Histoire des Météores/Chapitre 4

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chapitre iv.
la lumière.

Influence de la lumière sur la vie en général. — Théorie de la lumière. — Ses lois. — Spectre solaire. — Analyse spectrale. — Curieux phénomènes des interférences.

I.

La lumière présente une affinité bien remarquable pour la vie. En général, on peut dire que chaque créature a une vie d’autant plus parfaite qu’elle jouit davantage de la lumière, et il paraît même que la vie n’est possible que sous son influence, car dans les entrailles de la terre, dans les cavernes les plus profondes, où règne une nuit éternelle, on ne rencontre que des corps inorganiques.

Là, rien ne respire, rien ne jouit du sentiment ; on n’y trouve tout au plus que quelques espèces de moisissures ou de lichens qui sont le premier degré de la végétation et le plus imparfait. On s’aperçoit même, en y regardant de près, que la plupart de ces plantes équivoques ne croissent que sur le bois pourri ou dans son voisinage.

Et même, à la surface de la terre, que l’on prive un végétal ou un animal de la clarté du jour, quelque nourriture qu’on lui donne, quelques soins qu’on lui prodigue, on le verra successivement perdre sa couleur et toute sa vigueur, cesser de croître et se rabougrir. L’homme lui-même, lorsqu’il est privé de la lumière, devient pâle, mou, débile, et finit par perdre toute son énergie, comme l’attestent les exemples, malheureusement trop nombreux, des personnes qui ont été renfermées pendant longtemps dans un cachot, les maladies qui atteignent les mineurs, les marins de la cale des navires, et même les ouvriers des manufactures mal éclairées, les habitants des caves, des rez-de-chaussée ou des rues étroites.

II.

Peu d’études donnent lieu à plus de surprises que celle de la lumière.

De même que pour la chaleur, deux hypothèses ont été émises à son sujet :

Celle de l’émission, à laquelle le nom de Newton a donné pendant longtemps une grande autorité, et celle des ondulations, dont Descartes est l’auteur, et qui est généralement adoptée aujourd’hui.

L’hypothèse de l’émission suppose qu’un corps lumineux lance dans toutes les directions une substance matérielle extrêmement ténue, et tellement subtile qu’on n’en peut constater ni le poids ni l’impénétrabilité ; elle traverse certains corps sans perdre sa vitesse, mais elle peut être arrêtée par d’autres.

Des molécules de cette substance venant à rencontrer l’organe de la vue, une partie pénètre dans l’intérieur, atteint le fond de l’œil et produit la sensation de la vision.

Dans l’hypothèse des ondulations, on ne suppose pas qu’il y ait transport d’un agent matériel à de grandes distances, mais on admet que les vibrations atomiques mêmes des corps lumineux sont communiquées aux atomes d’un fluide éthéré répandu partout.

Ces vibrations se propagent à travers le fluide, arrivent à l’organe de la vue, qui les transmet au nerf optique. Dans cette hypothèse, la nature et la transmission de la lumière seraient analogues à la nature et à la transmission de la chaleur.

Les dernières expériences des savants, les études sur les interférences entre autres, ont rallié tous les esprits à cette dernière hypothèse.

III.

On sait que la lumière s’affaiblit, ou diminue de force, d’intensité, à mesure qu’elle s’éloigne du point d’où elle émane. Cette diminution a lieu en raison directe du carré de la distance ; par exemple, si les distances sont 1, 2, 3, 4, etc., les quantités de lumière reçue aux distances 2, 3, 4, etc., seront 4 fois, 9 fois, 16 fois, etc., moindres qu’à la distance 1. — L’intensité de la lumière varie également avec l’inclinaison de la surface qui l’émet.

La lumière se propage avec une vitesse prodigieuse ; elle parcourt près de 308 000 kilomètres ou environ 77 000 lieues par seconde.

C’est par l’observation des éclipses de Jupiter que Rœmer, astronome danois, est parvenu à déterminer la vitesse de la lumière pour la première fois. La lumière franchit en 8 minutes 13 secondes la distance du soleil à la terre. Or, on sait que les étoiles les plus rapprochées de la terre en sont au moins deux cent mille fois plus éloignées que le soleil : il faut donc plus de trois années pour que la lumière de ces étoiles arrive jusqu’à nous ; quant à celle d’un grand nombre de ces astres que nous pouvons observer, elle doit mettre plusieurs milliers d’années pour atteindre notre globe.

On n’imaginait pas qu’il fût jamais possible de mesurer la vitesse de la lumière par des observations terrestres, lorsque M. Fizeau est venu résoudre cet important problème.

Les expériences de l’habile physicien ont eu lieu entre Montmartre et Suresne, points séparés par une distance de 8 kilomètres et demi. Au moyen d’un procédé de la plus extrême simplicité, il a démontré que le mouvement lumineux parcourait le double trajet d’aller et venir, soit 17 kilomètres, en une durée de temps exprimée par un dix-huit millième de seconde. Ce nombre diffère peu de celui qu’ont donné les observations anciennes, mais un certain défaut de netteté dans les images obtenues laisse sur cette mesure une incertitude plus grande que celle des déterminations sur le ciel.

M. Foucault a essayé une nouvelle mesure en 1862, en employant un miroir tournant. Il a trouvé pour vitesse de la lumière 298 000 kilomètres, ou 74 500 lieues de 4 000 mètres par seconde. Suivant les données anciennes, cette vitesse serait de 308 000 kilomètres par seconde. On voit donc qu’il y aurait une assez grande différence.

Cependant on a adressé quelques objections à cette nouvelle détermination. L’ingénieux physicien n’a fait parcourir à la lumière qu’un espace de 20 mètres, et dans cette étendue il lui a fait subir cinq réflexions et traverser un objectif. On a fait remarquer que cet objectif a pu occasionner une diminution de vitesse, et que d’ailleurs personne ne peut même dire quelle est la totalité des phénomènes qui se passent dans une réflexion ; en un mot, que toutes ces conditions ne sont pas celles de la lumière dans l’espace où elle se meut librement ; d’un autre côté, on n’a pas une confiance absolue dans les divisions micrométriques si délicates qu’il a fallu employer.

IV.

Lorsqu’on regarde les objets à travers un prisme de verre, non seulement ils apparaissent considérablement déplacés par la déviation qu’éprouvent les faisceaux lumineux qui traversent le prisme, mais ornés de bandes teintes des plus vives couleurs.

Si l’on dispose un prisme de telle sorte qu’un faisceau lumineux tombe obliquement sur l’une de ses faces, et que l’on reçoive le faisceau émergent sur un écran ou tableau placé à une distance un peu grande du prisme, on verra se projeter une image oblongue peinte de mille couleurs, à laquelle on a donné le nom de spectre solaire.

Fig. 13. — Spectre solaire.

Avant Newton on connaissait bien la loi de la réflexion et celle de la réfraction ; on savait exécuter des miroirs brûlants, rapprocher et grossir les objets par la réflexion de la lumière au travers des lentilles. Cependant la nature de la lumière était encore inconnue, l’origine des couleurs était ignorée ; on ne doutait pas qu’elles ne fussent produites par quelque jeu de cet agent ; mais personne ne soupçonnait qu’un rayon de lumière blanche fut composé d’un grand nombre de rayons simples, capables, chacun à part, de donner une couleur qui lui fût propre :

Avant que de Newton la science profonde
Eût surpris ce mystère et les secrets du monde,
La lumière en faisceaux se montrait à nos yeux ;
Son art décomposa ce tissu radieux,
Et, du prisme magique armant sa main savante,
Développa d’Iris l’écharpe éblouissante.
Dans les mains d’un enfant un globe de savon
Dès longtemps précéda le prisme de Newton,
Et longtemps, sans monter à sa source première,
Un enfant dans ses yeux disséqua la lumière.
Newton seul l’aperçut, tant le progrès de l’art
Est le fruit de l’étude et souvent du hasard.

(Delille.)

Il est sept nuances que l’on distingue parmi toutes les autres dans la lumière solaire décomposée par le prisme, et qui pour cette raison ont reçu le nom de couleurs principales ; ce sont, dans leur ordre naturel : le rouge, l’orangé, le jaune, le vert, le bleu, l’indigo, le violet.

SPECTRES DIVERS

Pour expliquer ces phénomènes, on regarde la lumière blanche comme composée d’une infinité de rayons de différentes couleurs, plus ou moins réfrangibles, qui se séparent en traversant le prisme.

L’arc-en-ciel est produit d’une manière analogue ; ce sont des gouttelettes d’eau qui remplacent le prisme.

V.

Ce n’est pas seulement la lumière du soleil qui est susceptible d’être décomposée et de produire un spectre, mais une lumière quelconque ; seulement, il y a ceci de particulier, c’est que ces lumières décomposées donnent des spectres différents.

Ainsi, chaque substance en ignition donne un spectre qui lui est propre, et sans voir, par exemple, le corps qui brûle, on peut dire, par la simple inspection du spectre qu’il produit, et sans crainte de se tromper : C’est tel corps.

L’or en ignition donne un spectre qui n’est pas celui de l’argent, et celui que donne l’argent n’est pas le même que le spectre de tout autre métal.

Il est des métaux qui se ressemblent tellement par leurs propriétés principales, qu’il serait presque impossible de ne pas les confondre, de ne pas les prendre pour un seul et même métal par les moyens d’investigations ordinaires.

Qu’ont fait les métallurgistes ? — Une chose bien simple, ils ont eu recours à l’examen des spectres que donnent les métaux en brûlant ; en comparant, en analysant ces spectres, ils n’ont plus eu de doute sur la nature particulière de ces corps. Par ce procédé, ils ont déjà enrichi la science et l’industrie de quatre nouveaux métaux : le rubidium, le césium, le thallium, et, tout récemment, le gallium.

L’analyse spectrale peut donner de fécondes applications en physiologie et en médecine. Une personne, par exemple, a-t-elle été empoisonnée, il suffit souvent de faire brûler une partie de ses chairs ou de ses déjections et de décomposer par le prisme la lumière produite par la combustion, pour reconnaître l’élément toxique. C’est ainsi que M. Lamy, d’après une communication faite à l’Académie des sciences, a reconnu immédiatement le thallium dans les organes d’animaux morts empoisonnés par cette substance.

L’analyse spectrale, comme nouvelle méthode d’étude, fait son entrée triomphante dans toutes les sciences. L’astronomie entre autres l’a interrogée pour étendre ses connaissances au delà de milliards de millions de lieues, et l’analyse spectrale a répondu, dans son langage naturel, en nous faisant connaître la nature des astres innombrables qui peuplent l’espace.

Dans un remarquable discours sur l’analyse spectrale, prononcé à l’Académie des sciences, Delaunay s’exprimait ainsi : « Nous ne sommes qu’au début des recherches que cet instrument nouveau permet d’entreprendre pour l’étude de la constitution de l’univers ; la riche moisson qu’il nous a déjà fournie peut nous faire pressentir l’importance des résultats que la science est appelée à en retirer. »

Depuis que ces lignes sont écrites, l’analyse spectrale n’a cessé d’ajouter révélation sur révélation, mais nous devons, afin de ne pas trop nous répéter, renvoyer ce qui regarde la lumière à la partie de notre Histoire des Astres qui traite de ce sujet[1].

En faisant lire dans un rayon de lumière la nature du corps qui le produit, les éléments qui constituent ce corps, les changements qui s’y opèrent, l’analyse spectrale devient ainsi le messager des astres, le confident des espaces infinis, le télégraphe des distances incalculables, le révélateur des choses les plus cachées, et même un dénonciateur implacable.

VI.

Les phénomènes que présentent les interférences lumineuses sont des plus curieux, des plus étranges, des plus incroyables pour ceux qui ne sont pas au courant des découvertes de l’optique.

Supposons qu’un rayon de lumière solaire vienne rencontrer directement un écran quelconque, une feuille de papier blanc, par exemple.

Il va sans dire que la partie du papier que le soleil frappera sera resplendissante. Mais ce qui paraît incroyable, c’est que l’on peut rendre cette partie resplendissante complètement obscure sans toucher au papier, et sans arrêter ni diminuer le rayon lumineux qui l’éclaire, au contraire, en l’augmentant même.

Le procédé magique qui change ainsi la lumière en ombre, le jour en nuit, est plus surprenant encore par sa simplicité que par ses prodigieux effets ; ce procédé consiste à diriger sur le papier, mais par une route légèrement différente, un second rayon lumineux qui, pris isolément aussi, l’aurait fortement éclairé.

En se confondant les deux rayons sembleraient devoir produire une illumination plus vive ; eh bien ! chose étrange, cette lumière ajoutée à cette autre lumière produit des ténèbres ! Les mouvements de ces rayons se neutralisent réciproquement, et la lumière cesse d’éclairer. Cependant, suivant leurs directions, ces rayons lumineux ne se neutralisent quelquefois qu’en partie ; alors la lumière ne fait que diminuer.

Ces phénomènes curieux, qui anéantissent ou diminuent la lumière par l’adjonction d’un rayon lumineux, ont reçu le nom d’interférences.

La démonstration expérimentale et complète du fait des interférences sera toujours le titre principal du docteur Thomas Young à la reconnaissance de la postérité.

Le génie de Fresnel étendit et montra toute la fécondité des principes de Young.

Parmi les mille rayons de nuances et de réfrangibilités diverses dont la lumière blanche se compose, ceux-là seulement sont susceptibles de se détruire qui possèdent des couleurs et des réfrangibilités identiques ; ainsi, de quelque manière que l’on s’y prenne, un rayon rouge n’anéantira jamais un rayon vert.

Si deux rayons blancs, par exemple, se croisent en un certain point, il sera possible que, dans la série infinie de lumières diversement colorées dont ces rayons se composent, le rouge, par exemple, disparaisse tout seul, et que le point du croisement paraisse vert ; car le vert, c’est du blanc moins le rouge.

On ne saurait se défendre de quelque étonnement quand on apprend pour la première fois que deux rayons lumineux sont susceptibles de s’entre-détruire ; que l’obscurité peut résulter de la superposition de deux lumières ; mais cette propriété des rayons une fois constatée, n’est-il pas encore plus extraordinaire qu’on puisse les en priver ? que tel rayon la perde momentanément, et que tel autre, au contraire, en soit privé à tout jamais ? La théorie des interférences, considérée sous ce point de vue, suivant l’expression d’Arago, semble plutôt le fruit des rêveries d’un cerveau malade que la conséquence sévère, inévitable, d’expériences nombreuses et à l’abri de toute objection.

L’hypothèse des ondulations, pour l’explication des phénomènes de la lumière, et qui a Descartes pour auteur, était déjà généralement admise par les savants, et les dernières expériences faites sur les interférences ne laissent plus aucun doute sur son exactitude.

Ceux qui aiment à trouver la Bible d’accord avec les sciences modernes verront donc avec satisfaction que Moïse nous avait déjà enseigné que la lumière avait été créée avant les astres qui nous éclairent, ce qui est exact, puisque la lumière n’est qu’un mode de mouvement.

Tant de merveilles nous élèvent naturellement jusqu’à l’être des êtres, qui pour éclairer l’univers n’eut besoin que de ce mot : Que la lumière soit ! et aussitôt la lumière porta ses rayons étincelants jusqu’aux extrémités des mondes les plus reculés.

Fig. 14. — Les Saisons (tiré d’un bas-relief, à Rome).
  1. Histoire des Astres ou Astronomie pour tous, par J. Rambosson, librairie Firmin-Didot et Cie. Cet ouvrage illustré avec le plus grand soin est adopté par la commission officielle près le ministère de l’Instruction publique, pour les bibliothèques des écoles normales et pour les bibliothèques scolaires des grandes localités.