Histoire des Météores/Chapitre 2

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chapitre ii.
les agents de la nature en général.

De la chaleur. — De la lumière. — De l’électricité. — Du magnétisme .

I.

Les météores, les grands phénomènes de la nature sont principalement produits par la chaleur, la lumière, l’électricité, le magnétisme, forces auxquelles on a donné, à cause de leur importance, le nom générique d’agents de la nature.

Nous ne pouvons donc nous dispenser de parler de ces forces, et malgré les notions élevées et abstraites que leur étude présente, nous tâcherons de la mettre à la portée de tous.

Ces forces sont immenses : elles sont partout, elles agissent partout, et leur nature est restée si mystérieuse jusqu’à ce jour, que les physiciens, aussi bien que les philosophes et les théologiens, ne savaient s’il fallait les regarder comme spirituelles ou matérielles.

Dans cette incertitude, et pour plus de facilité dans les explications des phénomènes auxquels elles donnent naissance, on les a considérées comme des fluides, fluides impondérables ou impondérés et fluides incoercibles. On a abandonné ces dénominations, maintenant qu’elles sont mieux étudiées.

On les définit ainsi :

Le calorique est l’agent qui produit en nous la sensation de la chaleur ;

La lumière est l’agent qui produit en nous la sensation de la vision ;

L’électricité est l’agent qui donne à certains corps frottés la propriété d’attirer les petits corps environnants ;

Le magnétisme (magnétisme minéral), est l’agent qui donne à certains corps, naturellement et sans l’auxiliaire du frottement, la propriété d’attirer d’autres corps.

On appelle électro-magnétisme l’action réciproque de l’électricité et du magnétisme.

Aujourd’hui, la science est parvenue à démontrer que les différences admises jusqu’à ce jour comme essentielles entre les diverses forces de la nature n’existent pas ; que ces forces ont, au contraire, des liens étroits de parenté et de filiation ; qu’elles peuvent s’engendrer l’une l’autre, chacune d’elles pouvant se transformer dans toutes les autres.

Peu de questions sont susceptibles de jeter autant d’étonnement dans l’esprit humain que les métamorphoses de ces diverses forces : elles conduisent aux conséquences les plus surprenantes et les plus grandioses.

Il suffit de citer comme exemple une des transformations les plus simples, pour en faire comprendre toute l’importance et toute la fécondité.

II.

La chaleur produit de la force mécanique, et la force mécanique produit de la chaleur.

Là où la chaleur disparaît le mouvement se produit, et, réciproquement, lorsque le mouvement s’arrête il y a développement de chaleur. Cette transformation se manifeste avec une exactitude mathématique.

La chaleur engendrée par un corps qui tombe croît proportionnellement à la simple hauteur. — Dès que l’on connaît la vitesse et le poids d’un projectile, on peut donc calculer sans peine la quantité de chaleur développée par l’extinction de son mouvement.

Connaissant le poids de la Terre, par exemple, et la vitesse avec laquelle elle se meut dans l’espace, un simple calcul doit nous donner la quantité exacte de chaleur qui se développerait si la Terre était arrêtée brusquement dans son orbite.

Mayer et Helmholtz ont fait ce calcul, et ils ont trouvé que la quantité de chaleur engendrée par ce fait suffirait non seulement pour fondre la Terre entière, mais pour la réduire en grande partie en vapeur.

Fig. 7. — Appareil de M. Tyndall pour montrer la chaleur créée par le travail détruit[1].

Ainsi, le seul arrêt brusque de la Terre dans son orbite amènerait les éléments à l’état de fusion ; après extinction de son mouvement, la Terre irait nécessairement tomber sur le Soleil ; alors, la chaleur engendrée par cette rencontre serait égale à la chaleur développée par la combustion de 5 600 globes de charbon solide égaux en volume à la Terre. On peut voir sur ce sujet l’excellent ouvrage de M. Tyndall : la Chaleur, traduit de l’anglais par M. l’abbé Moigno, sentinelle avancée des découvertes scientifiques. Ces calculs peuvent nous donner une idée des flots de lumière imprévue que peut jeter l’étude de la transformation des forces sur des questions jusqu’à ce jour restées enveloppées de ténèbres, et dont l’étude directe serait impossible.

III.

Il n’y a que peu d’années on était loin de soupçonner que toutes les forces de la nature pouvaient se réduire à la modification d’une seule et même puissance, et qu’en dernière analyse les phénomènes auxquels elles donnent naissance ne sont que des formes diverses du mouvement imprimé à la matière, à ses particules, à ses molécules, à ses atomes ou derniers éléments.

On regardait comme bonne, tout au plus, à amuser les cerveaux malades cette hypothèse qui aujourd’hui devient la réalité.

De même que l’on est arrivé à l’unité pour les forces, on y arrive également pour les divers éléments. Il est vrai que la chimie compte un assez grand nombre de corps simples ; mais parce qu’on n’a pas encore pu les décomposer et les réduire à un seul, cela ne veut pas dire qu’ils soient indécomposables.

De grands penseurs et les savants les plus distingués, croient en effet non seulement à la possibilité, mais à la très grande probabilité de l’unité de substance pour tous les corps, c’est-à-dire que tous les corps pourraient être formés d’une seule et même substance : il suffirait qu’ils différassent entre eux par le groupement des atomes, par la disposition des molécules, d’une manière analogue à ce que nous offre, par exemple, le charbon ordinaire et le diamant, pour présenter les phénomènes les plus divers.

Des faits nombreux viennent à l’appui de cette théorie, entre autres la doctrine des équivalents et les expériences les plus récentes sur les atomes et les molécules. Toutes les recherches de la science tendent maintenant à la démontrer[2].

IV.

Ainsi, d’après la science actuelle, une seule substance matérielle simple universellement répandue, l’éther, par sa condensation, par le groupement varié de ses atomes, produit tous les corps divers que nous connaissons.

Une seule force qui pénètre, sature l’éther, produit tous les phénomènes qui frappent nos sens, les divers phénomènes n’étant que des mouvements produits par cette force, soumise à des lois rigoureuses et mathématiques.

Pas un atome ne s’anéantit, pas un mouvement ne se perd : il y a sans cesse transformation.

Voilà la sublime simplicité où la science arrive !

La science a pour objet la vérité, c’est-à-dire Dieu même et ses œuvres ; il n’est pas étonnant que plus elle approche de son objet, plus elle découvre de simplicité et de grandeur. Il est digne de la toute-puissance d’arriver à ses fins les plus diverses et les plus élevées par les moyens les plus simples.

Lucrèce était frappé déjà de la diversité des effets que l’on peut obtenir par un petit nombre de causes, il l’aurait été bien davantage s’il avait connu ce que la science nous révèle aujourd’hui : « Car, dit-il, les principes à l’aide desquels ont été construits le ciel, la mer, la terre, les fleuves et le soleil, sont les mêmes qui, mêlés avec d’autres et diversement arrangés, ont formé les grains, les arbres et les animaux. Ne remarques-tu pas, dans ces vers que tu lis, les mêmes lettres communes à plusieurs mots ? Cependant, les vers et les mots diffèrent beaucoup, soit par les idées qu’ils présentent, soit par le son qu’ils font entendre : telle est la différence que met entre les corps l’arrangement seul des éléments. » Lucrèce affectionnait cette comparaison, il l’a répétée aux livres I et II.

Aristote, rendant compte des doctrines de Leucippe et de Démocrite, rapporte également cette comparaison : « Les atomes, dit-il, sont comparés par Leucippe et ses disciples aux lettres de l’alphabet : avec les mêmes lettres on peut composer une tragédie ou une comédie : tout dépend de l’ordre suivant lequel on les arrange[3]. »

Hâtons-nous de laisser cette partie transcendante de la science, trop abstraite peut-être pour l’ouvrage qui nous occupe, et venons à l’étude plus pratique de chacun des agents de la nature en particulier.


  1. Explication : t est un tube de cuivre, fermé à sa partie inférieure, auquel on peut communiquer un mouvement très rapide de rotation à l’aide d’une roue à manivelle R et d’une courroie. Si, pendant qu’on fait tourner le cylindre t avec une grande vitesse, on le serre au moyen d’une pince en bois P, de manière à déterminer un frottement un peu énergique, ce cylindre s’échauffe d’une manière très sensible. Pour rendre l’expérience plus frappante, on le remplit à peu près avec de l’eau, et au bout de quelques instants la vapeur produite projette le bouchon qui le ferme.
  2. Voir les Lois de la vie et l’art de prolonger ses jours, ouvrage couronné par l’Académie française, dans lequel nous traitons cette question, 1er partie ; libr. Firmin-Didot et Cie.
  3. De Generatione et Corruptione.