Histoire des Abénakis/2/18

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CHAPITRE DIX-HUITIÈME.

les abénakis aux batailles de william-henry, de carillon, de montmorency. etc.

1757-1759.

M. de Vaudreuil demanda à la France 4,000 à 5,000 hommes pour la campagne de 1757 ; mais ce secours lui fut refusé, malgré les vives représentations du maréchal de Belle-Isle. On se contenta d’envoyer une petite escadre pour protéger Louisbourg, parceque le bruit s’était répandu que les Anglais voulaient attaquer la Nouvelle-France, de ce côté.

Tandis que la France montrait tant de négligence et d’apathie à l’égard de sa colonie, l’Angleterre se préparait avec activité à venger, dans la campagne qui allait s’ouvrir, ses défaites passées. Le célèbre Pitt, qui entrait au ministère, résolut de pousser la guerre avec la plus grande vigueur. Il envoya des vaisseaux et beaucoup de troupes en Amérique.

Lord Loudoun réunit à Boston les gouverneurs des provinces du Nord, et ceux du Sud s’assemblèrent à Philadelphie, pour s’entendre sur le plan d’opérations de la campagne. Ils décidèrent d’attaquer Louisbourg, qui était la clef du Canada. On s’empressa de faire les préparatifs de cette expédition ; et, au mois de Juillet, l’armée anglaise se montait à plus de 25,000 hommes.

Washington commandait vers la vallée de l’Ohio. Les milices furent chargées de garder les frontières, et on laissa près de 3,000 soldats en garnison à William-Henry.

Lord Loudoun partit, à la fin de Juin, pour Louisbourg, avec seize vaisseaux, quelques frégates et 6,000 hommes de troupes régulières. Il fut rejoint à Halifax, au commencement de Juillet, par l’amiral Holburn, qui avait 5,000 hommes sous ses ordres. Il apprit alors que l’amiral français, Dubois de la Motte, venait d’arriver à Louisbourg. Cette nouvelle engagea les Anglais à abandonner leur entreprise. Loudoun retourna sur ses pas, et Holburn se rendit dans les environs de Louisbourg, avec quinze vaisseaux et quatre frégates, pour prendre des connaissances sur l’état de cette ville ; mais bientôt, craignant d’être attaqué par l’amiral français, il retourna à Halifax. Vers l’automne, sa flotte fut assaillie par une furieuse tempête ; quelques vaisseaux furent perdus, et les autres retournèrent en Angleterre dans un état pitoyable[1].

En Canada, le 11 Juillet, on n’avait reçu de France que 600 soldats et un peu de vivres. Dans tout le cours de l’été, il n’arriva à Québec qu’environ 1,500 hommes.

Cependant, M. de Vaudreuil ne se découragea pas ; comme les Anglais dirigeaient leur attention sur Louisbourg, il résolut de profiter de cette occasion pour s’emparer du fort William-Henry. Dès le commencement de l’hiver précédent, il s’était appliqué à attirer l’estime et la sympathie de tous les sauvages, et il y avait réussi parfaitement. Tous les sauvages l’appelaient « leur Père ». Au printemps, il convoqua à Montréal une assemblée de tous les sauvages du pays. Des délégués de trente-trois nations, depuis le Golfe Saint-Laurent jusqu’au lac Supérieur, se rendirent à cette assemblée. Les Abénakis de l’Acadie arrivèrent, en grand nombre, pour se réunir à ceux du Canada. Cette assemblée fut nombreuse. Depuis le célèbre traité avec les Iroquois, on n’avait pas vu tant de sauvages réunis à Montréal. Le gouverneur représenta à ces guerriers « que les Anglais avaient bâti un fort sur les terres d’Ononthio, et qu’il était de son devoir de le détruire ». Il les invita à s’unir aux Français pour aller chasser l’ennemi commun ; puis ensuite, il leur fit des présents. Les sauvages acceptèrent ces présents, et répondirent. « Père, nous sommes venus ici pour faire ta volonté ». Quelques Iroquois qui s’étaient rendus à cette assemblée consentirent à prendre part à l’expédition, en disant : « Nous essaierons la hache de notre Père sur les Anglais, pour voir si elle coupe bien »[2].

Les sauvages demeurèrent à Montréal jusqu’au temps de l’expédition. Ils passaient la plus grande partie de leur temps à marcher dans les rues, chantant leurs chansons de guerre ; ce qui occasionna parfois des désordres. Ils montraient toujours beaucoup d’affection pour le gouverneur, et disaient « qu’ils ne voulaient combattre qu’avec leur Père ».

On a dit, à cette occasion, que M. de Vaudreuil avait manqué à son devoir à l’égard des sauvages, en les laissant faire tout ce qu’ils voulaient. À dire vrai, il montra un peu de faible pour ces barbares ; il en résulta qu’ils devinrent fort exigeants.

Au commencement de Juillet, environ 1,500 guerriers sauvages étaient réunis à Montréal. Les Abénakis de l’Acadie et ceux du Canada formaient environ 600 guerriers, qui furent mis sous les ordres de M. Rigaud de Vaudreuil[3].

Les sauvages se rendirent à Saint-Jean, accompagnés de plusieurs missionnaires ; de là, ils remontèrent le lac Champlain, sur 200 canots, dans une régularité imposante, faisant sans cesse retentir les forêts et les montagnes de leurs chants de guerre. À Carillon le Saint-Sacrifice de la messe fut célébré solennellement. Les Abénakis s’y firent remarquer par leur piété, et édifièrent beaucoup les sauvages infidèles[4].

En attendant l’armée de l’expédition, Rigaud et le lieutenant Marin poussèrent quelques pointes sur les Anglais, avec un détachement d’Abénakis et de Canadiens. Marin fit quelques prisonniers, et leva des chevelures du côté du fort Édouard. Rigaud, avec 400 Abénakis et Canadiens, rencontra sur le lac Saint-Sacrement un détachement d’Anglais, qui descendait sur vingt-deux berges. Il le défit complètement, tua 160 hommes, et fit environ 160 prisonniers[5].

L’armée de l’expédition, commandée par le général Montcalm, était rendue à Carillon, à la fin de Juillet. Elle se composait de 3,000 soldats et d’un pareil nombre de Canadiens, formant, avec les sauvages, 7,500 hommes. Montcalm laissa Carillon, le 30, pour se mettre en marche vers William-Henry. L’avant-garde, composée de 2,200 Canadiens et des Abénakis, sous les ordres du Chevalier de Lévis, prit la route de terre, pour protéger le reste de l’armée, qui s’avançait par eau avec l’artillerie. Le 2 Août, l’armée était rendue à trois milles de William-Henry. Montcalm débarqua en cet endroit et s’avança vers le fort, tandis que le Chevalier de Lévis, avec ses Canadiens et ses Abénakis, prit la route du fort Édouard, pour couper les communications entre les deux forts anglais, et arrêter les mouvements du général Webb, qui n’était qu’à quinze ou dix-huit milles de William-Henry, avec 4,000 hommes.

Le colonel Monroe commandait au fort anglais. Il avait 2,700 hommes sous ses ordres.

La tranchée fut ouverte, le 4, sous le feu des batteries du fort. Le lendemain, un Abénakis apporta au général Montcalm une lettre du général Webb, adressée au colonel Monroe. Le porteur de cette lettre, se voyant tomber entre les mains de l’ennemi, l’avait avalée, enveloppée dans une feuille de plomb ; et les Abénakis la trouvèrent dans ses entrailles[6]. Par cette lettre, Webb mandait à Monroe « que, vu la situation du fort Édouard, il ne lui paraissait pas prudent de marcher à son secours, ni de lui envoyer du renfort ; que les Français étaient au nombre de 13,000 ; qu’ils avaient une artillerie considérable, et qu'il lui envoyait ces renseignements afin qu'il pût en profiter pour obtenir la meilleure capitulation possible, s’il n’était pas capable de tenir jusqu’à l’arrivée des secours demandés à Albany »[7].

Pendant toute la journée du 6, le feu fut extrêmement vif des deux côtés. Le 7, Montcalm fit arrêter le feu de ses batteries, et envoya porter à Monroe la lettre de Webb. Monroe répondit qu’il ne se rendrait pas et qu’il se défendrait jusqu’à la dernière extrémité. La canonnade recommença alors avec vivacité, au milieu des hurlements des sauvages. Vers le soir, 500 Anglais sortirent du fort, pour essayer d’ouvrir une communication avec le fort Édouard. Les Abénakis se précipitèrent sur eux, en tuèrent une cinquantaine, firent plusieurs prisonniers, et chassèrent les autres vers le fort.

Le feu des assiégeants se continua, sans interruption, jusqu’au 9 au matin. Monroe demanda alors à capituler. Le fort fut livré à Montcalm, qui laissa retirer les troupes anglaises avec armes et bagages et un seul canon. Les Anglais avaient perdu environ 200 hommes, et les Français, 58 seulement[8]. On trouva dans le fort 43 canons, 35,835 lbs de poudre, des projectiles et des vivres en grande abondance[9].

Les sauvages commirent en cette occasion des désordres bien regrettables. Mais ce fut en partie par la faute des Anglais, qui négligèrent de jeter leurs boissons, comme on le leur avait recommandé. Un grand nombre de sauvages s’emparèrent de ces boissons et s’enivrèrent. Alors, il se précipitèrent, la hache à la main, sur les troupes anglaises, qui avaient mis bas les armes, et en firent un horrible massacre. Plusieurs officiers français reçurent des blessures en voulant arrêter cet affreux désordre. Montcalm employa tour-à-tour prières, menaces et promesses pour calmer les sauvages. Il leur dit plusieurs fois : « Tuez-moi, si vous le voulez, mais épargnez les Anglais, qui sont sous ma protection »[10]. Tout fut inutile, et le massacre se continua. 1,500 Anglais furent tués ou faits prisonniers[11].

Le fort William-Henry fut rasé, et, le 16 Août, l’armée française se mit en route vers Carillon.

Après cette glorieuse campagne, le Canada souffrit encore de la disette, car les récoltes avaient manqué comme l’année précédente. Pendant le reste de l’été et tout l’hiver suivant, la plus profonde misère règna dans le pays. Au printemps, on voyait des hommes tomber de faiblesse dans les rues, par le manque de nourriture.

Pour la campagne de 1758, le Canada ne reçut de France que 300 à 400 hommes de troupes, et il n’avait alors qu’environ 6,000 réguliers.

L’Angleterre fit de grands préparatifs. Pitt mit le général Abercromby à la tête de l’armée des colonies, et y envoya 12,000 hommes de troupes, sous le commandement du général Amherst. Les provinces levèrent de nombreuses milices, et bientôt, l’armée de cette campagne compta 80,000 hommes.

Le plan d’opérations des Anglais fut d’attaquer simultanément Louisbourg, Carillon et le fort Duquesne. On devait descendre sur Montréal après la prise de Carillon. 30,000 hommes furent destinés pour l’expédition contre Louisbourg ; 16,000, pour descendre en Canada par le lac Saint-Sacrement, et 9,000, pour être envoyés vers la vallée de l’Ohio[12].

La première expédition qu’ils exécutèrent fut celle de Louisbourg. L’amiral Boscawen partit d’Halifax, le 28 Mai, avec une forte escadre, portant 30,000 hommes, commandés par le général Amherst, et arriva à Louisbourg, le 2 Juin.

Le gouverneur de la place, M. Drucourt, n’ayant alors que 2,700 hommes pour se défendre, comprit de suite qu’il lui était impossible de résister à une si forte armée. Cependant, il résolut de faire la plus longue résistance possible. Il invita aussitôt les Abénakis de l’Acadie à venir au secours de Louisbourg ; et ceux-ci se rendirent promptement, en assez grand nombre, à l’appel du gouverneur. Pendant ce temps, il fit promptement élever des retranchements près de la mer, à l’endroit où il supposait que l’ennemi opérerait son débarquement, et y fit placer des canons.

Les Anglais commencèrent à débarquer, le 8. Le général Wolfe gravit sur un rocher, avec une centaine d’hommes. Quelques Abénakis et habitants accoururent pour le repousser, mais ils ne purent y réussir[13]. Drucourt sortit aussitôt de la ville, avec ses troupes et un certain nombre d’Abénakis, et alla se placer derrière les retranchements. Mais, les Français ayant commencé le feu trop tôt, les Anglais découvrirent le piége qui leur était tendu, et allèrent débarquer dans un autre endroit. Les Français et les sauvages combattirent tout le jour pour empêcher le débarquement de l’ennemi ; mais ils ne purent y réussir, et, vers le soir, ils furent forcés de rentrer dans la ville, après avoir perdu 200 hommes[14].

Les Anglais commencèrent aussitôt les travaux du siége. Drucourt lutta pendant deux mois, avec une persévérance et un courage admirables. Enfin, le 26 Juillet, n’espérant plus de secours et ayant déjà perdu 1,500 hommes, il fut forcé de se rendre. Louisbourg, qui n’était plus qu’un amas de ruines, tomba au pouvoir des Anglais, avec le Cap-Breton. Cette perte laissa le Canada sans défense, du côté de la mer, et ouvrit aux ennemis la route de Québec.

Pendant que le général Amherst faisait le siége de Louisbourg, le général Abercromby marchait avec 16,000 hommes, vers le lac Saint-Sacrement, pour envahir le Canada. M. de Vaudreuil, apprenant cette nouvelle, envoya immédiatement le général Montcalm prendre le commandement des 3,000 hommes de troupes, placés à Carillon. Montcalm partit de Montréal, le 24 Juin, et arriva à Carillon, le 30. Comme les Anglais étaient déjà à la tête du lac Saint-Sacrement, il manda immédiatement au gouverneur de lui envoyer, sans délai, le secours qu’il attendait. 1,600 Canadiens, 400 réguliers et environ 300 Abénakis furent alors envoyés vers le lac Champlain, sous les ordres du Chevalier de Lévis. Il n’y eut que les Abénakis et une partie des Canadiens qui purent, à marches forcées, arriver à Carillon avant la bataille.

Plusieurs historiens, entr’autres Garneau, disent qu’il n’y avait qu’un petit nombre de sauvages à la bataille de Carillon ; mais la plupart des historiens américains, entr’autres, Bancroft, Hildreth, Thrumbull, Frost, disent qu’un grand nombre d’Abénakis y prirent part. M. de Vaudreuil, regrettant les désordres que les sauvages avaient commis l’année précédente, à William-Henry, n’invita que les Abénakis pour cette campagne. Il n’y eut toutefois que ceux du Canada qui y allèrent, car ceux de l’Acadie étaient alors employés pour la défense de Louisbourg. C’est probablement ce qui fait dire à nos historiens qu’il n’y avait que quelques sauvages dans cette campagne.

John Frost raconte une rencontre qui eut lieu alors, à Ticondéroga (Carillon), entre 200 Abénakis et un détachement de Rangers, commandé par le major Rogers. Ce détachement fut défait par les sauvages. Plusieurs furent faits prisonniers, entr’autres, un officier, du nom de Putnam, qui fut conduit à Montréal[15].

La tradition chez les Abénakis nous apprend que la plupart des guerriers de Saint-François et de Bécancourt étaient à la bataille de Carillon. Or, à cette époque, il y avait dans ces deux villages plus de 400 guerriers. De là, nous concluons qu’il y avait environ 300 Abénakis à cette bataille.

Le 1 Juillet, Montcalm échelonna ses troupes depuis Carillon au lac Saint-Sacrement, pour s’opposer au débarquement et à la marche de l’ennemi, et il envoya trente hommes ; dans deux berges, croiser sur le lac.

Abercromby embarqua son armée, le 5, sur des berges, et descendit majestueusement le lac. Voici ce qu’un historien américain, Dwight, dit de la marche de l’armée anglaise. « Le ciel était extrêmement pur, et le temps superbe ; la flotte avançait avec une exacte régularité au son d’une belle musique guerrière. Les drapeaux flottaient étincelants aux rayons du soleil, et l’anticipation d’un triomphe brillait dans tous les yeux. Le ciel, la terre et tout ce qui nous environnait présentaient un spectacle enchanteur. Le soleil, depuis qu’il brillait dans les cieux, avait rarement éclairé tant de beauté et de magnificence. »

Les Anglais commencèrent à débarquer, le 6. Montcalm, s’apercevant aussitôt que sa position n’était pas avantageuse, leva le camp, et, protégé par les Canadiens et les Abénakis qui venaient d’arriver, alla se placer sur les hauteurs de Carillon, où il se retrancha. Ces retranchements furent faits d’arbres ronds, placés les uns sur les autres. Cet ouvrage se continua avec la plus grande activité jusqu’au 7 au soir. Les deux armées n’étaient alors qu’à 700 toises l’une de l’autre. On se prépara donc, des deux côtés, pour l’affaire du lendemain.

Le 8, Montcalm fit garnir ses retranchements vers midi, et à 1 heure, l’armée ennemie, rangée en quatre colonnes, se mit en mouvement. Montcalm avait donné l’ordre de laisser approcher l’ennemi jusqu’à vingt pas des retranchements. À cette distance, les Français firent feu sur l’ennemi. Ce feu fut si prompt et si terrible que bientôt les colonnes ennemies chancelèrent, tombèrent en désordre et commencèrent à reculer. Elles se reformèrent et revinrent à la charge. Le feu devint alors, des deux côtés, d’une vivacité extrême. Après un long et rude combat, l’ennemi fut encore obligé de reculer, laissant le champ de bataille couvert de morts. Les colonnes ennemies se reformèrent une seconde fois, et se précipitèrent sur les retranchements. Le feu devint encore plus vif. Les Anglais, après des efforts inouïs pour enfoncer les retranchements, furent repoussés une troisième fois.

Abercromby, ne pouvant se persuader qu’il serait vaincu par si peu de monde, revint encore trois fois à la charge, mais il fut repoussé chaque fois avec des pertes considérables. Cependant les grenadiers et les montagnards écossais se couvrirent de gloire. Ils étaient en face des Canadiens et des Abénakis ; ils soutinrent le feu meurtrier de ces derniers avec un courage héroïque, et ne se retirèrent qu’après avoir perdu plus de la moitié de leurs soldats et vingt-cinq officiers.

Vers 6 heures, Abercromby fit retirer ses troupes dans le bois, pour leur donner quelque repos. Il reparut une heure après, et commença une attaque générale sur toute la ligne des retranchements. Mais cette septième tentative fut encore inutile ; il fut encore repoussé. Le lendemain, Montcalm tint ses troupes aux retranchements, dans la crainte que l’ennemi ne revint encore à la charge. Mais Abercromby s’était rembarqué de grand matin, et avait disparu.

Telle fut la célèbre bataille de Carillon, où le général Montcalm, avec environ 3,600 hommes, en repoussa 16,000.

Suivant Garneau, les Anglais perdirent 2,000 hommes, tués ou blessés, dont 126 officiers ; et les Français ne perdirent que 377 hommes, dont 38 officiers[16]. D’autres historiens portent les pertes des Anglais à 4,000 hommes et celles des Français à 450[17].

Abercromby renonça à une nouvelle tentative contre Carillon et Montréal, mais il envoya le colonel Bradstreet, avec 3,000 hommes, pour s’emparer du fort Frontenac. Bradstreet arriva, le 25 Août, devant ce fort, qui n’était alors gardé que par 70 hommes. Toute résistance était inutile, et le fort fut pris par les Anglais.

M. de Vaudreuil, apprenant le départ de Bradstreet, fit réunir en toute hâte les Abénakis et 1,500 Canadiens, et les envoya au secours de Frontenac ; ceux-ci, ayant appris en route la reddition du fort, retournèrent sur leurs pas.

Du côté de la vallée de l’Ohio, les Anglais furent d’abord battus ; mais étant revenus à la charge, le commandant du fort Duquesne fut obligé de se retirer, après avoir fait brûler son fort. Le colonel Forbes, qui commandait l’expédition de ce côté, donna au fort Duquesne le nom de « Pittsburgh », en l’honneur du ministre Pitt.

Ainsi l’avantage de la campagne de 1758 resta aux Anglais. Ils se trouvèrent maîtres de Louisbourg et de la vallée de l’Ohio, et ils avaient détruit le fort Frontenac.

Leur projet pour la campagne de 1759 fut d’envahir le Canada, en l’attaquant à la fois au centre et aux deux extrémités. Le général Amherst fut chargé du commandement de l’armée, à la place d’Abercromby. Il fut décidé que le général Wolfe, qui s’était distingué au siége de Louisbourg, remonterait le Saint-Laurent, avec 10,000 hommes, pour aller assiéger Québec ; que le général Armherst attaquerait les forts du lac Champlain, avec 12,000 hommes, et descendrait par le Richelieu pour rejoindre l’armée de Wolfe ; que le général Prideaux, avec UN troisième corps, irait s’emparer de Niagara, et que le général Stanwix, avec un quatrième corps, raserait les petits forts situés sur le lac Ontario. L’amiral Saunders devait partir d’Angleterre avec une grosse flotte, pour venir rejoindre celle de Wolfe dans le fleuve Saint-Laurent[18].

Pour faire face à de si immenses préparatifs, la France n’envoya que 600 hommes de troupes en Canada. Voilà tout ce qui arriva à Québec avant l’apparition de la flotte anglaise. Le Canada ne comptait, avec ces recrues, que 5,300 hommes de troupes règlées.

Dès le printemps ; on envoya le capitaine Pouchot à Niagara, avec 300 hommes, le Chevalier de la Corne au lac Ontario, avec 1,200 hommes, et Bourlamaque fut placé sur le lac Champlain, avec environ 2,400 hommes, ayant l’ordre de faire sauter les forts Carillon et Saint-Frédéric, s’il ne pouvait y tenir, et de se retirer ensuite sur l’Île-aux-Noix, au pied du lac Champlain. Environ 200 guerriers abénakis de Saint-François et de Bécancourt furent envoyés au près de Bourlamaque, et les autres descendirent à Québec, pour rejoindre ceux de l’Acadie, qui y arrivèrent avec M. de Boishébert.

À Québec, on fit des retranchements, depuis la rivière Saint-Charles jusqu’à celle de Montmorency. L’armée fut divisée en trois corps. Le premier, fut placé à la Canardière, sous le commandement du général Lévis, le second, qui était le centre de l’armée, fut chargé d’occuper l’espace compris entre la rivière et l’église de Beauport, sous le commandement du général Montcalm, et le troisième, fut placé depuis Beauport jusqu’à la rivière Montmorency, sous le commandement du colonel Bougainville. Un corps de réserve, comprenant 450 sauvages, dont la plupart étaient des Abénakis du Canada et de l’Acadie, fut placé près du centre, sous les ordres de M. de Boishébert[19]. L’armée comptait 13,000 hommes, avec les milices venues des campagnes.

Vers le 20 Juin, quelques vaisseaux anglais étaient rendus à l’Île-aux-Coudres. Un parti d’Abénakis et de Canadiens, qui avait été envoyé en découverte en cet endroit, se glissa dans l’île et s’y mit en embuscade. Quelques Anglais, ayant mis pied à terre, tombèrent dans cette embuscade ; trois officiers furent faits prisonniers et les autres purent s’échapper[20].

La flotte anglaise était réunie à l’Île d’Orléans, le 25 Juin, et bientôt, elle jeta l’ancre dans le bassin de Québec.

Le 28, les Français s’occupèrent à lancer des brûlots contre les vaisseaux anglais. Les Anglais envoyèrent aussitôt des berges pour détruire ces brûlots ; mais un parti d’Abénakis, commandé par M. le Mercier, arriva assez tôt pour les protéger. Les sauvages coulèrent une berge et chassèrent les autres. Huit Anglais furent faits prisonniers[21]. Cependant, les brûlots ne produisirent aucun effet.

Après quelques jours de réflexion, Wolfe résolut de bombarder la ville et de ravager les campagnes, espérant que les Canadiens abandonneraient leurs retranchements, pour aller protéger leurs propriétés. Le 30, une partie de l’armée anglaise débarqua à la Pointe-Lévis, et alla se placer en face de la ville. Montcalm envoya un détachement pour chasser les Anglais de cette position, mais il ne put y réussir. Dans la nuit du 30, les batteries anglaises ouvrirent leur feu sur la ville. Alors, la garnison s’occupa à éteindre les incendies causés dans la ville par les projectiles. Dans l’espace d’un mois, les plus belles maisons de Québec et la cathédrale furent consumées par les flammes. La basse-ville fut entièrement incendiée. Les canons de la ville étaient inutiles, parcequ’ils ne pouvaient atteindre les batteries de l’ennemi.

Pendant que Wolfe bombardait Québec, les Abénakis allaient de temps en temps faire des escarmouches du côté de la Pointe-Lévis, en passant par le Cap-Rouge. Ils faisaient des prisonniers et levaient des chevelures. Les Anglais en étaient un peu troublés. Aussi, l’amiral Saunders s’en plaignit à M. de Vaudreuil, et le pria de faire cesser ces cruautés. Le gouverneur répondit qu’il ne pouvait le faire, mais qu’il tâcherait de faire racheter les prisonniers qui tomberaient entre les mains des sauvages[22].

Après avoir presqu’entièrement détruit la ville, Wolfe se jeta sur les campagnes. Tout fut ravagé, à droite du Saint-Laurent, depuis Sainte-Croix à la Rivière-du-Loup, en bas, et, à gauche, depuis Montmorency à la Malbaie. 1,400 maisons furent incendiées. Pendant ces dévastations, les troupes françaises et les milices ne bougèrent point de leurs retranchements. Wolfe résolut alors d’attaquer l’armée française. Il alla se placer près de Montmorency, avec 118 canons. Le 31 Juillet, il attaqua la gauche de l’armée française, avec 8,000 hommes. Les Canadiens accoururent aussitôt au secours de la gauche. Après un rude combat, les Anglais, accablés par le feu meurtrier des Canadiens, tombèrent en désordre et se retirèrent.

Quoiqu’il ne soit pas fait mention des Abénakis dans ce combat, il est fort probable qu’ils y prirent part. Comme nous l’avons dit, ils avaient été placés avec les Canadiens à Beauport, vers le centre de l’armée. Il est bien probable qu’ils ne restèrent pas en arrière lorsque les Canadiens coururent au secours de la gauche, qu’au contraire ils les suivirent et combattirent avec eux, comme ils le faisaient ordinairement. D’ailleurs les coups si bien dirigés des Canadiens semblent indiquer clairement qu’il y avait parmi eux d’habiles tireurs, qui devaient être des sauvages.

Wolfe entra dans son camp presque découragé. Voyant qu’il lui était impossible de chasser les Français de leurs retranchements, il envoya le général Murray, avec 1,200 hommes, pour ouvrir une communication avec le général Amherst, du côté du lac Champlain. Montcalm envoya aussitôt Bougainville avec 1,000 hommes, pour s’opposer à la marche de Murray. Bougainville fut bientôt rejoint par un détachement de Canadiens et d’Abénakis[23]. Murray. fut repoussé deux fois à la Pointe-aux-Trembles. De là, il alla dévaster quelques paroisses, à droite du Saint-Laurent, puis il retourna au camp anglais.

Wolfe, après un mois de délibérations avec ses généraux, reconnut que la seule chose qui lui restait à faire était de tenter une surprise, en essayant de faire pénétrer ses troupes au-dessus de Québec, pour attaquer la ville de ce côté. Montcalm regardait cette chose comme impossible, car il considérait la côte, à l’anse-des-Mères, au Foulon et à Samos, comme inaccessible. Aussi, il écrivit à M. de Vaudreuil, qui avait quelque crainte de ce côté : « Il n’y a que Dieu, monsieur, qui sache faire des choses impossibles ».

Après cette décision, Wolfe fit passer son armée et son artillerie à la Pointe-Lévis, le 3 septembre, puis bientôt les vaisseaux anglais s’étendirent depuis Sillery à la Pointe-aux-Trembles.

Montcalm comprit enfin qu’il y avait du danger de ce côté. Il envoya encore 1,000 hommes à Bougainville, avec quelques Abénakis et autres sauvages. Ces troupes furent disséminées çà et là, depuis Sillery à la Pointe-aux-Trembles.

Pendant que Bougainville épiait les mouvements des Anglais, Wolfe faisait examiner secrètement la rive gauche du Saint-Laurent jusqu’à Québec. Enfin, le 12, il ordonna aux vaisseaux, qui avaient été laissés au Cap-Rouge, de s’approcher de Saint-Augustin, afin d’attirer l’attention de Bougainville de ce côté, et envoya un grand nombre de berges croiser devant les retranchements de Beauport, afin de faire croire à une descente en cet endroit. Le lendemain, à 1 heure du matin, il s’embarque avec une partie de ces troupes sur des bateaux, et descend silencieusement, en suivant la rive gauche du fleuve, jusqu’au Foulon. Rendu au lieu indiqué, il débarque, s’empare du corps de garde placé en cet endroit, et gravit promptement l’escarpement avec ses troupes, à travers les arbres et les broussailles. Arrivé sur le plateau, il s’empare du petit détachement qui y était, et prend le commandant dans son lit[24]. Pendant ce temps, les bateaux ramenèrent le reste des troupes. Et, de grand matin, les Anglais, au nombre de 8,000 ; étaient rangés en bataille sur les plaines d’Abraham.

Montcalm apprit cette nouvelle inattendue à 6 heures du matin. Il ne pouvait y croire. Il entra dans la ville par la porte du Palais, avec 4,500 hommes, en sortit par les portes Saint-Louis et Saint-Jean, et, à 8 heures, il était en face de l’ennemi.

Les Abénakis et les autres sauvages, qui restaient encore dans l’armée de Montcalm, furent placés parmi les troupes de la gauche et de la droite[25].

Montcalm, avec des troupes bien inférieures en nombre à celles de Wolfe et sans attendre le renfort qui devait lui arriver prochainement, osa brusquer l’attaque. Cette imprudence causa la perte de la colonie.

L’attaque commença par les Canadiens et les sauvages. Wolfe, malgré les ravages que cette fusillade causa dans ses rangs, ne se pressa pas de se défendre. Il fit mettre deux balles dans les fusils, et, lorsque les Français ne furent qu’à vingt pas de ses troupes, il ordonna le feu. Les Français furent assaillis par un feu si meurtrier que bientôt, le désordre s’étant mis parmi eux, ils commencèrent à reculer. Les Anglais, profitant de ce désordre, se précipitèrent sur eux et les mirent en fuite. Ce fut alors que Wolfe fut atteint d’une balle qui lui traversa la poitrine. Il vécut encore assez longtemps pour apprendre qu’il avait remporté la victoire. Montcalm, voulant rallier ses troupes, reçut aussi une blessure mortelle, dont il mourut le lendemain.

C’est ainsi que fut perdue la première bataille d’Abraham. M. de Vaudreuil se retira avec les troupes à la rivière Jacques-Cartier, pour y élever un fort.

Le général Lévis, alors à Montréal, apprenant la mort de Montcalm, partit aussitôt pour aller prendre le commandement de l’armée. Mais il arriva trop tard à Québec. La ville avait capitulé, le 18, et était au pouvoir des Anglais. Le général James Murray fut nommé gouverneur de Québec.

À l’automne, M. de Vaudreuil abandonna le fort de Jacques-Cartier, pour aller passer l’hiver à Montréal ; et les Abénakis retournèrent à leur village.

Du côté de l’Ouest, les Anglais s’étaient emparés de Niagara. Nous verrons dans le chapitre suivant ce qui arriva du côté du lac Champlain.

  1. Garneau. Hist. du Canada, Vol. I​I. 264.
  2. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 184.
  3. Quelques historiens disent qu’il y avait 1,800 sauvages à l’expédition de William-Henry, d’autres, parmi lesquels on compte Carver, qui assista au combat, prétendent que leur nombre n’était que de 1,500. Cette dernière opinion nous paraît bien plus probable.
  4. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 184.
  5. Idem. Vol. III. 185 — Garneau. Hist. du Canada, Vol. I​I. 267.
  6. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 96.
  7. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 268.
  8. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 188.
  9. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 269.
  10. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 138.
  11. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 97.
  12. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 278.
  13. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 280.
  14. Idem. Vol. I​I. 281.
  15. John Frost. The Indian on the battle field. 285-302.
  16. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 291.
  17. Mémoires sur les affaires du Canada, 1749-1760, 110.
  18. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III, 223.
  19. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 313.
  20. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 142.
  21. Idem. 142.
  22. Mémoires sur les affaires du Canada, 1749-1760. 147.
  23. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 325.
  24. Ce commandant était Vergor, cet homme sans énergie et sans activité qui avait livré Beauséjour aux Anglais.
  25. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I&#8203 ;I. 334.