordres, réunis pour la nomination des députés aux États généraux, tinrent leurs assemblées plénières dans l’église Saint-Bonaventure, les 14 et 28 mars, et le 4 avril 1789 ; le tiers-état y siégea, en particulier, pour toutes ses réunions, tandis que les Confalons étaient réservés au clergé et la salle du Concert livrée à la noblesse. C’était comme le lever de rideau, avant la pièce principale, qui se jouera à Versailles ; cependant, à plus d’un signe, les esprits politiques augurèrent que les sophismes, dont l’opinion était nourrie, seraient plus indéracinables et non moins dangereux que les abus qu’elle flétrissait. Un curé de campagne, Souchon de Saint-Genis l’Argentière, plus que suspect par ses pratiques d’un jansénisme outré, débita, dans la chaire, une apologie du mariage des prêtres qu’applaudit une bonne partie du Tiers ; dans la discussion du cahier de leurs doléances, les ecclésiastiques furent impuissants à imposer silence à quelques-uns d’entre eux, plus exaltés qu’influents, mais qui usèrent de violence, pour expulser un des vicaires généraux de l’archevêché. Les hommes sages regrettèrent, plus que jamais, l’absence inexplicable de Mgr de Marbeuf, abandonnant à deux représentants, les abbés Bonnaud et Hémey, qui ne s’accordaient, ni de pensées, ni de vues, l’administration diocésaine et surtout la direction de la mentalité publique, à une heure aussi critique.

Conformément aux lois, votées, le 28 octobre 1789, sur la suspension des vœux, et, le 13 février 1790, sur la suppression des communautés, trois délégués du district se présentèrent, le 4 juin 1790, aux Cordeliers, et demandèrent un état général de la maison, de ses rentes et de ses dettes. Le P. Procureur, Dumont, leur remit entre les mains, le tableau de l’actif et du passif, avec un registre, où il inscrivait les dépenses débouche quotidiennes. qu’ils paraphèrent. Les revenus annuels, d’après ces mémoires, montaient à 23.178 livres, dont la grosse part, 19.931 livres, était fournie par les loyers des maisons et des échoppes ; les dettes actives formaient un total de 4.141 livres et les dettes passives étaient toute comprises, dans les gages des divers domestiques, de l’organiste, du sonneur et du suisse, depuis le 1er janvier précédent ; les religieux reconnaissaient encore être propriétaires de deux vignobles, l’un situé à Millery, de 130 hommées, l’autre, à Vernaison, en mesurant 160.

Calice et crucifix dits de Saint-Bonaventure.

Les commissaires les interrogèrent sur leur résolution de continuer la vie commune, ou de rentrer dans le monde, et de reprendre leur liberté. Quelle que fut alors leur réponse, ils envoyèrent, un peu plus tard, au bureau de la municipalité, une déclaration individuelle de leur intention ; ces déclarations n’ont pas été détruites et, d’après elles, on voit que sur dix-sept Pères, quinze demandèrent à quitter leur état, et trois frères lais sur trois. La plupart se retirèrent en leur particulier, avec la jouissance d’une pension de 700 livres, qu’ils ne touchèrent qu’après avoir prêté le serment constitutionnel. L’essai de réunir, sous un même toit, les membres des différents ordres et congrégations, qui en avaient manifesté le désir, n’aboutit pas ; on proposa divers établissements, les Grands-Capucins, les Picpus de la Guillotière, les Récollets de Saint-Galmier ; rien ne s’organisa. La dislocation fut à peu près définitive, fin janvier 1791 ; on lit, sur une feuille de papier, aux archives, qu’à cette date, on se distribua l’argent, resté en caisse, et que les parts furent de 90 livres par tête. Le 9 mai 1791, Antoine Margaron, mandataire du directoire du district, dressa l’inventaire du mobilier, des chambres, de la sacristie, jusqu’à celui des greniers et posa, à peu près, sur toutes les serrures, le cachet rouge du scellé ; il entra dans la bibliothèque, dont le catalogue avait été déposé au greffe et n’en décrivit que les tables et les placards grillés. Il transporta lui-même les ornements sacrés au dépôt central, dans la salle des Pas-Perdus de l’archevêché, et l’argenterie au secrétariat du district ; ce dernier lot comprenait le buste de saint Bonaventure, son calice et son crucifix ; un reliquaire de saint Clair, un de sainte Agathe ; une croix processionnelle ; un vase pour les saintes huiles ; deux paix ; six calices, dont un sans patène, parce qu’elle avait été volée quelques semaines auparavant ; trois ciboires, deux ostensoirs, deux encensoirs avec leur navette, deux burettes et un bougeoir.

L’église toutefois ne fut pas encore fermée ; le Père Mollière sollicita l’autorisation d’y célébrer la messe ; il reçut, le 10 mai, l’avis officiel d’y continuer le culte ; le 16, on lui assura que les frais en seraient supportés par le district ; le commissaire eut l’ordre de laisser à son usage les objets indispensables aux offices. Ce régime dura juste trois mois ; M, Jolyclerc, ancien chanoine de Saint-Paul, curé intrus de Saint-Nizier, le frère de l’ ex-bénédictin d’Ambronay, qui avait, aux Cordeliers, prononcé l’oraison funèbre de Mirabeau, intervint alors, et par je ne sais quel subterfuge, il empêcha que Saint-Bonaventure, érigé en succursale, avec des limites, décrites dans l’Almanach de 1792, eut un régime autonome ; il s’en déclara l’administrateur et préposa au service spirituel un certain Tenard, parfaitement inconnu d’ailleurs. Il eut même l’habileté, le 13 octobre, de se rendre, accompagné d’un de ses vicaires, M. Astier, au dépôt des Pas-Perdus et, sous les yeux d’un commis de la municipalité, M. Marguery, muni de la permission de M. Pierre Vial, membre du distinct, d’enlever huit chasubles, non médiocres, provenant des Chartreux, de la Platière, des ci-devant Dominicains, des aubes, des cordons et du linge pour le service, affirmait-il, de l’église succursale de sa paroisse. Je n’oserais soutenir qu’après le siège, au lendemain de l’ignoble procession de l’âne et de l’apothéose de Chalier, Saint-Bonaventure subit, comme la chapelle des Confalons, un pillage en règle et les souillures d’une émeute démagogique ; un historien l’a raconté, mais à l’appui de ces pages, inspirées par une brillante et jeune imagination, un document positif nous convaincrait davantage. Il semble même, d’après un ordre, envoyé le 23 nivôse an V (12 janvier 1797), conservé à l’Hôtel de ville, que le déménagement des marbres, des boiseries, des tableaux s’exécutât, sous la surveillance d’inspecteurs, qui ne signalèrent aucun détournement, ou bien aucune dévastation antérieure. Les quatre-vingt-dix stalles furent entreposées, dans le chœur de Saint-Jean, et nous savons que, plus tard, ses fabriciens formulèrent le vœu de les conserver pour la Primtatiale, avant que celles de l’abbaye de Cluny ne leur fussent octroyées.

Avant de vider le sanctuaire, il avait été procédé à l’adjudication, comme bien national, de ce que les litres nomment la masse claustrale des ci-devant Cordeliers. Dès le 24 et 25 floréal, an IV (13 et 14 mai 1796), le citoyen Joseph Villette, habitant place du Concert, s’était présenté comme soumissionnaire : le 12 prairial (31 mai), le receveur du domaine avait collationné les baux et estimé les parties de la propriété, qui n’avaient pas été affermées. La vente se traitait, conformément à la loi du 28 ventôse an IV, devant les délégués du département ; elle comprenait quatre lots : la maison sur le quai de Retz, n° 46, aujourd’hui, quai de l’Hôpital, une partie de terrain, de masures, et de hangars, contournant le chevet de l’église ; une maison à l’ouest, une autre à l’angle nord-ouest, de trois étages, louée au citoyen Jean-Baptiste Brun, qui l’acheta, le 6 vendémiaire an V, la revendit le 22 mai 1817 à Étienne Rhenter, commissaire priseur, auquel la ville la reprit, en 1826, pour le presbytère. Le prix global fut de 208.385 livres. Il est utile de rappeler que la voirie réservait, dans l’acte, le tracé de deux rues projetées, se coupant à angle droit, l’une tendant du Rhône au chevet de l’église, l’autre de la place du Méridien où elle s’engageait, sous une voûte, pour aboutir, à la rue Port-Charlet, à présent rue Ferrandière.

Il serait fort hasardeux, sans risquer d’en omettre quelques-unes, de rappeler les métamorphoses que subit, après sa désaffectation et son dépouillement complet, l’antique monument des Grôlée et des Pavie, où tant d’âmes avaient été consolées et purifiées, où un pauvre frère mineur avait chassé sept démons du corps d’une possédée. On y installa la halle aux blés, comme plus vaste et plus commode que la Grenette ; mais on chercha à en tirer tout le parti possible ; un corps de garde y logea : un charpentier, Rousset, s’empara du tiers d’une petite nef, pour un dépôt de planches ; un maître d’équitation trouva moyen, dans le chœur, d’y créer une piste, pour dresser les chevaux, et entasser contre la muraille le fumier qui l’embarrassait ; une ménagerie de passage y séjourna et y montra ses bêtes féroces. Ce qu’il y eut de plus singulier fut le parti qu’on tira des chapelles, pour les transformer en appartements, en boutiques, en ateliers. Dans la chapelle de Saint-Antoine de Padoue, un tourneur, du nom de Sarrazin, habitant la rue Grenette, près de celle du Charbon Blanc, jadis chère à Rabelais, y monta ses machines dès octobre 1797 ; Brun, un galocher, loua celle de Sainte-Geneviève, un charpentier, Primat, habita Saint-Bernardin ; l’inspecteur de la halle s’adjugea la première de gauche, près de l’entrée, et le concierge, Arrivat, succéda aux peintres dans Saint-Luc et Saint-Clair. L’écuyer Berthaut tenait à bail l’Assomption et la Délivrance ; mais ses affaires marchèrent mal et ses élèves le payèrent peu ; il mourut d’ennui et sa veuve céda, sans murmurer, les locaux aux fabriciens, quand ils lui envoyèrent congé. Mais arrêtons là ces souvenirs attristants, et prêtons l’oreille à l’heure de la résurrection, qui ne tardera pas à sonner.


II


Le Concordat devait permettre de rendre à l’église des Cordeliers sa destination naturelle et de la tirer de ses ruines. Dès que Mgr de Mérinville, ancien évêque de Dijon, nommé à Chambéry, administrateur temporaire du diocèse, dont le titulaire n’était pas encore désigné, s’occupa de constituer les nouvelles paroisses de la ville, il parut nécessaire de partager en deux l’ancien territoire, sur lequel Saint-Nizier s’étendait, avant 1789, et d’établir, à Saint-Bonaventure, le centre delà section à créer.

La Préfecture ne partagea pas cette opinion, elle accueillit par une fin de non-recevoir la première ouverture, qui en fut présentée, dans le rapport du 28 prairial an X (17 juin 1802). — L’Évêque, appuyé de son conseil, ne se rendit pas ; dans une lettre du 10 messidor an X, il renouvela sa demande. « Quant à la ville et aux faubourgs, disait-il à M. Najac, malgré les pressantes sollicitations et les motifs assez forts qui m’ont été présentés, je borne les cures au nombre de sept, conformément à votre projet. Mais il me paraît indispensable d’obtenir l’église des Cordeliers, en qualité de succursale, dans le second arrondissement. Son immense population en impose la nécessité et j’ai reçu, à cette fin, les demandes les plus pressantes.

« L’obstacle que vous y trouvez, c’est que cette église est affectée en ce moment à servir de halle au blé et que son état de dégradation exigerait des réparations très dispendieuses. Des citoyens, même de ceux qui sont dans les autorités constituées, m’ont fait observer que l’on pouvait aisément trouver un autre local pour la halle et que les réparations absolument nécessaires, pour rendre au culte cette église, dans le corps et l’édifice, ne mouleraient qu’à un prix supportable. Ils m’ont même ajouté que si vous jugiez à propos de consulter là-dessus le conseil général de la commune qui se trouve en session, vous en auriez probablement un avis favorable.

« Vous prendrez à ce sujet la mesure que votre sagesse vous dictera, mais je ne peux que mettre un intérêt bien essentiel, pour la religion et le soulagement des habitants du second arrondissement, dans la concession de l’église, dont il s’agit. Il suffirait d’ailleurs qu’elle fût accordée pour le temps où l’on aurait pu la remplacer pour le service de la halle. »

Malgré la solidité de ces raisons, la question ne fut pas tranchée, et Mgr Fesch, après la prise de possession de son siège, eut à la traiter avec le successeur de M. Najac, à la Préfecture du Rhône, M. Bureau de Puzy. Il ne triompha pas tout de suite des objections sérieuses, qui avaient déterminé le précédent refus.

Jacques Quillot, Cordelier de Saint-Bonaventure, provincial des Frères mineurs.

L’église des Cordeliers, lui répondait le chef de l’administration départementale, le 27 janvier 1803, est entièrement dénaturée ; elle sert de halle aux grains, elle exigerait d’ailleurs des dépenses considérables. Il proposait en échange l’église du Lycée, l’abandonnant complètement au clergé et aux fidèles, les tribunes seules réservées aux professeurs et aux élèves.

La situation des finances de la ville rendait cette combinaison indispensable ; n’obligeait-elle pas à différer toute sorte de dépenses, puisqu’on était forcé de retarder l’indemnité aux propriétaires de Bourgneuf, malgré que plusieurs d’entre eux fussent dans la misère et eussent recours au bureau de bienfaisance.

Mais il n’entrait pas dans le tempérament du cardinal Fesch de renoncer facilement à une décision qu’il avait arrêtée : le 29 pluviôse (18 février), il transmettait au Préfet l’avis pur et simple qu’il venait d’ériger Saint-Bonaventure en succursale ; il réclamait, en même temps, que l’église et ses dépendances fussent mises à sa disposition et des ordres envoyés pour transporter la halle dans un autre édifice. Le gouvernement consulté, sur les instances de Portalis, ministre des cultes, et après une pétition pressante du curé, en quête d’un local pour assembler ses paroissiens, crut bon de céder et, le 4 germinal an XI (25 mars 1803), l’arrêté, qui restituait ce vieux monument franciscain au culte catholique, était signé et affiché. Il convient d’en reproduire les principaux articles :

Art. Ier.

L’église, dite des Cordeliers de Saint-Bonaventure, ensemble les chapelles, qui en dépendent, et les petits édifices, adossés à la dite église et occupant le terrain entre les contreforts, lesquels n’ont pas été aliénés, seront remis à la disposition de Mgr le cardinal archevêque de Lyon.

Art. II.

Le Maire de la division du Midi est autorisé à prendre les dispositions nécessaires, pour faire transporter la halle au blé, dans l’ancienne cour du cloître des Jacobins, ou dans tout autre lieu qui serait jugé ultérieurement plus convenable, après s’être préalablement concerté avec le Commissaire général de police.

Une opposition, partie des bureaux de l’Hôtel de ville et principalement du commissariat général de la police, dont le titulaire, un certain M. Dubois, était noté pour ses opinions voltairiennes, des lenteurs machiavéliques, une obstruction, fomentée par les négociants intéressés, entravèrent la décision préfectorale et retardèrent de plusieurs années son exécution, en dépit des vœux unanimes des habitants et des protestations du conseil de fabrique, auquel on reprochait fort injustement son apparente inaction. Nous raconterons tout à l’heure les incidents variés de cette affaire et de sa conclusion à peu près satisfaisante, quoique un peu brusque ; mais, auparavant, il nous faut reprendre les choses de plus haut et noter les principales phases de l’organisation intérieure.

Le prêtre, qui reçut la mission de restaurer ces ruines et d’évangéliser ce quartier, un des plus populeux et des plus pauvres, se nommait Antoine Pascal, piémontais d’origine, et ancien vicaire de Saint-Nizier. Depuis la fin de l’année 1796, qu’il était rentré d’émigration, il avait dépensé autant de zèle que de courage à exercer son ministère catholique, au milieu du troupeau, dont la garde lui était officiellement proposée.

Le choix, arrêté par Mgr de Chambéry et les co-administrateurs de l’abbé Verdolin, qui formaient son conseil, fut ratifié par l’archevêque ; si les circonstances avaient semblé l’imposer, le dévouement et les qualités de l’élu le justifièrent plus pleinement encore. Né aux environs de la petite ville de Suze, le 23 août 1751, d’une famille dont le travail et les bonnes mœurs formaient l’unique patrimoine, M. Pascal franchit les Alpes, vers la trentième année, et vint chercher, à Lyon, une carrière plus active que dans ses montagnes. Le curé de Saint-Nizier, M. Navarre, l’agréa comme vicaire et le proposa au chapitre, dans l’assemblée du lundi 25 février 1782 ; aussitôt admis comme remplaçant de M. Boirivent, dont le départ ne pesait à personne, il reçut l’habit de chœur, prêta serment, et, pour cadeau de joyeux avènement, s’engagea à doter d’une aube la sacristie. Dès le lendemain, il commençait ses fonctions par plusieurs baptêmes. Pendant la Révolution, des premiers, il eût à payer, par trois mois et demi de détention, sa fidélité aux principes catholiques et son courage à les défendre. Il fut arrêté, à la suite de l’émeute, soulevée contre l’abbé Linsolas, le premier mardi de Carême, 15 février 1791, pendant la méditation et la prière du soir. Au milieu du plus violent tumulte, des injures et des vociférations, lancées de tous les côtés de l’église, il avait essayé de rétablir le calme, surtout il s’était noblement efforcé de protéger le prédicateur et d’empêcher que la chaire ne fût prise d’assaut par une bande d’énergumènes, qui répondaient aux strophes du Vexilla regis par les cris : « À la lanterne ». Les tapageurs ne furent point inquiétés ; les deux ecclésiastiques et un des clercs assistants furent conduits dans la maison des missionnaires Lazaristes et réduits longtemps au pain et à l’eau. Après sa libération, le vicaire, ne voulant rien avoir de commun avec l’intrus Jolyclerc, qui avait remplacé le curé Nicolas Navarre, se décida à passer la frontière, muni d’un passeport pour la Savoie, avec ses deux confrères, MM. Grenier et Rambaud, il se rendit dans son diocèse natal, où l’évêque lui assigna immédiatement un poste. Mais, impatient d’interrompre ce qu’il regardait comme un exil, ainsi qu’il l’écrivait, trente ans plus tard, dans une autobiographie, qui reflète une humilité naturelle et presque naïve, il rentra à Lyon, en septembre 1796. La persécution était un peu calmée, il s’associa avec deux ecclésiastiques et ils ouvrirent ensemble un oratoire privé, dans une chambre de la rue Basse-Grenette, entre la rue Dubois et la Grande-rue de la Grenelle. L’un de ses collaborateurs se nommait M. Deverdun et appartenait au diocèse d’Autun : il fut vicaire à Saint-Louis-Saint-Vincent ; l’autre, beaucoup plus connu, était Jacques-Joseph Rast, docteur de Sorbonne, ancien chanoine de Saint-Paul, parent de la famille Ampère, et frère, si je ne me trompe, de Paul Hast, ancien échevin, médecin du séminaire Saint-Irénée, correspondant et ami de M. Émery, le supérieur général de la Compagnie de Saint-Sulpice. Cet homme, des plus vénérables qui puissent se rencontrer, ne consentit jamais à tenir la première place ; il s’attacha fidèlement à celui qu’il avait choisi comme son supérieur, l’accompagna, plus tard, à Saint-Bonaventure, servit avec le litre de prêtre assistant et mourut, le 18 février 1816, à l’âge de 80 ans, laissant après lui une réputation de charité et de sainteté, qui ressembla longtemps à un culte.

Une circonstance, aussi imprévue qu’opportune, permit à notre groupe catholique romain de se procurer une installation plus confortable que le local étroit de ses débuts et, sans le prévoir, de prendre possession du berceau de la paroisse future. Voici comment la Providence favorisa cet exode. Un des membres les plus importants de la Consulta cisalpine, qui tenait alors ses délibérations dans l’église du collège de la Trinité, le vieil archevêque de Milan, Mgr Visconti, décéda subitement, le 30 décembre 1801. Ses compatriotes refusèrent l’intervention du clergé constitutionnel, pour ses funérailles, et on aménagea, pour la cérémonie, la chapelle qui avait été jadis celle de la Congrégation des Messieurs, au-dessous de la bibliothèque municipale, à l’angle gauche de la rue Ménestrier. Cet office funèbre fut le premier, que chantèrent, portes ouvertes, les insermentés, fidèles à l’autorité hiérarchique légitime, refusant de reconnaître Primat, le nouvel intrus métropolitain, comme ils avaient rompu avec Lamourette, dès le début du schisme.

Une fois au cœur de la place, l’abbé Pascal jugea bon de ne point en sortir et, probablement avec le consentement tacite du maire de l’arrondissement, il entra en jouissance de celle partie de l’héritage des Oratoriens et des Jésuites. Cette publicité semi-officielle se prolongea douze à treize mois environ ; dans l’intervalle, le Concordai fut promulgué ; l’oncle du premier consul, Joseph Fesch, promu au siège vacant par la mort de Mgr de Marbeuf ; le régime paroissial constitué. Ce fut en effet, le dimanche 12 février 1803, que M. Pascal annonça sa nomination officielle de desservant de la nouvelle succursale, et qu’il commença de reprendre toutes les habitudes cultuelles de la religion, rendue au peuple français. À la grand’messe on fit le prône, la quête du bassin et la collecte des chaises ; quatre semaines après, M. Sain-Rousset, maire du Midi, présidait à l’installation du conseil de fabrique ; les membres, désignés par l’arrêté préfectoral du 7 ventôse, étaient : MM. Dupré, administrateur de l’hospice de la Quarantaine, Mathieu Bernard, rentier, Claude Germain, négociant et membre du tribunal de commerce, et Raymond Lenoir, architecte. La station du carême fui prêchée par M. Villard, ex-capucin ; on se mit en frais, afin que la procession du second dimanche de la Fête-Dieu, réservée au quartier, ne fût pas trop au-dessous de celle du premier, qui avait été générale et qui avait inspiré à Chateaubriand une lettre enthousiaste, égalant les plus sublimes pages du Génie du Christianisme. On commanda un dais et une bannière ; on prit en location un ostensoir de vermeil : on épuisa la somme de 2.000 francs que la municipalité avait envoyée pour parer aux nécessités les plus urgentes. Le vœu général réclamait la prochaine entrée dans l’église des anciens Cordeliers ; mais loin de favoriser ces désirs, les administrations civiles paraissaient prolonger, avec une mauvaise volonté trop peu dissimulée, des retards qu’elles escomptaient changer un jour en usurpation définitive. Le maire tendait les clefs de l’édifice, en disant qu’il n’était ni débarrassé, ni libre ; les arrêtés préfectoraux pour le transfert du dépôt et du marché des grains, demeuraient sans effet. À la fin juin, M. Sain-Rousset, préoccupé de pallier, au moins par une solution provisoire, un état de choses qui provoquait beaucoup de murmures, propose d’occuper momentanément l’église principale du Lycée. Las d’être sans cesse éconduits et d’espérer une restauration qui devenait, à chaque démarche de leur part, plus improbable et plus chimérique, le curé et les fabriciens conclurent à ne pas repousser une offre dont les avantages immédiats n’étaient pas discutables. Le monument, œuvre du xviie siècle, d’assez vastes proportions et d’une ornementation fort riche, n’avait pas trop souffert du vandalisme révolutionnaire ; son autel, orné de ses anges adorateurs, était intact et les quatre belles statues de marbre du sanctuaire n’avaient pas été descendues de leur niche. On eut à réparer les grandes portes de l’entrée, à placer une chaire, une table de communion et des stalles. Un fabricant de bas, logé sous la voûte, nommé Vivian, fut pris comme concierge ; Jean-Baptiste Menoud fut élevé à la dignité de suisse ; Mme Fumeau à celle de chaisière, au grand regret d’une protégée de Mme Basset, veuve de l’ancien lieutenant-général de la sénéchaussée, qui l’avait recommandée au cardinal, dans deux lettres pressantes. Deux vicaires, MM. de Buffevent et Novet, le premier ancien déporté à la Guyane, ex-chanoine de la cathédrale de Vienne et réservé à une stalle de la Primatiale, le second, ordonné à Saint-Chamond en 1796 ; M. François Eustache, prêtre-sacristain, chargé de la conduite des enfants de chœur, plusieurs habitués, M. Boissier de Sauvages, entre autres, fils d’un médecin célèbre, M. Pierre de Cordon, chanoine d’Ainay, avant la Constituante, M. Joseph Rasl, deux ex-cordeliers du grand couvent, les Pères Claude Mollière et François Gérentet, se partageaient les diverses attributions du ministère sacerdotal, dont le libre exercice, après une si longue interruption, multipliait les fatigues et les responsabilités.

L’occupation de la chapelle de la Sainte-Trinité fut marquée par une solennité exceptionnelle et des plus édifiantes, lorsque de précieux fragments des reliques de saint Bonaventure, si chères à la population lyonnaise, restituées et enchâssées dans un buste neuf d’argent, furent rapportées au Lycée et exposées à la dévotion et aux baisers des visiteurs. Un procès-verbal nous apprend d’abord, dans quelles circonstances et par quelles mains, s’opéra la remise du pieux trésor que l’on croyait perdu ou profané. Le 6 floréal an XII (26 avril 1804) M. Mollière, ex-religieux du monastère, se présenta à l’archevêché et déposa deux ossements, une dent et un autre os, qu’il attesta, sous la foi du serment, avoir extrait lui-même du grand reliquaire du saint docteur. L’ex-gardien de la communauté, le Père Claude Buisson, sous serment aussi, affirma qu’il avait été le témoin du fait et qu’il ne conservait aucun doute, ni sur l’authenticité, ni sur la provenance de ces objets sacrés. M. le vicaire général Courbon scella aussitôt d’un cachet de cire, aux armes archiépiscopales, la boîte qui les renfermait, en attendant de les placer dans la châsse qu’on leur préparait. S’il était utile, nous pourrions confirmer par une preuve indéniable la déposition des deux religieux ; leur louable larcin, en effet, est constaté dans l’inventaire, que les officiers municipaux dressèrent des meubles de la sacristie, le 10 mai 1791 ; le document est aux Archives départementales du Rhône et le greffier qui l’a rédigé, sous la dictée de l’officier municipal Gaspard Margaron, s’exprime ainsi : « À l’instant nous observons qu’avant le transport, qui fut fait de l’argenterie de la sacristie au secrétariat du district, il fut sorti parle dit Mollière, en notre présence et en celle de MM. Buisson, Dumont, Carrier et Valleton, tous ci-devant religieux cordeliers, du buste de saint Bonaventure, la relique du-dit saint, lequel fut tout de suite déposé au-dessus de l’autel de la Sainte Vierge dans un cabinet, fermé avec la clef, restée au pouvoir de M. Carrier, ledit cabinet prenant son entrée sur l’escalier du dortoir. » On le voit, grâce au sang-froid des spoliés et à une tolérance, qui fut loin d’être commune à tous les spoliateurs, le peu que les siècles avaient épargné de l’enveloppe mortelle du maître Séraphique échappa à un anéantissement sacrilège ; les sans-culottes, en cette occasion, ne renouvelèrent pas le fanatisme des huguenots de mai 1662. M. Pascal ne voulut rien épargner, afin que la fête de la translation rappelât les pompes du passé et attirât le concours des fidèles de tous les âges et de toutes les classes. Héritier de traditions qui avaient été plutôt suspendues que proscrites, il espérait n’en repousser aucune, mais leur rendre peu à peu leur lustre et leur popularité ; il se réjouissait, en attendant, de rappeler à ses concitoyens un des plus illustres patrons que la jeunesse avait adopté et qu’elle avait longtemps révéré comme le plus puissant et le plus célèbre de ses célestes intercesseurs. Malgré une pauvreté, qui imposait, jusque dans le nécessaire, des sacrifices quotidiens, il n’hésita pas à commander à deux orfèvres, Pacle et Beugy, un buste d’argent doré, demandant qu’il reproduisît, d’aussi près que possible, celui qui avait été offert par la duchesse Anne de Bourbon, et dont l’ouvrage du P. Boule contenait le dessin. Le prix monta à plus de 1500 francs, bien que l’œuvre cependant fût très au-dessous de son modèle et qu’il fût indispensable de la rendre aux ouvriers, pour la retoucher.

On fixa, au samedi 7 juillet 1804, la cérémonie de la remise des reliques et de l’inauguration du nouveau reliquaire ; une nombreuse procession, dans laquelle figuraient les députations de chacune des paroisses, se rendit de la Trinité à la Primatiale ; là on chanta les premières vêpres de saint Bonaventure ; le curé reçut des mains des survivants du couvent franciscain, dispersé depuis quatorze ans, les Pères Buisson, Mollière et Dumont, les ossements qu’il était si ému de retrouver et si heureux d’honorer ; les trois vicaires généraux présents, MM. Jauffret, Courbon et Renaud, lui remirent les lettres d’authenticité et d’approbation, pour l’exposition publique et, dans le même ordre que pour l’arrivée, on reprit le chemin du Lycée, en chantant des hymnes et des cantiques. On remarqua, pendant l’octave entière, une affluence extraordinaire de pèlerins, et une abondance d’aumônes inusitée. On regretta d’autant plus vivement de n’entrevoir que pour un délai de plus en plus indéterminé, l’entrée dans la Terre Promise. Combien de temps encore sera-t-on condamné, comme les Hébreux fugitifs, à s’abriter sous une tente étrangère ?

Il nous faut maintenant revenir en arrière et nous arrêter, sans nous rebuter des plus menus détails, aux longues et épineuses négociations qui aboutirent à la rétrocession des Grands Cordeliers à leurs véritables ayants droit. Ce récit, exclusivement composé avec des pièces officielles et inédites, ménagera peut-être plus d’une surprise à nos lecteurs ; nous nous en servirons aussi pour dissiper quelques ombres, dont a souffert la mémoire de notre premier prédécesseur, faussement accusé, semble-t-il, par des historiens, trop prompts à le juger, d’hésitations dont il ne fut pas coupable et d’une imprévoyance, dont la responsabilité doit retomber sur d’autres que lui.

Quand M. Bureau de Pusy prit son arrêté du 4 germinal an XI, qui rendait à Saint-Bonaventure sa primitive destination religieuse, il restait à trancher une double difficulté : à découvrir, d’abord, au profit des négociants à expulser, un local pour leurs dépôts et leur marché, ensuite à se procurer des ressources considérables pour réparer un bâtiment que des transformations successives, les plus bizarres, avaient à peu près ruiné. Le maire de la division du Midi s’empresse, quatre jours après, le 8 germinal (29 mars), d’avertir le Conseil de fabrique qui s’occupe du transfert de la halle au blé et les assure qu’il les instruira des dispositions définitives, dès qu’elles seront prises. C’était, évidemment un ordre, déguisé et poli, de surseoir à une occupation trop prompte. On se résigne à patienter quelques jours, non sans éprouver une première déception, indice probable de plus amères contrariétés à subir. On apprend, en effet, que le receveur des domaines, le citoyen Fron, a perçu les loyers des gens, installés dans les échoppes et chapelles, et que ce recouvrement demeurera entre ses mains. Ainsi en ont décidé les bureaux de la Préfecture. Protestations, superflues du reste, auprès de M. Sain-Rousset, qui fait la sourde oreille, absorbé toujours par la découverte problématique de l’emplacement introuvable. Au bout de trois mois, la situation ne s’est pas modifiée : les vicaires généraux conseillent temporairement une organisation sommaire au grand collège ; on leur obéit ; mais le 10 septembre, on envoie à l’archevêque une requête pressante, où le mécontentement des habitants perce dans les termes respectueux, dont ils se servent, pour éclairer le chef du diocèse ; ils énumèrent, une à une, les graves incommodités d’un temple dont la jouissance pèse à tout le monde ; son éloignement très pénible pour les vieillards et les enfants, son délabrement, ses courants d’air qui forceront à le fuir, pendant les rigueurs de l’hiver, son obscurité vraiment fâcheuse pour le service ; « le cri général, affirment-ils, dans leur conclusion, est pour l’ouverture de Saint-Bonaventure, à cause de son centre de démarcation, de sa grandeur et de sa salubrité ». Cette requête rejoignit, à Rome, le cardinal et l’impressionna vivement ; à chacun de ses courriers, il en entretient ses vicaires généraux. « Je m’en vais écrire, dit-il à M. Courbon, le 7 décembre 1803, à M. le Préfet, pour qu’il veuille bien faire relâcher l’église de Saint-Bonaventure au desservant. » Le 9 ventôse an XII, (29 février 1804), il prévient M. Jauffret qu’il a exécuté sa résolution ; deux jours après, il répète au troisième de leurs collègues, l’abbé Gaspard Renaud : « Je veux Saint-Bonaventure. » Il y revient encore, le 23 du même mois ; la demande est en effet partie. M. Bureau de Puzy répond par une fin de non-recevoir, plus catégorique que les précédentes ; il n’allègue aucun argument inédit, il objecte, pour la dixième fois, l’impossibilité de transporter la halle dans un autre lieu, le prix exhorbitant que coûteraient les plus urgentes réparations. Redoutant toutefois d’offenser, par un refus formel, un personnage aussi puissant que Son Altesse Éminentissime, il glisse, à la fin de sa missive, l’avis de réserver au gouvernement la solution en suspens. En diplomate avisé, il a bien soin de la préparer avec Paris et, en particulier avec le ministre des Cultes, il pèse, de tout son crédit, sur le refus qu’il escompte et se déclare tout prêt à révoquer son arrêté du 4 germinal an XI.

Fesch consent à entamer le débat sur le nouveau terrain où il est porté, et il adresse à Portalis, le 26 floréal, un plaidoyer qui ne ménage, ni ses adversaires, ni les raisons dont ils couvrent leur résistance de parti pris. » J’entends épuiser tous les moyens de réussite et je vaincrai les obstacles », annonce-t-il à l’archevêché. Ceux qui l’arrêtent seront-ils plus grands qu’il le prévoyait ? Il se montrera patient, pour mieux en triompher. Il consentira (1er messidor) à reconnaître avec M. Gourbon qu’il est sage de remettre l’affaire à un moment plus heureux, mais trois semaines ne se passent pas, sans qu’il s’empresse d’assurer les fabriciens, qui ont fait un deuxième appel à son influence, qu’il ne perd pas la question de vue et qu’il ne laissera pas le ministre en repos (22 messidor, 17 juillet). C’est à Paris, où notre archevêque-ambassadeur a conduit Pie VII, pour le couronnement de l’empereur, qu’il reprend la conversation. Une lettre, qu’il adresse au ministre des cultes, le 22 frimaire (13 décembre), onze jours après le sacre, destinée à clore officiellement des entrevues antérieures, contient son refus persistant de consentir à l’aliénation de Saint-Bonaventure, même si les Jacobins de la place Confort lui étaient cédés en échange. Les plus graves préoccupations, à propos des affaires religieuses de France, sur lesquelles le Souverain Pontife avait jugé utile d’entamer une espèce de négociation avec le gouvernement, d’autres, particulières au diocèse, telles que l’organisation du grand séminaire, l’entrée des Pères de la Foi à l’Argentière, l’acquisition des bâtiments des Minimes à Roanne, l’approbation des Frères de la Doctrine chrétienne au Conseil d’État, la complète évacuation du palais archiépiscopal par ses locataires laïcs, ne faisaient point oublier au prélat les Cordeliers, qui lui tenaient tant au cœur ; plus il éprouvait de résistance, autour de lui, plus son amour-propre et sa conscience le poussaient à ne pas reculer. Si clairement, cependant, qu’il établisse son droit, si haut qu’il crie : « Je veux entrer chez moi ; aux usurpateurs d’en sortir ! », l’opposition, formée, dès le principe, contre son ordonnance, était si solide, elle était liée à des intérêts si essentiels à ménager, que le ministre n’osait pas la briser ; un refus répugnait à sa courtoisie ; il jugeait, d’un autre côté, qu’il était au-dessus de son pouvoir d’accorder la grâce. D’un commun accord, on se réfugia dans un nouveau délai, toutefois assez court ; on convint que, sur les lieux mêmes, pendant le séjour de l’Empereur, qui se rendait à Milan, au milieu d’avril, le litige lui serait soumis et qu’il le trancherait sans appel. En quittant Paris, Fesch emporte donc quelque espoir ; résolu toutefois de ne pas cesser d’avoir l’œil ouvert, car il ne peut répondre que son ombrageux neveu ne soit victime d’une surprise et ne cède à la coterie.

La combinaison réussit ; à l’audience, où elle fut admise, la députation du conseil fabricien, le curé en tête, entendit d’encourageantes paroles et, dans la soirée, Napoléon apposait sa signature au décret par lequel la ville de Lyon était autorisée à racheter les Confalons et à les agencer, en vue de l’entrepôt et du marché des farines. Il fallait, en effet, songer à indemniser le propriétaire de cette chapelle des Pénitents blancs, M. Ravier, notaire, qui l’avait récemment obtenue, en échange de biens nationaux, cédés à l’État, dans le Midi ; il exigeait 75.000 francs.

Chose à peine croyable, si la preuve matérielle n’était pas entre nos mains, ce décret fut à peu près escamoté ; à Milan, le ministre de l’Intérieur, M. de Champagny, convenait que le débat était clos, qu’il n’existait plus d’objection à soulever, ou de délai à proposer, qu’il allait mander au Préfet du Rhône de remettre les clefs à M. Pascal ; le cardinal, se liant à ces déclarations, regardait l’affaire comme terminée. Cependant, au milieu de juillet, personne n’avait bougé. M. le curé ne fut informé de son droit que le 18 vendémiaire (10 octobre 1805) par M. de Gérando, secrétaire général du ministère de l’Intérieur, et lut, de ses propres yeux, une expédition du décret libérateur. Le bon billet, tombé comme des nues aux doigts de l’humble succursaliste ! Encore six mois de démarches interminables, de longues stations dans les antichambres, de lettres et de rapports expédiés, et enfin, l’on franchira le seuil tant convoité.

Le ministre des finances entre en scène, à son tour, et il se montre plus acharné que ses collègues à ne pas lâcher le morceau. Le curé supplie Fesch de le réduire (6 décembre). Fesch interpelle Portalis et lui déclare, sans périphrase, qu’il devient le complice du vandalisme le plus inconcevable, le destructeur du plus beau sanctuaire de Lyon (29 janvier 1806). Piqué du reproche, Portails se détermine à porter directement à Napoléon les réclamations des Lyonnais, dont il n’atténue pas la justice ni le ton. Il plaide en avocat habile et chaleureux, il gagne sa cause. En quittant le cabinet du souverain, il emportait l’ordre formel de restituer Saint-Bonaventure au culte catholique. Les obstacles insurmontables disparaissent, devant cette volonté omnipotente, comme par enchantement ; l’entrevue avait eu lieu, le 2 avril, et, dès le 20 du même mois, le maire du Midi était prévenu par M. Bureau de Puzy de prendre les mesures d’une mise en possession aussi prochaine que possible. La cérémonie, dont on écarta volontairement tout éclat extérieur, s’accomplit dans l’après-midi du 12 mai 1806.

Muni du procès-verbal, en date du 9 mai, constatant que M. Fion, receveur des domaines nationaux, au nom et comme représentant de la Légion d’honneur, a fait remise à la ville de Lyon : 1° du vaisseau de l’église, c’est-à-dire de la nef principale, des deux nefs latérales et du chœur ; 2° des chapelles à droite et à gauche, au nombre de seize, M. Sain-Rousset, adjoint pour le second arrondissement, fit relâche de la totalité de ces édifices « à telle fin que la Fabrique jouisse dès ce jour et à l’instant même ». Notons, pour n’avoir pas à y revenir, que l’administration civile ne se départit point, dans cette circonstance, de ses habitudes d’étroitesse inintelligente et de ses procédés de mauvaise humeur, dont elle avait accumulé les preuves, au cours des négociations. Le délégué de la mairie centrale réclama vainement l’abandon des petites boutiques ou échoppes, bâties contre les contreforts, des deux côtés, oriental et occidental, de l’église ; le Préfet les avait octroyées sans réserve et aucune restriction n’avait été mise, en son arrêté, trois ans auparavant ; elles faisaient corps avec les murailles, sur lesquelles elles s’appuyaient, qui portaient leurs toitures, et en formaient le fond ; le domaine refusa de rien entendre ; son délégué déclara qu’il n’était pas en son pouvoir d’outrepasser les ordres que la Direction lui avait envoyés à cet égard. Il fallut s’incliner, en protestant platoniquement, pour la conservation des droits de la commune méconnus. On ne saurait imaginer quelle source d’embarras et de multiples contestations fut, pour l’avenir, un voisinage aussi déplaisant, aussi compliqué à régler. Ces échoppes furent vendues, à la fin d’avril 1807 ; la fabrique, incapable de les racheter, sans un emprunt, accablée déjà de dettes, se désintéressa des enchères ; elle eut désormais à se débattre avec des propriétaires entreprenants et des locataires, qui maugréaient sans cesse contre les baux draconiens, dont souffraient leurs aises et leur métier de savetier. Plus tard et à mesure que l’occasion en était offerte, on racheta, mais à des prix exorbitants ; la fabrique y consuma le plus net de ses économies et ne s’affranchit d’aucun de leurs inconvénients.

Dans quel état lamentable de dévastation et de ruine, le sanctuaire où les religieux de saint François d’Assise, durant plus de cinq cents ans, avaient entassé à profusion les merveilles de l’art et les dons de la reconnaissance publique, était-il rendu à la religion, à ses assemblées et à ses cérémonies sacrées ? À en juger par les mémoires des experts et des architectes, il était capable de décourager les plus hardis et l’on s’expliquerait, sans étonnement, que les auxiliaires, les moins timides, de M. Pascal, aient déclaré la tâche au-dessus des forces humaines. Cette tentation de découragement fut courte et la justice commande, au contraire, de les louer d’un dévouement et d’une activité, très supérieurs à la mesure ordinaire.

On se rappelle que le dépouillement de l’église Saint-Bonaventure s’effectua dans la seconde moitié de janvier 1797 ; on enleva alors les autels, les marbres, les tableaux, les boiseries et les stalles ; on vida la sacristie et le cloître. La laïcisation de l’édifice fut complète ; on accommoda la nef centrale pour la halle ; on loua les chapelles, après les avoir murées à l’intérieur ; l’entrepôt des pompes municipales fut placé dans le bas côté de gauche ; un corps de garde installé à l’entrée occidentale ; un écuyer, le sieur Berthaud s’y arrangea une habitation, l’écurie de ses chevaux et un manège ; des charpentiers y déposèrent leurs bois, des voituriers et des aubergistes y remisèrent leurs chars et leurs marchandises. L’enduit des murs avait été gratté par les salpétriers ; les vitres des fenêtres cassées par le vent, les châssis arrachés ; le dallage entier avait disparu. La toiture n’était pas la partie la moins endommagée ; des gouttières partout, les poutres pourries ; les voûtes lézardées trouées et béantes, sur le chœur entièrement effondrées. D’ici et de là, des monceaux de décombres, des débris provenant des sépultures violées, des immondices de voirie.

Ce qui était plus affligeant encore, car on ne voyait guère le moyen d’y remédier, sinon en entamant des procès, qui menaçaient de ne pas finir, résultat d’un état, créé par le lotissement de la vente de 1796. et de la tolérance qui avait suivi, et qui avait souffert des empiétements, tout autant injustifiables que nuisibles, c’était l’investissement de l’abside par des maisons particulières.

D’un côté, la sacristie et le vestiaire avaient été absorbés dans le rez-de-chaussée d’un immeuble à trois étages, adossé au clocher, et de l’autre, l’escalier extérieur de ce même clocher avait été enfermé dans la cour d’une autre construction ; tout accès en devenait impossible et, du même coup, deux fenêtres du sanctuaire étaient condamnées. La propriétaire, une certaine Mme Devars, femme divorcée de M. Antoine Toscan, fut irréductible ; armée d’une déclaration du Conseil de préfecture, qui avait prononcé en sa faveur, elle soutint, comme un droit, par des procédés, dont le caprice gâtait la correction, la plus arbitraire et la plus déraisonnable des usurpations.

M. Pascal, premier curé de Saint-Bonaventure.

L’argent, me semble-t-il, est le nerf de la bâtisse comme de la guerre ; malheureusement la caisse paroissiale en était totalement dépourvue : elle accusait une épargne de trois cents et quelques francs, lorsque le devis, dressé par M. Gay, architecte de la ville, se chiffrait par un total de 90.000. Il eût été hors de propos de provoquer une souscription des paroissiens ; la plupart souffraient d’un chômage persistant, qui les jetait dans une gêne croissante ; à la mairie, on se dérobait, en affectant une pénurie plus grande encore ; les fabriciens tentèrent une démarche à l’archevêché, afin d’obtenir un appui auprès du gouvernement. Mais le cardinal Fesch, qui arrivait de Rome et se rendait précipitamment à Paris, rappelé de son ambassade et pour sa promotion à la coadjutorerie de Ratisbonne, absorbé par les affaires générales du diocèse, remit au lendemain de les entendre ; le lendemain, premier juin, était un dimanche et toute la matinée fut prise par une ordination. Lorsqu’ils se présentèrent, le lundi, on leur dit que le prélat était subitement parti dans la nuit. Cependant un avertissement de M. le chanoine Groboz, probablement transmis par ordre supérieur, les pressait de hâter une possession réelle, par l’exercice du culte public, autrement des atermoiements exposaient à une reprise plus ou moins déguisée. Malgré l’imprévu d’un tel début et l’incertitude d’un avenir plus troublant encore, M. Pascal, pas plus que les hommes dévoués qu’il s’était attachés, ne songèrent à lâcher la partie. Leur énergie se dépensait à contrebalancer leur impuissance. Ils le répétaient à Mgr Fesch, au plus fort de leurs appréhensions, et on ne lira pas, sans les admirer un peu et les plaindre, un extrait de la lettre, que M. le Curé adressa au prélat, le 3 octobre.

après avoir éprouvé un récent échec dans ses démarches. « L’espoir de commencer de jour en jour les réparations de l’église, dit-il, nous a retardé dans les renseignements que nous aurions pu donner à Votre Éminence. Depuis près de six mois, nous sollicitons sans rien finir. L’acquéreur du terrain, près le clocher, nous dispute son escalier et son entrée ; un second acquéreur a élevé, à gauche du clocher, une maison adossée également au mur, sans laisser les écoulements des eaux et obstruant les jours… M. le Maire nous annonce ne pouvoir rien donner, cette année, ni donner sans l’agrément de son Excellence le ministre de l’Intérieur. Le toit est dans le plus mauvais état, une partie sur la nef du chœur étant déjà affaissée, ce qui laisse tout à craindre pour les pluies d’hiver. Néanmoins notre grand désir serait de pouvoir y dire la messe, les dimanches, après la nouvelle année, temps auquel il n’y aura plus de locataires, nous supplions donc votre Éminence de s’intéresser auprès de son Excellence le ministre de l’Intérieur et de lui présenter l’urgence des réparations et le vœu de tous les paroissiens. »

Il est probable qu’avec la nouvelle année les locataires déguerpirent, mais l’argent ne vint pas. On piétinait sur place, malgré soi, lorsqu’un coup de tonnerre éclata soudain, il fit se redresser et courir les moins agiles à marcher. Il n’y a pas d’autre mot pour traduire l’expression de stupeur instantanée, causée par l’ordre précis, que le Cardinal chargea un des fabriciens de Saint-Bonaventure de porter à ses collègues. On était exactement au 10 janvier ; M. Dupré se présentait avec le bureau de l’Antiquaille ; les compliments de courtoisie échangés, l’archevêque l’interpelle et le questionne sur l’état de l’église ; mécontent et irrité de la réponse, qu’il n’entend pas jusqu’au bout, avec une vivacité qui enlevait toute douceur et tout agrément à son commandement : « Quoi donc, s’écrie-t-il, le sanctuaire n’est pas débarrassé ! Aucun ouvrage n’est commencé ! Je vous préviens, Monsieur Dupré, que je veux y dire la messe dans vingt jours. » La dignité de l’interlocuteur et le ton du discours ne souffraient pas de réplique ; aussitôt le vieux temple fut transformé en un vaste chantier, où terrassiers, maçons, charpentiers, tailleurs de pierre, s’installèrent à la fois. Les délibérations du conseil nous apprennent qu’il tenait séance deux fois par semaine « pour accélérer l’ouvrage ». On eut aussi beaucoup à se louer de la confrérie du Saint-Sacrement et de ses courriers, qui déployèrent un zèle plein d’à-propos. Le curé se réserva la construction de l’autel ; un peu contre le gré de M. Lenoir, architecte, il désira lui donner des proportions énormes, l’orner de deux gradins et l’appuyer au fond de l’abside, à la mode italienne, tel à peu près qu’il l’avait admiré pendant son vicariat. De là, surgit un désaccord assez fâcheux, qui prit fin maladroitement, et ne s’assoupit que grâce à la modération et au silence de M. Pascal. En pasteur, plus soucieux du bien de ses ouailles que de ses goûts et de son droit personnel, il cicatrisa au plus vite les piqûres de son amour-propre et ajouta à ses autres fatigues la quête pour une cloche ; il visita de préférence les marchands étalagistes des boucheries de l’Hôtel-Dieu et parvint à réunir à peu près la moitié de la somme, prévue dans le marché, avec le fondeur, M. Frère-Jean. On ne tarda pas de recevoir notification que Son Éminence avait fixé sa visite au 13 février. Les efforts se multiplient ; un jour on obtient de s’adjuger une modeste chaire, déposée dans une des salles de l’hôpital, un autre jour. Mme la Présidente Vouty envoie un grand ciboire d’argent ; les marchands de blé du quai Saint-Vincent prêtent des bâches, pour clore les ouvertures ; on découvre, en nivelant le sol, beaucoup de pierres tombales et de cadettes du passé, arrachées et entassées dans des fosses obscures. Eut-on la crainte, en dépit de cette activité extraordinaire, de n’être pas prêt ? Espéra-t-on obtenir un sursis ? Poussés vraisemblablement par ces deux motifs à la fois, les fabriciens tentèrent d’aborder l’archevêque et sollicitèrent une audience. Ils furent renvoyés à M. Courbon, qui les écouta, encouragea leurs efforts, et répondit à leurs perplexités et à leurs doutes, en les invitant à s’en remettre à la Providence.

La place du Méridien, au milieu du xixe siècle.

De bons chrétiens, tels qu’eux, se seraient reproché la moindre défiance à son endroit, mais une preuve sensible, monnayée même, de l’assistance divine, qui leur était prêchée, les eût allégés d’un immense poids. Toutefois, ils n’eurent pas le mauvais goût de prêter ce caractère à l’indisposition, qui frappa l’archevêque et l’obligea de renvoyer la cérémonie. Au moins, ils se réjouirent du retard et ils dissimulèrent peu au messager, qui les en prévenait, que l’église n’aurait pas été dans un état « assez praticable et décent », à la date primitivement arrêtée. Seulement, le répit coûta cher et força à une dépense immédiate, que la prudence avait remise à un peu plus tard. M. Groboz, qui est venu, d’ordre, inspecter les travaux, a été choqué d’apercevoir les fenêtres, tendues de grosse toile, plusieurs même, à plein vent ; il a parlé du vitrage du sanctuaire, sinon de la grande nef entière et, dès le lendemain, il a notifié, de la part de Monseigneur, que celui-ci ne bénirait pas l’église, si les vitres n’étaient pas placées partout. Trop engagé pour reculer, on donne l’entreprise à trois patrons, Morizot, Gubian et Dumesnil, afin de disposer d’un plus grand nombre de bras et d’avoir le verre en abondance. Enfin, le 21 février, un chanoine titulaire, ex-cordelier, M. Dumont, s’empresse de venir annoncer à M. le Curé que la visite de Son Éminence et la réconciliation de l’église sont arrêtées pour le 1er mars, le troisième Dimanche de Carême.

La solennité revêtit un caractère grandiose, par la multitude de fidèles, qui s’y rendirent de tous les |joints de la ville ; la joie populaire éclatait, en acclamations, sur le passage du cortège pontifical et les vivats coupaient de leurs vigoureux échos les strophes des hymnes sacrées. Ce qui manquait à l’ornement du saint lieu, les signes, imparfaitement effacés, des déchéances successives dont il avait souffert, les chapelles murées, le sol qui n’avait reçu aucun dallage, remettaient, sous les yeux et devant la mémoire, les souvenirs des tristesses d’hier, des profanations qui avaient souillé les autels, des luttes fratricides où tant de martyrs avaient succombé ; chacun se félicitait de voir l’ordre rétabli, la religion triomphante et ses ministres protégés dans les initiatives de leur zèle et de leur charité. Le cardinal remplit lui-même les fonctions liturgiques ; il baptisa la cloche, dont le parrain, Jean Flageolet, et la marraine, Marguerite Godomard, épouse de François Barocher, appartenaient, l’un et l’autre, à la corporation des bouchers ; il célébra la messe et administra le sacrement de confirmation. La cérémonie, commencée à neuf heures, ne prit fin qu’à une heure. Après les vêpres, on alla chercher processionnellement au Lycée, le Saint-Sacrement, les reliques de saint Bonaventure et la statue de la Sainte Vierge ; la foule, pendant le parcours, ne fut pas moins respectueuse que le malin, ni ses actions de grâces moins vives, et Fesch, après avoir quitté les Cordeliers, heureux de n’avoir pas perdu sa journée, écrivait à son architecte de Paris, M. Legrand, lui proposant divers projets à propos de son hôtel de la rue du Mont-Blanc, afin que les tableaux de sa galerie fussent placés, avant la fin d’octobre ; il s’informait de la prochaine arrivée d’une Immaculée-Conception qu’il avait commandée à Maximilien, statuaire romain, élève de Canova, pour une chapelle de la cathédrale, et il se plaignait qu’on tardât à lui envoyer le dessin d’un ostensoir, promis au Chapitre par l’Impératrice Joséphine. Ainsi se reposait ce prince de l’Église, en renouvelant perpétuellement le champ de son activité et en associant la vanité et le faste de son goût artistique à l’accomplissement des devoirs de sa mission diocésaine.

Nous ne sortirons pas du domaine de l’histoire, pour franchir celui de l’indiscrétion, en rappelant comment nos fabriciens, après avoir vaincu d’insurmontables difficultés extérieures, n’échappèrent point aux froissements intérieurs, qui désagrègent les corps les mieux unis. Il s’agit du maître-autel, dont M. Pascal avait imaginé le dessin et désigné la place, selon ses idées personnelles, sans tenir suffisamment compte des objections opposées à son projet, au sein de la commission, en particulier de la part de M. Lenoir, que son expérience professionnelle, en architecture, rendait plus chatouilleux que les autres. Il sentit bien quelques sourdes menées de mauvaise humeur, mais il eut l’imprudence de ne pas s’y arrêter et persista dans ses plans. M. Groboz les critiqua, sans l’ébranler ; l’archevêque fut plus positif et, à première inspection, il n’hésita pas à prononcer qu’il fallait transporter l’autel sous la croisée du milieu du sanctuaire. Pourquoi, si le mot rapporté par M. Lyonnet, est véridique, ce qui est douteux, M. le Curé ne s’en tint-il pas, pour la première messe, à une planche posée sur deux tonneaux ? Il se serait épargné d’amers regrets et un trop sensible affront. Une cabale, de laquelle les plus honnêtes gens s’étaient séparés, fit entendre des murmures, pour la fête de saint Bonaventure, et porta plainte à
Intérieur de l’église Saint-Bonaventure.
l’archevêché ; elle accusa de désobéissance le chef de la paroisse, prétendit que la décoration du chœur ne produisait aucun effet ; ses meneurs ne manquèrent pas de se targuer des ordres des supérieurs et supplièrent que le changement ne fût plus retardé. Nous avons lu leur factum, dont la médiocrité de style n’est pas le défaut le plus saillant, et nous avons été attristés de savoir qu’il fut retourné à l’accusé, apostillé par une formule sèche et discourtoise, le condamnant sans qu’il eût été seulement entendu. Le saint homme courba la tête, en silence, donna satisfaction à ses délateurs, persuadé que l’épreuve vaut mieux, pour les serviteurs de Dieu, que la louange, et que le mérite d’un sacrifice est plus solide que la fumée de la gloire.

Néanmoins deux marguilliers, compromis dans cette tortueuse intrigue, afin d’éviter la grise mine de leurs collègues, préférèrent démissionner ; ils gâtèrent par l’attitude incorrecte de leur sortie le prix des services qu’ils avaient rendus. M. Paul-Antoine Faure et M. Horace Clavel remplacèrent les deux partants, MM. Bérard et Lenoir.

Saint-Bonaventure, arraché à un effondrement trop certain, nettoyé des traces dont l’avaient souillé de vulgaires et profanes usages, appelait, si l’on rêvait pour lui une restauration totale et durable, de nombreux et coûteux travaux ; on s’y prit peu à peu, bout par bout, presque pierre par pierre ; sans interruption, pendant cent années au moins, M. Pascal et ses six successeurs déployèrent un dévouement inlassable, dans cette tâche, qu’ils se passaient, l’un à l’autre, comme la principale de leurs préoccupations, comme l’honneur le moins altérable de leur ministère, devant la postérité. L’œuvre touchait à son terme, lorsqu’on fut surpris par la loi de séparation et par la mise sous séquestre de ce qui avait coûté tants d’efforts à établir, à consolider, à embellir. Du premier au dernier des sept prêtres, qui ont gouverné la paroisse, au cours du xixe siècle, il est permis de répéter ce que le vénéré fondateur écrivait de lui-même, peu de mois avant de mourir : x J’ai consacré tout mes instants et toutes mes facultés à la restauration de ce temple, qui m’a été confié, et l’on peut dire, avec vérité, que le succès a surpassé mes espérances ; car ceux, qui l’ont vu dans son état de délabrement, éprouvent une grande surprise de le voir sitôt réparé, sinon magnifiquement, du moins honorablement, pour y exercer le culte divin. »

Il serait apparemment trop long d’énumérer et de décrire les améliorations considérables que M. Pascal a le droit de revendiquer, pour sa part, pendant vingt ans qu’il s’y absorba ; arrêtons-nous au moins à quelques indications chronologiques, utiles à notre récit et à la mémoire de nos lecteurs.

En avril 1809, on abattit la cloison de la chapelle de l’archange saint Michel, la première, aujourd’hui du latéral gauche, où longtemps le grenetier Bergeon avait entassé ses sacs, on la disposa pour les Fonts-Baptismaux. La même année, on aménagea celle au-dessus ; les peintres et les verriers, dont la corporation subsistait, comme un compagnonnage de secours mutuels, demanda qu’elle lui fût rendue et qu’on l’autorisât à y célébrer une grand’messe, le jour de saint Luc, son patron, et les offices de ses défunts. Les pèlerins de Saint-Jacques qui, pendant tout le moyen âge et jusqu’en 1789, tenaient leurs assemblées, dans une chapelle fameuse, voisine de Saint-Nizier, où le consulat avait longtemps délibéré, proposèrent, de leur côté, qu’on leur cédât l’avant-dernière du côté droit ; ils s’engagèrent à l’approprier et à l’orner et y suspendirent le tableau de l’apôtre, le Majeur, dont ils avaient visité le tombeau en Espagne. Dans l’été de 1819, c’est pour dresser un autel du Sacré-Cœur que le curé convoque ses fidèles ; il en paye la façon à un marbrier du nom d’Augier 2.000 francs, et le tableau, dont il le surmonte, est l’œuvre de M. Lefebvre ; cadre et toile coûtent 287 francs. Pour la chapelle de saint Claude, autrefois dédiée à saint Bernardin de Sienne, qui passera plus tard sous l’invocation des Saints Anges gardiens, celle-là même que le bienheureux Vianney, curé d’Ars, est en train d’usurper par l’initiative de quelques âmes dévotes à son intercession, un bienfaiteur prit à sa charge la plus grosse partie des frais de transformation.

Le dernier vœu de l’infatigable vieillard, dont les années n’interrompaient pas l’exécution de ses projets, eut pour objectif le culte de saint Joseph : il le recommandait sans cesse ; il le prônait en toute occasion ; il s’occupa de réserver une place à son image et un lieu tranquille à ceux qui viendraient l’implorer. Auparavant, à l’occasion d’une mission générale, prêchée, pendant l’Avent de 1824, par les associés du Père Rauzan, il substitua à la chaire de bois la chaire de marbre rouge et blanc dont on a usé jusqu’à présent, illustrée dans les Carêmes, les octaves de saint Bonaventure et des Morts, par les plus fameux orateurs, qui ont honoré l’éloquence chrétienne, dans la France du Concordat. Enfin en 1827, il déposa, entre les mains du trésorier de la Fabrique, une somme de 10.000 francs, affectée aux travaux de la chapelle qui lui tenait tant au cœur ; on l’édifia, du côté d’Occident, là même où nous l’admirons ; seulement elle a triplé son espace, en prenant sur deux autres chapelles qu’elle a absorbées, quand on l’eut choisie comme le siège d’un* archiconfrérie florissante. M. l’abbé Pages, professeur distingué de la Faculté de théologie et son futur doyen, célèbre par la controverse qu’il soutint à propos du prêt d’intérêt, s’associa à la bonne œuvre par une aumône d’argent importante et par le don de la statue du saint Patriarche, qui fut achetée à Paris.

Dans cette vigilante application à rendre le lustre du passé à son église, le laborieux pasteur de Saint-Bonaventure s’était oublié ; il n’avait pas de presbytère et habitait un étroit et modeste appartement de 500 francs dans une maison, sans apparence, de la rue Stella. Une circonstance des plus favorables le poussa à se départir de son abnégation prolongée, et il entama des négociations, pour acquérir l’immeuble, qui joignait l’angle droit du grand portail. La ville le paya 40.000 francs et en abandonna l’usufruit perpétuel à la Fabrique, à condition qu’elle se chargerait, à ses frais, des agrandissements et des transformations notables, entraînés par l’appropriation des logements du curé, des quatre vicaires et de la clergeonnerie. Au mois d’avril 1827, on en donna l’adjudication, sur un devis dont le total montait à 60.000 francs. On pouvait sans témérité s’engager dans cette dépense, car deux legs récents, en faveur de l’école cléricale, fournissaient, contre des rentes annuelles aisément économisables, croyait-on, sur les recettes courantes, les capitaux à verser aux entrepreneurs. Un ancien cordelier, dont le nom s’est rencontré déjà plusieurs fois sous notre plume, le P. Mollière, qui mourut, quai de Retz, te 13 juillet 1826, déposa, entre les mains de M. le curé, 10.000 francs, sans aucune autre condition que de les employer à l’éducation des enfants de chœur. L’autre héritage échut à la manécanterie, dans des circonstances plus touchantes encore ; le testateur se nommait Antoine Grenier, ancien vicaire de Saint-Nizier avec M. Pascal, il avait émigré avec lui et s’était fixé à Bologne. Précepteur, chapelain du palais, quand l’éducation fut finie des deux fils, il avait résisté aux invitations les plus formelles, que le cardinal Fesch lui avait envoyées, de rentrer dans le diocèse et d’y reprendre un emploi actif ; il s’était si parfaitement acclimaté à son exil doré qu’il le subit jusqu’à sa mort, survenue le 15 mai 1824.

Mais s’il abandonna sa dépouille à un cimetière italien, son cœur n’avait point oublié sa patrie, ni l’église de son baptême et des prémices de son sacerdoce ; il institua les écoles de Saint-Nizier et de Saint-Bonaventure ses légataires universelles, prescrivit la fondation de prix et de bourses pour les élèves les plus intelligents et les plus sages, et, la fortune liquidée, les dettes courantes acquittées, les exécuteurs testamentaires transmirent 95.000 francs à partager. On ne saurait vraiment trop louer la délicatesse d’un cadeau aussi généreux, ni rappeler, avec trop de reconnaissance, le grand nombre d’étudiants qui en ont profité et sont parvenus, grâce à lui, à suivre leur vocation. Cependant par l’ironie d’une fatalité qui se joue de nos intentions les plus droites elles plus légitimes, M. Pascal ne devait pas jouir de la demeure qu’il disposait pour son clergé et pour lui ; Dieu l’appela plus tôt dans celle qu’il réserve éternellement à ses meilleurs serviteurs. Une assez courte maladie l’enleva» le 18 août 1828, vers quatre heures du soir, à la vénération et à l’affection de ses paroissiens ; ce triste événement fut considéré comme une calamité publique ; les pauvres surtout pleuraient, dans leur cher défunt, un père d’une inépuisable bonté et la voix générale le proclamait comme un modèle de toutes les vertus. Plus douloureusement atteint, le conseil de Fabrique résolut de prendre à sa charge les funérailles et de leur donner le caractère, qui convenait à une perte aussi sensible et à un deuil aussi profond. On décida, sur-le-champ, de confier à un peintre distingué, M. Jacomin, le soin de reproduire les traits du cher disparu ; d’acheter au cimetière de Loyasse une place pour son tombeau, d’y ériger un monument ; le premier vicaire, l’abbé Bertier, proposa d’y graver l’épitaphe suivante, qui fut approuvée à l’unanimité :

CI-GÎT
MESSIRE VICTOR-ANTOINE PASCAL

premier curé de saint-bonaventure,
directeur de la société des hospitaliers,
décédé le 18 août 1828, âgé de 77 ans,
inébranlable dans sa foi
tendre dans sa piété
infatigable dans son zèle,
simple dans ses mœurs
généreux dans ses bienfaits
envers les pauvres dont il fut le père
et son église dont il fut le restaurateur
tout à tous, n’oubliant que lui-même
il emporta les regrets de tous ses paroissiens
dont ce tombeau atteste la reconnaissance.

Le successeur de cet homme de bien, si digne de se survivre dans la mémoire des générations, qui viennent prier dans le temple, sauvé de la ruine par son activité pastorale, M. Noël Jordan entra en possession de la charge vacante, le 9 novembre. À la porte de l’église, M. Aynard, président du conseil de Fabrique, lui présenta les clés, M. Vuillerme, curé de Saint-Nizier, lui passa l’étole sur les épaules et lui souhaita la bienvenue, en des termes excellents. Tout présageait au ministère, qui commençait, des bénédictions et des succès abondants. M. Jordan appartenait à une des familles les plus notables de la ville : un de ses frères. César, tenait dans la commerce un rang distingué ; un autre avait été directeur au bureau des cultes à Paris ; le troisième, plus célèbre peut-être par ses relations d’étroite amitié avec Mme Récamier et son groupe, que par ses discours politiques, Camille, mort depuis peu de temps, s’était signalé, à Lyon, dans les assemblées locales, au Parlement aussi, par son intrépidité à défendre la liberté du culte catholique et des cloches, et il avait employé à revendiquer les droits des princes légitimes son entraînante éloquence, en Fructidor, comme sous le Consulat. Depuis dix-huit ans, à la tête de la paroisse des Minimes de Roanne, l’abbé Jordan avait déployé une habileté et une constance peu communes, dans l’organisation de ses écoles et dans la revendication de l’enclos et des bâtiments claustraux pour le presbytère. Il était dans toute la vigueur de l’âge et il entrevoyait, devant lui, l’espace de temps nécessaire à mûrir ses desseins et à les exécuter.

Avant d’entreprendre quoi que ce soit, d’après ses convenances ou ses goûts personnels, il tint à relever, par une cérémonie, peut-être un peu hâtive, mais bien touchante, ce qu’il y avait eu de délicat, dans un des derniers gestes de M. Pascal. Nos lecteurs se souviennent peut-être, par quelles critiques amères, avait été accueillie, tout à fait au début des restaurations primitives, l’idée de placer un autel monumental, au fond de l’abside. Le curé y tenait, d’autres en étaient choqués. Ces derniers l’emportèrent ; l’autel fut avancé vers le chœur et le vaincu n’eut pas la patience de supporter cet échec en silence ; il en garda longtemps une persistante amertume et, avant de mourir, pour s’absoudre d’avoir été si peu maître de ses impressions, il déposa entre les mains d’un des fabriciens, son confident, M. Noël Rambaud, une somme de 14.000 francs, destinée à substituer un autel de marbre à l’autel de bois, cause du conflit. On décida, avec beaucoup d’à-propos et de justice, de publier ce don posthume, d’une façon éclatante, et d’en préparer l’accomplissement par un engagement irrévocable. Un dimanche de novembre 1829, le 25, M. Barou, vicaire général, procéda à la pose de la première pierre du monument futur, en présence de plusieurs ecclésiastiques de marque, MM. Montagnier, promoteur, Bonnevie, chanoine, Vuillerme, curé de Saint-Nizier, du maire de Lyon, M. de Lacroix-Laval ; une boîte de plomb y fut scellée, renfermant une médaille, avec une inscription, gravée à cette occasion, et des pièces de monnaie d’argent. Cependant, après cette manifestation, qui rallia les suffrages de la meilleure partie de la population, l’œuvre subit d’interminables ajournements et ce ne fut que vingt ans après, le 10 mars 1849, que le cardinal de Donald vint en bénir la fin.

Au nombre des causes de tant de lenteur, il ne faut pas oublier de compter l’insurrection de 1834, qui faillit emporter l’église. Située au centre du soulèvement, elle en devint comme la citadelle et, pendant trois jours, son pauvre clocher fut le point de mire des boulets, lancés par l’armée régulière. La guerre civile éclata, à la suite d’une grève d’ouvriers en soie, et à l’occasion du procès des principaux meneurs, qui l’avaient provoquée. Ils appartenaient, pour la plupart, au comité central de la Société mutuelliste, fondée en 1828, qui avait voté l’arrêt des battants contre une réduction de fr. 25 centimes l’aune, sur le prix des façons. On les jugea, le 9 avril. Au cours de l’audience, un coup de fusil, tiré à Bellecour, fut le signal de la première fusillade. La troupe visa sur des groupes isolés. Mais l’agitation régnait un peu partout, et la Croix-Housse, d’où elle était partie, n’en était pas l’unique foyer. La place des Cordeliers, dès le matin de ce jour, avait été envahie ; vers onze heures, elle se remplissait de « voraces » armés : ils creusaient des tranchées à l’entour et dressaient des barricades, à l’angle des rues aboutissantes, ils obéissaient à leur chef, du nom de Lagrange. L’église, dont on avait fermé les portes par prudence, est envahie ; on se précipite sur les cordes des cloches et on sonne le tocsin. Vers cinq heures, une escouade d’infanterie, qui débouche par la rue de la Gerbe, balaie la place, mais sans l’occuper, car elle a l’ordre de se rendre aux Terreaux ; les blessés sont portés à l’église et à la chapelle des Fonts baptismaux, transformée en ambulance. On put encore, le jeudi matin, célébrer plusieurs messes, mais bientôt nefs et chapelles furent envahies par une foule bruyante, dont la fureur, échauffée par trop de libations, s’en prit aux ornements des autels, aux statues, aux bancs, aux confessionnaux, et, par amour du désordre autant que du pillage, brisa le mobilier et vida les troncs. Le combat reprit au dehors et on continua d’apporter, sur des brancards improvisés, les malheureux relevés ensanglantés sur le pavé ; quatorze d’entre eux succombèrent, au témoignage d’un des prêtres qui les assistaient ; beaucoup furent évacués sur l’Hôtel-Dieu, après un pansement provisoire. À une faible distance de ces scènes d’agonie, il avait été établi un magasin de poudre et une fabrique de cartouches ; les émeutiers se rendaient là faire leurs approvisionnements, et, jetant un regard sur leurs frères moribonds, ils s’excitaient à courir les venger. On se battit jusqu’au samedi ; les soldats toutefois gagnaient du terrain, et peu à peu ils enfermaient, dans l’îlot des Cordeliers, les factieux qui résistaient encore. Vers les trois heures de l’après-midi, on apprend que Saint-Nizier est tombé en leur pouvoir et, tout à coup, on aperçoit déboucher, au couchant de la place, deux compagnies au pas de course. Les barricades sont enlevées, presque sans résistance, et les insurgés fuient en désordre dans l’église, essaient de se dérober par la sortie de la rue Champier, ou se cachent dans les coins obscurs. Les soldats hésitent à les y suivre, mais un coup de feu, tiré de l’intérieur et qui atteint un des leurs, porte au comble leur colère ; ils y répondent par une décharge générale et pénètrent dans l’enceinte, décidés à n’épargner aucun rebelle Il y eut alors une heure d’odieux carnage et comme une chasse à l’homme, derrière les piliers, sur les autels, dans les confessionnaux et les placards des chapelles. Un ouvrier tombe dans la grande nef et meurt, en criant : Vive la République ; trois sont exécutés sur les marches de l’autel du Crucifix, deux au pied de la tribune, trois autres en face de la chaire, un dans le vestibule de la cure ; un enfant de seize ans est fusillé sur le seuil de Saint-Luc et, au même endroit, malgré les prières de deux des vicaires, malgré leurs propres cris de grâce, deux jeunes gens de dix-huit à vingt ans sont massacrés, à bout portant, par un peloton commandé ; leur cervelle rejaillit sur la muraille, leur sang la rougit, et le prêtre, témoin de cet horrible spectacle, la main levée pour le pardon, ne trouve plus dans sa mémoire ni sur ses lèvres, tant il est bouleversé, la formule sacramentelle qui réconcilie. L’occupation de l’église marquait la défaite et le terme du soulèvement populaire ; l’ordre et la circulation ne tardèrent pas à se rétablir, la maison de Dieu, devenue un champ d’exécution, fut réconciliée ; quatre cloches nouvelles, bénites le 11 février 1836, remplacèrent celles que l’artillerie avait brisées ; un des vicaires, atrocement calomnié, M. Peyrard, après neuf mois de la plus injustifiable captivité, fut rendu à la liberté et à ses amis, mais ces jours d’horreur laissèrent des souvenirs, qui ne disparurent point avec la laideur des dégâts commis, ni sous le lavage des dalles souillées.

Une seconde catastrophe, celle-ci étrangère aux passions sociales, dont la nature fut exclusivement coupable, assombrit encore l’administration de M. le chanoine Jordan, interrompit les offices religieux, ralentit forcément les améliorations en projet, multiplia surtout la misère, dans ce quartier plus atteint que d’autres. Je veux parler de l’inondation de 1840. Une gravure de cette époque, reproduite par le Lyon de nos Pères, représente la rue du Port-Charlet et le Mont-de-Pitié sous les eaux : l’église, on le pense bien, ne fut pas épargnée ; envahie par le courant du Rhône, elle ressembla bientôt à un vaste lac dont le niveau monte sans cesse : les flots, en battant ses murailles, les ébranlèrent et l’humidité qui subsista, quand ils se furent écoulés, ne contribua pas à leur assainissement, ni à la solidité et à la propreté de l’édifice.

Tant d’épreuves auraient abattu une foi et une patience moins trempées que celles de M. Jordan ; sous de frêles apparences il cachait une énergie peu aisée à démonter et, pour parvenir à ses fins, il n’épargnait ni ses démarches, ni sa peine. Esprit méthodique et ordonné, quoique un peu sujet à l’indécision, il appliquera d’abord son attention aux réformes intérieures, à la correction de quelques abus que la vieillesse et la bonté de M. Pascal avaient tolérés ; il régla les privilèges des confréries ; il organisa d’une manière plus équitable la distribution des secours aux indigents. Sa piété envers la Mère de Dieu le porta à étendre, de tout son pouvoir, l’association du Rosaire et à grouper, dans ses cadres, la plupart des mères de famille. Elle atteignit, sous sa direction, une prospérité qu’elle n’a plus retrouvée depuis, et les somptueux embellissements, dont elle dota sa chapelle, sont l’indice que la générosité de ses membres égalait au moins leur assiduité.

Si le bon Dieu eût accordé quelques courtes années de plus de vie à son fidèle ministre, il est probable qu’il fût parvenu à réaliser entièrement le vaste programme de la restauration qu’il avait conçue et à vaincre toutes les difficultés. On chuchotait bien, autour de lui, que ses goûts artistiques n’étaient pas très sûrs, qu’ils péchaient peut-être par une préférence trop sensible pour le grandiose et le clinquant ; ses essais de début avaient soulevé quelques critiques. Il ne s’en embarrassa que médiocrement et ne renonça pas à un dessein qu’il jugeait avantageux à son apostolat. Il s’entoura d’avis compétents, et tour à tour ou en même temps, il ne consulta pas moins de quatre architectes. Cette méthode, inspirée par une défiance louable, provoqua cependant plus de rivalités qu’elle ne suscita de lumières ; il en sortit même un procès qu’on eut beaucoup de peine d’étouffer, en transigeant avec le plaideur, l’honorable M. Dupasquier, évincé. Le curé tint bon, en faveur de M. Benoît, et dans la séance fabricienne du dimanche de Quasimodo de 1838, il communiqua un devis détaillé, s’élevant à la somme de 68.000 francs.

Vitrail de Saint-Joseph, à Saint-Bonaventure.

Il y était question du dallage, de la crête des voûtes et de la toiture ; de la restitution au culte de trois chapelles ; de la restauration de la tribune et de son escalier ; de l’enduit et du badigeon des murs, de la réunion des deux chapelles de Saint-Joseph et du Sacré-Cœur en une seule ; un peu plus tard, on y ajouterait la transformation du sanctuaire, des peintures murales de l’histoire de saint Bonaventure, l’ouverture de la chapelle de Saint-Fortunat, l’allongement des douze fenêtres de la grande nef, le percement de deux nouvelles, et des vitraux à personnages pour les quatorze. C’était, on le voit, un renouvellement à peu près complet, de la base au sommet, du vieux monument. Toutefois l’inscription au budget du vote des dépenses prévues n’était qu’une mesure platonique, en face d’une caisse épuisée. M. Jordan le comprit et s’ingénia pour découvrir les fonds nécessaires. Il obtint de la mairie la promesse d’une subvention de 15.000 francs ; à Paris où il se rendit lui-même, le ministère des cultes s’engagea à lui verser 30.000 francs, en trois annuités ; un des membres de son Conseil, M. Rendu, dont le nom rappelle sa parenté avec sœur Rosalie, la mère des miséreux du quartier Mouffetard, légua 18.000 francs par testament ; enfin une quête paroissiale, où chaque famille fut visitée et sollicitée, produisit 18.786 francs. Le succès n’était donc plus qu’une affaire de temps, mais le temps hélas ! devait manquer à l’ardent ouvrier, dont la vaillance avait emporté tous les obstacles, et la sagesse conquis les sympathies et les ressources indispensables. Une mort imprévue emporta l’abbé Jordan, le 2 décembre 1843, et, selon le mot si souvent vérifié de l’Écriture, une autre main moissonna ce que la sienne avait semé : alius est qui seminat et alius est qui metet.

Le champ advint à beau preneur. Ordonné en 1813, pendant les Cent-Jours, M. l’abbé Vincent Pater, avant d’être envoyé à Saint-Bonaventure, sa dernière étape, avait été tour à tour vicaire à Charlieu et à Saint-Louis de la Guillotière, curé à Briguais, en 1822, à Vaise, en 1829 ; sur ces divers théâtres, on avait apprécié son zèle charitable, son esprit de conciliation, une dignité de tenue remarquable et le plus profond amour de son état. En se séparant de lui, dans la sincère tristesse de leurs adieux, les membres de la fabrique de Saint-Pierre de Vaise lui adressèrent ce délicat compliment : « Comme preuve de notre estime, de notre respect et de notre affection, nous demandons à Dieu de ne jamais donnera notre paroisse que des pasteurs qui vous ressemblent. » J’ignore pourquoi, mais, dans le nouveau milieu qu’il abordait, M. Pater rencontra des préventions, éveilla des susceptibilités qui ne cédèrent pas tout de suite ; dans son troupeau, il compta des réfractaires ; toutefois il n’attendit pas que les nuages fussent dissipés, pour s’attacher vivement à sa besogne et reprendre les plans, suspendus par le décès de son prédécesseur. Énumérer toutes les parties de l’œuvre matérielle, qui absorba ses efforts, pendant les seize années de son administration, me paraît à peu près impossible et serait trop long ; je voudrais au moins, pour l’édification du lecteur, en noter les principales, les plus saillantes, et on me permettra de les ranger succinctement, année par année, dans une courte et simple mention.

1844. Dallage entier de l’église, en pierre de Tournus, et carrelage de la chapelle de la petite abside droite, dite du Christ ou du Crucifix. Consécration le 13 octobre, par Mgr Épale, évêque missionnaire en Océanie, de l’autel du Christ, œuvre du sculpteur Prost.
1845. Pose de plusieurs verrières, dans la grande nef, sortant des ateliers lyonnais de Georges Muller et de Brun. Restauration des voûtes. Ouverture, dans le chœur, d’un double arceau, communiquant avec la nef de gauche, à la place où les reliques de Saint-Bonaventure avaient longtemps demeuré. Adjudication du maître-autel ; Fabisch est écarté ; la préférence accordée à Duret et Alanzio, sur un rabais de 25 %. Le dessin du corps de l’ouvrage et des sept statues, qui ornent le tombeau, est du crayon de M. Benoît, architecte. Inauguration et bénédiction de l’orgue ; le prédicateur de la solennité fut M. l’abbé Pavy, professeur d’histoire ecclésiastique et doyen de la Faculté de théologie, futur évêque d’Alger, ancien vicaire de la paroisse.
1846. Démolition du mur, qui ferme la chapelle de Saint-Fortunat, fondée jadis par des marchands de la ville de Troyes. Elle sera désormais dédiée au Sacré-Cœur de Jésus. Un paroissien de haute dévotion, M. Antoine-Matthieu-Vincent
Guillermet le jeune prend à sa charge tous les frais de la restauration ; l’autel et son retable, en pierre blanche, sont confiés au ciseau de Robert ; avant même que l’ornementation en soit achevée, le cardinal de Bonald viendra la bénir, le 6 décembre 1850 ; mais le généreux donateur ne sera plus là ; il avait été rappelé à Dieu, le 17 février 1847, léguant à son frère aîné l’œuvre qui lui était si chère, 5.000 francs aux pauvres de la paroisse et 30.000 à la Fabrique.
1847. Le pavé en marbre du sanctuaire et du chœur.
1848. Les grandes verrières de l’abside, œuvre de Thibaut de Clermont-Ferrand, composées d’une série de médaillons, où se déroulent la vie de Notre-Seigneur et les figures prophétiques, qui l’avaient annoncée. La grande rosace du portail. La balustrade, séparant le chœur et le sanctuaire, du ciseau du sculpteur Robert. Le petit porche, à l’entrée occidentale de l’église, et la démolition d’un massif de maçonnerie, à cet endroit, où étaient logés le sacristain, un professeur de l’école et la bibliothèque des bons livres.
1850. Le vitrail du Sacré-Cœur, composé des quatre plus célèbres représentants de l’Ancien Testament : David, Moïse, Abraham, Melchissédec. La restauration de la chapelle de Sainte-Élisabeth ; siège de l’association des dames de Miséricorde ; on y transporta l’autel de la chapelle du Sacré-Cœur, désaffectée, avec son retable ; le vitrail fut dessiné par le peintre lyonnais Borel et coulé dans l’atelier de Sauris.
1851. Les deux vitraux de la chapelle du Christ ; offerts par Mme Court, en mémoire de son mari, Pierre Michel-Court, fabricien, décédé en 1849 ; celui de côté, qui représente Marie debout, se lamentant auprès du cadavre de son Fils, détaché de la Croix, est de la facture de Thibaut ; l’autre du fond, en médaillons, fut dessiné par Maréchal de Metz ; il s’appellerait justement le vitrail des résurrections, car il reproduit celles que Notre-Seigneur a opérées, et les traits de l’histoire juive, qui prophétisaient sa sortie personnelle du tombeau.
1852. La création de la chapelle de Notre-Dame de Pitié, la plus voisine de la petite porte de droite ; l’autel fut sculpté par Robert ; le retable par Anizetti, maître stucateur ; Vaganay fournit le soubassement de la niche et la barrière à clore l’enceinte. La Pièta, copie lointaine, en plâtre, du chef-d’œuvre de Michel-Ange, est un don d’un ecclésiastique lyonnais fort estimé, l’abbé Marduel, vicaire à Saint-Nizier, immédiatement après le Concordat, ensuite vicaire de Saint-Roch à Paris, très lié avec Frédéric Ozanam, auteur d’un livre original sur l’Autorité paternelle et la piété filiale, dont la réputation de bibliophile n’est pas éteinte.
1853. Restauration de la chapelle de Saint-Antoine de Padoue, autel neuf, retable, balustrade, peintures, vitrail historique de Sauris, en quatre compartiments, figurant la légende du cher Il Santo. Les deux statues, par Bellat, aux piliers extérieurs des Fonts-Baptismaux, saint Pierre et saint François de Sales.
1854. Les beaux vitraux de la chapelle Saint-Joseph, offerts par M. Villermoz, et commandés par lui à la maison Steinheil de Paris, avec la collaboration de Raineri, artiste plein de mérite, employé aux travaux de la Sainte-Chapelle.
1855. Les barrières de Sainte-Élisabeth, du Christ, de Saint-Joseph. Un ciborium, enveloppant l’autel du Christ, qui, depuis, a disparu. Trois statues de Robert, à la chapelle du Sacré-Cœur ; dans les niches des piliers extérieurs : la Foi et l’Espérance ; entre les verrières, la Charité.
1856. La barrière du Sacré-Cœur, la seule chapelle de la petite nef de droite qui en fût dépourvue. La croisée de la chapelle des Saints-Anges.
1857. Dallage de la chapelle précédente. Remaniement complet de cette chapelle, qui, du vocable de Saint-Claude, passe sous le patronage des Anges gardiens. Sous l’Ancien régime, le peuple l’eût baptisée chapelle des Aynard, du nom de ses deux principaux fondateurs ; l’un, M. Claude Aynard, fabricien, dès 1810, avait fait les frais de son premier établissement, sous M. Pascal ; l’autre, son fils, M. Henri Aynard, père du député actuel du Rhône, membre de la Fabrique de 1829 à 1866, et trente ans au moins son président, paya libéralement les secondes dépenses, importants travaux de stucage par Cesquino, de peinture par Paillet, de vitrail, de transformation d’autel. Les statuettes de saint Claude et de saint Henri, patrons des bienfaiteurs, posées dans le piédouche de l’arcade, rappellent leur souvenir et leurs largesses. Lorsque les embellissements furent terminés, Mgr Melchior de Marion-Brésillac, évêque titulaire de Pruse et fondateur des Missions africaines à Lyon, célébra la consécration solennelle de l’autel, le dimanche 25 octobre 1857.
1858. Deux statues aux Fonts-Baptismaux, en pierre blanche, Moïse et Élie, par Cubizole, ex-pensionnaire de Rome.

La série de ces aménagements intérieurs, menés sans aucun ralentissement et avec un esprit de suite remarquable, n’absorbait qu’à demi la vigilance pastorale de M. l’abbé Pater. Ce serait une injustice de passer sous silence le vif intérêt, dont il entourait la petite communauté des religieuses de Saint-Vincent-de-Paul, qu’il avait fondée, et l’École cléricale, dont il vantait sans cesse les avantages, en apologiste convaincu, mais en pédagogue, je le crains, un peu aveugle et partial. Pour les classes, il obtint, dans les combles de l’église, de vastes espaces qu’il appropria assez commodément ; pour les jeux, il suspendit une terrasse au-dessus de la toiture de la sacristie. Le recrutement s’opérait dans les plus honnêtes familles ouvrières du voisinage, et des statistiques nominatives, à peine croyables, si l’on compare le présent à ce florissant passé, accusent pour la période de 1850 à 1860, une moyenne de cinquante élèves, de la septième à la rhétorique inclusivement. Les cérémonies processionnelles gagnaient à ce déploiement extraordinaire des enfants de chœur sous leurs aubes blanches, mais on se demande comment deux professeurs suffisaient à l’enseignement, et par quel secret l’intensité de l’application suppléait à ce qui manquait à la variété des leçons.

Les Filles de la Charité étaient députées à la visite des indigents et des malades, à une pharmacie-dispensaire, à un fourneau économique, à l’universalité des attributions, connues, à Lyon, sous le nom de la Marmite.

Lorsqu’elles arrivèrent, la maison Grandvoinnet, située au chevet de l’église, venait d’être acquise par l’œuvre des Pauvres de Saint-Bonaventure, séparée définitivement de celle de Saint-Nizier, et en possession des capitaux, qui lui avaient été attribués, dans le partage de la fortune commune. Elles y occupèrent d’abord le premier étage ; une aubergiste, à l’enseigne de l’hôtel de Valence, tenait le reste, et, son bail à la main, refusait de déloger.

Vitrail de la Sainte-Famille, à Saint-Bonaventure.

Son insolvabilité hâta heureusement son départ et les sœurs disposèrent de la totalité de l’immeuble. Rappellerons-nous de quels ennuis, pendant plus d’un quart de siècle, cette maison avait été l’irritante origine ? les usurpations, dont elle avait fourni le prétexte ? les servitudes, plus que désagréables, qu’un droit de mitoyenneté douteux avait peu à peu engendrées ? L’occasion était propice pour s’en exempter à jamais ; mais, par une grâce d’état, qui n’est pas aussi rare qu’on se l’imagine, devenus propriétaires, les fabriciens n’aperçurent plus les incommodités des mêmes yeux qu’autrefois ; la fenêtre bouchée resta tout aussi obscure ; l’escalier, montant au clocher, ne fut pas rendu libre, et, qu’on me pardonne de l’avouer, quelques empiétements nouveaux, qu’évidemment on ne maudissait plus sous ce nom-là, apportèrent aux souffrances anciennes, un poids auquel on a fini par s’accoutumer, avec une imprévoyance fatale.

Le temps ne refroidissait ni l’amour, ni l’orgueil de M. Pater, pour ses chers Cordeliers. À soixante-dix ans, il rêvait encore de bâtir et, comme le vieillard de la Fable, il aurait morigéné, sans vergogne, de plus jeunes que lui, assez osés pour plaisanter sa témérité ou ses illusions. Il s’attaqua, cette fois, à la façade et résolut de la réédifier, de la base au sommet. Depuis le 24 octobre 1837, que les plans de l’architecte avaient été adoptés, en séance fabricienne, on avait attendu, avant d’abattre les clochetons branlants et écornés de Simon de Pavie, des fonds pour les remplacer. M. Pater, qui entretenait avec les pouvoirs publics les plus cordiales relations, pensa leur faire appel et écrivit à M. Vaïsse les graves raisons, qui appuyaient cette demande de secours. Le sénateur, préfet du Rhône, répondit, le 5 décembre 1857, une obligeante lettre et annonça que la commission municipale avait voté, le 20 novembre précédent, sur sa proposition, 40.000 francs, répartis en quatre annuités. C’était un peu moins des deux tiers de la dépense prévue.

L’adjudication de la maçonnerie eut lieu, le 11 mai 1858, et le chantier fut immédiatement livré aux pics des démolisseurs. On ne se tromperait guère, si l’on attribuait aux circonstances extérieures une influence prépondérante, dans le réveil inopiné de cette affaire, et dans les allocations dont la préfecture accompagna son approbation. Depuis deux ou trois ans, d’énormes changements s’étaient opérés dans le quartier : la création de la place Impériale, le percement de la rue du même nom, aujourd’hui place et rue de la République, avaient substitué aux rues étroites et sombres d’autrefois, à leurs maisons, coupées par des allées traversières, aux galeries de bois et aux courettes humides, si propices à l’étendage et à la conversation des ménagères, un long tracé rectiligne, bordé d’habitations de cinq à six étages, avec des rez-de-chaussée somptueux, où la mode étale ses nouveautés, la soierie ses chatoyants tissus, les orfèvres des rivières de diamants, les cafés leurs décorations et leurs lustres. La place des Cordeliers n’est plus reconnaissable : les parasols des petites marchandes ont disparu ; les charrettes de la Bresse et du Dauphiné ne stationnent plus ; la fameuse colonne du méridien, qui porta si longtemps, sur un fût conique de 20 mètres de hauteur, la déesse Uranie et, des flots de sa fontaine, abreuva tant de générations, a été jetée par terre ; renversée aussi la salle du Concert, qui coupait si malencontreusement la perspective, par-dessus le pont La Fayette, de la plaine des Brotteaux ; un élégant marché couvert, autant que l’élégance peut entrer dans ces immenses charpentes de fer et de verre, a recueilli les boutiques errantes ou en plein vent des poissonnières et des fruitières ; le Palais du Commerce, la plus belle œuvre architecturale du xixe siècle, dans notre ville, dressait, vis-à-vis du portail de Saint-Bonaventure, la principale façade de son quadrilatère, avec son monumental perron. Il eût été choquant d’évincer l’église de ce rajeunissement universel et de la maintenir, seule, au centre de tant de bâtisses neuves, déshonorée par les marques d’une vétusté enlaidie, qui n’intéressait même pas les archéologues.

Mr Benoît, dans la réfection qu’il dirigea, s’inspira de ce qui existait auparavant et ne se proposa que d’en reconstituer une copie améliorée. En conservant les principales dispositions et les grandes lignes de l’ancienne façade, qui remontait à l’année 1471, il en augmenta les ornements, il agrandit le diamètre des rosaces, et surtout il s’appliqua à donner à l’ensemble un air moins tassé, dégagé en hauteur ; il redressa l’ogive dans une pointe plus élancée ; il s’efforça d’atteindre un gothique plus pur, moins mélangé d’italien, quoique plus élégant. Il sema çà et là des monogrammes et des blasons, sculpta dans les contreforts deux niches, qui ont été garnies, seulement il y a trois ans, de statues de saint François et de saint Antoine, et il termina le fronton par une croix fleuronnée, au lieu d’un Christ enseignant, qu’il avait eu d’abord l’intention d’y placer. Il est fâcheux, de l’avis des juges compétents, que la différence sensible de niveau, entre la toiture et le sommet du pignon central, ait nécessité cette espèce de pigeonnier couvert d’ardoises, qui semble, dans son isolement aérien, perpétuellement attendre un prolongement qui ne vient jamais.

M. Pater ne vécut pas jusqu’à l’achèvement de ces travaux : en six jours, une fluxion de poitrine, qui, dès les premiers symptômes, ne permit aucun espoir, l’enleva à la vénération de ses paroissiens et aux entreprises d’un zèle, qui entrevoyait encore de futures améliorations. Frappé dans la soirée du mardi 6 décembre, il ne consentit à s’aliter que le lendemain, et il expira dans la nuit du lundi au mardi suivant, entouré de ses vicaires, pleurant le père qu’ils perdaient, et fortifié par la sainte communion qu’il avait demandée, quelques instants auparavant, au coup de minuit. Et lorsque, pour ses funérailles, sa dépouille entra dans l’église et passa sous l’échafaudage du chantier, que les ouvriers avaient abandonné, pour suivre son convoi, un des assistants eut raison de dire que, de tous les arcs de triomphe qu’on aurait pu dresser à ce mort, si vivement regretté, aucun ne lui eût été plus agréable, aucun n’eût mieux figuré son action et ses labeurs.

L’administration de M. l’abbé Marion, nommé à la cure vacante, le 10 janvier 1860, installé, le 19 février, par M. Pagnon, vicaire général, s’imposa d’abord de continuer et de mener à terme ce que la précédente laissait inachevé, ou simplement en projet ; on vit ensuite son titulaire s’inspirer de ses idées personnelles et tenter, à son tour, de ne pas demeurer en arrière de ses devanciers, en tenant, sous le boisseau, les inflammables, dispositions des hommes de bonne volonté.

Lorsque l’abbé Pater avait été surpris par la mort, trois choses préoccupaient son esprit, regardées comme d’une urgence prochaine : la restauration des Fonts-Baptismaux ; l’acquisition d’une maison, sise rue Champier n° 6, élevée en 1805 par Rousset, charpentier, sur les sacristies et sur un arceau du cloître ; le remaniement de fond en comble et l’agrandissement de la chapelle de la Sainte Vierge, dont les embellissements, quoique fort coûteux et de date récente, ne le satisfaisaient pas. Afin de couper court d’avance à une objection quelconque, contre ce dernier désir, il eut la précaution d’abandonner à la Fabrique une somme fort rondelette, tout son avoir, grevé d’une faible rente viagère, mais avec la condition expresse de l’emploi qu’il spécifiait. Son frère, M. Antoine Pater et son neveu, l’abbé Pater, alors vicaire de Saint-Pothin, depuis recteur de Notre-Dame de Fourvière et chanoine honoraire, furent chargés, en dehors des formalités légales, de la transmission de ce legs. Avec une conscience et une ponctualité, qui les honorent l’un et l’autre, ils déposèrent, entre les mains du trésorier de la Fabrique, soit en titres de rente, en obligations et en billets à ordre, un capital qui dépassait 36.000 francs. L’accord sur l’acceptation d’un tel cadeau ne souffrit aucun retard et son emploi ne fut sujet qu’aux lenteurs à peu près inévitables. Dès le 4 juillet 1862, les conventions étaient signées avec le statuaire Robert, l’auteur de la chapelle du Sacré-Cœur, et l’autel avec son retable étaient livrés et inaugurés, le 2 octobre 1864. Ce jour-là, solennité patronale de Notre-Dame et de la Confrérie du Rosaire, M. l’abbé Marion prononça une allocution des plus éloquentes. Il jouissait du reste d’un remarquable talent de parole : partout où l’avaient porté les ordres de ses supérieurs, à Oullins, à Roanne, à Saint-Chamond, il avait charmé les délicats, ému les simples ; il se composa bientôt, à Saint-Bonaventure, le plus sympathique des auditoires, et chacun se plaisait d’avouer que ses sermons, ses verveuses improvisations surtout, étaient encore au-dessus de la réputation qui les avait précédés. Pourquoi la maladie fondit-elle trop tôt sur cet apôtre ? pourquoi, cinq ans durant, le força-t-elle à des ménagements et à des périodes de silence, qui l’affligeaient plus sensiblement que la foule privée de l’entendre ?

Autel et retable de la chapelle de la Vierge.

Nous ne décrirons pas longuement l’autel avec le retable qui le surmonte, l’un et l’autre en pierre blanche, tels que les admirent tous les visiteurs. Le morceau se dresse et se développe en un saisissant effet, et la reproduction, que nos lecteurs en ont sous les yeux, leur permet d’en suivre les belles lignes ajourées, d’en deviner le fouillé, de le rapprocher de ce que le plus svelte gothique allemand a produit de plus patient et de plus merveilleux. Il est comparable à un vaste triptyque déployé, formé d’une partie centrale et de ses deux volets. Le bas-relief du tombeau renferme la scène du trépas de Marie. La Vierge repose sur le lit, où elle a rendu le dernier soupir ; autour d’elle, les apôtres, debout et silencieux, cherchent le mot de l’énigme de ce douloureux mystère, qui leur ravit la mère de leur Maître ressuscité. Levons les yeux et nous apercevrons celle que l’on pleure ici-bas, rayonnante de gloire, entrant dans le royaume de son immortalité ; son corps est si léger que les anges, qui l’emportent, le soutiennent, presque sans le toucher, et son front radieux, resplendissant de pureté, est déjà prêt pour le diadème d’une souveraineté, aussi puissante dans le ciel, que miséricordieuse à la terre. C’est la vision de l’Assomption, après l’enlèvement du sépulcre ; la gloire du couronnement, après le don d’une seconde vie. De chaque côté, dans des niches et sous un dais fleuri, quatre scènes évangéliques sont l’historique explication de cette apothéose unique : elles représentent l’Annonciation, la Nativité, l’Adoration des Mages et le Recouvrement au Temple. On juge, du premier coup d’œil, que la statue de la Mère de Dieu, tenant son enfant sur le hras, dont le tabernacle forme le piédestal, en avant, ne se rattache pas directement au plan primitif de l’œuvre. Elle a été posée, après coup, sur les instances du successeur de M. Marion, qui l’a demandée, tant pour saisir l’attention des fidèles agenouillés que pour se conformer à un usage immémorial. On a cédé à ces raisons ; l’effet mystique est sans doute appréciable, mais ces deux images, l’une dominant l’autre, les pieds de la première à fleur de tête de la seconde, produisent une sensation sujette à des réserves, au point de vue de l’art. L’intention fut louable : le résultat médiocre.

La délibération, arrêtée, d’allonger de nouveau cette chapelle de la Vierge obligeait au déplacement de la sacristie, logée précisément dans la chapelle contiguë à celle-ci, dédiée à saint Nicolas, avant la Révolution, et, depuis le Concordat, au Sacré-Cœur de Jésus. Mais quel lieu lui assigner ?

M. Pater avait songé au rez-de-chaussée de la maison de la rue Champier et il avait, dans ce but, entamé les négociations préliminaires avec le propriétaire, M. Guillermond. Le marché avait été conclu, le 20 juin 1860, en l’étude de M. Berloty. La communication à prendre avec l’église n’offrait aucune difficulté, il s’agissait simplement, en abattant un pan de muraille, de dégager l’ancienne porte du cloître, dont le cadre existait et existe toujours, avec ses inscriptions et ses moulures. Le projet traîna en longueur ; on étudia les propositions de l’architecte ; on les discuta ; on les amenda ; finalement on y renonça. La sacristie fut transportée, près de la porte d’entrée, à l’extrémité de la nef gauche, c’est-à-dire à la place la plus incommode et la plus éloignée du chœur, qui se soit rencontrée. Un avantage compensait, pour M. Marion, les inconvénients quotidiens de son choix, c’était que le cortège des officiants et du clergé, traversant toute l’assemblée, du péristyle au sanctuaire, pouvait se déployer à l’aise, sans tronquer la pompe du défilé, ni dissimuler la beauté des ornements sacrés. L’imagination de cet ecclésiastique, d’un mérite si distingué, l’emportait souvent un peu loin des choses pratiques ; elle avait je ne sais quoi de grossissant, comme le dit le savant auteur de l’Histoire de Saint-Chamond, M. le doyen James Condamin. Elle le faisait s’enthousiasmer pour tous les projets extraordinaires et son ardeur le jetait dans des élans parfois trop chevaleresques. S’il avait eu pour lui le temps et l’argent, encore suppléait-il par des emprunts au défaut de celui-ci, on l’aurait vu en perpétuel enfantement de grandioses transformations. Sa première impression, en visitant Saint-Bonaventure, avait été que cette église était froide et obscure : il parla tout de suite d’un calorifère et, par tous les moyens, demanda de la lumière. Sur le premier point, son vœu fut remis à plus tard ; l’architecte, pour le second, ne parvint jamais à le contenter.

La chapelle, réservée aux baptêmes, est plus particulièrement due au zèle de M. l’abbé Marion : la paroisse en manifestait le désir ; une quête, organisée à ce sujet, avait produit 3.660 fr., un don anonyme 2.000 francs ; malgré le déficit croissant que les travaux de la façade, dépassant notoirement les prévisions, imposaient, à tel point qu’ils avaient été suspendus, on ne refusa pas au curé, qui le demandait, d’agir à son gré et sous sa responsabilité. Le procédé avait trop bien réussi jusqu’ici, pour inquiéter les sages. Mais par économie, le stuc remplaça le marbre et la dorure suppléa à l’originalité de la conception. Deux maîtres stucateurs, Cesquino et Aguisetti, se partagèrent la besogne et leurs mémoires eurent bientôt absorbé les fonds. Celui qui fut, à cette époque, la Providence aumônière, intervint à nouveau et M. Guillermet, par un double don, de 4.000 et de 10.000 francs, permit à son pasteur de ne pas s’endetter, il acquitta le prix du vitrail anecdotique du baptême de Clovis, dont l’auteur, M. Barrelon, verrier de Grigny, signa la quittance, le 24 juin 1864. J’incline cependant à croire que ce vénérable ecclésiastique s’entendait mieux à remuer les âmes que les pierres. Des fondations d’ordre spirituel, qui consacrent sa mémoire, l’Archiconfrérie de Saint-Joseph brille à un rang exceptionnel ; cette association de prévoyance religieuse, cette mutualité des vivants, en faveur des trépassés, comptera, en 1913, un demi-siècle d’existence ; mais ce que l’on calculera plus difficilement, c’est le nombre extraordinaire des membres qu’elle a groupés, des grâces obtenues, des messes célébrées, l’élan que ses réunions hebdomadaires du dimanche, ses bulletins mensuels ont imprimé au culte, de plus en plus populaire, du patron universel de l’Église et du modèle des ouvriers et des humbles.

Le cinquième curé de notre paroisse fut M. l’abbé Merley Jules-Mathieu ; il prit possession, le 23 mai 1869, six semaines après que M. Marion eut été emporté, le 10 avril, à Cannes, par la longue et douloureuse maladie, qui avait si héroïquement exercé sa patience. Son nom demeure attaché à la plus imposante et à la plus magnifique manifestation religieuse que les Cordeliers aient connue, dans le cours du xixe siècle ; il la prépara avec un zèle des plus avisés ; il l’ordonna avec un goût intelligent, il n’épargna rien, afin que le succès égalât l’édification. Il s’agissait du sixième centenaire anniversaire de la mort de saint Bonaventure, survenue le 14 ou le 15 juillet 1274. L’illustre cardinal était tombé, au milieu de ses travaux, dans le concile œcuménique assemblé, à Lyon, par le pape Grégoire X. Il avait joué le principal rôle dans les discussions avec les Grecs schismatiques et personne ne doutait qu’il ne fût le plus actif ouvrier de leur réunion à l’église latine. Le 29 juin, il avait entendu, avec quelle émotion et quelle joie, on le devine, chanter le symbole des Apôtres, dans les deux langues, celle de Rome et celle de Constantinople, dans la langue d’Ambroise et dans la langue de Chrysostome. Comme si sa tâche était finie, en rentrant au monastère de ses frères mineurs, il s’alita, prêt à porter à Dieu une conscience aussi exempte de crainte que vide de péchés. Ses funérailles, présidées par le Souverain Pontife, son oraison funèbre, prononcée par l’archevêque de Lyon, Pierre de Tarentaise, le futur Innocent V, une assistance de rois, de princes, d’ambassadeurs, de 400 évêques, furent le plus glorieux témoignage, rendu à la gloire et à la sainteté du docteur, dont Grégoire X avait dit : cecidit columna christianitatis. On ne pouvait prétendre renouveler cette scène unique dans l’histoire du moyen-âge lyonnais, on s’efforça du moins d’en réveiller le souvenir et d’en évoquer l’ombre. Pie IX envoya un bref d’encouragement et d’indulgences. Une intéressante découverte fournit ce qu’il ne sera pas trop inconvenant d’appeler un des clous de la fête, relevant les pompes liturgiques par une sensation d’art inespérée. Racontons ce fait ; tout aussi bien il tiendra lieu d’exorde à la description du Triduum. Un franciscain d’Italie, parcourant les bibliothèques de France, pour étudier les manuscrits du docteur Séraphique, en vue d’une prochaine édition, apprit à Murât, grâce à un simple annuaire, que cette ville possédait un tableau, dont le sujet concernait le Saint dont il s’occupait. S’enquérir de son asile, demander qu’on le lui montrât, former le rêve de le décrocher au profit de son couvent de Venise, le P. de Fanna n’y manqua point ; mais on lui répondit qu’il avait été expédié à Clermont-Ferrand. Il courut à Clermont et sa curiosité se tourna en déception ; il eut, sous les yeux, une toile de 3 mètres de hauteur environ sur 2m30 de large, tombant à peu près en lambeaux, avec des déchirures énormes et de nombreuses avaries. Les figures étaient heureusement épargnées, elles conservaient la fraîcheur de leur coloris et la scène de la résurrection d’un enfant par le cardinal Bonaventure n’avait pas trop été détériorée. La signature de l’artiste et la date se lisaient au bas : Franciscus Lombardus faciebat 1639. Le prix, proposé par le marchand, parut au franciscain au-dessus de ses ressources ; il pensa bien faire d’en écrire à M. le Curé de Saint-Bonaventure et le pressa de ne pas dédaigner une si exceptionnelle occasion d’enrichir son église et d’en glorifier le patron. L’abbé Merley, avant d’avoir achevé la lecture de la lettre, qui l’instruisait, était convaincu ; il se rendit chez le brocanteur et lui enleva le précieux cadre pour 4.000 francs ; il confia à un peintre auvergnat, âgé de quatre-vingt-quatre ans, M. Robut, le soin de procéder au rentoilage et aux différentes réparations, et il ne douta pas un instant qu’il ramenait un chef-d’œuvre, sauvé des iconoclastes. Il invita les amateurs à venir l’admirer, le peuple entier à le vénérer ; dans sa bouche et sous sa plume, le tableau devint un tableau miraculeux et son exposition, un événement dans le monde artistique. Deux ou trois fabriciens murmurèrent que la dépense était peut-être exagérée ; ils n’osèrent pas toutefois avoir trop raison contre leur pasteur, qu’ils aimaient beaucoup, et ils payèrent avec bonne grâce ces frais et les autres, considérables, qu’entraînèrent les solennités du centenaire.

Le Triduum annoncé se transforma en onze journées mémorables d’offices ininterrompus, de prédications, de processions et de prières, où l’on accourut en foule, de la Croix-Rousse comme de Perrache, de la banlieue et même des départements limitrophes. L’église, gardienne des reliques du célèbre théologien, avait été richement décorée ; partout écussons, oriflammes, étendards rappelaient une date de l’histoire de Bonaventure, un prodige de son intercession, le titre de ses principaux ouvrages ; à la voûte et entre les colonnes, sont suspendues les bannières de chacune des paroisses de la cité, comme un hommage plus spécial, rendu au patronage traditionnel, que les magistrats et les jeunes gens invoquèrent si longtemps. Derrière le maître-autel, très haut, afin qu’elle n’échappe à aucun regard, on a dressé la statue de l’évêque glorifié, crosse en main, mitre en tête, sous sa chape d’or, abrité dans une niche resplendissante. Le tableau du miracle est suspendu, en face de la chaire, sous une espèce de reposoir, formé de tentures et de guirlandes d’un arrangement délicat. Une illumination, merveilleuse d’éclat, répand partout la vivacité de ses milliers de lampes et de cierges. Pendant la première semaine, du dimanche 5 juillet au dimanche 12, la grand’messe est célébrée, chaque jour, par une des communautés locales, Jésuites, Dominicains, Lazaristes, Carmes, Capucins ; les institutions de saint Thomas d’Aquin, des Minimes, des Chartreux, le pensionnat de la montée Saint-Barthélémy, l’École Fénelon se chargent tour à tour des chants ; le soir, un religieux mineur, le P. Damascène, porte en chaire la vigueur d’un enseignement apostolique, et la pauvreté de la robe et de la corde, rendues si fameuses par celui-là même qu’il a mission de louer. Cette octave préparatoire achevée, il reste quatre journées, qui seront remplies par des cérémonies plus solennelles encore et par de plus officiels panégyriques. L’épiscopat entre en scène, il célèbre le prince de l’église, aussi humble sous la pourpre que sous la bure monastique, le docteur aussi obéissant dans sa foi que sublime dans les recherches qui ont mené son âme à Dieu. Mgr Callot, évêque d’Oran, ancien curé du Bon Pasteur, préside la messe pontificale ; les orateurs, qui prennent successivement la parole, sont Nosseigneurs David, de Saint-Brieuc, Charbonnel, de Sozopolis, Mermillod, de Genève, Ginoulhiac, de Lyon. L’admiration se partagea et la critique aurait eu de la peine à décerner la palme à l’un ou à l’autre de ces éminents prélats. Entendre l’évêque de Saint-Brieuc fut une joie pour ses compatriotes, qui se souvenaient des succès du missionnaire et du talent de cet aimable émule des Cœur, des Dufêtre et des Plantier. Pour Mgr Mermillod, le noble exilé d’un pouvoir, qui n’avait abdiqué aucune des rancunes, ni aucun des procédés du calvinisme le plus despotique, les Lyonnais étaient toujours prêts à se laisser séduire et subjuguer par une grâce et un charme, qui rappelaient François de Sales, tant admiré et tant aimé de leurs ancêtres. Il examina ce que saint Bonaventure avait été pour son siècle et il se demanda ce qu’il est pour le nôtre : maître des intelligences de son temps, dit-il, il fit entrer la science dans la foi, aujourd’hui son action et ses exemples seraient capables de pénétrer la science par la foi et de l’empêcher d’être superficielle et dissolvante. L’archevêque de Lyon s’était réservé le discours des dernières vêpres et la conclusion doctrinale de ce qui avait été dit et résolu, pendant cet anniversaire inoubliable de la tenue d’un concile et de la mort de celui d’entre les Pères, qui en avait été l’oracle. Sans être un orateur de profession et de haute renommée, autant que les deux précédents, Mgr Ginoulhiac tenait, de ses études profondes sur le dogme catholique, la qualité essentielle pour traiter son sujet ; il n’était indifférent à personne d’entendre raisonner sur la théologie universelle, à propos d’un scolastique aussi voisin de Platon que dépendant d’Aristote, un théologien du xixe siècle, venu après Descartes et de Bonald. L’attente de l’élite de l’auditoire ne fut pas déçue ; si nécessairement incomplète que soit l’analyse sténographiée de ce sermon, la seule qui nous soit parvenue, on devine, avec quelle sûreté d’esprit, la matière fut abordée, avec quelle ampleur, elle fut exposée, avec quel ordre logique, elle se déroula. Au jugement de l’ancien professeur du séminaire de Montpellier, devenu le Primat des Gaules, c’est par la méditation des perfections divines que saint Bonaventure, du reste comme Thomas d’Aquin, s’est élevé à la science et à la sainteté, c’est par elle qu’il cherche à y conduire les âmes, capables de monter jusque là. Les meilleures inspirations de l’écrivain sont sorties de cette source ; son gouvernement de maître-général de l’ordre de Saint-François n’a pas eu d’autre règle ; dans le concile même, il n’usa pas d’autre moyen de réfutation, contre les objections des Grecs, pour les ramener à la vérité catholique, à la doctrine du Père, du Fils, du Saint-Esprit, du Saint-Esprit procédant du Père et du Fils. Sur la fin, un passage émut profondément l’assemblée ; Mgr Ginoulhiac, en parlant du concile du xiiie siècle, ne pouvait oublier celui du Vatican, auquel il avait assisté, dont les débats avaient gravement agité son esprit, dont les décisions avaient emporté sa plus filiale adhésion ; ce rapprochement lui suggéra les réflexions suivantes : moins heureuse qu’à Lyon, l’église latine ne vit point, au Vatican, les orientaux se réunir à elle ; mais, en achevant de définir les attributs de la Souveraineté papale, en reconnaissant à Rome le centre de la vérité, comme celui de l’unité, n’a-t-on pas préparé un des moyens les plus sûrs de la réconciliation définitive ? Le moment est-il bien éloigné, où un seul Pasteur ne régnera plus que sur un seul troupeau ? Ainsi le passé prophétise l’avenir, la confiance dans le pape demeure le plus doux des devoirs, et l’universalité de la foi chrétienne, une invincible espérance. Après le rôle qu’il avait joué dans l’assemblée œcuménique, l’archevêque, en s’exprimant de la sorte, témoignait de la droiture de sa conscience et de la sincérité d’une prompte soumission, dont personne n’avait douté. Cette protestation, appuyée par l’allocution entière, eut un retentissement considérable ; elle méritait de franchir l’enceinte, où elle avait retenti, de servir de conclusion à des solennités, qui n’avaient pas mis, en un relief moins brillant que la puissance de nos croyances, le mérite de leurs plus admirables interprètes.

Il serait avantageux d’essayer de calculer les résultats de cette incomparable suite d’apothéoses de la sainteté et de la vérité, d’en préciser les conséquences. Leurs fruits en furent durables ; ils ne s’évaporèrent pas avec la fumée de l’encens et le parfum des fleurs : un grand nombre en fut fortifié, éclairé, encouragé. M. le curé en fut si convaincu, qu’il prit, dans cette pensée, le plus réel dédommagement de ses sollicitudes et de ses fatigues. L’heure était, du reste, remplie des signes les plus consolants d’un réveil de la foi, dans notre pays, si douloureusement éprouvé par les revers de l’année terrible et les convulsions de la commune de Paris. Les aveugles les plus volontaires semblaient ouvrir les yeux à la lumière des principes fondamentaux de l’ordre et de la religion, instruits par l’excès du mal, sorti de la morale sans Dieu et de l’État sans religion. Le centenaire avait coïncidé avec les premiers pèlerinages diocésains à Notre-Dame de Lourdes et au Sacré-Cœur de Paray-le-Monial ; un cercle, fondé par M. de Mun, rue Neyret, donnait les meilleures promesses ; ces jeunes gens avaient souhaité que leur bannière fût unie aux autres, près de la châsse de saint Bonaventure ; l’évêque de Tarentaise, Mgr de Turinaz, venait de prêcher, dans l’église même, en faveur de l’Association de la sanctification du dimanche, propagée par M. de Cissey ; Renan cessait d’être à la mode ; Taine commençait ses recherches d’archives sur l’ancien Régime et la Révolution ; Bossan élevait les assises de la basilique de Fourvière ; il avait donc été opportun de réveiller du passé, de l’histoire d’une des époques les plus chrétiennes, de la vie d’un de ses fils, les plus doctes et les plus miséricordieux, les échos des plus austères vertus et les leçons, les plus nécessaires de civilisation et de progrès par l’Évangile et la Croix.

La paroisse en bénéficia, la première, et le zèle de son pasteur y rencontra désormais un champ plus libre et des coopérateurs de plus en plus sous sa main. Une de ses qualités, des plus favorables à son ministère, était justement cette facilité qu’il avait à conquérir des amitiés fidèles et des dévouements généreux ; il y avait, dans son abord, tant d’affabilité, dans ses entretiens tant d’insinuante bienveillance, dans son étreinte une si prenante et si irrésistible sympathie, qu’on était, pour ainsi dire, conquis avant d’être abordé et qu’on ne songeait plus à se reprendre. Aussi de quels regrets et de quelles larmes, la nouvelle de sa mort ne fut-elle pas suivie, partout où on l’avait aimé, dès qu’on l’avait connu, aux Chartreux, où il avait professé la théologie, à Sainte-Blandine, où il avait succédé au fondateur M. Dartigue, où il avait construit, dans ce quartier déshérité, une de nos plus élégantes églises modernes, à Saint-Étienne, dont il était originaire, où une de ses sœurs priait pour lui, derrière les grilles de la Visitation. Une cruelle maladie, qui dura cinq mois et demi, au cours de laquelle il fut un modèle de résignation et de confiance en Dieu, l’emporta, le 17 mars 1878 ; il avait 59 ans et ne léguait à ses héritiers qu’un mobilier, dont il fallut vendre les principales pièces, pour payer les dettes courantes.

Les temps changèrent vite et les conditions du gouvernement curial se modifièrent sensiblement, peu après que M. Méchin, remplaçant le chanoine Merley, fut entré en fonctions. La gauche républicaine, parvenue au pouvoir, ne songea qu’à traiter l’Église en parti hostile et vaincu ; elle déclara la guerre au cléricalisme, et, sous ce nom de signification vague et d’étendue élastique, elle frappa indistinctement les institutions catholiques, s’arma contre leurs droits les plus incontestables et enveloppa, dans la même proscription, nos libertés, nos traditions et nos dogmes. Le curé de Saint-Bonaventure eut à subir, comme tous ses collègues de France, les tracasseries et les vexations, dont les circulaires ministérielles ressuscitaient l’usage, en l’empruntant aux périodes les plus despotiques du premier empire. Il s’agissait tantôt de la clé du clocher, tantôt de la sonnerie des cloches, tantôt des comptes de fabrique et tantôt de la cire des convois funèbres ; un jour on discutait le tarif du casuel, un autre jour, on contestait la transmission de legs parfaitement légitimes, ou bien l’on prétendait en déterminer l’emploi ; expulsé des bureaux de bienfaisance, le chef du clergé paroissial l’était aussi des écoles et, par ces mesures détournées et odieuses, on frappait de déchéance son ministère à l’égard des enfants et des pauvres. Il est hors de doute que M. Méchin ne se rangea, ni parmi les découragés, ni parmi les silencieux : la lutte ne déplaisait pas à son tempérament et il n’aimait pas plus sacrifier de ses droits que perdre un pouce de sa taille. On raconte qu’il avait l’habitude de se dire à lui-même, comme l’adage de son équilibre moral et de son aplomb physique, ces simples mots : Tiens-toi droit ; et, afin de s’en pénétrer mieux, il les répétait dans le patois de ses montagnes du Forez, dans la langue de ses compatriotes de Saint-Georges-en-Couzan, où les têtes ne fléchissent pas plus que les hauts sapins. Mais ces préoccupations très vives, à certaines heures, d’écoles, de presbytère, de comptabilité, ne l’arrêtèrent pas dans les soins, dont il était redevable à son troupeau, ni dans ses projets d’amélioration et d’embellissement pour son église. Comme le premier de ses prédécesseurs, il exerça, pendant un quart de siècle, la charge pastorale ; installé, le dimanche 15 juillet 1878, par M. Richoud, vicaire général, que rattachaient à Saint-Bonaventure les plus chers souvenirs de son enfance et de son éducation cléricale, il ne cessa d’interrompre un labeur assidu et fructueux, que terrassé par la vieillesse et la maladie, qui l’obligèrent à démissionner, à la fin de l’année 1902. S’il batailla ferme, pour repousser des empiétements qu’il jugeait contraires à l’équité, il employa une activité non moins louable, à imiter les exemples, qui lui avaient été légués, à développer la beauté de l’édifice matériel confié, entre ses mains, à son goût et à son zèle. Examinons ce qu’il entreprit, ce qu’il créa ou bien ce qu’il restaura ; le récit de ses luttes et de ses déboires viendra en second lieu.

Un de ses soucis, qui précéda les autres, fut de se débarrasser de dettes et d’emprunts antérieurs. Depuis longtemps, le conseil de fabrique, dont plusieurs membres étaient cependant gens d’affaires consommés, se débattait contre l’insuffisance de ses recettes, en regard des dépenses indispensables, où l’engageait l’entretien coûteux d’un monument, tel que les Cordeliers. On avait un peu épuisé les divers moyens de se procurer de l’argent, souscriptions, quêtes, émissions de bons remboursables, etc. Les recettes du casuel baissaient notablement, avec la diminution du chiffre de la population, émigrant aux Brotteaux ou à la Guillotière, qui traversait l’eau, comme on disait. Un stock de factures en retard alourdissait le budget courant. M. Méchin paya 6.000 francs pour le calorifère, récemment construit ; 5.000 francs pour les tambours des portes, 2.200 francs pour réparations à la terrasse de l’école. De ses deniers et de ceux de MM. les vicaires, il offrit les candélabres de cuivre des piliers ; il entreprit de renouveler les confessionnaux : il en commanda cinq, le dernier placé en 1888 : le coût de chacun lui revint à 2.000 francs. Il eut aussi à traiter et à trancher une question, pendante depuis quinze ans environ, à propos des vitraux de la chapelle de la Sainte Vierge. À la mort de M. Henri Aynard, dont les services, en qualité de Président du Conseil de Fabrique, avaient été inappréciables et de tous les instants, sa veuve avait annoncé que le défunt avait disposé d’une somme de 4.000 francs, en faveur de l’église, et que chacun de ses enfants, « en souvenir de leur père bien aimé », y ajoutait 1.000 francs ; ce qui portait le don à 9.000 francs. Seulement, Mme Aynard ajoutait, dans sa lettre, que, selon la pensée de son mari, cet argent était réservé aux réparations, et elle prévenait qu’elle avait l’intention de le garder, à part elle, en acquittant les intérêts, jusqu’à ce que l’emploi en fût déterminé et rempli. On agréa ses propositions et on apprit, en janvier 1869, que, d’accord avec elle, M. Merley avait commandé les trois vitraux de la Sainte Vierge. Le choix de l’artiste était excellent ; on s’était adressé à Steinheil, l’auteur des vitraux de Saint-Joseph, et on espérait posséder comme pendant à ceux-ci, une œuvre aussi originale, aussi parfaite de dessin et de coloris. Six mois après, rien n’était encore arrêté ; Steinheil et son associé se séparèrent, pour des causes qui m’échappent : on résilia les engagements, conclus avec le premier entrepreneur principal, et on les reprit avec le second, M. Coffetier, qui fixait le prix à 360 francs le mètre carré. Le siège de Paris ruina le maître-verrier et dévasta son atelier ; sous ce prétexte, il tâcha d’expliquer son manque de parole et promit enfin, pour juin 1875, d’exécuter au moins une partie de la commande. La Saint-Jean et Noël se passèrent, sans un signe de sa part, ni un morceau de verre : on lui enjoignit, sous peine de résiliation des conventions, d’être prêt au 30 mai prochain. Lorsque M. Méchin arriva, les fenêtres étaient au même point qu’au début ; il déclara le contrat caduc et traita avec un facteur estimé, M. Lorin, de Chartres.

Vitrail Sainte-Élisabeth, à Saint-Bonaventure.

Les maquettes envoyées satisfirent, et les vitraux, après quelques retouches demandées, furent posés au cours de l’année 1881. Le sujet du premier est la promesse du Rédempteur, après la chute originelle ; le second rappelle la proclamation de l’immaculée-Conception par le pape Pie IX, le troisième, la royauté de la Mère de Dieu. Comme valeur artistique, comme tonalité, comme charme, le mérite de Lorin est inférieur à celui de Steinheil ; l’ensemble ne se fond pas aussi harmonieusement ; l’unité de style, entre les divers panneaux, n’a pas été assez scrupuleusement ménagée. Telle quelle cependant, cette décoration achève la beauté de l’antique sanctuaire de Notre-Dame de la Délivrance agrandi ; des amateurs distingués en font grand cas et les esprits simples en saisissent facilement le symbolisme historique. Un anachronisme volontaire, qu’on observe au centre de la composition, mérite d’être expliqué. Le cardinal Caverot, en magnifique cappa rouge, avec des traits très ressemblants, est à genoux aux pieds du Souverain Pontife, qui lui tend la bulle dogmatique de l’Immaculée-Conception ; cette présence de l’Éminence, dans la basilique de Saint-Pierre, en 1854, est une pieuse flatterie à son endroit, car l’archevêque de Lyon ne fut élevé à la pourpre qu’en 1878 ; dans le dessin primitif, cette place était réservée à la ville de Lyon et, sans offenser la mémoire vénérée du prince de l’Église, qui lui a été substitué, celle figure féminine eût jeté plus de variété dans le concile d’évêques, un peu trop uniformes d’attitude hiératique. Après avoir contribué à l’enchantement des yeux, le curé songea à satisfaire les oreilles, car tous les sens mènent à Dieu, et tous les arts contribuent à servir la religion. Dès avril 1882, il proposa un projet de réparation des orgues, dont la dépense n’atteignait pas moins de 25.000 francs. À la vérité, le conseil regimba et ajourna indéfiniment le vœu qui lui était soumis ; trois ans après, M. Méchin revient à la charge ; cette fois, il s’est muni d’un argument, auquel on ne résiste que rarement ; il prend à son compte les trois quarts des frais : encore ne sollicite-t-il une subvention qu’afin de ne pas écarter les fabriciens d’une œuvre, qui a toutes les sympathies des paroissiens. L’instrument, si l’on s’en souvient, datait de 1845 et du curé Pater ; il est vrai qu’en 1861, sous la direction d’un des plus habiles maîtres de chapelle, M. Neyrat, aujourd’hui doyen du chapitre primatial, il avait reçu des accroissements et des remaniements, qui avaient doublé sa puissance et sa sonorité ; mais un usage de quarante ans est capable de détendre les meilleures cordes et de nuire aux ressorts les plus résistants ; on s’adressa à M. Merklin, un facteur réputé, installé depuis peu à Lyon et dont la mode, d’accord avec le vrai mérite, s’était emparé ; l’expertise approuva le renouvellement qu’il avait opéré, et le public, invité le 23 janvier 1887, à l’inauguration solennelle, la troisième du siècle, accourut en foule et goûta un concert spirituel d’une impeccable exécution.

D’autres travaux plus importants succédèrent à ceux que nous avons énumérés jusqu’ici : loin de s’éteindre ou de se calmer, le zèle du vénérable M. Méchin paraissait s’enflammer davantage, à mesure que ses tentatives arrivaient à bon terme ; il était moins déliant de ses forces et plus sûr des appuis qu’il se créait. L’inspiration lui vint de restaurer les chapelles, qui ne l’avaient été que d’une façon provisoire ou sommaire, dont l’état d’humilité contrastait avec les richesses du Sacré-Cœur et de la Sainte Vierge. Il jeta son dévolu sur les trois, dédiées à saint Luc, saint Joseph, et saint Antoine de Padoue.

La première occupe le second rang, en entrant dans la petite nef gauche ; bâtie par Simon de Pavie, dont elle garde le tombeau et l’épitaphe, elle avait eu d’abord pour vocable l’Annonciade ; en 1619, concédée aux peintres et aux vitriers, après d’assez vifs débats, en remplacement d’une autre qu’ils prétendaient leur appartenir et qu’on avait réservée à la confrérie du Cordon de saint François, le patronage de saint Luc et de saint Clair fut substitué à celui de Marie, enfantant le Verbe divin ; M. Méchin souhaita la consacrer à saint François d’Assise, le fondateur des frères Mineurs, le véritable titulaire, pendant plus de deux cents ans, de l’église, où il n’avait plus un autel, sous son nom. La corporation des peintres s’était retirée depuis longtemps ; une lettre, envoyée par leur secrétaire Mathieu Ninaul, le 10 janvier 1820, nous apprend qu’ils étaient dans l’incapacité de tenir leurs engagements, de veiller à l’entretien de la chapelle et de faire chanter la messe de leur fête. Depuis, le lieu avait servi d’entrepôt et de débarras. Le changement s’opéra aussi rapidement qu’avec opportunité. La fenêtre fut ornée d’un vitrail, commandé à Champigneul, de Paris, et payé à moitié par le Dr Desgranges : il représente quatre sujets tirés de la vie du Poverello d’Assise : 1° l’impression des stigmates ; 2° la guérison de l’enfant de Jeanne de Fidenza ; 3° l’invention du cantique au soleil, accompagné sur sa viole par un ange ; 4° la prédication aux oiseaux.

Le vitrail de sainte Élisabeth à Saint-Bonaventure, d’après les cartons du peintre P. Borel. 1er fragment.

La clôture de pierre, en style gothique flamboyant, sort du ciseau de Vaganay ; l’autel et le retable sont les parties principales ; ouvrage de M. Lagneau, menuisier à Messimy, près Montmerle, sur les dessins de M. Louis Benoît ; le groupe de saint François, que le Christ baise, en se détachant de sa croix, les statues des deux niches latérales, saint Bon aventure et saint Bernardin de Sienne, ont été sculptées par M. Fontan, lauréat de la grande médaille du Salon de Lyon de 1889. Le bas-relief, au-devant du tombeau, don de M. Wolf, figure sainte Claire, agenouillée auprès de la dépouille du Patriarche, et approchant une main timide d’une des blessures des sacrés stigmates. C’est la reproduction par M. Chenevay de la même scène, qu’on voyait, dans la chapelle des Pères Franciscains, rue des Fourneaux, à Paris, de la composition de Mme Tercuire, statuaire qui revendiqua ses droits d’auteur par papier timbré.

Libéré de la dette, que sa piété lui avait imposée à l’égard de saint François, M. Méchin ne tarda pas à se décider à honorer d’un pareil hommage l’époux de la Mère de Dieu, le chef de la Sainte Famille. À la chapelle de la Vierge, qui possédait un retable, il avait placé les vitraux qui manquaient ; celle de saint Joseph, éclairée par de magnifiques verrières, recevra le retable, dont elle est dépourvue, mais le donateur le désire aussi riche, aussi somptueux que possible ; il rêve d’un chef-d’œuvre d’art chrétien. Son attente n’a pas été déçue, ni ses libéralités gaspillées. M. Louis Benoît, héritier du talent de son père et de son grand-père, aussi bien que de leur titre d’architecte de l’église, prêta son imagination et ses crayons ; ses collaborateurs, Delorme, Fontanet Visconti, leur expérience et leur ciseau. L’œuvre est dessinée dans le plus pur style du xve siècle ; autel et retable sont sculptés dans un marbre blanc, où la flamme des cierges attache des reflets d’or. L’autel, très riche d’ornementation, est décoré d’arcatures à volutes et de contreforts à clochetons ; le devant du tombeau est rempli par la scène de la mort de saint Joseph, entre la Vierge qui prie à genoux et le Christ, qui soulève la tête de son père adoptif. Deux étages, divisés par une frise de feuilles de chardon, contiennent, chacun, deux niches, couronnées par une ogive aux délicats menaux, où figurent des scènes évangéliques de l’Enfance : à gauche, le mariage et la fuite en Égypte, à droite le songe et l’atelier du charpentier. Au centre, en retrait du tabernacle, séparée des autres par des montants, relevés de pinacles, et des panneaux où courent des entrelacs de cordelette, la niche principale abrite la statue du charpentier nazaréen, tenant l’Enfant Jésus, endormi dans ses bras, le front appuyé sur son épaule. Cette œuvre, dont l’auteur est M. Delorme, un Forézien de Sainle-Agathe-en-Donzy, élève de Bonnassieux, témoigne d’une conception délicate et d’une savante exécution. Le motif, qui la surmonte, est l’apothéose de l’humble et sublime ouvrier, au sein de l’Auguste Trinité : entouré d’anges, dont les uns soutiennent son trône, dont les autres jouent du luth et de la cithare, le Père Éternel bénit ; au-dessous, Jésus-Christ et sa Mère élèvent la couronne, destinée au plus vigilant des pères, au plus aimé des époux, et l’Esprit-Saint, sous la forme de la colombe allégorique, plane dans ce rayonnement d’immortelle gloire. M. Fontan a su trouver, pour tous les personnages, des altitudes vraies, des physionomies justes ; il a cherché le fini jusque dans les moindres détails de la pose et du costume, partout il s’est inspiré d’un sincère sentiment religieux. À côté de lui, M. Visconti a prouvé une habileté de praticien, poussée aux dernières limites ; cet immense bloc de marbre, il l’a, pour ainsi dire, métamorphosé en une merveilleuse et légère dentelle, tant il l’a creusé avec souplesse, tant il a ajouré ses multiples clochetons, ses gables, ses flèches et ses dais. D’aucuns prétendent qu’il n’y a rien de plus achevé dans l’église.

Mgr Coullié, intronisé, depuis trois mois à peine, dans la chaire archiépiscopale, vint bénir ce monumental ex voto. C’était sa première visite à Saint-Bonaveniure. Le mardi, 19 décembre 1893, il fut reçu, par M. le Curé, entouré des fabriciens et d’un nombreux clergé, il fut complimenté avec un tact et un à-propos charmants. « Il nous plaît, lui dit M. Méchin, de reconnaître en votre personne, sinon le successeur de notre cardinal, saint Bonaventure, au moins son héritier. Les tendresses de son âme, les lumières de son intelligence, l’onction de sa piété, son amour pour les pauvres et les petits, ne vous les a-t-il pas légués ? Et la légende de vos armes n’est-elle pas le résumé complet de sa vie ? Obéir et aimer : Obedientia et dilectio, a-t-il fait autre chose ? et si notre auguste patron n’a point encore laissé tomber sur vos épaules son manteau, certes nous n’aurons pas longtemps à le demander à saint Antoine de Padoue. » En jetant ces fleurs, l’orateur n’écarta pas une allusion sur les épines, dont il était blessé. « L’autel que vous avez consacré, ajouta-t-il, demeure comme le témoignage de votre bonté, mais aussi le gage de votre protection et de nos espérances. Ah ! Monseigneur, s’il vous plaisait un jour de réaliser ces espérances, de donner enfin à notre pauvre et chère paroisse, qui se meurt dans ses trop étroites limites, la bénédiction que les Patriarches donnaient à leur postérité : « Crescas in millibus, » ce jour-là, pour peu que vous ayez écarté les limites, sans limites, sans borne, sera notre reconnaissance. »

Parmi les dons, qui permirent de conduire à sa perfection une entreprise aussi coûteuse, outre l’apport de l’Archiconfrérie, de beaucoup le principal, nous devons rappeler celui de M. l’abbé Vignon, vicaire de la paroisse, aujourd’hui curé du Saint-Sacrement, qui fut de 10.000 francs ; M. et Mme Gustave Merle, M. Louis Grandjanny, d’autres anonymes unirent leur générosité aux précédentes.

Une plaque de marbre, placée sur le mur de droite de l’autel, porte une inscription commémorative de cette solennité, des bienfaits qui la préparèrent, du prélat qui la présida, du prêtre, aussi humble que méritant, qui fut l’âme de son organisation et l’ouvrier de son succès.

altare hoc
sancto josepho
confraternitatis patrono
fratre sororesque S. S. P.
R. R. P. H. Coullié arch. lug.
dicvit et sacravit
curam dedit J. B. Méchin canon. et parochus
leone xiii, deo Providente,
regnante

XIXbis anno Domini MDCCCXCIII

Cependant, quels que soient les rangs dans la hiérarchie céleste, quelles que soient les sérieuses exigences des dévotions bien réglées, aux Cordeliers, dans l’église conventuelle ou paroissiale, toute renommée pâlit devant le crédit de saint Antoine ; son intercession éclipse toutes les autres ; n’est-il pas le plus puissant et le plus accessible des faiseurs de miracles ? On l’implore pour toute espèce de besoins ; on lui confie des désirs ou des chagrins qu’on n’oserait pas murmurer au plus familier de ses amis. Sa chapelle est un pèlerinage perpétuel, des milliers de cierges y brûlent, en son honneur, et au moins autant de recommandations sont adressées à sa compatissante bonté. Cela dure probablement, depuis que la chapelle existe, c’est-à-dire depuis l’année 1388, qu’elle fut bâtie, à la place même que nous la voyons aujourd’hui. Rien des signes attestent ce concours dans les âges passés ; nous n’en mentionnerons qu’un seul, l’établissement d’une confrérie, par un bref d’Alexandre VI et par une ordonnance de Mgr Camille de Neuville, en 1663. Le clergé séculier continua la tradition des religieux et le premier des vicaires de M. Pascal, M. de Buffevent, s’empressa de rendre au sanctuaire antonin sa décence, sa clientèle et sa popularité. M. Merley établit, en 1870, l’exercice des treize mardis. On est redevable à M. Méchin de la reconstitution de l’Archiconfrérie et de son approbation par Mgr l’archevêque, le 23 mars 1894. Son attention ne négligea pas davantage les améliorations matérielles ; sur son initiative, que plusieurs estimeront courageuse, les ex-voto, peu décents, ridicules et encombrants, furent élagués ; il enrichit l’autel, dès 1879, d’une garniture de chandeliers, de lampes et de lustres ; en 1895, d’une bannière et d’une statue en bronze, qui lui coûta 2.000 francs. Il installa, dans le fond, ce qu’il appela lui-même un meuble-ostensoir, vaste placard, avec de larges baies vitrées, où il déposa les châsses et les reliquaires et les offrit ainsi perpétuellement aux regards et à la vénération des fidèles ; deux statuettes d’anges, l’un sonnant de la trompette, l’autre armé d’une épée, se dressent, de chaque côté de la corniche, ils annoncent, celui-là, le réveil futur : exultabunt, celui-ci, le dépôt sacré dont il a la garde : custodit Dominus ossa corum. La fresque et les peintures décoratives sont du pinceau de Balouzet. À cette époque, dans l’année quii précédait le septième centenaire de la naissance du saint à Lisbonne, il se produisit, tout à coup et d’une façon assez inexplicable, un renouveau populaire de son culte et de confiance en sa miraculeuse intercession. Il devint l’avocat de toutes les victimes des coups de la fortune, grands ou petits, et, en même temps, cette innombrable clientèle l’établit le père nourricier des pauvres, en payant d’avance, par une aumône charitable, la grâce qu’elle sollicitait. Le mouvement partit de Toulon, de l’arrière-boutique d’une mercière modeste, dont la foi se montra capable de transporter des montagnes. Bientôt la France entière fut aux genoux du thaumaturge ; on lut érigea des milliers de statues et les quantités immenses de pain blanc, distribuées partout, en son nom, ne furent pas le prodige le moins étonnant de son influence ressuscitée. Il n’y eut, à Saint-Bonaventure, qu’à persévérer dans la tradition, en l’amplifiant au gré des convenances et des besoins. M. le Curé institua la messe des pauvres, chaque lundi ; comme dans la parabole de l’Évangile, il donnait rendez-vous à tout venant, pourvu qu’il soit indigent, quelle que soit du reste sa provenance, son état-civil, son âge ou son sexe. Chacun recevait une piécette de 0.50 centimes et deux kilogs de pain, avec quelle joie et quelle avidité, on le devine, mais il emportait aussi le souvenir de quelques bonnes paroles, réconfortantes et paternelles. Cela dura quatre ou cinq ans et on n’y a pas renoncé, sans tristesse, devant l’impossibilité matérielle de continuer. On compta, dans ces assemblées hebdomadaires, jusqu’à 800 pauvres et, d’après une comptabilité rigoureusement tenue, on dépensa 123.147 francs (cent vingt-trois mille cent quarante-sept francs). C’était dans le lieu même, où l’Aumône Générale avait pris naissance, et où elle avait nourri la foule des gueux de 1331 à 1790, la reproduction de ses largesses et de son universelle pitié.

Le Triduum du centenaire, célébré au milieu de conditions aussi favorables, souleva un enthousiasme exceptionnel ; les trois journées des 16, 17 et 18 juin 1895 renouvelèrent ce qu’on avait admiré, vingt ans auparavant, pour la solennité séculaire de Saint-Bonaventure. Le cardinal Coullié présida un des saluts ; les dignitaires du chapitre et les vicaires généraux se partagèrent les autres offices ; Mgr Rozier prêcha sur les grandeurs de la vocation sacerdotale et sur l’honneur, qui revient à une famille, ouvrière ou bourgeoise, de consacrer un des siens au service de Jésus-Christ. Le dernier soir, l’assistance était si compacte, qu’on fut forcé de renoncer à la procession des reliques, devant l’impossibilité de s’ouvrir un passage. Le spectacle ne fut pas plus impressionnant à Lisbonne ou à Padoue.

Le vitrail de sainte Élisabeth à Saint-Bonaventure, d’après les cartons du peintre P. Borel. 2e fragment.

De telles joies servaient de trêve, trop courte et trop rare, aux inquiétudes et aux soucis, soulevés par le conflit indéfini entre la Mairie et la Fabrique, à propos du presbytère, des échoppes, de la dégradation extérieure de l’église. La série des difficultés, qui devaient aller en s’aggravant, pendant quinze ans, eut son origine dans la prétention, exprimée par la ville, de bénéficier d’une clause, insérée dans le contrat d’acquisition de la maison curiale, qui lui réservait « la moitié de la surface du rez-de-chaussée, à l’effet d’y placer un corps de garde ou tout autre établissement d’intérêt public ». Depuis le jour de l’échange des signatures, c’est-à-dire depuis le 11 décembre 1826, il n’avait jamais été soufflé mot d’une revendication quelconque : l’idée du corps de garde avait été abandonnée ; on avait probablement reculé devant l’inconvenance de loger, sous le même toit que des prêtres et à la porte d’une église, des plantons de police, si utile que puisse être parfois leur intervention. La fabrique avait joui de son usufruit entier et traité, pour ses baux avec les locataires, sans intervention de personne. Elle y avait quelque droit ; car la municipalité avait sans doute payé l’immeuble Rhenter 40.000 francs et de plus avancé 5.000 autres francs, pour les réparations, mais les agrandissements, les constructions nouvelles, l’aménagement général, une échoppe achetée de Mme Desgranges, sur laquelle on avait prolongé le bâtiment, n’avaient pas exigé moins de 60.000 francs, tirés exclusivement de la caisse paroissiale. Son bénéfice de jouissance n’était donc pas absolument gratuit et une prescription, au moins morale, favorisait sa sécurité. L’adjoint, chargé de l’affaire, ne réclamait pas moins que l’arriéré des loyers, échus depuis soixante ans ; il soutenait n’avoir pas à se préoccuper d’un bail, qui n’était pas revêtu du consentement indispensable d’un des propriétaires, et il menaçait de s’emparer, de force, de la partie de l’immeuble, stipulée au contrat primitif. Je me demande comment le tribunal aurait jugé des conclusions aussi énormes, découlant d’un privilège, sinon discutable en fait, du moins périmé, en apparence, par un non-usage perpétuel. On préféra transiger et, après entente avec l’avoué de la ville, M. Pondevaux, et l’avocat de la fabrique, M. Pézerat, on convint d’une indemnité de 5.000 francs et que la moitié du prix du loyer du magasin Poggi, en attendant la fin de la location, serait versé au receveur municipal.

Telle fut l’escarmouche de début : les suivantes auront une importance et un retentissement beaucoup plus significatifs. Il s’agira, non plus de quelques mètres carrés du rez-de-chaussée à détacher, mais du presbytère tout entier. Ce presbytère, on s’en souvient, formant corps avec l’église, servant de prolongement au côté nord-ouest de la façade, devenait sujet à démolition, par la transformation du quartier Grôlée ; il tombait sous le coup de l’expropriation pour utilité publique. Dans quelles conditions se traiterait cette opération ? On soupçonne les anxiétés, les transes, dirai-je, du curé Méchin et de son entourage. Dans la séance municipale du 27 mars 1888, M. Gailleton, maire de Lyon, avait lu son rapport sur la nécessité d’assainir « ces ruelles malsaines, noires et privées d’air, d’un contraste si frappant avec la rue de la République et le quai du Rhône ». Il avait entraîné ses collègues à une œuvre qu’il proclamait « digne d’une municipalité éclairée ». Nous n’avons pas à raconter ici, à la suite de quelles combinaisons et de quels traités, une société financière parisienne, dont M. Stanislas Ferrand, architecte-expert, était le principal régent, parvint à être chargée de l’entreprise et de la réalisation du plan Clair, Bernoud et Duret, qui avait eu la préférence sur celui de MM. Bissuel et André. On voudra seulement ne pas oublier que M. Méchin, dans le cours des discussions, aura devant lui deux interlocuteurs, au lieu d’un, M. Gailleton et M. Ferrand, et qu’après avoir convaincu le premier, il lui arrivera à peu près toujours de ne pas gagner le second, ou réciproquement. Les documents, assemblés sur ces épineux incidents par M. Méchin, nous apprennent qu’il fut touché, dès le 13 avril 1890, par une lettre de l’administrateur de la Société du quartier Grôlée, l’invitant à traiter à l’amiable de l’expropriation du presbytère. Il eût été au moins aussi imprudent qu’irrégulier d’accepter cette façon de procéder : ni le curé, ni les fabriciens n’avaient mandat de traiter pour un immeuble, dont la nue propriété appartenait à un tiers. C’est à l’Hôtel de Ville et à la Préfecture du Rhône que M. Méchin porta ses doléances et qu’il réclama des éclaircissements sur la situation qui lui serait faite. D’un côté, comme de l’autre, on ne se pressa pas de répondre ; un peu piqué par ce silence, M. Méchin pense que des pourparlers directs aboutiront plus vile, mais, nulle part, il ne rencontre ce qu’il cherchait, une décision précise ; on lui prêche, dans les termes les plus conciliants, un renoncement, auquel il n’est pas du tout préparé. Il convoque le Conseil de Fabrique, le 9 décembre, il lui donne lecture d’un mémoire fort serré, où il démontre qu’il est impossible, sous peine de violer le contrat de 1826, de chasser le clergé concordataire de sa demeure, sans lui en fournir une autre ; il demande à ses auditeurs d’en approuver la conclusion et de déclarer qu’ils s’opposeront par tous les moyens amiables, administratifs et judiciaires, à la prise de possession du presbytère. La pièce, avec ses considérants, est signée à l’unanimité, et, sur-le-champ, envoyée par le secrétaire à M. Gailleton. Comme pour les précédentes, il n’y eut pas même un accusé de réception. Le statu quo se prolongeait et les parieurs, dans la galerie, s’engageaient sur son issue. Vainement, dans les commencements, on avait usé de discrétion ; l’affaire s’était ébruitée, la chronique mondaine en bavardait ; les journaux en traitaient ; personne, dans aucun camp, de gauche ou de droite, catholique ou franc-maçon, n’était indifférent à ce duel, très conforme aux lois ecclésiastiques, nullement en marge de celles de l’honneur, entre M. Gailleton et M. Méchin, deux hommes qui s’estimaient au fond, qui finirent par s’arranger, à leur satisfaction réciproque, et se pardonnèrent mutuellement de n’avoir pas abaissé leur lame, dès la première passe.

Un appui sérieux survint à M. Méchin d’un côté, où peut-être, il l’espérait médiocrement. Prévenu par le maire que l’on irait simplement au jury d’expropriation, pour le règlement de l’indemnité, M. le Préfet en référa au ministre de l’Intérieur, lui proposant son opinion qu’un décret de désaffectation était nécessaire, avant de poursuivre l’abandon définitif de la cure. Le ministre partagea cet avis, conformément à l’ordonnance de 1825, et les fabriciens, officiellement informés de la décision, déclarèrent, dans leur séance du 25 juillet 1891, qu’ils obligeront la ville à fournir un nouveau presbytère et qu’ils ne se présenteront, sous aucun prétexte, devant les jurés, chargés de régler les indemnités.

C’est alors que M. le curé intervient plus directement et qu’il sort de son portefeuille un traité, qui lui a coûté, je suppose, plus d’une nuit sans sommeil, où il a mis, avec toute l’ardeur de son désir du bien et de la conciliation, la fougue d’une imagination qu’on ne lui connaissait pas et l’emballement d’un rêve, d’autant plus cher, qu’il a été plus longtemps caressé. Pendant quatre années entières, il n’est pas de démarches, pas d’efforts qui le lassent pour réussir ; il lutte partout, au sein du Conseil de Fabrique, devant la commission du contentieux des jurisconsultes catholiques, devant la municipalité, auprès de l’opinion ; il se montre sensible aux approbations qu’il reçoit ; il n’est jamais embarrassé, pour réfuter les objections qu’on lui oppose.

Il ne s’agit plus du simple échange d’un immeuble avec un autre immeuble, de superficie et de valeur équivalentes ; M. Méchin engage toute la plus grande partie du patrimoine de la fabrique, celui des œuvres paroissiales, le sien propre, sur la concession de l’usufruit perpétuel d’une maison, qu’il s’engage à bâtir, et dont les frais doivent dépasser un demi-million. Son plan et ses propositions comprenaient les dispositions suivantes : il cédait, d’un côté, avec le presbytère, deux maisons de la rue Champier et de la rue Saint-Bonaventure, dont la valeur d’achat représentait 180.000 francs, contre l’autorisation d’occuper tout l’îlot L, c’est-à-dire une superficie de 420 mètres carrés, par un édifice dont il aurait l’usufruit à perpétuité ; d’un autre côté, et ici la combinaison lui était, me semble-t-il, très favorable, il vendait une troisième maison, sa propriété, située angle de la rue Thomassin et du quai de l’Hôpital, 300.000 francs, à la ville, qui l’offrait à la Société de la rue Grôlée, comme compensation à l’abandon de l’îlot convoité. Le conseil municipal vota ce projet, le 26 avril 1892, sur un rapport de l’administration. M. Ferrand fui, un an, à envoyer sa réponse ; le 20 mars 1893, on apprit qu’il refusait absolument d’acquiescer à la combinaison. L’ingénieur de la voirie, M. Clavenod, en avertit M. Méchin et l’invite à une entrevue, pour débattre les bases d’un traité à recommencer. Voilà de nouveau l’excellent prêtre en campagne : il interroge les financiers, il consulte les entrepreneurs, il visite les avocats, il interpelle les journalistes ; rien ne le fatigue, rien ne le désarçonne ; il aborde M. Ferrand ; il emploie auprès de lui toutes les influences dont il dispose. On sent que ce vieillard a jeté toute son âme dans cette conception qu’il revendique tout entière. Elle est un peu, dans son cerveau, le songe de Perrette ; il entrevoit, sous son toit, ses vicaires, sa maîtrise, ses écoles, l’orphelinat, les religieuses ; il escompte le rendement des loyers, dont un seul, celui du rez-de-chaussée, lui est retenu d’avance, au prix de 25.000 francs ; il prévoit un téléphone souterrain entre les sacristies et ses appartements. Ilrefuse de comprendre qu’il n’est pas, sans quelque danger, de bâtir pour autrui, et on aurait perdu son temps, en cherchant à le persuader qu’à l’heure actuelle, en face des signes avant-coureurs de la séparation qui menaçait, la sagesse ne conseillait guère de sortir aussi publiquement du rôle des attributions de l’institution fabricienne. Le 8 octobre 1895, les conseillers municipaux repoussaient le projet de traité, qui leur était présenté en son nom : deux modifications cependant le différenciaient du précédent. La fabrique offrait 100.000 francs à l’administrateur délégué, M. Ferrand, en compensation de l’abandon de ses droits ; toutefois elle recevrait, de la ville, par mètre carré de construction, la même somme de 730 fr. qui était consentie à la compagnie par ses engagements particuliers.

Tout paraissait brisé sans espoir de raccommodements. Cependant, à moins de se résoudre à employer la violence et à expulser, par la gendarmerie, comme des malfaiteurs, les habitants du presbytère, il fallut bien consentir à les loger. On tomba d’accord par nécessité et l’entente se produisit, enfin, sur la concession par la municipalité, qui les prenait à bail de la société, dont elle était un peu la prisonnière, de trois étages du n° 4 de la rue Grôlée. L’opposition levée, le décret de désaffectation fut rendu par le Président de la République, le 4 mars 1898. Le déménagement s’opéra, et, le 14 février 1899, on pendit la crémaillère ; je n’ose pas approfondir, si, dans les toasts échangés, on porta la santé de M. Gailleton, ou s’il fut oublié ; ce qui est plus sûr, c’est que M. Méchin le maria, peu de temps après, dans la chapelle Saint-Antoine de Padoue, et que son successeur l’enterra, au milieu du déploiement des pompes civiles et militaires, que réclamait le protocole, en faveur de l’ancien premier magistrat de la cité et du grand officier de la Légion d’honneur.

Après avoir tant combattu, même dans un triomphe un peu différent de celui qu’il avait rêvé et poursuivi, dont il se déclarait, néanmoins, par une modestie excessive, « très satisfait », M. le curé sentit le besoin de se reposer et le goût, de mettre un intervalle de réflexion, entre ses labeurs, leur jugement et leur récompense.

Il s’était aimablement engagé, au banquet de ses noces d’or sacerdotales, le 29 novembre 1897, devant S. E. le cardinal Coullié et les nombreux amis, accourus pour le féliciter, d’appliquer toute sa bonne volonté à remplir le programme, que lui traçaient leurs vœux et leurs louanges : mais l’exécution de la promesse ne dépendait pas entièrement de lui ; il comptait soixante-dix huit ans passés ; la vieillesse approchait, et, sans les courber trop, elle avait chargé ses épaules du poids pesant d’infirmités à ménager. Il exprima, au cours de l’été 1902, l’intention de céder la place et il passa la main à un des prêtres qu’il estimait le plus, des plus capables de remplir ses intentions et de continuer ses œuvres. Il demeura, deux ans encore, sous son toit fraternel, son commensal et son conseiller, et, le 17 octobre 1904, ce bon serviteur de Jésus-Christ et de l’Église s’éteignit, comme il le souhaitait, sans bruit et sans peur, à l’hôpital Saint-Joseph, implorant du Souverain arbitre de notre destinée, un peu de miséricorde, et de ses paroissiens, des prières qui ne lui manquèrent pas.

M. l’abbé P. Protière, dont l’arrivée fut saluée, dans les rangs du clergé et du monde laïc, par les plus chaleureuses espérances, se trouvait dans le plus vigoureux épanouissement de sa maturité, de son intelligence et de son zèle. Peu de témoignages pourraient être, à son endroit, plus complets et plus impartiaux que celui de l’ami de quarante ans, qui le loue, dans ces lignes, et qui constate, chaque jour, mieux que personne, quels souvenirs et quels regrets ineffaçables l’accompagnent dans la retraite et l’éloignement, où la maladie l’a confiné. Son passé, pourquoi reculer devant le mot ? son apprentissage du gouvernement paroissial l’avait admirablement préparé à la mission, que les circonstances publiques, les hommes, les lieux eux-mêmes, les traditions, lui traçaient, dès sa venue à Saint-Bonaventure. Pendant dix ans, sur le plateau de la Croix-Rousse, au Bon-Pasteur, il s’était dépensé, sans compter, auprès d’une population ouvrière, qui l’avait adopté comme son ambassadeur, auprès des fabricants et des employeurs ; son crédit était considérable : son obligeance le dépassait encore. Du reste, à Jarnioux, où il avait eu à bâtir une nouvelle église, à Notre-Dame-des-Marais de Villefranche, son unique vicariat, pendant huit ans, on n’avait eu qu’à se louer de son empressement à rendre service, de la bonne grâce dont il l’assaisonnait, et des succès dont ses efforts et ses démarches étaient couronnés. Son cœur pénétrant et sensible possédait la clé pour ouvrir tous les autres. Trop court, beaucoup trop court, a été son passage parmi nous ; cependant, parce qu’il s’y est pria tôt et qu’il a marché vite, son nom demeure attaché à une œuvre de première et d’absolue importance : la restauration extérieure de l’édifice et le prolongement de sa façade. Il a eu la bonne fortune de mettre en valeur les longs labeurs de ses prédécesseurs et de forcer de rendre aux vieux Cordeliers une réputation, que la presse et l’opinion leur refusaient de parti pris, parce que, les apercevant si laids en dehors, on n’entrait pas, pour les admirer au dedans. Il est singulier, en effet, de lire les jugements sévères, ! sinon exagérés, portés sur notre église par les archéologues et les journalistes modernes : Kauffmann, dans Lyon ancien et moderne, acrimonieux contre les moines jusqu’au dénigrement, trouve à leur temple, en 1838, « un aspect de misère et de dégradation » « Une teinte jaunâtre, du plus triste effet, revêt ses murailles, où la poussière est largement sillonnée par la pluie ; le sol est affaissé et pauvrement recouvert de petits carreaux ; le chœur, fermé avec des dalles debout, liées ensemble par des tenons de fer ; c’est triste et froid. » Le Salut Public, vingt ans après, le 25 août 1857, ne tenait pas un langage moins désespérant. « L’aspect extérieur, écrivait son chroniqueur, est celui d’un vaste hangar, surmonté d’un pigeonnier. À l’exception de la rosace, qui est au-dessus du portail et du petit porche, situé à l’ouest, tout est vulgaire, dégradé. Les flancs et les chevets de cette vaste maçonnerie sont cerclés de maisons élevées et de boutiques basses, où s’exercent des industries puantes : on dirait un vieux ponton, amarré entre des estacades vermoulues. » Quelles plaintes auraient exhalées ces délicats critiques, si Saint-Bonaventure, débarrassé de ses échoppes, des maisons qui l’enserraient, en le, protégeant, leur fut apparu, dans la nudité de ses murs dégradés, tristes, béants et lézardés, ici, plaqués de plâtras s’effondrant par vastes morceaux, là, piqués de trous, ouverts par les solives arrachées. La solidité du monument en souffrait, au moins autant que sa beauté ; à certains endroits, l’humidité avait rongé la pierre, au point de n’être plus qu’un agglomérat de poussière, et sa lèpre, qu’elle avait étendue de la toiture au sol, était une évidente menace de prochain écroulement. Les travaux, si je ne me trompe, commencèrent au printemps de l’année 1904. M. le curé en assuma l’entière responsabilité morale : il choisit son entrepreneur, M. Durel ; il indiqua ses vues à l’architecte, M. Benoît, le troisième d’une dynastie, où le compas et le crayon ne tombent de la main du père que pour être recueillis par le fils ; il discuta et approuva ses plans : le Conseil de fabrique se tint, officiellement, en dehors du projet et de son exécution : il n’intervint qu’afin d’obtenir l’alignement, pour l’angle nord-ouest, où il s’agissait de restituer à l’église l’ancienne chapelle dont le presbytère l’avait privée. Hélait entendu qu’il ne sortirait pas de sa caisse un centime dans ces colossales dépenses. Tous les mémoires furent acquittés par M. Protière ; il n’est que juste, comme il se plaisait lui-même à le répéter, de dire que, dans ces circonstances, Salomon improvisé, il avait rencontré son David, libéral autant que prévoyant. Depuis longtemps, M. Méchin économisait et se préparait à l’échéance formidable, qu’il rendit aisée à son successeur : celui-ci fut le bras de l’entreprise, celui-là s’en était constitué le banquier. Il n’y a aucun motif de taire que les quittances montèrent au total de 131.000 francs. On choisit le 29 juin 1905, pour inviter les paroissiens à remercier Dieu de ce qu’il avait permis d’accomplir ; M. le chanoine Condamin se chargea, dans un éloquent discours, de raconter l’histoire du présent, en l’unissant à celle du passé, et il appela, en termes délicats, à l’honneur, le jour même de sa fête, le pasteur qui avait été à la peine, avec tant d’audace et d’élan. Les événements qui suivirent sont trop proches de nous ; les blessures, qu’ils ont ouvertes, ne sont point assez cicatrisées, pour qu’il ne soit pas sage de les taire, ou à peu près.

On eut, le 3 mars 1906, un premier essai d’inventaire, qui n’aboutit pas, devant les énergiques protestations de M. le Curé et des Fabriciens, devant l’attitude des paroissiens, qui avaient envahi l’église, et qui traduisaient leur émotion et leur colère par des cantiques, entrecoupés de sourds murmures. Quatre jours après, une seconde tentative échoua, comme la précédente. Les agents du domaine agirent à la sourdine et ils remplirent leur mandat, en l’absence de tout témoin officiel, le 24 mars.

En décembre, la loi de séparation entre en vigueur, et, le lendemain du jour, où elle est exécutoire, la mairie envoie l’ordre d’avoir à vider, avant le 25 décembre, les appartements, dont le clergé jouissait par un contrat d’usufruit perpétuel. Les déménageurs n’avaient pas fini d’enlever les meubles, que les agents de la Compagnie des Eaux en fermaient les robinets. M. le Curé, alité depuis quatre mois, terrassé par une cruelle maladie, se fit transporter dans une maison de santé ; quelques semaines après, il adressait à l’archevêché sa démission. Le curé de Saint-Joseph de la Demi-Lune, M. J.-B. Vanel, fut désigné pour le remplacer ; il chanta la grand’messe, le 24 février 1907.

Quand il consulta le registre des délibérations du Conseil de Fabrique, ses yeux tombèrent sur la dernière phrase delà dernière séance de cette Compagnie dissoute. « Nous affirmons, avaient écrit ces vaillants catholiques, notre profonde confiance en la Divine Providence et notre ferme espoir du prochain retour de jours meilleurs. » Nous demandons à partager cette croyance, et nous sommes, à notre poste, pour attendre « ces jours meilleurs » en dépensant notre vie à les préparer.

CONFALONS DE SAINT-BONAVENTURE

Les Associations pieuses qui, sous le nom de confréries, furent nombreuses à Lyon avant la Révolution, occupent une place importante dans l’histoire de la Cité. Parmi elles la royale Compagnie de Notre-Dame du Confalon était fameuse par le nombre et la qualité de ses membres et par la valeur des décorations artistiques et architecturales de la chapelle où se sont tenues ses assemblées, depuis l’année 1631 jusqu’en 1793. Les adhérents, gentilshommes, magistrats, gouverneurs de province, chanoines-comtes de Lyon, bourgeois notables, même un roi de France, s’étaient plu à doter cette chapelle de leurs offrandes. Et il est dit dans les anciens almanachs historiques de la ville de Lyon que l’or, les marbres précieux, les tableaux, les sculptures, la menuiserie et l’architecture y étalaient toutes leurs richesses.

La première confrérie de pénitents, érigée sous le titre de Notre-Dame du Confalon, ainsi nommée à cause de la riche bannière portée aux processions, le fut à Rome, en 1264, par saint Bonaventure. Le pape Clément IV l’honora d’une bulle l’année suivante. Grégoire XIII l’érigea en archiconfrérie, le 26 avril 1378, et lui confia, en 1382, le soin de délivrer les chrétiens esclaves des mains des infidèles.

C’était une tradition conservée par la compagnie des pénitents de Notre-Dame du Confalon de Lyon, qu’elle eut, elle aussi, pour fondateur saint Bonaventure, venu à Lyon, en 1274, pour assister au concile général convoqué par le pape Grégoire X, qui fut tenu dans l’église cathédrale Saint-Jean, avec un immense concours de cardinaux, de prélats, d’ambassadeurs, de souverains de l’univers entier. Saint Bonaventure aurait établi cette fondation dans le cloître des Cordeliers, où il devait mourir bientôt après, trois jours avant la fin du concile, le 14 juillet 1274.

La première chapelle des pénitents du Confalon de Lyon était dans les bâtiments des Cordeliers, du côté du Rhône, sous le dortoir des religieux. Détruite par les protestants, qui s’emparèrent de la ville le 30 avril 1362 et en restèrent les maîtres pendant seize mois, la confrérie du Confalon fut restaurée en 1377, par le zèle de deux gentilshommes lyonnais, Maurice du Peyrat et Justinien Pance, avec la protection des conseillers de la ville et du consentement de Pierre d’Épinac, archevêque de Lyon. Le pape Grégoire XIII approuva, par une bulle, ses statuts et règlements. Agrégé à l’archiconfrérie du Confalon de Rome, le 9 février 1378, elle fut érigée à Lyon, sous le titre de l’Assomption de la Sainte Vierge. Dès l’origine, elle s’était recrutée dans l’élite de la cité. En 1382, Henri III, roi de France, de passage à Lyon, voulut assister, en qualité de simple confrère, aux exercices de la Compagnie, d’où elle prit le nom de Compagnie royale.

En 1730, les pénitents du Confalon de Lyon firent imprimer, en un volume, leurs statuts et règlements, qui révèlent l’esprit et le but de leur association. Le but était la sanctification des confrères agrégés, par l’observation stricte des devoirs du chrétien, l’exercice de la charité envers les pauvres, les malades et les prisonniers, la réconciliation des ennemis, la pratique de la pénitence, la fréquentation des sacrements, les prières pour les morts, l’assistance régulière aux exercices dans la chapelle et aux processions qui se faisaient au dehors, notamment dans la nuit du jeudi saint pour visiter les reposoirs, et le 29 août pour acquitter, à Saint-Roch, dans la chapelle de la Quarantaine, un vœu à l’occasion de la peste de 1377. L’assiduité des confrères aux offices de la chapelle était exigée et la régularité de leur vie dans le monde sanctionnée par la peine de l’exclusion. Il était de fondation au Confalon qu’en cas de grave maladie du roi, de la reine ou des princes de la maison royale, les pénitents se mettaient en prières dans la chapelle et se relevaient jour et nuit, tant que le danger était sérieux. En 1744, après la guérison du roi Louis XV, qui avait fait à Metz, au mois d’août, une très grave maladie, les corps et compagnies de la ville témoignèrent un grand empressement à rendre à Dieu des actions de grâces publiques. Les pénitents du Confalon célébrèrent à cette occasion, le 17 septembre, une fête dans leur chapelle, où les chants du Te Deum et de l’Exaudiat furent suivis d’une messe en musique, accompagnée du bruit des trompettes et des boîtes, et, le soir, d’une brillante illumination au portail, sur tout l’enclos de la chapelle et aux maisons des confrères.

Les pénitents du Confalon portaient, dans les réunions à la chapelle et dans les processions au dehors, comme costume de cérémonie, une robe très ample surmontée d’un capuchon qui recouvrait la figure et où étaient ménagées seulement deux ouvertures pour les yeux. De la couleur de ce vêtement leur était venu le nom de pénitents blancs.

Le quartier des Cordeliers en 1710, d’après le plan de Sérancour.

En 1631, les pénitents du Confalon, qui jusque-là avaient reçu l’hospitalité des pères Cordeliers, résolurent de construire une chapelle mieux en rapport avec l’importance que leur compagnie avait acquise. Par acte passé en 1631, avec les Cordeliers, ils se firent céder sur la rue Bon Rencontre, qui limitait au couchant l’enceinte du couvent, une parcelle de jardin entre l’abside de la grande église et la chapelle Notre-Dame de Bon-Rencontre, celle-ci située à l’angle formé par la rue de ce nom et la rue du Port-Charlet, aujourd’hui rue Ferrandière. C’était l’emplacement de l’église primitive des Cordeliers, où saint Bonaventure avait été inhumé et d’où ses restes furent transportés, en 1434, dans la nouvelle église consacrée par l’archevêque Pierre de Savoye en 1329. Il est occupé aujourd’hui par l’îlot de l’hôtel Bayard. Le chevet de l’église est séparé de la rue Ferrandière par un espace de 50 mètres, sur lequel avait été construite la chapelle du Confalon, à la suite de l’église et, comme elle, orientée au midi.

Le 29 décembre 1631, Charles de Neuville, seigneur d’Halincourt, marquis de Villeroy, gouverneur pour le roi des provinces de Forez, Lyonnais et Beaujolais, posa la première pierre de la nouvelle chapelle et prit à sa charge une partie de la dépense. Il fit construire entièrement à ses frais le grand portail qui donnait accès de la rue Bon-Rencontre dans une avant-cour. Deux médailles, œuvres de Clément Gendre, artiste lyonnais, conservent la mémoire de cette libéralité. L’une porte l’effigie de Charles de Neuville et au revers l’Assomption de la Vierge. L’autre représente le portail édifié par le donateur et au revers une dédicace en latin en l’honneur de la mère de Dieu.

Le portail sur la rue était formé de deux pilastres en marbre rouge et noir, couronnés de frises, d’architraves et corniches, avec un fronton de marbre noir portant une inscription et les armes des Villeroy.

De l’avant-cour on pénétrait par un vaste perron de quatre marches, dans la chapelle, orientée au sud, et dont l’entrée faisait face à l’abside de la grande église. On trouvait d’abord un vestibule, dont la voûte était soutenue par deux colonnes de marbre de Seyssel. Trois inscriptions dédicatoires et sept grands tableaux en ornaient les murs, notamment un très beau portrait de Camille de Neuville, archevêque de Lyon. Les autres étaient des figures à mi-corps de différents saints, peintes par Vignon. Le buste du Sauveur en bronze, œuvre très vantée d’un auteur italien inconnu, dominait la porte donnant accès du vestibule dans la chapelle. Il y avait aussi, dans le vestibule, une Vierge en bas-relief, au-dessous de laquelle étaient représentés deux confrères à genoux, en costume de pénitents.

Les inscriptions placées dans le vestibule rappelaient trois dates de l’histoire de la chapelle du Confalon de Lyon. La première était la dédicace à la Vierge mère de Dieu, sous le titre de l’Assomption, en novembre 1377, de la chapelle primitive, dans l’enceinte du couvent des Cordeliers, sous le règne de Henri III et le pontificat de Grégoire XIII. Il y était dit que la confrérie des pénitents du Confalon de Lyon lit un vœu pour obtenir que la ville fut délivrée du fléau de la peste qui avait sévi du mois de mars au mois de juin, et qu’elle fut agrégée, cette même année, à l’archiconfrérie du Confalon de Rome. C’était l’année de la restauration de la confrérie, dissoute depuis 1562 par les protestants. La seconde inscription de 1631 était une dédicace à la reine du ciel, sous le titre de l’Assomption, de la nouvelle chapelle, dont le gros œuvre était achevé, avec les noms des recteurs et vice-recteurs qui, depuis 1631, date delà fondation, avaient dirigé la construction. Enfin, la troisième inscription de 1637 était encore une dédicace de la nouvelle chapelle, dont la décoration fut achevée, cette année-là, avec les noms du recteur et du vice-recteur de la compagnie qui y avaient contribué par leurs générosités.

La chapelle proprement dite avait une longueur de quatre-vingt-quatre pieds et une largeur de trente-trois. On y voyait trois tribunes, une dans le fond de la nef et deux autres, chacune au milieu de l’un des murs latéraux ; celle du côté de l’épître, occupée par l’orgue ; celle du côté de l’évangile réservée aux symphonistes. Les arêtes de la voûte à ogives étaient couvertes de dorures.

Un lambris de menuiserie revêtant les murs sur tout le pourtour, portait dix grands tableaux et quatre bas-reliefs représentant quatorze mystères de la vie de la Vierge et, en outre, dans les panneaux, des ornements sculptés dont les sujets étaient tirés de ses litanies. Ferdinand Delamonce avait fourni, dans sa jeunesse, le dessin de cette riche composition ; au dire de Clapasson, l’idée générale en était belle, quoique la décoration fût un peu chargée.

Voici la description des dix tableaux de la nef de la chapelle, telle que la donnent Clapasson et le livre des Statuts et Règlements : premier tableau du côté de l’épître : La Conception, de Lebeau ; puis, La Nativité de la Sainte-Vierge, de Bernard : ces deux tableaux de valeur médiocre ; L’Annonciation, de Jean-Baptiste Corneille dit le Jeune ; La Visitation, jugée par Clapasson un des chefs-d’œuvre de Charles Delafosse ; La Crèche et l’Adoration des bergers, de Thomas Blanchet. Du côté de l’évangile : L’Adoration des rois mages, de Charles Delafosse, ouvrage aussi estimé que celui du même auteur placé de l’autre côté ; La Circoncision de Notre-Seigneur, de Daniel Sarrabal ; La fuite en Égypte, de Michel Corneille dit l’Aîné ; L’Assomption, attribuée par Clapasson à La Tremollière et, dans le livre des Statuts et Règlements à Delamonce ; enfin Le Couronnement de la Vierge, par Lebeau.

Les deux bas-reliefs de quatre pieds et demi de hauteur sur cinq de largeur, placés au-dessous de la tribune de l’orgue, œuvres de Simon, élève de Coustou l’aîné, figuraient, en sculpture sur bois, La Présentation de la Vierge au temple et Le Mariage de la Vierge. Les deux bas-reliefs de même dimension au-dessous de la tribune des symphonistes, sculptés par Lamoureux, aussi élève de Coustou, étaient : Jésus prêchant dans le temple à l’âge de douze ans et La Mort de la Vierge assistée des onze apôtres. On estimait ces deux ouvrages comme étant parmi les meilleurs de cet artiste lyonnais.

Le sanctuaire de la chapelle avait la forme d’une coupole de quarante-quatre pieds de hauteur sur vingt-cinq de diamètre, à ogives et arêtes soutenues, à leur naissance, par des termes ailés de grandeur naturelle, tenant chacun un instrument de musique différent. De grands carreaux de marbres rouge et noir entourés d’une bordure de marbres de couleurs variées couvraient le sol.

L’autel, auquel on accédait par quatre degrés de marbre rouge, était de marbre vert d’Égypte, avec un bas-relief de marbre blanc attribué à Michel Perrache, représentant L’Ensevelissement de la Vierge par les Apôtres et les disciples.

Le sanctuaire, l’autel et les gradins étaient ornés, sur les coins et arêtes, de chérubins, festons, feuillages, moulures et autres ornements en bronze doré au feu, œuvre de Michel Perrache. Le même artiste avait sculpté, pour le fond du sanctuaire, un groupe de l’Assomption de la Vierge, de grande dimension, soutenu par des anges dont les dessins étaient de Daniel Sarrabal, qui fut également l’auteur de fort belles grisailles placées au-dessous du groupe sculpté, figurant les apôtres autour du tombeau de la Vierge.

La décoration du sanctuaire se complétait de quatre grands et magnifiques tableaux ; deux de Crétet : Jésus-Christ au tribunal de Pilate et la Fraction du pain aux disciples d’Emmaüs ; et deux attribués à Rubens dans la description de la chapelle qui fait suite aux Statuts et Règlements : Jésus-Christ crucifié et La descente de croix. D’autres tableaux, dont cinq de Blanchet, décoraient la grande tribune du fond.

La chapelle était éclairée par vingt-deux vitraux, dont cinq dans le sanctuaire, celui de l’œil-de-bœuf du fond, six dans les tribunes et les autres dans la nef. On y voyait peintes les armes de la confrérie et la représentation de seize mystères de la vie de la Vierge.

On se demande ce que sont devenues tant de richesses. La Révolution a fait là son œuvre destructive. Cependant il subsiste quelques épaves de ces œuvres d’art qui étaient accumulées dans la chapelle du Confalon comme dans un musée. L’église Saint-Pierre, à Lyon, posséderait trois tableaux et deux bas-reliefs de cette provenance :

1° Contre la deuxième travée de la paroi de droite de l’église Saint-Pierre : Les disciples d’Emmaüs, de Crétet, anciennement dans le sanctuaire de la chapelle du Confalon. Cette toile, qui était presque carrée, a été augmentée en haut et en bas, pour lui donner les dimensions du tableau de la Circoncision placé en face (3 m. 05 × 2 m. 77). Le tableau des disciples d’Emmaüs de l’église Saint-Pierre figure, attribué à Crétet, dans l’Inventaire des tableaux mis en réserve dans le muséum de l’école de dessin, par Cogell et Fayet, du 14 nivôse an V (13 janvier 1797). Cet inventaire est aux archives municipales.

2° Au fond du sanctuaire de l’église Saint-Pierre, à gauche : L’Assomption de la Sainte-Vierge (2 m. 70 × 1 m. 93), signé en bas et au milieu verticalement : Tremollière, 1736.

3° Dans la même église au fond du sanctuaire, à droite : La Visitation de la Sainte-Vierge, de Charles Delafosse.

Ces deux toiles, de dimensions semblables et découpées dans le haut de la même forme, figurent, attribuées, l’une à La Tremollière, l’autre à Charles Delafosse, dans l’inventaire de 1797. Comme il y avait dans la chapelle du Confalon deux grands tableaux représentant les mêmes sujets et attribués aux mêmes auteurs, Léon Charvet est bien fondé à conclure, dans son volume sur les de Royer de la Valfenière, que les deux toiles de l’église Saint-Pierre proviennent de la chapelle du Confalon. Il y a toutefois à observer que si Clapasson attribue à La Tremollière L’Assomption du Confalon, il est dit, dans le livre des Statuts et Règlements, que ce tableau était de Delamonce.

4° Le maître-autel de l’église Saint-Pierre porte, sur la face antérieure, en bas-relief de marbre de un mètre soixante centimètres sur soixante-cinq centimètres, un Ensevelissement de la Vierge. L’autel du sanctuaire du Confalon était orné du même sujet en bas-relief de marbre de six pieds de large sur deux pieds quatre pouces de haut. Ces dimensions sont sensiblement les mêmes et permettent de croire que c’est bien l’œuvre de Michel Perrache qui est conservée à l’église Saint-Pierre, ainsi, du reste, que le rapporte la tradition. C’est un superbe morceau de sculpture. Les apôtres et les disciples au nombre de treize, forment le convoi de la Vierge morte. Les uns portent le brancard, les autres des cierges ou bien vénèrent à genoux le corps de la Défunte. L’œuvre est achevée dans ses moindres détails. Le ciseau de l’artiste a su varier, par l’altitude des personnages et les traits de leurs visages, l’expression de tristesse répandue sur toute la scène, et imprimer à l’ensemble du cortège un mouvement en avant rendu avec une rare habileté.

5° Léon Charvet signale comme provenant de la chapelle du Confalon un bas-relief en marbre blanc, La Visitation (0 m. 61 × 1 mètre), attribuée à Bidau et que l’on peut voir aujourd’hui plaqué contre la paroi de la troisième travée du bas-côté gauche de l’église Saint-Pierre. Mais cet objet n’est mentionné ni par Clapasson, ni dans le volume des Statuts et Règlements.

6" Il n’est pas question non plus, dans les ouvrages qui nous ont conservé la description du mobilier de la chapelle du Confalon, d’un autre bas-relief de marbre blanc qui décore actuellement le devant de l’autel de la chapelle de la Sainte-Vierge, dans l’église Saint-Nizier et qui, suivant la tradition, aurait la même provenance. Il représente les onze apôtres autour du tombeau vide de la Vierge, api-ès son Assomption. Il y avait bien un sujet semblable au fond du sanctuaire de la chapelle du Confalon, au-dessous du groupe de l’Assomption de Michel Perrache, mais il était rendu en peinture à grisailles et était l’œuvre de Daniel Sarrabat. La représentation des scènes se rapportant à la mort de la Vierge et à son couronnement dans le ciel revient souvent dans l’énumération des tableaux et sculptures du Confalon, parce que la chapelle avait été érigée sous le titre de l’Assomption de la Sainle-Vierge. Le bas-relief de l’église Saint-Nizier n’a sûrement pas été fait avec la destination d’être placé là où il est actuellement. La Vierge de Coysevox, qui domine l’autel, n’est pas une Assomption, et le groupe des onze apôtres autour du tombeau vide, dont plusieurs regardent au ciel et accompagnent d’un geste la vision de Celle qui les a quittés, n’est que la partie inférieure d’une composition complète dont le reste manque. Il n’est pas impossible, comme la croyance s’en est conservée, que le bas-relief de Saint-Nizier provienne du Confalon. Toutefois, cette origine est douteuse, parce qu’on ne retrouve le bas-relief de Saint-Nizier dans aucune des descriptions des objets d’art qui décoraient la chapelle du Confalon.

Tapisserie ancienne, représentant deux pénitents du Confalon, avec leur costume de cérémonie.

L’église de Neuville possède un groupe sculpté en bois représentant L’Assomption. On croit que c’est une copie du groupe, sinon l’œuvre originale de Michel Perrache, qui se voyait autrefois dans le sanctuaire de la chapelle du Confalon.

M. Camille Vadon, banquier à Charlieu, possède une tapisserie achetée à Lyon, il y a une vingtaine d’années, qui figura à l’exposition universelle de Lyon en 1893, et qui est, à n’en pas douter, une précieuse épave du riche mobilier de la chapelle du Confalon. Cette tapisserie du xviiie siècle, de l mètre 20 centimètres de largeur sur 0,90 centimètres de hauteur, représente, dans un paysage à verdures, deux personnages à genoux, revêtus du costume de cérémonie des pénitents, pieds nus, en adoration de chaque côté d’un Christ crucifié. Le dessin est d’une grande finesse. La douleur sur les traits du crucifié est merveilleusement rendue ; l’académie du corps du Christ et des pieds et des mains des pénitents, très étudiée.

Dans la bordure est tissée la légende : en haut Societas, en bas Confalonis, qui est la devise du sceau du Confalon de Lyon.

Dans la description de la chapelle du volume des Statuts et Règlements, p. 146, il est dit qu’il y avait, en 1730, dans le vestibule, au-dessous d’une vierge en bas-relief, la représentation de deux confrères à genoux en costume de pénitents. S’agit-il là de la tapisserie retrouvée à Lyon, 150 ans plus tard, chez un revendeur du quartier du Tonkin ? La chose n’est pas impossible.

M. Léon Galle possède, dans sa belle collection lyonnaise, une peinture sur toile de 47 centimètres de hauteur sur 40 de largeur, représentant le Mystère de l’Annonciation. La Vierge agenouillée sous une tenture en forme de baldaquin drapé, écoute l’ange Gabriel qui se présente, tenant à la main une tige de lis. La peinture est encadrée dans un ovale qui porte la même légende que celle de la tapisserie : Confulonis Societas. Elle n’a aucune valeur artistique : la toile est collée sur un panneau de bois garni lui-même, comme entourage, d’une mince lame de fer de un centimètre de largeur, fixée sur le panneau avec de gros clous à tête plate. Cette disposition paraît indiquer que le tableau n’était pas destiné à rester à une place fixe, mais à être transporté. C’était peut-être un objet remis à chaque confrère lors de son entrée dans la confrérie, en souvenir de son agrégation.

Aucun des auteurs qui ont écrit sur la chapelle du Confalon n’a omis de parler du fameux Christ en croix attribué à Rubens, placé dans le sanctuaire. Les Statuts et Règlements mentionnent même un autre tableau de Rubens, une Descente de Croix placée vis-à-vis. Pour ce dernier, Clapasson et l’auteur de la notice sur Daniel Sarrabat se contentent de l’attribuer à un des élèves du chef de l’école flamande, Théodore de Thulben.

Quant au Christ crucifié, tous en parlent en des termes qui ne peuvent qu’exciter des regrets pour la perte d’une si belle œuvre. Le réalisme de cette peinture avait fait naître une légende. On racontait que le peintre, après avoir attaché le modèle à une croix, l’avait poignardé pour saisir, avec toute la vérité possible, l’état d’un crucifié qui rend le dernier soupir. C’eût été vraiment saisir l’expression de la mort sur le vif. Mais rien n’autorise à charger la mémoire de ce grand homme d’avoir voulu faire un chef-d’œuvre au prix d’un assassinat.

Le Christ du Confalon était-il vraiment de Rubens ? Lors de la formation du musée de Lyon, en 1804, le conservateur Artaud, dans la description des objets qui en faisaient partie, avait présenté, comme provenant de la chapelle du Confalon, un Christ crucifié qu’il niait être de Rubens et qu’il attribuait à son élève de Thulben. Il n’y a pas de doute que le Christ du musée n’était pas de Rubens, mais il est probable qu’il n’était pas non plus celui de la chapelle du Confalon. Celui-ci avait été détruit à l’époque de la Révolution. Guillon de Montléon racontant dans son livre, Lyon tel qu’il est et tel qu’il était, édition de 1797, le pillage de la chapelle du Confalon en 1793, rapporte que le Christ mourant, de Rubens, fut haché à coups de sabre. Cet auteur ayant eu à rappeler le fait dans une lettre adressée aux rédacteurs des Archives du Rhône, le 6 août 1827, l’affirma de nouveau à cette occasion, disant qu’il l’avait noté étant lui-même à Lyon, dès les premiers mois de 1795, un an après la dévastation de la chapelle du Confalon, et d’après le récit de témoins oculaires, alors que cet événement était encore présent à tous les esprits. Guillon de Montléon ajoute qu’il avait vu ce tableau maintes fois et recueilli à son sujet l’opinion d’artistes distingués, et que nul ne contestait alors l’attribution qui en était faite à Rubens.

Avant de disparaître, dans la tourmente révolutionnaire, la chapelle Notre-Dame du Confalon devait être le siège d’un épisode mémorable de l’histoire de la cité. En 1789, le couvent des Cordeliers fut choisi pour le lieu de réunion des trois ordres, convoqués pour la nomination de leurs députés aux États Généraux et la rédaction de leurs cahiers de doléances. Les grandes assemblées générales eurent lieu dans l’église, mais chaque ordre avait des séances particulières dans une salle spéciale. Le clergé tenait les siennes dans la chapelle du Confalon, sous la présidence de M. de Gastellas, doyen de l’église, comte de Lyon.

Lorsque vinrent les jours de violence, les richesses accumulées dans la chapelle du Confalon devaient exciter la rage des démolisseurs. C’était un dimanche, 10 décembre 1793. Le cloître et l’église des Cordeliers furent envahis : tout y fut renversé et brisé. Dans la chapelle du Confalon, la plupart des boiseries, tableaux et sculptures furent mis en pièces.

Le 16 fructidor an IV, les propriétés des Cordeliers sont vendues, puis démolies et, sur leur emplacement, de nouvelles rues sont ouvertes. La chapelle du Confalon et celle voisine Notre-Dame de Bon-Rencontre, sont transformées en greniers. Sous le premier Empire, ce qui en reste est abattu pour faire place à la construction d’une halle aux blés, affectée, en 1835, au Mont-de-piété démoli de nos jours, lors de la transformation du quartier Grôlée.

CONFALONS DE LA GUILLOTIÈRE

On lit dans les « Remontrances » rédigées par le censeur de la chapelle et conseiller de la confrérie pour l’année 1685, que la dite confrérie avait été érigée trente-trois ans auparavant au bourg de la Guillotière, à la prière et sollicitation de quelques paroissiens qui tâchèrent de la maintenir par tous les soins possibles et de subvenir tant à son entretien matériel qu’aux exigences du culte. Mais par la suite et peut-être à cause de l’augmentation du nombre de ses membres, la confrérie du Confalon prit des délibérations non conformes aux statuts établis par les fondateurs, et elle ne tarda pas à péricliter. Elle se releva cependant, et environ cent ans plus tard, en 1790, nous la voyons bien pourvue de ses cadres, qui se composaient, témoignage de sa bonne ordonnance et de sa vitalité, de deux recteurs, dont l’un était simplement honoraire, d’un vice-recteur, d’un censeur, de deux conseillers, d’un trésorier, d’un secrétaire, de deux maîtres de cérémonies et de deux sacristains. Elle fut dissoute à l’époque de la Révolution.

BIBLIOGRAPHIE DU CHAPITRE XII

SAINT-BONAVENTURE

Lettre circulaire du convent (sic) de S. Bonaventure de Lyon au très rr. pp. et convent des trois provinces confédérées des Cordeliers de France. S. 1. n. d., in-4, 3 p.

La triomphante victoire de la vierge Marie sur sept malins esprits chassés du corps d’une femme dans l’église des Cordeliers de Lyon, laquelle histoire est enrichie d’une belle doctrine pour entendre l’astuce des diables ; le tout descrit par le r. p. Benedicti. Lyon, P. Rigaud, 1611, in-32, 171 p.

Fodéré(Jacq.), Narration historique et topographique des couvents de l’ordre de S. François et des monastères de Ste Claire, érigés dans la province de Bourgogne. Lyon, 1619, in-4, 12 f.-1017 p.

Bazin (J.-B.), Quelques remarques sur le grand couvent de St. Bonaventure de Lyon. Lyon, 1693, in-12.

[Bazin (J.-B.), cordelier], Relation de ce qui s’est passé dans VèfjUse des Cordeliers des couvents de Lyon, Montbrison, Villefranche et Châlon-sur-Saône à l’occasion de la canonisation des saints Jean de Capistran et Paschal Bayton, 1693.

Histoire et description de la ville de Lyon, de ses antiquités, de ses monuments et de son commerce, avec des notes sur les hommes célèbres qu’elle a produits : par Rivière de Brinais [André Clapasson]. Lyon. Bruyset, 1761. in-8.

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Règlement de la Confrérie du Saint-Rosaire établie dans la paroisse de Saint-Bonarenture à Lyon. Aux halles de la Grenette. Lyon, Rusaud. 1830.

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Les grands Cordeliers de Lyon, ou l’église et le couvent de Saint-Bonaventure depuis leur fondation jusqu’à nos jours ; par l’abbé L. A. Pavy. Lyon, Sauvignet, 1835, in-8, 3 f.-280 p., 1 plan.

Lyon, ancien et moderne, par les collaborateurs de la Revue du Lyonnais, sous la direction de Léon Boitel, avec des gravures à l’eau-forte et des vignettes sur bois par H. Leymarie. Lyon, Boitel, 1838-43, in-8, 2 vol. — T. I, p. 161-73, article de Kauffmann sur les Cordeliers de Saint-Bonaventure.

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Abbé Vachet, Les Cordeliers de Lyon, dans : Revue du diocèse de Lyon, 1881, t. II, p. 369-72, 423-6, 478-82, 564-7.

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benedicti (J.), Une possédée du démon exorcisée à Saint-Bonaventure de Lyon, dans : Bulletin historique du diocèse de Lyon, 1903. t. III, p. 154-61.

CONFALONS

Statuts et règlemens que doivent observer les confrères de la royale & dévote compagnie des pénitens blancs de Notre-Dame du Confalon de Lyon, agrégée à la grande archiconfrérie de Notre-Dame du Confalon de Rome l’année 1578, sous le pontificat de n. s. père le pape Grégoire XIII, et confirmée par sa bulle du 25 may 1583, ensemble les devoir des officiers, & d’un (sic) abrégé historique de cette compagnie depuis son institution en cette ville par saint Bonaventure l’année 1274. Lyon, aux dépens de la royale compagnie des pénitens de Nolrc-Dame du Confalon de Lyon, 1730, in-12, 12 1.-168 p. 1 grav.

Statuts des confrères de la compagnie des pénitens blancs de Notre-Dame de Confalon. Lyon, 1756, in-12.

Dissard, Notice sur la confrérie des pénitents de Notre-Dame de Confalon, dans : Lyon-Revue, 1880-1, t. L p. 360-5, t. II. p. 46-53, 110-7. 235-40 et 287-91.

Prajoux (abbé), La royale et dévote compagnie des pénitents blancs de Notre-Dame du Confalon de Lyon, dans : Bulletin historique du diocèse de Lyon, 1901, t. I, p. 319.