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Histoire des Canadiens-français, Tome III/Chapitre 4

La bibliothèque libre.
Wilson & Cie (IIIp. 53-64).

CHAPITRE IV

1654-57.


Montréal se développe. — Affaires du commerce. — Les Cent-Associés. — Massacres des Français et des Hurons. — M. de Lauson rappelé.

I
l y avait quarante-cinq ans que le poste de Québec était fondé ; dix-neuf ans que les Trois-Rivières possédaient des habitants stables ; onze ans que Montréal vivait au pied des murs de son fort — et cette colonie, qui eût dû compter deux ou trois mille hommes en état de la faire respecter, était si faible qu’elle regardait comme son unique salut une centaine d’artisans engagés pour partager ses travaux, sa destinée, et au besoin ses périls.

« Aucun seigneur jusque-là n’avait amené un pareil noyau de population ; en outre, la situation de Montréal, presque au centre du pays des Iroquois, plus périlleuse pour elle-même, créait un poste avancé et menaçant qui assurait plus de tranquillité aux établissements inférieurs du fleuve ; ce n’est donc point sans raison que l’abbé Faillon dit que cette œuvre toute chrétienne et dévouée fut alors le bouclier et peut-être le salut de la colonie canadienne[1]. » Montréal sauva la colonie en 1653 et en 1660.

Les annalistes et les historiens qualifient de soldats les hommes arrivés à Montréal en 1653. C’étaient tout bonnement des laboureurs et des gens de métiers qui, à l’heure de l’épreuve, ont su se transformer et manier les armes avec bravoure.

Engagés pour cinq ans avec l’intention de retourner en France, ils paraissent, néanmoins, avoir pris goût au pays nouveau, puisque, dans l’espace de dix-huit mois qui suivirent leur arrivée, plus de trente d’entre eux se firent accorder des terres ; en même temps, seize ou dix-sept anciens colons reçurent des lots destinés à être mis en culture. M. Faillon porte à quarante-six le nombre des familles de l’île, année 1655. La société de Montréal les aidait par tous les moyens en son pouvoir : elle comprenait l’importance de la colonisation.

« Ce qui nous reste aujourd’hui de ces gens-là, écrivait en 1670 M. Dollier de Casson, sont de fort bons habitants dont le nom sera, j’espère, mentionné dans le livre de vie pour la récompense de leurs bonnes actions. Si la manière d’écrire l’histoire me permettait de les nommer tous, je les nommerais joyeusement, parce qu’il y en a bien peu qui n’aient mérité leur place dans cette relation, mais puisque le discours historique n’accorde pas cette liberté, ils m’excuseront si je ne le fais pas. » Le discours historique est plus libre à présent.

Les mariages faits à Montréal entre Français et Françaises, de 1647 à 1653, étaient au nombre de dix. Dès l’année 1654, on en célébra treize autres.

M. l’abbé Faillon, qui a étudié si parfaitement les origines de Villemarie, peut être consulté avec avantage sur une foule de détails intéressants. « Dès son arrivée, M. de Maisonneuve avait augmenté les bâtiments de l’hôpital ; et, afin de les garantir des insultes des Iroquois, il avait fait construire, tout auprès, deux redoutes où l’on plaça deux pièces de fonte et toutes autres munitions nécessaires en cas d’attaque. L’arrivée de cette nombreuse recrue et les travaux de défense que les colons exécutaient inspirèrent de la crainte aux Iroquois ; ce qui fut cause qu’au printemps de 1654, mademoiselle Mance quitta le fort et rentra à l’hôpital, d’où elle ne sortit plus dans la suite. De leur côté, à mesure qu’ils avaient construit des maisons pour leur usage, les colons quittaient aussi le fort et allaient les habiter. Ces maisons, en 1659, étaient au nombre d’environ quarante, toutes isolées et situées les unes en face des autres, de manière à se protéger et à se défendre naturellement, car dans chacune on avait eu soin de pratiquer des meurtrières, d’où l’on pût en assurance faire feu sur les assaillants. Ainsi transformées en autant de redoutes et habitées par des soldats armés, ces maisons devinrent un moyen et à la fois un motif des plus efficaces pour exciter ceux à qui elles appartenaient à défendre vigoureusement le pays, en défendant ainsi leurs propres foyers. Aussi rendirent-elles comme inutile le fort de Ville-Marie, dont on cessa alors de réparer les bastions, que les glaces du fleuve endommageaient fréquemment ; et il ne resta plus dans le fort que M. de Maisonneuve, la famille d’Ailleboust, le major (Closse) avec la garnison ordinaire et quelques autres personnes, parmi lesquelles la sœur Bourgeoys… La garde nécessaire à la conservation des travailleurs était un privilège réservé à soixante et trois colons que M. de Maisonneuve avait choisis pour former entre eux une confrérie militaire. Il l’avait composée de soixante et trois hommes, afin d’honorer par ce nombre celui des années que la très-sainte Vierge a passées sur la terre… on les appelait les « soldats de la très-sainte Vierge. » M. Dollier de Casson fait voir le bon résultat de ces mesures : « Nous commençâmes, dès lors, à inspirer aux Iroquois une certaine frayeur qui leur empêchait de s’avancer si avant dans nos desseins qu’ils faisaient autrefois. »

En effet, cent hommes résolus devaient inspirer du respect aux maraudeurs ; aussi voyons-nous que, dès l’automne de 1655, ce fut Montréal qui inspira aux Iroquois l’idée de « faire la paix » selon la manière de s’exprimer de ces barbares ; car ils entendaient par là une suspension d’armes plus ou moins longue. Aux Trois-Rivières, vingt hommes à peine pouvaient contribuer à la défense du poste. Québec, rarement menacé, était ouvert à tout venant. Auteur, en partie, de cet état de choses, le gouverneur-général jouissait d’une détestable réputation à Québec et aux Trois-Rivières.

« Il eût été difficile, dit M. Faillon, que M. de Lauson fût aimé à Villemarie. Nous avons vu qu’en 1653 il fit tous ses efforts pour retenir la dernière recrue et l’empêcher de se rendre à ce poste. C’est apparemment qu’ayant autrefois donné l’île de Montréal à la compagnie de ce nom, sous la condition générale d’y faire passer des hommes, il prétendait qu’elle devait en envoyer aussi pour cultiver ses propres terres, et fortifier Québec et les environs ; du moins blâmait-il les associés de Montréal de n’en pas envoyer de France un plus grand nombre. De plus, il s’attribuait le droit de lever un tribut sur les vivres, les hardes et les munitions qui passaient devant Québec pour monter à Villemarie ; et c’était vraisemblablement sur sa qualité de gouverneur-général qu’il fondait cette prétention. Il n’aurait pu, en effet, l’établir sur le privilège abusif qu’il avait accordé autrefois à François de Lauson, son fils, d’un droit exclusif de navigation sur le fleuve, puisque, par un acte en forme, il avait accordé à la compagnie de Montréal, tant en son nom propre que comme légitime administrateur des biens de son fils, le droit de navigation et de passage dans l’étendue du fleuve Saint-Laurent. Enfin, il trouvait mauvais qu’à Villemarie, les associés eussent un magasin pour y garder les hardes, les vivres et les munitions nécessaires aux colons et à la défense du pays, prétendant apparemment qu’ils auraient dû se procurer tous ces objets à Québec même, et c’est peut-être pour tous ces motifs et d’autres semblables que M. de Belmont dit, dans son Histoire du Canada, que M. de Lauson « persécuta le Montréal. »

Des plaintes ayant été portées à la cour, le ministre fit adresser par le jeune roi une lettre à M. de Lauson (8 mars 1655), qui enjoignait à ce dernier de laisser sa liberté d’action à la société de Montréal, laquelle possédait le droit de faire venir de France les objets dont elle avait besoin, et ce sans payer de droits à Québec[2].

Les Iroquois commettaient toujours des massacres. À part ceux déjà cités, il faut mentionner Mathurin Guillet, le sieur La Boujonnier, notaire, Jean Véron, Guillaume Isabel, Matris Belhomme, Jean Potvin dit Lagrave, Marin Terrier de Francheville, Jean Poisson, Jean Turcot, Thomas Godefroy, François Crevier, Emery Cailleteau, Dupuis, Langoumois, Deslauriers, Lapalme, Saint-Germain, Chaillon, Saint-Denis, Jean Houdan dit Gaillarbois, Le Valon, Plassey, chirurgien, Rochereau, assommés, brûlés à petit feu ou enlevés près des Trois-Rivières. Du même lieu désertèrent aussi « Barré, enspesade, et La Montagne, soldat ; La Rose, serviteur de M. de la Poterie, et un nommé Lépine ; Baudet, domestique de Mme veuve Jean Véron de Grandmesnil ; Lafond, La Verdure, Coquelin, Paul Langlois — ces cinq derniers qualifiés de matelots ; Des Noyers, Du Plessis, Lamontagne, Savary, Lafranchise, Des Lauriers et Tête-Pelée, serviteur de la veuve de Francheville. » Cette bande paraît avoir pris le chemin de l’Acadie ; elle périt de misère en route ; Paul Lafranchise, Savary, Deslauriers, Lafond moururent ; « il y avait des marques qu’ils s’étaient mangés les uns les autres. »

Aux alentours de Québec, les serviteurs s’enfuyaient des habitations, comme le montre à plus d’une reprise le Journal des Jésuites. François Boulé fut tué au Cap-Rouge ; au même lieu, Pierre Gareman dit le Picard et son fils Charles furent enlevés, ainsi qu’un jeune garçon nommé Hugues Le Couturier, et le frère jésuite Jean Liégeois périt non loin de Québec.

Partir de France sur la foi d’un engagement solennel, et se trouver au milieu des forêts du Nouveau-Monde abandonné à la fureur des sauvages, uniquement parce que les entrepreneurs de la colonie ont manqué de parole, est un cas révoltant. Dans ces circonstances, il arrive ordinairement deux choses : une partie des colons s’échappent et cherchent fortune ailleurs ; les autres à l’instar des soldats qui ne veulent pas être battus, résistent à la situation et finissent par trouver en eux-mêmes assez de valeur pour se maintenir sans le secours de leurs prétendus protecteurs. Durant un siècle et demi, ce fut toujours la même chose. Si les Canadiens — ceux qui sont véritablement dignes de ce nom — n’eussent pas compris que, à un moment donné, la France se retirerait d’eux et les livrerait à leurs seules ressources, notre nationalité n’existerait pas ; car nous ne nous serions jamais préparés à la résistance.

Au printemps de 1655, quatre travailleurs, employés par M. Denis, tombèrent sous les coups des Iroquois alors qu’ils vaquaient à leurs occupations dans les champs, près de Québec. La terreur gagna les campagnes environnantes. Ce n’était que le prélude de malheurs plus grands.

Nous devons une mention à la famille Denis, qui figure avec éclat dans nos annales. Simon Denis, sieur de Vitré, seigneur du lieu appelé la Trinité, né (1599) à Saint-Vincent de Tours, avait épousé (1628) Marie-Jeanne Dubreuil, laquelle mourut en France (1639), lui laissant deux fils : Pierre et Charles. Vers 1643, il se maria en secondes noces avec une veuve du nom de Françoise du Tartre, qui lui donna plusieurs enfants. En 1650 (10 août, greffe d’Audouard), à Québec, les jésuites lui concédèrent un terrain. C’était à l’époque où les troubles de l’Acadie amenaient plusieurs Français de cette province au Canada ; aussi voyons-nous que, en 1651, les « messieurs Denys, qui avaient été pris prisonniers par madame Daunay, furent renvoyés » à Québec dans une frégate de cette ville capturée quelques semaines auparavant par la femme de l’ancien gouverneur de l’Acadie. L’année suivante, son ami, Amador de Latour, ayant épousé madame d’Aulnay, on voit que Simon Denis partit de Québec, au mois de mai, dans le dessein « d’aller trouver M. de la Tour, afin de se rétablir vers Miscou. » Sa famille resta à Québec ; en 1657, le 28 octobre, M. l’abbé de Queylus « jetta l’excommunication, à la grande messe, après avoir publié le monitoire par trois dimanches, contre ceux qui auraient brûlé la maison de M. Denis. » Deux ans plus tard, le Journal dit : « 4 septembre, le moulin de M. Denis sur le cap aux Diamants commença à moudre. » La citadelle de Québec, construite il y a une soixantaine d’années, occupe la terre de Denis ; les descendants de ce colon ne cessent de réclamer une indemnité du gouvernement.

Pierre Denis sieur de la Ronde, fils de Simon, né à Tours en 1630, prit des terrains à Notre-Dame-des-Anges, près Québec. Il épousa (1655) Catherine, fille de Jacques Leneuf de la Poterie, et fonda une nombreuse famille. En 1690, il occupait un haut rang dans les troupes et demeurait à Beauport. Nous parlerons de ses fils.

Charles Denis sieur de Vitré et de la Trinité, membre du conseil souverain de la Nouvelle-France, fils de Simon, né à Tours (1632), épousa à Québec (1668) Catherine de Costelneau, native de Paris. Il a laissé plusieurs enfants.

Paul Denis sieur de Saint-Simon, grand prévôt de la maréchaussée, fils de Simon, né en France, 8 juin 1638, épousa à Québec (1678) Marie-Madeleine Depeiras, dont le père était conseiller du roi à Paris. Sa descendance est très nombreuse.

N’oublions pas les Iroquois. « L’île aux Oies, dit la Relation de 1663, est peuplée en son temps d’une multitude d’oies, de canards et d’outardes dont elle paraît toute couverte. Elle est plate et chargée d’herbes, comme une prairie. » En 1655, plusieurs habitants y demeuraient. Le seigneur en partie de cette île était alors Jean-Baptiste Moyen, sieur des Granges, de Paris arrivé dans la Nouvelle-France avec sa femme, Élizabeth Le Bret, et ses deux filles Élizabeth et Marie. Au printemps de cette année 1655, les Iroquois firent une descente dans l’île, tuèrent tous ceux qui leur tombèrent sous la main, y compris monsieur et madame Moyen, enlevèrent les enfants de ces derniers ainsi que deux filles de Nicolas Macart, et s’arrêtèrent, en remontant le fleuve, dans les environs de Montréal, où Charles Le Moine, qui retournait de Québec, surprit deux de leurs chefs et procura l’échange des prisonniers. L’aînée des demoiselles Moyen épousa (1657), à Montréal, le major Lambert Closse ; l’autre, après être restée plus de douze ans auprès de mademoiselle Mance, se maria avec le capitaine Sidras Dugué de Boisbriant, seigneur de l’île Sainte-Thérèse. Marie Macart épousa (1663) Charles-Pierre Le Gardeur de Villiers ; sa sœur Geneviève fit alliance (1666) avec Charles Bazire, receveur des droits et domaines du roi, l’un des plus riches particuliers du Canada.

Il nous paraît impossible de raconter, même en les abrégeant, les scènes de cet âge de misère sans nous répandre en invectives contre les auteurs de tant de maux. Les Canadiens actuels sont les descendants de ceux qui ont souffert. Chacun de nous compte un ancêtre enlevé, brûlé, mangé par les Iroquois. À qui la faute ? À l’affreux système des monopoles. Et dire que plusieurs écrivains veulent nous faire aimer le gouvernement qui commettait ces infamies !

Les Canadiens, observe-t-on, se plaignaient des Cent-Associés comme les trappeurs du Nord-Ouest remontrent contre la compagnie de la Baie-d’Hudson. C’est faire rimer miséricorde avec hallebarde. La compagnie de la Baie-d’Hudson avait obtenu un privilège de traite et rien que cela ; elle n’a pas beaucoup dépassé cette limite légale. Les Cent-Associés, au contraire, se donnaient mission de créer une colonie française et d’évangéliser les sauvages, moyennant qu’on leur abandonnât la traite des pelleteries pour se rembourser de leurs avances d’argent. Ont-ils évangélisé les sauvages ? C’est plus qu’incertain. Ont-ils fondé une colonie « de naturels français » ? L’Histoire dit non. Quelques seigneurs, véritables interprètes des lettres-patentes de cette compagnie, ont travaillé dans le bon sens ; mais l’honneur en revient à ces individus isolés, et non pas à ceux qui avaient promis d’établir une Nouvelle-France. Les Canadiens, mécontents des abus, représentaient à la cour que, tout en ne remplissant pas leurs obligations, les Cent-Associés conservaient la véritable souveraineté du Canada. Si on forçait la main à ces marchands, ils cédaient… les charges de la colonie, mais gardaient les terres, les revenus à venir, et une rente d’un millier de castors, et le droit de nommer les gouverneurs, et la direction des missionnaires, mais ils continuaient à être sourds lorsque nous demandions des troupes, des colons, des prêtres séculiers, des curés. La compagnie de Montréal, toute influente qu’elle était, ne pouvait lutter contre la bande noire qui écrasait le Canada.

De cinq vaisseaux sortis des ports de France en destination du Canada, le printemps et l’été de 1655, deux seulement arrivèrent à Québec. L’un était naufragé, un autre avait été pris par les Anglais, le troisième par les Espagnols. Ces désastres redoublèrent la gêne de la colonie.

Dans l’espoir de compenser les pertes occasionnées par l’abandon du trafic du Haut-Canada, M. de Lauson se tourna vers Tadoussac ; mais, là comme ailleurs, il avait la main malheureuse en cherchant à accaparer la direction des choses et les bénéfices possibles. Des plaintes furent portées contre lui à ce sujet, tant par les Habitants que par la compagnie des Cent-Associés, dès 1653[3] ; mais il paraîtrait qu’elles ne reçurent que peu d’attention de la part des autorités. Il en résulta un mécontentement général parmi les Habitants. En réponse, le gouverneur défendit à ces derniers de faire aucun commerce du côté de Tadoussac. C’était enfreindre le règlement de 1648 qui accordait le privilège exclusif du trafic des castors du Canada, au-dessus du poste de Miscou, à la compagnie des Habitants, sous condition que ceux-ci livreraient au gouverneur le quart de ces fourrures, pour subvenir aux dépenses de l’administration du pays, et aux Cent-Associés, une rente annuelle de mille livres de castors. M. de Lauson, trouvant que la traite diminuait et que le quart en question ne suffisait plus aux charges publiques, établit une ferme particulière à Tadoussac et bientôt cessa de payer aux Cent-Associés la rente convenue. Sa triste politique, depuis vingt ans, avait amené la colonie à cet état désespéré ; il n’était pas de force à l’en sortir.

« Les traites du côté du sud sont presque anéanties, mais celles du nord sont plus abondantes que jamais, écrivait, en 1652, la mère de l’Incarnation. Si l’on était exact à apporter de bonne heure des marchandises de France, en sorte que par ces retardements les castors ne fussent point divertis ailleurs, les marchands seraient riches. Mais, au fond, tandis que les habitants s’amusent à cette traite, ils n’avancent point tant leurs affaires que s’ils travaillaient à défricher la terre et s’attachaient au trafic de la pêche et des huiles de loups-marins et de marsouins, et autres semblables denrées, dont on commence d’introduire le commerce. »

Tadoussac et les Trois-Rivières étaient les débouchés de la traite du nord. Québec n’a jamais été un poste de ce genre ; en 1655, Montréal ne l’était pas encore.

La vallée de l’Outaouais, ou, comme on dit à présent, de l’Ottawa, était fréquentée par les peuples de langue algonquine avant l’époque de Champlain. Le quartier-général de cette race était l’île des Allumettes. On appelait les tribus de ce dernier endroit les « Algonquins supérieurs, » parce qu’elles habitaient le haut de la rivière et dominaient sur une grande étendue de pays. La langue algonquine était répandue très loin, puisque ses dialectes couvraient les sources du Saguenay, du Saint-Maurice, de l’Ottawa et des rivières qui se déversent dans le lac Supérieur, sans compter les plaines de l’ouest. La présence des Français sur le Saint-Laurent ayant attiré de ce côté de nombreuses familles, et les désastres des Hurons en 1648 et 1649, refoulant ces peuples vers le grand fleuve, la rivière Ottawa se trouva dépeuplée. Alors, on vit paraître une nouvelle tribu, de langue algonquine, dont Champlain avait eu connaissance sur la rivière des Français (1615), et que le frère Sagard avait rencontrée, vers 1627, dans les mêmes territoires. C’étaient les Outaouais (nation des Oreilles), connus principalement par la manière dont ils relevaient leurs cheveux et s’en ornaient la tête en se découvrant les oreilles. Avant 1654, la rivière « des Algonquins » avait aussi porté le nom « des Prairies » ; mais, après cette date, elle prit le nom de rivière des Outaouais, par suite du passage fréquent des gens de cette tribu, qui, sans craindre les Iroquois, descendaient par là à Montréal et jusqu’à Québec.

Les Outaouais commerçaient chez les nations du sud-ouest. Ils continuaient la tradition de leurs ancêtres qui avaient eu, pendant des siècles, des rapports avec les peuples du Mississipi et du Missouri, par le Wisconsin et le lac Supérieur. En 1654, la mère de l’Incarnation disait : « Des sauvages fort éloignés disent qu’il y a, au-dessus de leur pays, une rivière fort spacieuse, qui aboutit à une grande mer que l’on tient être celle de la Chine. Si, avec le temps, cela se trouve véritable, le chemin sera fort abrégé, et il y aura facilité aux ouvriers de l’Évangile d’aller dans ces royaumes, vastes et peuplés ; le temps nous rendra certains de tout. » La Relation de la même année, rapportant les dernières nouvelles reçues des contrées lointaines, s’exprime ainsi : « Dans les îles du lac des Gens-de-Mers (la baie Verte du lac Michigan), que quelques-uns appellent mal à propos les Puants, il y a quantité de peuples dont la langue a grand rapport avec l’algonquine ; il n’y a que neuf jours de chemin depuis ce grand lac jusqu’à la mer[4] qui sépare l’Amérique de la Chine, et que, s’il se trouvait une personne qui voulût envoyer trente Français en ce pays-là, non-seulement on gagnerait beaucoup d’âmes à Dieu, mais on retirerait encore un profit qui surpasserait les dépenses qu’on ferait pour l’entretien des Français qu’on y enverrait, pour ce que les meilleures pelleteries viennent plus abondamment de ces quartiers-là. Le temps nous découvrira ce que nous ne savons encore que par le rapport de quelques sauvages, qui nous assurent avoir vu de leurs yeux ce qu’ils expriment de leur bouche. » Une flottille de traite, conduite par des Outaouais, venant de quatre cents lieues à l’ouest, se rendit aux Trois-Rivières en 1654 ; chemin faisant, elle avait capturé treize Iroquois dont on se débarrassa à Montréal en apprenant que la paix était conclue sur le Saint-Laurent.

L’arrivée des Outaouais prend l’importance d’un événement dans l’histoire du Canada. Ils étaient, en quelque sorte, des ambassadeurs envoyés vers les Français pour les inviter à porter leurs opérations de commerce dans les lointaines régions du lac Michigan, d’où, selon leurs rapports, il était possible d’atteindre la mer Pacifique. Au printemps de 1653, ces gens avaient été annoncés par trois canots qui apportaient des nouvelles des Hurons réfugiés chez eux, et qui disaient que, l’été suivant, des sauvages de quatre nations du lac Michigan descendraient à la traite. Cette promesse s’accomplissait. Les Français répondirent à leur attente. Le 6 août (1654), date du départ des Outaouais, deux « voyageurs, » dont malheureusement les noms ne nous sont pas fournis, se joignirent à eux et firent ainsi un trajet de cinq cents lieues avant d’arriver aux cantons de leurs nouveaux amis. La série des grands voyages au nord-ouest commence de cette manière. Sur la fin du mois d’août 1656, deux cent cinquante Outaouais ramenèrent ces deux explorateurs. Trente Français s’embarquèrent aussitôt, à Québec, pour aller commercer dans l’ouest ; mais on leur donna avis que les Iroquois gardaient le fleuve, et en effet, avant de toucher aux Trois-Rivières, ils eurent connaissance d’une embuscade, qu’ils évitèrent. Aux Trois-Rivières, les Français changèrent de résolution, sauf trois qui continuèrent leur route avec les pères Garreau et Druillètes et le frère Le Boëme. Les Iroquois qui guettaient la flottille réussirent à la dépasser et lui dressèrent une embuscade dans laquelle elle tomba ; le père Garreau mourut d’un coup de feu, les Outaouais se dispersèrent et les Français durent renoncer à l’entreprise de l’ouest. Voyant les Outaouais se rapprocher de la colonie française, les Iroquois n’hésitaient pas à les envelopper dans le plan de destruction qu’ils avaient conçu et qu’ils exécutaient si aisément, grâce à l’inaction du gouvernement français.

À quel point de vue ces choses étaient-elles envisagées en France ? Voici : la cour ne s’en occupait nullement ; les Cent-Associés, ayant le privilège de la traite de Miscou, de plus une rente d’un millier de castors payée par les Habitants, et de plus la propriété foncière de tout le Canada, avec l’avantage de nommer les gouverneurs de cette colonie, ne se donnaient pas la peine de songer à nous ; les personnes charitables qui versaient au fonds des jésuites pleuraient les souffrances et la mort de ces pères lorsqu’il arrivait malheur à ceux-ci — mais les Habitants ne comptaient pour rien ; et cependant les Habitants composaient la seule colonie sérieuse. « Le plus grand mal qu’ait fait la guerre des Iroquois, dit la Relation de 1653, c’est d’avoir exterminé nos églises naissantes, désolant le pays des Hurons, dépeuplant les nations algonquines, faisant mourir cruellement et les pasteurs et le troupeau, et empêchant qu’on ne passât plus outre aux nations éloignées, pour en faire un peuple chrétien. » Le plus grand mal qu’ait fait la guerre des Iroquois, c’est d’avoir mis sous le couteau et dans les flammes des bûchers des colons que la France avait le devoir de protéger et qu’elle a abandonnés à la merci d’une horde de barbares. Avec le système de ne faire de l’histoire que pour les missions des jésuites, on arrive à ne plus savoir ce que l’on dit.

Déterminés à se jouer des Français comme ils se jouaient des Hurons, les Iroquois feignaient de désirer des missionnaires. On se laissa prendre à ce piège plus que grossier. La Relation de 1654 nous dit : « L’entreprise d’aller, dès le printemps prochain, porter une mission dans le cœur des nations iroquoises nous oblige à demander à votre Révérence le secours de six de nos Pères, car nous sommes trop peu. M. de Lauson, notre gouverneur, fait état d’y envoyer un nombre de Français choisis, pour y commencer une nouvelle habitation… Les dépenses seront excessives ; mais étant les affaires de Dieu plus que les nôtres, sa providence y pourvoira. » La colonie — une poignée de cultivateurs, pauvres et sans aide — payait sa large part de ces courses. Les dépenses seront excessives, dit la Relation. Et ailleurs, on ajoute qu’il est pénible de voir les Habitants si maltraités par les Iroquois, vu que l’on n’a pas les moyens d’entretenir des troupes… mais que, dans cette extrémité, on a la consolation que chacun pense à son salut… par la crainte continuelle d’être tué ou brûlé par les sauvages… C’est se moquer du monde !

Si l’histoire que nous racontons n’était remplie de scènes attristantes, il serait facile d’égayer le lecteur en citant certains passages des Relations écrits avec une telle naïveté que l’on s’y perd. Plus les Iroquois trompent les Français, les Hurons et les Algonquins, plus les auteurs de ces lettres ferment les yeux pour ne pas voir leurs duperies. Lorsque les chefs des cinq nations prennent la peine de débiter des discours dans lesquels la mauvaise foi perce à chaque phrase, ces morceaux littéraires sont consignés comme l’expression de tout ce qu’il y a de plus amical ; on croirait lire les contes en l’air de Chateaubriand. De 1645 à 1656, les Iroquois n’ont fait que prononcer des allocutions… et se servir de la hache — mais voyez si les Relations y comprennent quelque chose !

La paix avait été consentie par les Iroquois, en 1645, parce que les circonstances forçaient ces barbares à ajourner leurs projets de destruction. En 1646, la guerre recommençait. Une fois les Hurons anéantis et les Algonquins dispersés, ce fut au tour des Habitants à éprouver les conséquences de cette lamentable situation. Après les combats livrés autour des Trois-Rivières, l’été de 1653, les Iroquois crurent prudent de songer à la retraite. Une nouvelle paix fut conclue. Les massacres ne cessèrent pas, cependant. L’année 1654, la guerre régnait dans toute son horreur. En 1655 de même. Et pas de troupes ! Le père Le Mercier écrivait : « Depuis la destruction du pays des Hurons, les Iroquois ont toujours avancé leurs conquêtes et se sont rendus si redoutables en ce pays que tout plie sous leurs armes. Ils ont encore la force en main, et il ne tenait qu’à eux de massacrer le reste de la colonie française, ne trouvant presque point de résistance, ni du côté des Français ni du côté des sauvages nos confédérés. » C’est à peine si les Français de tout rang, âge et sexe dépassaient un millier d’âmes — soit deux cents hommes en état de porter les armes — et ces hommes n’étaient pas ici pour la guerre. Montréal, placé à la frontière, intimidait seul les maraudeurs ; aussi voyons-nous que, l’automne de 1655, on convint en ce lieu d’une suspension d’hostilités, en retour de sept ou huit chefs iroquois capturés que M. de Maisonneuve consentit à rendre. Par malheur, les Hurons de l’île d’Orléans avaient donné des espérances aux Iroquois, leurs frères par la langue, par le sang et par les coutumes, et la belle saison de 1656 était à peine commencée que les bandes de massacreurs reparurent sur les bords du fleuve.

De 1652 à 1656, une quinzaine de colons français s’étaient établis dans l’île d’Orléans :

1652. Gabriel Gosselin, de Normandie, qui épousa (1653) Françoise Lelièvre, de la Lorraine. Cette famille, aujourd’hui très nombreuse, fournit au commerce les délicieux petits fromages raffinés dont la réputation est répandue dans la province.

1653. René Mezeray, abandonnant sa terre du Cap-Rouge, se fixa à la Sainte-Famille, ainsi qu’un autre Français du nom de Jacques Levrier, et Pierre Le Petit avec sa femme, Catherine Desnoyers. Il faut mentionner aussi Claude Charon, sieur de Labarre, marchand, et sa femme, Claudine Camus ; le 29 avril (1653), sur sa terre de la paroisse Saint-Jean, deux de ses serviteurs tentèrent de l’assassiner ; en 1660, il fit un voyage en France ; au recensement de 1666, il habitait Québec.

1656. Claude Guyon, du Perche, prit une terre à la Sainte-Famille. Il était marié (1655) avec Catherine Colin, des environs de Paris. Robert Gagnon, aussi du Perche, épousa (1657) Marie Parenteau ou Parentelle, de la Rochelle ; il s’établit à la Sainte-Famille. Pierre Nolin dit la Feugière, de l’Aunis, arrivé en Canada avant 1650, avait épousé à Québec (27 janvier 1653) Marie Gachet, de la Brie ; il prit une terre à la Sainte-Famille. Simon Leureux et sa femme, Suzanne Jarouselle, même paroisse. Guillaume Landry, du Perche ; il épousa (1659) Gabrielle Barré. Pierre Aloignon avait épousé (1652), à Québec, Françoise Roussin ; il se fixa aussi à la Sainte-Famille.

Le sieur Jacques Gourdeau obtint, le 1er mars 1652, le fief connu sous le nom de Beaulieu, Gourdeau ou Grosardière, dans l’île d’Orléans : quarante arpents de front sur toute la largeur de l’île à l’extrémité sud-ouest de celle-ci. Le 13 août suivant, dans la chapelle récemment construite de la paroisse Saint-Pierre, Gourdeau épousa Éléonore de Grandmaison, veuve de François de Chavigny.

Argentenay est le nom d’un village de la Champagne. Voulant faire revivre un nom qui lui était cher, M. Louis d’Ailleboust l’imposa à un fief (paroisse Saint-François) de l’île d’Orléans dont le titre lui fut accordé le 23 juillet 1652. Dix-huit ans plus tard, madame d’Ailleboust vendit cette propriété à l’Hôtel-Dieu, qui la transmit (1700) à Jacques Perrot.

« Le 2 avril 1656, dit M. L.-P. Turcotte, M. Charles de Lauzon concéda, dans sa seigneurie de Lirec, des terres aux personnes suivantes : Guillaume Beaucher dit Morency, natif de Montmorency, île de France ; Jacques Perrot ; Robert Gagnon, de Tourouvre, en Perche ; Claude Guyon (Dion), Denis Guyon, Michel Guyon — ces trois derniers étaient fils de Jean Guyon du Buisson, établi à Beauport, originaire de Mortagne, en Perche ; Pierre Nolin dit Lafeugière, de la ville de Paris ; Pierre Loignon ou Lognon ; Guillaume Landry, de Ventrouse, en Perche ; Simon Leureu ; Louis Côté ; René Mézeray dit Nos, de Thury, en Normandie ; Jacques Billodeau et Maurice Arrivé. On doit ajouter à ces noms ceux des trois personnes suivantes, qui s’établirent à peu près dans ce temps, et dont les titres de concession n’ont pu être trouvés : Pierre le Petit, d’Auneuil, en Picardie ; Gabriel Rouleau dit Sansoucy, et Jacques Delugré, de la Rochelle. Presque tous les colons nommés ci-dessus s’établirent dans la paroisse de la Sainte-Famille, un peu au nord-est de l’église. »

Les Hurons qui se sentaient disposés à suivre les Iroquois étaient retenus par le voisinage des Français et par la désapprobation de ceux de leurs compatriotes moins portés à se joindre aux vainqueurs. Il n’en est pas moins vrai que la cause iroquoise gagnait du terrain à l’île d’Orléans, par suite de l’audace des entreprises de cette nation et du peu de ressources que possédait la colonie française. Résolus de frapper un coup décisif, les maraudeurs visaient surtout à intimider les Hurons — et il faut avouer qu’ils avaient carte blanche pour cela. De temps en temps, la décharge d’un fusil abattait une personne à l’orée d’un bois ; un canot était poursuivi et coulé par des gens placés en embuscade ; le feu prenait aux alentours des cabanes de sauvages : le plan d’action des Iroquois était complet.

La situation devint tellement critique que le sentiment de la défense n’exista plus. C’est alors que les Iroquois firent irruption dans l’île d’Orléans, massacrèrent ceux qui leur résistèrent, et repartirent en bel ordre, emmenant une foule de prisonniers. Les soixante et quinze ou quatre-vingts Canadiens et Français qui demeuraient à Québec eurent le loisir de se porter au bord de l’eau et de voir défiler les ennemis brandissant les chevelures qu’ils venaient de lever, et faisant crier de douleur les prisonniers en leur arrachant les ongles et leur brûlant les chairs avec des allumettes à leur mode.

Les étapes de la conversion des sauvages sont faciles à suivre : du côté des Algonquins, les travaux des missionnaires n’ont presque rien produit, sauf un commencement de village au Cap-de-la-Madeleine, qui n’a pas duré quinze ans, et la mission de Sillery, dont l’histoire est un peu plus intéressante et voilà tout, car elle a fini par s’éteindre du vivant de ceux qui l’avaient fondée.

Chez les Hurons, vingt-cinq années de prédication (1625-1650) ont eu plus de retentissement et aussi plus de succès ; mais le tout aboutit aux catastrophes que les lecteurs connaissent : après 1650, il ne restait que le petit groupe réfugié à l’île d’Orléans et qui fut dispersé (1656) par les Iroquois. Les faibles débris de la nation huronne, obligés, comme les Algonquins, de se tenir sous le canon des forts français, adoptèrent le voisinage de Québec. Les Algonquins, se conformant à un reste de leurs anciennes habitudes, s’arrêtèrent auprès des Trois-Rivières. Dans l’un et dans l’autre cas, ceux de ces sauvages qui demeurèrent chrétiens étaient réduits à une simple bande de chasseurs.

Avec l’année 1656 commencent les missions du pays des Iroquois. Bien des comparaisons pourraient être faites entre les travaux des missionnaires chez les Hurons et chez les Iroquois, puisqu’ils se terminèrent de part et d’autre par des désastres et l’installation de quelques familles dans les environs de nos villes.

Nous n’avons pas converti les sauvages ; ceux-ci ne sont venus à nous qu’à l’état de fugitifs. La gloire des missionnaires n’en est pas moins grande, cependant ; car s’ils ont tenté l’impossible, s’ils ont versé leur sang avec une générosité qui rappelle les premiers âges du christianisme, c’était dans l’espérance de répandre les lumières de l’Évangile au milieu de peuples privés de la connaissance du vrai Dieu.

Avant de passer plus loin, notons que le gouverneur-général abandonna le pays, l’automne de 1656, pour retourner en France, soit qu’il fût rappelé, soit que le découragement l’eût décidé à s’éloigner des lieux où sa présence évoquait trop de souvenirs pénibles.

Le sieur de Charny, âgé de vingt ans, fils de M. de Lauson, prit la charge de gouverneur-général en attendant qu’un successeur fût nommé. Cet enfant devint, encore plus que son père, le jouet des Cinq-Nations. Les délégués iroquois se présentèrent à lui, en 1657, et lui intimèrent l’ordre de leur livrer les derniers Hurons. Cela se passait à Québec, en présence de toutes les autorités de la colonie — et personne n’osa répondre à d’aussi humiliantes propositions ! Et, comme pour mettre le comble à ce déplorable état de choses, on consentit à envoyer un certain nombre de Français former un établissement au milieu du pays des Iroquois. C’était non-seulement subir l’insolence de nos ennemis, mais entrer dans leurs vues et leur obéir à la lettre. Les jésuites y voyaient la cause de la religion à servir, et les amis du gouverneur s’imaginaient que la bonne entente allait désormais régner entre les Français et toutes les nations : double erreur dont il est étrange qu’on ne se soit pas aperçu ; car les Iroquois n’en étaient pas à leurs premières fourberies !

Il ne restait plus d’espoir à la colonie en dehors de Montréal. Ce petit poste devenait le boulevard de tout le pays. La force armée des Trois-Rivières était à peine suffisante pour garder les abords du village. Les habitants, trop dispersés autour de Québec, soit à l’île d’Orléans, soit à la côte de Beaupré, soit aux environs de Sillery, se trouvaient dans l’impossibilité de se défendre malgré leur nombre, tandis qu’à Montréal, outre l’avantage du groupement, on avait eu à la tête du poste, depuis plusieurs années, un homme d’énergie qui était en même temps un militaire redouté des Iroquois. Cependant, la situation menaçant de se compliquer davantage, M. de Maisonneuve était passé en France, l’automne de 1656, dans l’espoir d’obtenir des secours, et le sort de la colonie entière dépendait de nouveau du succès de ce personnage dévoué.




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  1. Rameau : La France aux colonies, II, 19.
  2. Faillon : Histoire de la colonie française, II, 244-5.
  3. Harrisse : Bibliographie, p. 96.
  4. De la baie Verte en remontant la rivière au Renard, en franchissant le portage, puis descendant le Wisconsin, il y a, en effet, de sept à neuf journées de canot pour atteindre le Mississipi, ou les grandes eaux — expression sauvage que les Français prenaient pour l’océan.