Histoire des doctrines économiques/2-11

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CHAPITRE XI

L’ÉCOLE AUTRICHIENNE

Bien loin de l’étude de l’histoire et du sentimentalisme philanthropique qui ont puissamment influé, comme nous l’avons vu, sur l’éclectisme contemporain, l’école autrichienne retournait à la métaphysique, caractérisée comme elle l’est par une analyse profondément fouillée de tous les concepts économiques tels que bien, valeur et capital, et par la rigueur mathématique de ses déductions et de ses formules.

Son chef le plus en vue est M. Karl Menger, professeur à l’Université de Vienne[1]. Autour de lui se groupent d’autres maîtres renommés, M. de Bœhm-Bawerk notamment et M. Sax — ce dernier professeur à l’Université de Prague.

Nous signalerons parmi les idées principales que Karl Menger a exposées ou développées : 1° sa théorie de la valeur ; 2° sa théorie de l’échelle des biens ; 3° ses vues sur les types et les rapports typiques.

La théorie de la valeur selon Menger est trop connue pour que nous y revenions ici. C’est la théorie de « l’utilité-limite », Grenznutzen, expression que M. Block a traduite — d’après le sens plutôt que d’après le dictionnaire — par celle de la « moindre jouissance », et qui n’est qu’en termes à peine différents la théorie du final degree of utility de Stanley Jevons[2]. Les diverses unités d’un même tout, par exemple chacun des boisseaux d’un tas de blé, nous les évaluons toutes également entre elles : et à toutes nous donnons une estimation qui se mesure sur l’intensité sentie du moins impérieux de tous ceux de nos besoins que nous satisfaisons avec elles.

Menger et Jevons émettaient leurs conclusions en même temps : elles peuvent s’appuyer réciproquement, sans qu’aucun des deux y perde le mérite de l’originalité et de l’invention.

La théorie de la valeur déterminée par l’utilité dernière de l’objet conduit assez naturellement à la théorie de l’échelle des biens économiques[3]. Il est admis que nous n’estimons les choses qu’au point de vue de la satisfaction de nos besoins. Or, les choses ont entre elles certains rapports de succession et de hiérarchie, qui nous invitent à hausser ou à baisser notre estimation subjective selon que l’ordre occupé par une chose dans cette échelle de succession la place plus ou moins près de cette satisfaction de nos besoins. C’est le « rapport causal » des biens entre eux. Les deux idées de causalité et de finalité sont liées ici, comme elles le sont partout. Par exemple, j’estime le pain nécessaire à mes besoins : par lui, je fais une estimation de la farine, sans laquelle le pain ne pourrait exister : j’en fais une aussi du blé. Le pain, moyen immédiat de la satisfaction de mes besoins, est un bien de premier ordre ; la farine n’en sera qu’un de second ordre ; et le blé, un de troisième ordre.

Mais la série des richesses que nous consommons d’une manière directe lorsqu’elles sont parvenues à l’état de biens de premier ordre, implique à côté d’elle une autre série de biens ou richesses que nous ne consommons que d’une manière indirecte et qui ne nous en sont pas moins indispensables. Ce sont les biens complémentaires : le pétrin et le four par exemple, pour passer de la farine au pain ; le moulin, pour passer du blé à la farine ; la batteuse, la faucille, la herse, la charrue, la terre elle-même, pour obtenir le blé.

Toute idée de bien économique exige un rapport ou une série de rapports entre les hommes et les biens : mais il faut que dans cette série de rapports il n’y ait pas de solution de continuité. Ainsi l’ignorance des procédés ou la privation des instruments nécessaires pour passer du blé à la farine empêcherait le blé d’avoir la valeur qu’il tire de son futur acheminement vers l’état de pain. Ainsi la découverte des usages nouveaux d’une matière première (citons ici nous-même les utilités à tirer jadis des pins des Landes) ou bien la découverte des moyens nouveaux propres à l’utilisation d’une matière première dédaignée (citons ici la découverte des procédés de déphosphoration des minerais de l’Est de France) ont amené très justement des bouleversements dans les notions de valeur et dans les situations économiques respectives des diverses régions de notre pays. Menger citait à ce propos la dépréciation des filatures anglaises par la disette des cotons à transformer.

Que devient alors le concept de capital ? Il perd, pour ne rien dire de plus, une très notable partie de son importance. Les biens économiques de premier ordre constituent le fonds de consommation ; tous ceux d’ordre inférieur ou plus éloigné et avec eux les biens que nous avons appelés complémentaires, représentent, soit le capital circulant (s’il s’agit de matières premières destinées à être transformées, comme la farine et le blé, ou bien le drap, la laine filée et la laine brute), soit le capital fixe (s’il s’agit d’instruments tels que le four et le moulin, ou bien les ciseaux, les aiguilles et les métiers à tisser et à peigner)[4].

Les Recherches sur la méthode de Karl Menger renfermaient de leur côté des vues très judicieuses sur la nécessité d’abstraire les types économiques. Il n’y a pas, peut-on dire, un homme qui ressemble en tout à un autre homme : mais entre tous il y a certains traits communs que l’on dégage des réalités concrètes et qui constituent les types. De même, il ne se rencontre guère d’échanges qui se forment dans les conditions idéales de l’égalité des valeurs mais tous n’en présentent pas moins certains caractères dont là répétition constante exprime une loi économique.

M. de Bœhm-Bawerk, alors professeur à l’Université d’Innsprück, s’est rendu célèbre par sa théorie du capital, et sa théorie de l’intérêt, qui procèdent l’une et l’autre de l’idée économique de temps[5].

Le capital, pour lui, se résout en une économie de temps, c’est-à-dire en un détour pour produire, d’abord avec une perte de temps et ensuite avec du temps gagné[6]. Par exemple, faute de tout capital, j’allais à la source pour boire de l’eau dans le creux de ma main. Si je façonne un vase en bois pour apporter de l’eau, ce travail me fait perdre d’abord du temps, puisque je suis obligé de différer la première satisfaction de mon besoin : mais comme ensuite ce vase plein d’eau que j’ai rapporté suffit à me désaltérer plus d’une fois, j’économise aussi souvent que je bois à ce vase, le temps que me prendrait un trajet à la source. Il en sera de même si je creuse des troncs d’arbres pour faire couler l’eau à côté de moi : leur préparation et leur mise en place me font perdre d’abord le temps que m’économisera ensuite leur usage. La productivité du capital résulte de l’excédent du temps gagné sur le temps perdu ; elle dépend à la fois du temps que la formation du capital a exigé et du nombre plus ou moins répété des opérations dans lesquelles il y aura ensuite une économie de temps. Tout cela est ingénieux et bien déduit, peut-être un peu naïf : de plus, en certains cas, il semble bien que le capital soit autre chose qu’une économie de temps, autre chose qu’un circuit et un moyen détourné. C’est ce qui arrive toutes les fois que le capital nous donne la force d’obtenir quelque chose que sans lui nous n’aurions pu obtenir par aucun moyen, ni par aucun laps de temps — par exemple un navire, quand il s’agit de relations économiques avec une île.

Quelles sont les théories diverses qui expliquent et justifient l’intérêt ou loyer du capital ?

En dehors des théories indéterminées, qui se bornent à constater le fait universel ou bien à en donner une raison pratique tirée de ce que, au grand détriment de la société, le capitaliste n’aurait pas constitué le capital s’il n’avait pas dû en tirer un avantage, même sans l’exploiter lui-même, on peut, avec M. de Bœhm-Bawerk, distinguer les théories suivantes :

1° La productivité du capital. Le capitaliste, lors même qu’actuellement il ne travaille pas, participe à la confection du produit. Il est donc juste qu’il en ait une part sous le nom de loyer ou intérêt, comme l’ouvrier en a une sous le nom de salaire. Cette théorie, qui avait été indiquée par Lauderdale et par J.-B. Say[7] puis popularisée en Allemagne par Roscher[8], explique très bien le loyer des terres et l’intérêt des prêts à la production ; elle réfute aussi très bien l’argument d’Aristote contre l’intérêt des prêts d’argent, si l’on admet que les pièces de monnaie doivent être envisagées comme douées d’une force productive distincte de la réalité matérielle des espèces. Mais cette théorie n’explique pas le loyer des maisons, ni plus généralement le loyer de tout ce qui est capital privé ou lucratif sans être capital social ou productif ; elle n’explique pas non plus l’intérêt des prêts à la consommation, c’est-à-dire l’intérêt de l’argent quand celui-ci n’est pas envisagé comme capital social par l’emprunteur ;

2° Le service rendu où l’utilisation par l’emprunteur. Cette théorie embrasse bien la précédente, puisque croître les puissances de produire d’un individu, c’est bien lui rendre un service : mais elle embrasse beaucoup plus, puisque le locataire d’une maison et l’emprunteur de choses fongibles qui les destine à sa consommation, ne peuvent pas nier qu’ils les utilisent et en reçoivent un service. Autrement dit, elle embrasse les prêts à la consommation, soit prêts de capital fixe improprement dit (maisons, chevaux et voitures de luxe, etc.), soit prêts de capital circulant (argent, céréales, etc.), envisagé par l’emprunteur comme fonds de consommation et non de production. Bœhm-Bawerk rattache le développement de la théorie de l’utilisation à trois noms : J.-B. Say, qui lui donna la première impulsion, Hermann, qui lui donna une base solide, et Menger, qui l’amena au plus grand degré de perfection dont elle est susceptible[9] ».

Au point de vue moral, on a critiqué cette explication, par le motif qu’elle légitimerait l’exploitation des besoins et toutes les spéculations sur les passions ou sur la position embarrassée de tel ou tel emprunteur[10]. « Or, l’objection ne nous semble pas des plus sérieuses, d’autant plus que cette même explication — c’est-à -dire la justification d’un prix reçu pour un service rendu — est absolument nécessaire dans une foule de cas, sinon même dans tous les cas de contrats à titre onéreux.

Nous répondons, en substance : a) que l’exploitation des besoins individuels du contractant, parfaitement distincte de l’appréciation du service commun qui est rendu, est flétrie en toute espèce de contrat, soit qu’il s’agisse d’une vente, d’un louage de choses, d’un mandat ou de n’importe quelle autre opération ; b) que l’idée de l’utilisation ou service rendu est celle qui convient le mieux pour expliquer une rémunération du bailleur, toutes les fois que l’objet du prêt n’est pas susceptible d’un emploi productif et toutes les fois qu’il n’y a ni privation pour le bailleur (par exemple une maison d’habitation, si en fait elle ne peut pas être habitée par le propriétaire), ni risque de non-restitution (par exemple un capital fixe ou un objet de consommation assimilé à un capital fixe, le tout supposé non déplaçable) ; enfin, c) que la morale n’a jamais interdit de vendre au taux de la valeur d’échange, mesurée sur le besoin moyen des acheteurs, les objets qui ne présentaient aucune valeur d’usage pour le vendeur et dont l’aliénation ne lui infligeait non plus aucune perte ou ne lui faisait manquer aucun gain. Tel est le cas pour toutes les vieilles matières, et rebuts quelconques. La seule règle, c’est qu’ici, comme en tout autre cas de vente et comme en tout contrat, le vendeur doit arbitrer le service rendu d’après les besoins communs des acheteurs en général, sans pouvoir, ni ici ni ailleurs, exploiter les besoins particuliers de son co-échangiste. Le sentiment public a l’instinct de ces règles de morale, et il le montre — de quelque contrat qu’il s’agisse — en flétrissant du nom de chantage l’exploitation des besoins individuels, qu’il sait distinguer très nettement de l’appréciation du service moyen qui est rendu. Mais revenons aux explications de M. de Bœhm-Bawerk :

3° La privation ou abstinence du bailleur ou prêteur. Le capitaliste se prive, puisqu’il s’interdit de jouir par lui-même : c’est cette renonciation qu’il se fait payer. Cette théorie, fondée" par Senior[11], a été raillée par Lassalle, qui a parlé ironiquement de la prétendue « abstinence des millionnaires » ;

4° La rémunération du travail. Puisque le capital est incontestablement le produit conservé d’un travail antérieur, on peut admettre que le capitaliste est par lui-même ou par ses auteurs un véritable travailleur social[12]. L’intérêt serait donc quelque chose comme le salaire indéfiniment prolongé du travail de capitalisation.

Voilà des explications économiques.

Les socialistes et notamment Karl Marx en ont cherché une autre qui rendît compte du fait sans fonder le droit. C’est la thèse de l’exploitation du travailleur par le capitaliste. L’ouvrier devrait avoir la totalité du produit le capitaliste en distrait une partie pour lui-même, par un abus qui constitue un vol formel. Voilà l’explication prétendue historique. Alors, comme dit M. de Bœhm-Bawerk, « l’intérêt du capital consiste en une partie du produit du travail d’autrui, acquise en abusant de la situation précaire des ouvriers ». Rappelle cela « la théorie socialiste de l’intérêt » : et il ajoute avec raison que « son apparition n’est évidemment pas l’événement le plus réjouissant de notre siècle », quoique « par ses conséquences il compte certainement au nombre des plus importants[13] ».

À toutes ces raisons M. de Bœhm-Bawerk propose d’en substituer une qui soit d’un ordre plus métaphysique[14]. Selon lui, c’est le temps qui est chargé de la fournir comme c’était lui qui, dépensé d’abord, devait être récupéré et au-delà sous la forme de capital. Un bien présent vaut plus qu’un bien futur ; donc, au bien futur il sera nécessaire d’ajouter quelque chose, pour rétablir l’égalité entre la prestation actuelle du bailleur ou prêteur et la prestation future du locataire ou emprunteur. Mille francs dans un an ne valent pas mille francs aujourd’hui ; à ces mille francs dans un an j’ajouterai 30 francs, pour que les 1.030 francs futurs équivaillent aux 1.000 francs présents.

Cette explication s’adapte assez bien au prêt à intérêt et à l’escompte[15]. M. de Bœhm-Bawerk essaye de rappliquer également aux bénéfices de l’entrepreneur, pour justifier cette forme du loyer ou intérêt qui, selon la terminologie anglaise, est incluse dans les profits du capital. Il considère, en effet, que les biens d’un ordre plus éloigné, sur lesquels la dernière production d’utilité ne s’est pas encore appliquée, valent moins que les biens du premier ordre, parce qu’entre les uns et les autres le temps ne s’est pas encore intercalé. La même raison serait donnée pour le loyer des biens auxiliaires de la consommation, tels que sont les maisons. En un mot, même en industrie, la force productive du travail est remplacée parla force productive du temps[16].

L’idée du temps est-elle donc si nouvelle en cette matière ? Sans contester le moins du monde que M. de Bœhm-Bawerk soit le premier qui l’ait creusée et qui ait voulu en faire le pivot de tout un système de relations sociales[17], on peut faire observer que cette idée n’était inconnue ni des scolastiques, ni de Turgot. Au XIIIe siècle déjà on parlait du temps pour chercher à justifier l’écart de prix entre les ventes au comptant et les ventes à crédit. Mais les scolastiques rejetaient expressément la supériorité d’une valeur présente sur une valeur future, par le motif que le temps n’appartient qu’à Dieu et que nul homme ne peut le vendre[18]. On peut se souvenir, en effet, que saint Thomas ne permettait pas de vendre au dessus du juste prix sous la condition d’un paiement différé, ni de se faire vendre au dessous sous la condition d’un paiement anticipé, et cela parce que les choses, ayant un juste prix, ne pouvaient ni le dépasser, quand à la chose on additionnait le temps, ni ne pas l’atteindre, quand on en déduisait ce temps.

Turgot exploitait ce même argument du temps pour justifier l’intérêt des prêts d’argent. « Où ont-ils vu, demande-t-il, qu’il fallût n’avoir égard qu’au poids du métal livré dans les deux époques différentes, sans comparer la différence d’utilité qui se trouve, à l’époque du prêt, entre une somme possédée actuellement et une somme égale qu’on recevra dans une époque éloignée ?… Si une somme actuellement possédée vaut mieux, il n’est pas vrai que le prêteur reçoive autant qu’il donne, lorsqu’il ne stipule point d’intérêt : car il donne de l’argent et ne reçoit » qu’une promesse. Or, s’il reçoit moins, pourquoi cette différence ne serait-elle point compensée par l’assurance, d’une augmentation sur la somme, proportionnée au retard ? Cette compensation, c’est l’intérêt de l’argent[19]. »

L’école autrichienne, dans son ensemble, a montré beaucoup de finesse pour l’analyse des phénomènes les plus usuels de l’économie politique. Peut-être même, à leur égard, a-t-elle subtilisé et quintessencié. Elle n’a pas cependant mieux éclairé les grandes lois de l’économie politique ; elle n’a pas non plus mieux expliqué les modifications sociales qui sont nées de la grande industrie et de l’universalisation du commerce entre les peuples. Ce n’était pas, il est vrai, dans sa pensée, puisqu’elle s’adonnait par préférence aux spéculations de pure théorie.

  1. Ne pas confondre Karl Menger avec son frère Anton Menger, qui est également professeur à l’Université de Vienne, mais qui est socialiste. — M. Karl Menger a donné, entre autres, les Grundssetze der Volkswirthschaftlehre (dont un volume seulement a paru, en 1872) ; les Untersuchungen über die Methode der Socialwissenschaften und der politischen Œkonomie insbesondere (1883) ; et les Irrthümer des Historismus in der Nationalœkonomie (1884), où il combat l’historisme et la théorie organique que Schæffle, entre autres, avait soutenue dans Bau und Leben des socialen Kœrpers.
  2. Block, Progrès de la science économique depuis Adam Smith, 2e éd., t. I, pp. 158 et s. ; pp. 134 et s. — Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e éd., pp. 29 et s. — Supra, p. 462.
  3. Block, op. cit., 2e éd., t.1, pp. 122 et s.
  4. Block, op. cit., 2e éd., t. I, pp. 461-462.
  5. M. de Bœhm-Bawerk a été ensuite ministre des finances dans le cabinet Gautsch (décembre 1897-mars 1898). — Son traité Kapital und Kapitalzins comprend deux volumes : t. I, Geschichte und Kritik der Kapitalzinstheorieen, 1884 (traduit en français sous le titre Histoire critique des théories de l’intérêt du capital, t. I, 1902 ; t. II, 1903) ; t. II, Positive Theorie des Kapitals (1889).
  6. Voir Block, Progrès de la science économique depuis Adam Smith, 2e éd., t. I, p. 465 ; — P. Leroy-Beaulieu, Traité théorique et pratique d’économie politique, 2e édit., t. I, p. 198.
  7. Say est assez malmené par Bœhm-Bawerk, comme n’ayant « su émettre aucune idée claire sur la cause première de l’intérêt du capital » (Op. cit., tr. fr., t. I, p. 154). Le jugement est exact.
  8. Roscher, dans ses Grundlagen der Natiotialoekonomie. Voyez la discussion dans Bœhm-Bawerk, tr. fr., t. I, pp. 157 et s.
  9. Op. cit., t. I, p. 247.
  10. Claudio Jannet (Capital, spéculation et finance, p. 83 en note) : « Il est très important au point de vue doctrinal, dit-il, de s’en tenir, pour justifier la perception de l’intérêt, aux titres de droit canonique : periculum sortis, damnum emergens, lucrum cessans, parce qu’il en découle l’obligation de conscience, pour le prêteur, de ne pas élever l’intérêt au-delà du taux moyen de la productivité du capital et du péril de non-remboursement que peut comporter l’affaire. L’idée de Bentham, de Hume, de Turgot, de Bastiat, que le service rendu est la cause de la perception de l’intérêt, amènerait à justifier toutes les spéculations sur les passions ou sur la position embarrassée de tel ou tel emprunteur. » — C’est cet avis là que nous ne saurions partager : car la conclusion que tire M. Claudio Jannet, ne découle point du tout des prémisses. On ne permet point au propriétaire d’une maison de spéculer sur la position embarrassée du locataire, quoique le prix de location d’un appartement se justifie par le service rendu.
  11. Senior, Outlines of the science of political economy, 1836.
  12. James Mill, Elements of political economy, 1821 ; — Mac-Culloch, Principles of political economy, 1825 ; — Courcelle-Seneuil, Traité théorique et pratique d’économie politique, 1858; — Cauwès, Précis du court d’économie politique.
  13. Op. cit., tr. fr., t. II, pp. 1-2.
  14. La théorie propre de M. de Bœhm-Bawerk est développée dans la seconde partie de son ouvrage, intitulée Kapital und Kapitalzins, non encore traduite en français. Voyez-en une analyse dans Block, Progrès de la science économique, 2e éd., t. II, pp. 362 et s.
  15. M. Block (Progrès de la science économique depuis Adam Smith, 2e édit., t. II, p. 365) trouve cependant ici que le temps est chargé de faire beaucoup trop de choses, et le travail beaucoup trop peu.
  16. Block, loc. cit., p. 367.
  17. Rae, dans son Statement of some new principles (1834) avait eu déjà une certaine notion de l’action du temps ; mais il envisageait le temps qui s’écoule entre la formation du capital et son épuisement par l’usage, plutôt que le temps, que l’on perd à faire le capital et que l’on gagne à l’employer (Voyez Boehm-Bawerk, op. cit., tr. fr., t. I, pp. 395 et s., et surtout p. 401).
  18. Supra, p. 63.
  19. Mémoire sur les prêts d’argent, § 27. — Signalons, pour être complet, une opinion que certains théologiens catholiques s’efforcent d’introduire. Selon eux, l’organisation économique actuelle a donné à l’argent une force productive qu’il n’avait point autrefois. Jadis les écus n’étaient qu’un instrument d’échange — symbole plutôt que forme de valeur — pour passer du troc à la vente : et c’était peut-être l’idée d’Aristote. Mais ces écus sont devenus tout récemment autre chose, et ils renferment maintenant un pouvoir qui leur manquait autrefois. Ainsi s’expliqueraient la gratuité essentielle du mutuum dans les temps antérieurs et la tolérance moderne du prêt à intérêt. Mais il faut que l’on modifie radicalement cette organisation économique, afin que la gratuité essentielle des prêts d’argent réapparaisse d’elle-même (P. Antoine, Cours d’économie sociale, p. 507). — Il est inutile de montrer l’encouragement et l’appui que ces thèses donnent au socialisme. De plus, il est historiquement faux que la puissance productive de l’argent soit un fait tout nouveau. Elle peut trouver maintenant des occasions beaucoup plus fréquentes, et même des occasions continuelles, de s’exercer quelle que soit l’importance de la somme : et c’est pour cela que nous avons expliqué ailleurs par la présomption générale actuelle d’un lucrum cessans la permission ou tolérance que l’Église a consentie en 1830 (voir nos Eléments d’économie politique, 2e éd., p.479, et ici même, p. 335). Mais cette productivité a toujours existé. Je n’en veux pour preuves que les réclamations fort intelligentes que les négociants de Gênes et d’ailleurs avaient faites auprès du Saint-Siège, la pratique habituelle des marchands en foire pour les règlements à long terme, et enfin le texte même de Benoît XIV dans son Encyclique Vix pervenit de 1745, envisageant le cas où l’emprunteur aurait emprunté « ad fortunas suas amplificandas, vel novis coemendis prædiis, vel quæstuosis agitandis negotiis impensurus » : auxquels cas, du reste, la prohibition ordinaire était maintenue dans toute sa rigueur (Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e éd., p. 473, et supra, Histoire des doctrines économiques, pp. 68 et 69).