Histoire des Météores/Chapitre 10

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chapitre x.
la mer et les marées.

Poésie de la mer. — Salure de ses eaux. — Leurs couleurs. — Cuivre, argent et or qu’elles contiennent. — Leur phosphorescence. — Les marées. — Le premier des Grecs qui fit attention à la cause de ce phénomène. — Passage de Lucain et d’un hymne à Silvio Pellico. — Influence de la lune et du soleil sur les eaux. — Théorie des marées. — Marées solaires et marées lunaires. — Hauteur que les marées pourraient atteindre dans la lune. — Barre de flot. — Utilité des marées.

I.

Quelle magnifique poésie dans les phénomènes que nous présente la mer !

La mer ! partout la mer ! Des flots, des flots encor !
L’oiseau fatigue en vain son inégal essor ;
Ici des flots, là-bas des ondes ;
Toujours des flots sans fin par des flots repoussés,
L’œil ne voit que des flots dans l’abîme entassés
Rouler sous les vagues profondes.

Parfois de grands poissons à fleur d’eau voyageant
Font reluire au soleil leurs nageoires d’argent
Ou l’azur de leurs larges queues.
La mer semble un troupeau secouant sa toison :
Mais un cercle d’airain ferme au loin l’horizon ;
Le ciel bleu se mêle aux eaux bleues.

(Victor Hugo.)

Les eaux des mystérieux abîmes qui couvrent la plus grande partie de notre globe sont fortement salées, amères et nauséabondes. Pour expliquer leur salure, on a supposé qu’à l’époque où les eaux couvraient toute la terre, elles ont dissous des masses de sel situées à la surface du globe ; on l’attribue également à des bancs inépuisables de sel que renfermait l’Océan.

Fig. 42. — Phare à l’entrée d’une baie.

II.

L’eau de la mer, transparente et incolore lorsqu’on l’observe en petite quantité, présente, vue dans ses profondeurs, des couleurs variées. Ce n’était pas une de nos moindres distractions, lorsque nous parcourions l’Océan, d’étudier la diversité de ces teintes. Tantôt elles sont d’un bleu d’azur qui défie les plus beaux saphirs ; d’autres fois, d’un vert qui ressemble à de l’émeraude liquide, l’œil ne se lasse pas de regarder le sillon éblouissant que trace alors le navire. Puis elles passent par toutes les nuances que l’on peut imaginer entre ces deux teintes principales : bleu sombre, bleu gris, vert bleu, vert jaunâtre, vert sombre, vert gris, etc. ; cette dernière couleur est surtout remarquable dans toute la largeur du banc des Aiguilles.

Jusqu’ici l’explication que l’on donnait de la cause de ces teintes diverses laissait beaucoup à désirer, mais on s’est assuré qu’elles sont produites par les matières que les eaux de l’Océan tiennent en suspension, suivant les parages.

On a mis en évidence la présence dans l’eau de l’Océan d’une assez grande quantité de cuivre, pour que l’on puisse affirmer que la couleur bleue intense que présente la mer dans certains parages est due à un composé ammoniacal de cuivre, et la couleur verte à du chlorure de cuivre.

M. Septimus Piesse a suspendu aux flancs d’un bateau à vapeur qui fait le trajet de Marseille en Corse et en Sardaigne, un sac rempli de clous et de tournure de fer, et après quelques voyages, lorsque le sac fut rapporté au laboratoire, on constata qu’une notable quantité de cuivre s’était précipitée à la surface du métal.

Par un moyen analogue, par la suspension dans de l’eau de mer de cuivre en grain, MM. Durocher et Malaguti y ont constaté la présence d’une quantité appréciable d’argent. M. Tuli, en Amérique, a répété l’expérience des savants français, et il est arrivé, de son côté, à cette conclusion, que l’Océan contient au moins deux millions de tonnes ou deux billions de kilogrammes d’argent : partagés entre tous les hommes, cela ferait 400 francs par tête.

L’or se trouve également dans les mers. Il est démontré que tous les fleuves, et le Rhin en particulier, charrient ce précieux métal. Notre Seine elle-même est aurifère ; M. de Sussex faisait remarquer que lorsque l’on fait fondre dans des creusets, pour la préparation du verre, du sable de Seine, pris au Bas-Meudon, et qu’après la fusion on polit la surface intérieure du fond des creusets brisés, on y aperçoit non seulement des parcelles, mais de petites pépites d’or.

III.

Le phénomène de la phosphorescence de la mer est un des plus beaux que l’on puisse contempler. Lorsqu’il se manifeste dans toute sa splendeur, la surface de l’abîme rivalise de magnificence avec les cieux étoilés. Cette phosphorescence des flots est produite soit par des débris d’animaux marins, soit par des animalcules, de petits mollusques qui fourmillent à la surface des eaux, principalement par la noctiluca miliaris. M. Phipson a fait observer qu’un certain nombre de ces animalcules se trouvent emprisonnés dans les vêtements de laine après les bains de mer, et y rencontrent assez d’humidité pour y vivre un jour ou deux. Il est bien connu qu’ils ne donnent de la lumière que lorsqu’ils se contractent ; or, c’est ce qu’ils font quand on remue les vêtements, ou quand on passe le doigt dessus, même plusieurs heures après qu’ils ont été suspendus pour sécher. Mais on ne se baigne pas toujours dans une eau chargée de ces animalcules, et alors les vêtements ne deviennent pas lumineux le soir.

Fig. 43. — Mer calme.

IV.

Un des phénomènes les plus grandioses que nous présente la mer, ce sont les marées. On appelle ainsi le mouvement alternatif et journalier de l’Océan couvrant et abandonnant successivement le rivage. Dans l’espace de 24 heures 49 minutes, ses eaux se portent et se reportent deux fois de l’équateur vers les pôles et des pôles vers l’équateur.

Les eaux montent d’abord pendant environ six heures ; elles inondent alors les rivages et se précipitent dans l’intérieur des fleuves, jusqu’à de grandes distances de leur embouchure.

Après être parvenues à leur plus grande hauteur, elles restent quelques instants en repos, un quart d’heure environ ; peu à peu elles descendent et se retirent des terres qu’elles avaient envahies ; ce second mouvement dure aussi à peu près six heures ; lorsqu’elles sont arrivées à leur plus basse dépression, elles restent quelques instants en repos, puis recommencent leur mouvement alternatif.

Le flux, que l’on appelle aussi marée montante, est le mouvement des eaux vers les pôles ; le reflux, que l’on appelle aussi marée descendante, est le retour des eaux vers l’équateur.

V.

Le premier des Grecs qui fit attention à la cause des marées fut Pythéas de Marseille, qui vivait environ trois cent vingt ans avant notre ère. Il disait que la pleine lune produit le flux et son décours le reflux. Il ne se trompait pas en les attribuant à la lune, mais il était loin d’en connaître la véritable cause.

Newton, le premier, démontra les relations des marées avec les autres phénomènes de la gravitation universelle.

Lucain, dans sa Pharsale, en parlant des côtes maritimes de la France, s’exprime ainsi sur le phénomène des marées : « La même joie se répandit sur ce rivage que la terre et la mer semblent se disputer quand le vaste Océan l’inonde et l’abandonne tour à tour. Est-ce l’Océan lui-même qui de l’extrémité de l’axe roule ses vagues et les ramène ? est-ce le retour périodique de l’astre de la nuit qui les foule sur son passage ? est-ce le soleil qui les attire pour alimenter ses flammes ? est-ce lui qui pompe la mer et qui l’élève jusqu’aux cieux ? Sondez ce mystère, vous qu’agite le soin d’observer le travail du monde. Pour moi à qui les Dieux t’ont cachée, cause puissante de ce grand mouvement, je veux t’ignorer toujours. » (Liv. II.)

Newton et Laplace ont cherché, fait remarquer M. Babinet, et, au grand honneur de l’esprit humain, ils ont trouvé.

La lune passant successivement au-dessus de chaque point de l’Océan, en vertu des lois de l’attraction, en attire les eaux qui sont d’une mobilité extrême. On ne peut plus méconnaître maintenant l’action que cet astre exerce en vertu des lois de l’attraction sur ce grand et majestueux phénomène de la nature.

Un poète inconnu a délicieusement exprimé cette influence dans un hymne à Silvio Pellico :

« Astre solitaire, aérien, paisible astre d’argent, ô Lune ! comme une blanche voile, tu navigues à travers le firmament, et, comme une douce amie, dans ta course antique, tu suis au ciel la marche de la Terre.

« La Terre, si ton disque limpide se rapproche d’elle, la Terre te sent venir, palpite et gonfle ses mers ; peut-être est-ce une noble émotion, telle que l’aspect d’un ami en éveille dans un cœur mortel ! »

VI.

On a reconnu :

1° Que les eaux de l’Océan s’élèvent successivement dans chaque endroit où la lune passe ;

2° Que la Méditerranée n’a point d’autre marée que celle qui lui est communiquée par l’Océan au détroit de Gibraltar, parce que la lune ne passe jamais perpendiculairement sur elle ;

3° Que le flux et le reflux retardent, comme la lune, de trois quarts d’heure chaque jour ;

4° Que les marées ne reviennent à la même heure qu’au bout d’environ trente jours, ce qui est précisément le temps qui s’écoule d’une nouvelle lune à l’autre ;

5° Que les marées sont toujours plus hautes lorsque la lune est à sa moindre distance de la terre ;

6° Qu’aux pleines et aux nouvelles lunes, les marées sont plus grandes, parce qu’alors, le soleil joignant son attraction à celle de la lune, les eaux de la mer se trouvent plus fortement attirées ; tandis qu’à l’époque des quadratures ou quartiers, les marées sont plus faibles, le soleil détruisant environ un tiers de l’effet de l’attraction de la lune.

VII.

Lorsque la lune passe d’aplomb sur une partie de l’Océan, les eaux de cette partie, attirées par l’attraction de cet astre, s’élèvent, et comme cette attraction agit en sens contraire de celle de la terre les eaux situées de chaque côté du globe, éprouvant une action oblique de la part de la lune, augmentent de pesanteur et tendent plus fortement vers le centre de la terre. En même temps, les parties de la mer diamétralement opposées au point attiré par la lune, étant moins attirées par cet astre que le centre de la terre, parce qu’elles en sont plus éloignées, se portent moins vers cet astre que le centre de la terre, ce qui permet à la mer de s’élever aussi du côté opposé à la lune, et à l’Océan de présenter le phénomène des marées dans deux hémisphères opposés (fig. 44).

Fig. 44. - Phénomène des marées.

La force attractive que le soleil exerce sur la terre, quoique trois fois moindre que celle de la lune, suffit cependant pour produire un flux et un reflux.

On peut donc distinguer deux sortes de marées : les marées solaires et les marées lunaires.

L’astre du jour élève les mers à midi et à minuit, heures de son passage au méridien, et les laisse, au contraire, s’abaisser à dix heures du matin et à dix heures du soir.

Deux fois le mois, aux syzygies, ces deux sortes de marées s’accordent dans leurs directions et se réduisent à une seule, parce qu’alors le soleil attire les eaux du même côté, dans le même sens que la lune, et produit un effet commun avec elle ; tandis qu’aux quadratures, comme nous l’avons fait remarquer, le soleil, par sa position perpendiculaire à celle de la lune, contrarie l’action de cet astre ; en sorte que les marées sont plus petites aux premiers et aux derniers quartiers, et plus grandes aux pleines et aux nouvelles lunes.

VIII.

Le point le plus élevé de la marée ne se trouve pas précisément au-dessous de la lune, mais toujours à quelque distance vers l’orient, et cette distance n’excède jamais 15 degrés.

Les eaux de l’Océan n’obéissent pas tout à coup à l’attraction qui les soulève ; leur état d’inertie s’y oppose et les empêche de suivre subitement la marche de l’astre qui agît sur elles.

C’est pour cette raison qu’elles n’atteignent pas leur plus haut point d’élévation au moment même où l’attraction lunaire est parvenue à sa plus grande force, mais seulement quelque temps après.

Non seulement l’attraction solaire contrarie celle de la lune, mais la résistance et le balancement des eaux, le frottement des côtes et les anfractuosités du rivage, sont autant d’obstacles qui retardent la haute marée.

Au cap de Bonne-Espérance, par exemple, ce retard est de deux heures et demie ; mais à Dunkerque et à Douvres il est de douze heures, parce qu’il faut tout ce temps à l’Océan pour traverser la Manche et le Pas-de-Calais, et se répandre sur les côtes. Le flux et le reflux n’en sont cependant pas moins réguliers.

IX.

L’élévation plus ou moins grande des eaux dépend non seulement de l’attraction, mais encore de la nature du fond et du bord de la mer.

La marée sera sans doute plus grande dans un canal où les eaux resserrées trouveront pour s’élever une facilité qu’elles n’ont pas sur un rivage plus vaste et plus découvert.

À Saint-Malo, sur la Manche, les marées sont quelquefois de 15 à 18 mètres ; au nord du golfe de Gascogne et à Brest, sur les côtes, elles ne vont guère qu’à 7 ou 8 mètres ; à l’île Sainte-Hélène leur plus grande hauteur n’est que de 1 mètre. À l’île de la Réunion et dans les autres îles de la grande mer du Sud, à peine ont-elles 35 centimètres.

À l’entrée de la Garonne, on remarque que le flux dure sept heures, et le reflux seulement cinq ; cette différence est attribuée au cours du fleuve dont le courant descend contre la direction du flux et favorise, au contraire, le reflux.

Les vents apportent aussi leur influence sur ce phénomène. Si le souffle d’un grand vent a lieu dans la direction de la marée, les eaux s’élèveront plus haut que dans un temps calme ; mais si l’action du vent agit dans un sens opposé, le contraire aura lieu.

La marée varie en hauteur d’un jour à l’autre sur le même rivage. Elle augmente pendant huit jours, puis diminue pendant le même laps de temps ; de sorte que, deux fois le mois, il y a deux hautes marées à un intervalle de quinze jours, et deux basses marées également distantes entre elles ; et deux fois l’an, à l’équinoxe du printemps et à celui d’automne, on remarque deux marées beaucoup plus élevées que toutes les autres.

Newton a calculé que, s’il y a des mers dans la lune, l’attraction de la terre doit y occasionner une marée de 30 mètres de hauteur, tandis que dans la plupart des lieux, l’attraction de la lune n’élève l’eau de notre terre qu’à la hauteur de 4 mètres.

X.

Les rivages et le bassin de la Seine offrent dans les parages de Quillebœuf un redoutable phénomène des marées ; c’est ce qu’on appelle, aux pleines et aux nouvelles lunes des équinoxes, la barre de flot.

Le lecteur me saura gré de laisser parler ici M. Babinet, de l’Institut, qui a depuis plus de quarante ans étudié ces grandioses phénomènes que nous présente la nature.

« Ce mouvement tout à fait extraordinaire des eaux de la mer, immense dans son développement, capricieux par l’influence des localités, des vents, et surtout par l’état variable du fond du lit du fleuve, a fait l’objet des longues recherches que je viens aujourd’hui développer devant vous. Voyons d’abord ce que c’est que la barre de flot. Tandis qu’en général, et même à l’extrême embouchure de la Seine, au Havre, à Honfleur, à Berville, la mer, à l’instant du flux, monte par degrés insensibles et s’élève graduellement, on voit, au contraire, dans la portion du lit du fleuve, au-dessous et au-dessus de Quillebœuf, le premier flot se précipiter en immense cataracte, formant une vague roulante, haute comme les constructions du rivage, occupant le fleuve dans toute sa largeur, de 10 à 11 kilomètres, renversant tout sur son passage, et remplissant instantanément le vaste bassin de la Seine.

« Rien de plus majestueux que cette formidable vague, si rapidement mobile. Dès qu’elle s’est brisée contre les quais de Quillebœuf, qu’elle inonde de ses rejaillissements, elle s’engage, en remontant, dans le lit plus étroit du fleuve, qui court alors vers sa source avec la rapidité d’un cheval au galop. Les navires échoués, incapables de résister à l’assaut d’une vague si furieuse, sont ce qu’on appelle en perdition. Les prairies des bords, rongées et délayées par le courant, se mettent, suivant, une autre expression locale, en fonte, et disparaissent. Successivement le lit du fleuve se déplace de plusieurs kilomètres de l’une à l’autre des falaises qui le dominent ; enfin les bancs de sable et de vase du fond sont agités et mobilisés comme les vagues de la surface. Rien de plus étonnant que ces redoutables barres de flots observées sous les rayons du jour le plus pur, au milieu du calme le plus complet, et dans l’absence de tout indice de vent, de tempête, ou d’orage de foudre.

« Les bruits les plus assourdissants annoncent et accompagnent ces grandes crises de la nature, préparées par une cause éminemment silencieuse : l’attraction universelle. Homère, le grand peintre de la nature, semblerait avoir été témoin de pareils phénomènes lorsqu’il en écrivait la fidèle description que voici :

« Telle aux embouchures d’un fleuve, qui court guidé par Jupiter, la vague immense mugit contre le courant, tandis que les rives escarpées retentissent au loin du fracas de la mer que le fleuve repousse loin de son lit. »

XI.

Un grand avantage que nous procure le flux, c’est de pousser l’eau de la mer dans les fleuves, et de rendre leur lit assez profond pour qu’ils soient capables d’amener jusqu’aux portes des grandes villes les marchandises dont le transport serait sans cela beaucoup plus difficile, et quelquefois même impossible.

Les vaisseaux attendent ces courants d’eau pour arriver dans les rades sans toucher le fond ou pour s’engager sans péril dans le lit des rivières.

Les marées empêchent aussi que la mer, qui est le réceptacle où vont se rendre toutes les immondices du globe, ne vienne à croupir par un trop grand repos, ce qui arriverait infailliblement si le balancement perpétuel que les marées excitent ne purifiait les eaux, en dispersant partout le sel que la mer produit abondamment, et ne détruisait les matières dont la putréfaction pourrait être funeste aux habitants de la terre.

Les agitations perpétuelles et alternatives de ce vaste amas d’eau qui enveloppe la terre sont bien propres à nous rappeler celles par lesquelles la vie est sans cesse troublée. L’homme est ballotté sur un fleuve inconstant et rapide, admirablement décrit dans ces vers de Métastase dont nous donnons la traduction libre :

« De la mer l’onde divisée baigne la ville et la campagne ; elle va, passagère en fleuve, prisonnière en fontaine, toujours murmurant, toujours gémissant, jusqu’à ce qu’enfin elle retourne à la mer, à la mer d’où elle naquit, et qui alimente son cours, et où, après avoir longtemps erré, elle espère trouver le repos. »