Histoire des Abénakis/2/14

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CHAPITRE QUATORZIÈME.

Les Abénakis en Canada et en Acadie.

1726-1749.

Pendant qu’on regrettait en France le traité qui venait d’être fait à la Nouvelle-Angleterre entre les Abénakis et les Anglais, M. le Marquis de Beauharnais fut nommé gouverneur du Canada.

Les Abénakis avaient mis bas les armes, mais les Anglais n’en agitaient pas moins la question des frontières de l’Acadie ; et le nouveau gouverneur craignait les conséquences de cette question.

La Cour de France avait commis une faute en ne désignant pas, dans le traité d’Utrecht, une ligne de démarcation entre le Canada et les possessions anglaises. Aussi, il arriva que les Anglais et les Français firent fréquemment et alternativement acte de juridiction sur le même territoire. Un pareil état de choses était la cause de difficultés, qui annonçaient une nouvelle guerre.

Du côté de l’Ouest, les Anglais cherchaient depuis bien des années à faire des empiètements sur les possessions françaises. Pour parvenir à leur but, ils faisaient la traite avec les alliés des Français. M. de Vaudreuil, qui suivait attentivement les démarches des colonies anglaises, avait fait bâtir, en 1721, un fort à Niagara[1], afin d’empêcher les Anglais d’attirer à Albany le commerce de ces contrées.

Burnet, gouverneur de la Nouvelle-York, prétendit que c’était une violation du traité d’Utrecht ; mais M. de Vaudreuil lui répondit que Niagara avait toujours appartenu à la France. Burnet fit alors des démarches pour engager les Iroquois à chasser la Joncaire de son fort de Niagara ; mais ne pouvant y réussir, il prit le parti de bâtir un fort à l’entrée de la rivière Oswégo, sur le lac Ontario[2].

En 1726, il fit encore des réclamations auprès de M. de Longueuil contre l’établissement de Niagara ; et comme il ne reçut pas de réponse favorable, il se fortifia à Oswégo. L’année suivante, M. de Beauharnais le somma d’abandonner son fort ; mais le gouverneur anglais, loin de se rendre à cette sommation, plaça une forte garnison à Oswégo.

Ce fort était important pour les Anglais. Il favorisait leur projet de s’emparer de la traite des pelleteries, et protégeait les établissements anglais, situés entre la rivière Hudson et le lac Ontario.

En 1728, les Abénakis et les Canadiens furent invités à prendre les armes pour aller combattre contre les Outagamis, qui commettaient des brigandages sur le lac Michigan. Les Français pensaient avoir réduit pour toujours ces sauvages, en 1715 ; mais, en 1717, M. de Vaudreuil fut obligé d’envoyer M. de Louvigny pour les combattre encore. Ces barbares furent alors forcés de céder leur pays aux Français. En 1728, ils recommencèrent leurs brigandages, et commirent des meurtres sur les bords du lac Michigan et les routes conduisant à la Louisiane. Ils engagèrent même plusieurs autres tribus à faire comme eux. Alors, M. de Beauharnais résolut d’exterminer ces barbares.

Une petite armée, composée d’environ 800 sauvages, Abénakis[3] et autres alliés, et de 450 Canadiens, sous les ordres de M. de Ligneris, fut envoyée sur leur territoire.

Les Abénakis et les Canadiens partirent de Montréal au commencement de Juin, remontèrent la rivière des Outaouais, traversèrent le lac Nipissing, et pénétrèrent au lac Huron, où ils rejoignirent les sauvages alliés. L’armée arriva, le 14 août, à Chicago, après plus de deux mois de marche.

Les premiers sauvages que M. de Ligneris rencontra furent les Folles-Avoines[4], que les Outagamis avaient entraînés dans leurs brigandages. Ces sauvages se présentèrent le 15, sur le rivage, pour empêcher les Abénakis et les Canadiens de débarquer. Alors, ceux-ci et les autres alliés poussèrent le cri de guerre, et se jetèrent sur l’ennemi, la hache à la main. Il s’ensuivit un combat acharné, mais l’ennemi fut repoussé, après avoir éprouvé de grandes pertes.

Bientôt, la nouvelle de cette défaite se répandit parmi les autres sauvages. Alors, les Outagamis et quelques autres tribus prirent la fuite. Les Abénakis et les Canadiens les poursuivirent jusqu’à environ quatre-vingt-dix milles du Mississipi, mais ils ne purent rejoindre les fuyards. Ils détruisirent les villages des Outagamis et ravagèrent leur pays. Cette expédition rendit la paix à ces contrées, au moins pour quelque temps.[5]

Cependant, Burnet continuait à chercher à faire des empiètements sur le lac Ontario, ce qui donnait lieu à des représailles. M. de Beauharnais, voyant qu’il ne pouvait le chasser de son fort d’Oswégo, résolut de faire un établissement sur le lac Champlain. Dès que les colonies anglaises apprirent cette résolution, elles envoyèrent en Canada des députés pour réclamer contre ce projet. Mais, malgré les représentations et les menaces même des Anglais, M. de Beauharnais bâtit, en 1731, le fort Saint-Frédéric, à la pointe à la Chevelure[6].

Ce fort fut d’une grande importance pour les Français, car le lac Champlain leur donnait entrée dans le cœur même de la Nouvelle-York, et, de là, ils menaçaient à la fois Oswégo et Albany. C’est ce que les Anglais avait prévu.

Depuis 1730, les Abénakis eurent à souffrir, pendant plusieurs années, beaucoup de maux. La disette régnait dans le pays depuis 1729. Les habitants ne vivaient que de bourgeons et de pommes de terre[7]. Plusieurs personnes moururent de faim[8]. Cependant sous ce rapport les Abénakis souffrirent moins que les Français, parcequ’ils pouvaient se procurer une partie de leur nourriture par la chasse et la pêche.

En 1732, de grandes inondations et de terribles tremblements de terre effrayèrent les habitants. À l’automne de cette année, la mère Sainte-Hélène écrivait à ce sujet ce qui suit. « Depuis un mois c’est un tremblement de terre qui y jette une consternation qu’on ne peut exprimer. L’effroi y est si universel que les maisons sont désertes ; on y couche dans les jardins, les bêtes même privées de raison jettent des cris capables de redoubler la frayeur des hommes ; on fait des confessions générales de tous côtés ; plusieurs ont fui, peur d’être ensevelis sous les ruines de cette pauvre ville ; le fâcheux est que cela n’est pas fini. Il y a des puits qui ont entièrement tari, des chemins sont bouleversés. »

Les Abénakis de Saint-François furent dans une grande frayeur ; plusieurs fois ils pensèrent que leur village allait être englouti. Les environs en furent bouleversés. On voit encore aujourd’hui à Saint-François, des deux côtés de la rivière, les traces de ces terribles tremblements de terre. L’endroit qui fut le plus bouleversé est celui où est actuellement l’église de Saint-Thomas de Pierreville, Les traces de ce tremblement de terre y ont-maintenant disparu, parce-que ce terrain a été nivelé.

L’année suivante, les Abénakis eurent à supporter les ravages de la petite vérole. « La petite vérole », dit : Garneau « décima la population et fit des ravages épouvantables parmi les sauvages »[9].

La population des Abénakis du Canada s’était augmentée d’une manière assez considérable par l’émigration de ceux qui étaient venus de l’Acadie, pendant les années 1722, 1728, 1724. En 1733, la petite vérole enleva cette augmentation de population. Les sauvages, saisis de frayeur, s’éloignaient dans les forêts, pour fuir cette terrible maladie.

En 1735, les colonies anglaises commençaient à prévoir une nouvelle guerre et à craindre les courses des sauvages alliés des Français. La Nouvelle-York surtout semblait fort redouter les descentes de ces sauvages sur son territoire. Alors, un seigneur d’Albany, M. Rensselear, fut député en Canada dans le but de prévenir ces courses. Cet Anglais vint en Canada, sous prétexte d’un voyage d’amusement. Il représenta à M. de Beauharnais que, dans les dernières guerres, M. de Vaudreuil avait épargné la Nouvelle-York, empêchant ses alliés d’y faire des courses ; que la Nouvelle-York avait fait la même chose, et qu’elle était encore disposée à agir de la même manière, dans le cas d’une nouvelle guerre.

En 1740, la guerre était imminente, M. de Beauharnais fit alors réparer les fort de Niagara, de Saint-Frédéric et de Chambly, et y mit des garnisons ; puis, il s’occupa activement à attacher les sauvages aux Français. Malheureusement, beaucoup de ces alliés n’étaient pas alors fort attachés à la cause des Français. Cependant, le gouverneur, à force d’activité, parvint à dissiper leurs craintes et à ranimer leur courage. En 1741, il les réunit en grand nombre à Montréal, et eut de longues conférences avec eux. Ces conférences produisirent de bons résultats.

Mais les Abénakis étaient toujours demeurés fort attachés aux Français, et étaient prêts à prendre les armes à l’appel du gouverneur,

La Nouvelle-Angleterre venait de former de nouveaux établissements au New-Hampshire, Or, les Abénakis avaient des prétentions sur ce territoire. Ils considéraient donc cette démarche des Anglais comme un empiétement sur leur terrain, ce qui avait fortement excité leur haine contr’eux. Aussi, ils n’attendaient que l’ordre de M. de Beauharnais pour se lancer contre ces nouveaux établissements.

Tels étaient les dispositions des Abénakis, lorsque les difficultés survenues en Europe, à l’occasion de la maison d’Autriche, firent éclater la guerre en Amérique, en 1744. On n’en fut pas surpris en Canada, car on s’attendait depuis longtemps à la reprise des armes. Aussi, M. de Beauharnais s’y était préparé.

Vu les difficultés de frontières, le fort de la guerre devait se passer au Cap Breton et en Acadie, et l’on pensait que les hostilités seraient peu vives sur le Saint-Laurent. C’était sur Louisbourg que les Anglais devaient diriger leurs coups, parcequ’il était la clef des possessions françaises du côté de la mer, et protégeait la navigation et le commerce.

À cette époque, M. Duquesnel était gouverneur du Cap Breton et Bigot en était le commissaire ordonnateur. Il n’y avait alors que 700 hommes de troupes dans cette île. Telles étaient les forces qui gardaient l’entrée de la vallée du Saint-Laurent.

La nouvelle de la déclaration de guerre arriva à Louisbourg plusieurs jours avant qu’elle ne parvint à Boston. Aussitôt, les marchands de Louisbourg et Bigot armèrent de nombreux corsaires, qui firent des prises précieuses sur les Anglais. Le commerce de la Nouvelle Angleterre subit des pertes considérables.

L’Acadie, abandonnée à elle-même par l’Angleterre, était dans un pénible état. Il n’y avait alors que quatre-vingts hommes de garnison à Annapolis, et les fortifications de cette ville étaient tombées en ruines. Le gouverneur Duquesnel crut que l’occasion était favorable pour s’emparer de cette province. Il envoya Duvivier pour cette expédition.

Duvivier s’empara de Canceau et l’incendia, puis se dirigea vers Annapolis. Mais bientôt il s’arrêta et prit la route du Canada, après avoir fait sommer Annapolis de se rendre.

Les Abénakis de l’Acadie, apprenant le projet de Duquesnel, avaient aussitôt pris les armes et s’étaient rendus, au nombre de 300, près d’Annapolis, où ils attendaient les Français. Ne voyant pas arriver de troupes, ils furent forcés de retourner à leurs wiguams[10].

Il est fort probable que Duvivier se serait emparé facilement d’Annapolis. Les Anglais de cette ville le prévoyaient ; aussi les principales familles s’étaient enfuies vers Boston.

La nouvelle de cette expédition en Acadie et des déprédations des corsaires de Bigot arriva à Boston presqu’en même temps que celle de la déclaration de guerre. Ces nouvelles jetèrent l’alarme dans les colonies anglaises qui se hâtèrent de lever des troupes pour défendre leurs frontières. Le Massachusetts fit élever plusieurs forts, depuis la rivière Connecticut jusqu’à la Nouvelle-York.

Pendant que les colonies anglaises se préparaient avec activité à la défense, la garnison de Louisbourg se révolta, par la faute de Bigot, qui retenait injustement une partie de ce qui appartenait aux soldats. La garnison demeura en état de révolte pendant tout l’hiver 1744-1745.

M. Shirley, Gouverneur de Massachusetts, crut devoir profiter de cette occasion pour aller attaquer cette forteresse, qui causait tant de dommages au commerce anglais. Il écrivit à Londres à ce sujet, et demanda du secours. Sans attendre la réponse à cette lettre, il convoqua la législature de Massachusetts, au mois de Janvier 1745, pour lui communiquer son projet. Une armée de plus de 4,000 hommes fut levée et mise sous le commandement d’un commerçant, du nom de Pepperell. L’armée s’embarqua au commencement d’Avril pour le Cap Breton. Elle fut ralliée à Canceau par le commodore Warren, envoyé d’Angleterre, avec quatre vaisseaux, pour attaquer Louisbourg. Le 10, elle débarqua au Chapeau-Rouge, et marcha aussitôt sur Louisbourg, dont elle s’empara après quelques escarmouches. La capitulation eut lieu, le 16 Juin[11].

C’est ainsi que de simples milices, levées avec précipitation et commandées par des marchands, s’emparèrent avec la plus grande facilité d’une forteresse considérée alors comme la clef du Canada.

Cette défaite causa une pénible sensation à Québec, et l’on crut que la prise de Louisbourg n’était que le prélude de l’attaque de Québec. M. de Beauharnais fit ses préparatifs en conséquence. Il réunit à Montréal les Abénakis et autres alliés, au nombre de 600. Tous se montrèrent disposés à combattre[12].

Alors, quelques Abénakis, accompagnés d’un certain nombre de soldats, descendirent à Québec pour travailler aux fortifications de la ville. En même temps, un parti de ces sauvages se dirigea vers la Nouvelle-Angleterre pour aller attaquer quelques uns des forts que le Massachusetts avait fait élever l’année précédente. Les sauvages arrivèrent, à la fin de Juillet, à un établissement anglais, situé à environ 16 milles du fort Dummer, sur la rivière Connecticut. Cet établissement fut pillé, et un nommé William Phipps fut fait prisonnier[13].

Un autre parti d’Abénakis et de Français attaqua le fort Dummer, le 11 Octobre. Après un combat assez rude, les sauvages furent obligés de se retirer. Un seul Anglais, du nom de Howe, fut fait prisonnier. Ce prisonnier mourut à Québec quelque temps après[14].

Le 22, un autre parti des mêmes sauvages attaqua le fort Ashwolot. Ce fort fut considérablement endommagé par les sauvages. Plusieurs édifices furent incendiés, et un bon nombre d’Anglais furent tués ou faits prisonniers[15].

L’année suivante, 1746, un parti d’Abénakis parut, au commencement d’Août, devant le fort Charlestown, New-Hampshire. Les Anglais, ayant été informés de l’approche des sauvages, envoyèrent un détachement de troupes pour les éloigner du fort. Ce détachement fut battu et mis en fuite. Plusieurs soldats furent tués. Alors, les sauvages environnèrent le fort, et le tinrent assiégé pendant trois jours ; mais, comme il était défendu par une très-forte garnison, ils ne purent s’en emparer. Ils incendièrent plusieurs maisons, puis se retirèrent en tuant tous les chevaux et bestiaux qu’ils rencontrèrent[16].

Ils rejoignirent ensuite un détachement de Français, au fort Saint-Frédéric, et, de là, marchèrent vers le fort Massachusetts, où ils arrivèrent le 20 du même mois. Ce fort était défendu par une forte garnison, sous les ordres de John Hawks. Les sauvages attaquèrent les Anglais avec fureur et s’emparèrent du fort. Presque tous les soldats anglais furent faits prisonniers et emmenés en Canada[17].

Dans le cours de l’été, d’autres établissements anglais furent attaqués et détruits par les Abénakis, et beaucoup de prisonniers furent emmenés en Canada[18].

Pendant que les Abénakis ravageaient les frontières de la Nouvelle-Angleterre, la France, cèdant aux instances de M. de Beauharnais, résolut de reprendre Louisbourg. De grands préparatifs furent faits pour cette expédition. Mais on fit l’imprudence de mettre l’escadre sous le commandement d’un jeune homme sans expérience, le jeune duc d’Anville. La flotte se composait de sept vaisseaux, trois frégates, deux brûlots, et plusieurs navires et transports, portant 3,000 hommes. La France n’avait pas encore mis sur pied un si grand armement pour l’Amérique[19].

Le succès de l’expédition paraissait assuré ; mais l’inexpérience du duc d’Anville et une fatalité qui paraissait alors s’attacher à toutes les entreprises des Français dans l’Amérique, la firent échouer. Par suite de l’inhabileté du commandant, la traversée dura près de cent jours. Puis, lorsque la flotte était enfin en vue de Chibouctou (Halifax), une furieuse tempête tomba sur elle, et dispersa les vaisseaux. Plusieurs de ces vaisseaux périrent, d’autres repassèrent en France, et quelques uns seulement, après avoir été battus par la tempête pendant dix jours, purent atteindre la rade de Chibouctou. Pour comble de malheur, une terrible épidémie venait d’éclater dans les vaisseaux. Les soldats et les marins mouraient par centaines.

Les Abénakis de l’Acadie, apprenant qu’une flotte était envoyée de France pour reprendre Louisbourg et qu’elle devait arriver à Chibouctou, s’étaient réunis en grand nombre près de ce fort pour y attendre les Français et s’unir à eux. Ils y étaient encore lorsque le duc d’Anville y arriva. Malheureusement l’épidémie, qui décimait les troupes françaises, se répandit parmi eux, et un grand nombre succombèrent[20]. Ils furent alors forcés de retourner en leur pays, renonçant avec regret au plaisir d’aller combattre contre les Anglais.

Six cents Canadiens s’étaient embarqués à Québec au commencement de Juin, pour aller rejoindre les troupes du duc d’Anville. Ils étaient commandés par M. de Ramsay. Ils allèrent débarquer à Beaubassin.

Pendant ce temps, Shirley et Warren avaient formé le projet de s’emparer du Canada. On demanda à l’Angleterre une flotte pour l’exécution de ce projet, et une armée de 8,000 hommes fut levée dans les colonies anglaises [21]. Cette armée devait marcher sur le fort Saint-Frédéric et sur Montréal. Mais, comme il n’arriva pas de flotte d’Angleterre, il fallut renoncer encore cette fois au projet de s’emparer du Canada.

Toutefois, pour ne pas perdre entièrement le fruit de leurs dépenses, les Anglais voulurent essayer de s’emparer du fort Saint-Frédéric. Une armée était déjà en marche pour cette fin, lorsqu’ils apprirent que M. de Ramsay était débarqué à Beaubassin, et que les Acadiens menaçaient de se révolter. Alors, l’expédition contre Saint-Frédéric fut abandonnée, et les troupes furent dirigées vers l’Acadie, pour aller défendre Annapolis[22].

M. de Ramsay était déjà devant Annapolis, où il avait fait un certain nombre de prisonniers. Mais la nouvelle du désastre de la flotte du duc d’Anville le força de se retirer. Comme la saison était trop avancée pour retourner en Canada, il alla établir ses quartiers d’hiver à Beaubassin, où un parti considérable d’Abénakis alla le rejoindre.

Les Anglais, dans le but de déloger M. de Ramsay de sa position, allèrent se placer au Grand-Pré, à quelque distance de Beaubassin. Les deux corps, quoiqu’en face l’un de l’autre, étaient séparés par la Baie de Fundy.

Dans le mois de Février, 1747, 300 Canadiens et Abénakis allèrent attaquer les Anglais dans leurs quartiers d’hiver. Pour les atteindre, il fallait faire le tour de la baie et franchir environ 180 mille, à travers la neige et les forêts. Ils arrivèrent devant le campement anglais, le 11 au matin, et se jetèrent avec fureur sur l’ennemi, Le combat qui s’ensuivit se prolongea jusqu’à 3 heures de relevée. Enfin, la victoire se décida en faveur des sauvages. Le colonel Noble, commandant des Anglais, fut tué, et plus du tiers de son armée fut mis hors de combat[23]. Cette bataille fut l’un des plus beaux faits d’armes des Abénakis.

Dans le même temps, des troubles s’élevaient aussi du côté de l’Ouest. Les sauvages de ces contrées cherchaient depuis plusieurs années à s’éloigner des Français et même à les détruire. Ils disaient dans leur naïf langage : « Les hommes rouges ne doivent pas se détruire les uns les autres ; laissons les blancs se faire la guerre entr’eux. » En 1747, les Miâmis, moins dociles que les autres sauvages, formèrent le dessein de massacrer les habitants du Détroit,

M. de Beauharnais envoya alors un fort parti d’Abénakis[24] et de Canadiens au secours de ces habitants. Les Abénakis se rendirent jusqu’au lac Michigan ; mais ils ne purent rejoindre les Miâmis, car ceux-ci s’étaient enfuis, après avoir fait brûler leur village.

Dans le cours de l’été, 1748, les Abénakis recommencèrent leurs excursions dans les colonies anglaises. Commandés par la Corne de Saint-Luc, ils attaquèrent le fort Clinton, et battirent un détachement de troupes anglaises, qu’ils précipitèrent dans une rivière à coups de haches. Commandés par de Léry, ils prirent le fort Bridgeman. L’année suivante, sous les ordres du major des Trois-Rivières, ils défirent, le 29 Août, un corps de troupes anglaises, près d’Albany[25].

À cette époque, les forts des frontières de la Nouvelle-Angleterre n’étaient plus tenables. Ils avaient presque tous été évacués, et la population effrayée s’était retirée dans l’intérieur du pays, pour se soustraire aux dévastations des Abénakis et des Canadiens.

Tel était l’état des choses en Amérique, lorsque M. de la Jonquière arriva à Québec, au mois d’Avril 1749, pour remplacer M. de la Galissonnière dans le Gouvernement du Canada.

La paix avait été signée, l’année précédente, à Aix-la-Chapelle. Dans ce traité, la France, par une aveugle indifférence, laissa encore indécise la question des frontières en Amérique. En 1718, elle avait fait une première faute en ne fixant pas les frontières de l’Acadie ; en 1748, elle en fit une seconde, plus grave encore, en abandonnant la décision de cette question à des commissaires. Par ce traité, le Cap Breton fut rendu à la France.

Le traité d’Aix-la Chapelle fit cesser les hostilités en Amérique. Les Anglais demandèrent alors la paix aux Abénakis. Des commissaires, envoyés de Boston, rencontrèrent les Chefs à Falmouth, le 15 Octobre 1749, et un traité de paix fut conclu[26].



  1. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 244 — Garneau, Hist.  du Canada. Vol. I​ I.114.
  2. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 944.
  3. Nos historiens ne parlent pas de la présence des Abénakis dans cette expédition. Ils disent seulement qu’il y avait environ 800 sauvages dans cette petite armée. Mais nous avons appris par la tradition chez les Abénakis que ces sauvages allèrent alors au lac Michigan, pour combattre contre les Outagamis. Il est fort probable qu’il y avait aussi dans cette expédition des Abénakis de l’Acadie.
  4. Ces sauvages résidaient au Sud du Lac Supérieur. Ils étaient appelés Folles-Avoines, parcequ’ils se nourrissaient d’une plante qui croît en abondance dans les marais, situés au Sud du lac Supérieur. Cette plante est la triganie aquatique, appelée folle-avoine par les voyageurs, parce qu’elle a une graine qui a la forme et l’apparence de l’avoine.
  5. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I 124, 125.
  6. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 944.
  7. Les pommes de terre étaient alors considérées en Canada comme une très-mauvaise nourriture.
  8. Lettre de la Mère Saint-Hélène. 1737.
  9. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 126.
  10. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 173.
  11. Bancroft, Hist. of the U. S. Vol. I​I. 1034. — Garneau Hist. du Canada, Vol. I​I. 175, 176.
  12. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 177.
  13. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 105.
  14. Idem. 105.
  15. Idem. 106.
  16. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 106.
  17. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 1035 — H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 106, 107.
  18. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 184 — Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 107, 108.
  19. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 179.
  20. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 180.
  21. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 1035.
  22. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 182.
  23. Garneau. Hist. du Canada, Vol. I​I. 194.
  24. Nous rapporterons ici un curieux incident de cette expédition des Abénakis contre les Miâmis. Dans ce voyage Joseph-Louis Gill, fils du premier Gill venu en Canada, était parmi les Abénakis de Saint-François. Un jour, les sauvages rencontrèrent un énorme serpent-sonnettes, Alors, ils résolurent d’éprouver le courage et la bravoure de Joseph-Louis. Un guerrier, après avoir fixé le serpent au sol, par le moyen de deux branches fourchues enfoncées dans la terre, à sa tête et à sa queue, dit à Gill : « Si tu es aussi brave qu’un sauvage, tu broieras avec tes dents les os de ce reptile, de la tête à la queue ». Gill fit aussitôt, sans hésiter, ce qui lui était demandé comme preuve de sa bravoure. Le guerrier arracha ensuite le cœur du reptile et le lui présenta, en disant : « Tu nous prouveras ton courage en mangeant ceci ». Gill avala le cœur palpitant du reptile, sans faire paraître le moindre signe de répugnance. Alors, les sauvages le proclamèrent comme un brave et courageux guerrier. Ce fut à la suite de cette expédition qu’il fut choisi pour être un Chef des Abénakis.
  25. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 194, 188. — H. Thrumbull, Hist. of the Indian Wars. 110.
  26. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 110.