Histoire des doctrines économiques/4-5-1

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CHAPITRE V

LE SOCIALISME SCIENTIFIQUE

I

KARL MARX

C’est à Karl Marx que l’on fait revenir la gloire d’avoir fait passer le socialisme du domaine de l’utopie dans celui de la science[1] : c’est donc par lui que nous commençons, sauf à revenir ensuite sur nos pas pour étudier et discuter ce qu’il y a eu d’original dans le marxisme.

Karl Marx était né à Trèves en 1818, d’une vieille famille juive. Ses ancêtres présentaient depuis le XVIe siècle une série ininterrompue de rabbins : toutefois son père, en 1814, au moment où Trêves retourna au royaume de Prusse, se fit protestant pour pouvoir rester avocat.

Le jeune Karl débute comme professeur de philosophie à Bonn en hégélien enthousiaste et convaincu. Il quitte sa chaire en 1841, pour faire de la politique révolutionnaire et socialiste. Expulsé de France, il se réfugie en Belgique, jusqu’à ce qu’il trempe dans le mouvement de 1848. Alors, successivement expulsé de France, de Belgique et de Prusse, il finit par se réfugier définitivement à Londres, en 1849, et il s’y fixe.

Il avait déjà publié, en 1846, la Misère de la philosophie ou réponse à la philosophie de la misère de Proudhon[2]. En 1859, il donne la Kritik der politischen Œkonomie. Le 24 septembre 1864, il fonde « l’Association internationale des travailleurs ». En 1867, il fait paraître son premier volume de Das Kapital, et il meurt à Londres en 1883[3]. Les trois autres volumes du Capital ne virent le jour qu’après lui, le second en 1885, par les soins d’Engels, les deux derniers enfin en 1894[4]. Le système est contenu presque entièrement dans le premier des trois : le troisième est consacré tout entier à une théorie des taux du profit, déduite des définitions du capital et de la plus-value. Marx est un écrivain prolixe, dont l’apparente profondeur n’est souvent qu’une illusion de l’obscurité. Mais on ne saurait nier qu’il ait eu un cerveau admirablement doué pour la métaphysique.

Examinons les grandes thèses économiques qu’il a développées dans son Capital. Nous les ramenons à cinq : 1° le travail cause de la valeur ; 2° la plus-value ; 3° le rôle du capital dans les procès de circulation et de production (en langage usuel on dirait « processus », mais les traducteurs de Marx disent « procès ») ; le matérialisme historique ; 5° la loi de l’évolution vers le collectivisme.

I. — Le travail cause de la valeur.

La valeur de toute marchandise a pour principe et pour mesure la quantité de travail qui est renfermée en elle, et cette valeur, en même temps qu’elle doit constituer le prix des choses, doit revenir aux travailleurs dans la mesure du travail qu’ils ont fourni.

La valeur absolue, distincte de la valeur d’usage (laquelle consiste dans l’utilité relative au regard de chaque acheteur), n’est que du « travail humain cristallisé ». Autrement dit, « la valeur d’une marchandise est à la valeur de toute autre marchandise comme le temps de travail nécessaire pour produire l’une est au temps de travail nécessaire pour produire l’autre. » Cette idée avait été déjà émise plus d’une fois, notamment par Rodbertus ; à la rigueur même on peut la trouver dans Ricardo, bien que celui-ci constate un phénomène plutôt qu’il ne pose une thèse quelconque, et bien qu’il n’ait pas non plus la prétention de s’occuper de l’universalité des cas[5] ; mais Marx ajoute une analyse de ce travail et une prétendue démonstration de cette thèse.

Le travail que Marx fait entrer dans la composition de la valeur, c’est le travail abstrait, distinct du travail concret et effectivement employé ; c’est le travail socialement nécessaire, avec le degré moyen d’habileté des travailleurs, dans les conditions et avec les perfectionnements généraux qui sont acquis à l’industrie. En un mot, c’est du travail social.

Et pourquoi ce travail social est-il la mesure et l’essence même de la valeur ? Le voici. Puisque l’on compare et que l’on estime équivalentes entre elles une quantité a de fer, une quantité b de soie, une quantité c de blé, une quantité d d’or, il faut évidemment que ces quantités aient un principe commun. Ce principe n’est pas la masse, la quantité matérielle, puisque ces diverses richesses sont de poids inégaux ; ce n’est pas la composition chimique ; ce n’est pas davantage l’aspect extérieur ; qui est différent en elles toutes. Qu’y a-t-il donc de commun ? Rien, si ce n’est que toutes ont été obtenues avec du travail. C’est pour cela et seulement pour cela que l’or, obtenu avec beaucoup de travail sous un petit poids et un petit volume, peut servir d’équivalent et d’évaluateur dans les échanges. — Il y avait eu quelque chose de semblable dans Aristote. Celui-ci, dans son Éthique ou Morale, avait cherché ce qu’il pouvait y avoir de commun dans les choses que nous évaluons respectivement entre elles : seulement il avait répondu que « cette mesure commune, c’est le besoin qu’on en a[6] ». Aristote avait raison : Karl Marx a tort en disant que c’est le travail.

Mais reprenons l’argumentation de ce dernier. Son même raisonnement s’applique aux produits complexes exigeant indirectement du travail en outre de celui que leur propre confection a imposé directement. Pour le fer par exemple, il faut embrasser par la pensée tout le travail nécessaire pour l’extraction du minerai et du combustible, ainsi que pour la construction du haut-fourneau, des fours à puddler et des laminoirs.

« Pendant le processus de la production, dit Marx, le travail passe sans cesse de la ferme dynamique à la forme statique. » Et la conclusion, c’est que, le travailleur constituant par son travail toute la valeur où prix de la marchandise, cette valeur ou ce prix doit lui revenir en entier, comme l’effet à la cause.

— Très ingénieuse et très subtilement présentée, cette première thèse de Marx est infirmée et contredite :

1° Par l’observation interne. En effet, pour évaluer une chose, nous ne demandons jamais ce qu’elle a coûté de travail ou ce qu’elle aurait dû en coûter socialement à ceux qui l’ont faite. Nous jugeons cette valeur en raison de la jouissance espérée, où plus exactement en raison de la jouissance que la résistance à vaincre va nous faire apprécier. Ici l’école autrichienne et les fines analyses de la valeur par Jevons et Karl Menger ont rendu un réel service, en opposant à la théorie de Karl Marx une autre théorie aussi métaphysique et plus fouillée, surtout beaucoup plus juste et tout à fait exempte de conséquences dangereuses ;

2° Par l’observation externe. L’expérience donne d’innombrables démentis à la théorie de Marx. Comment, avec cette théorie, pourriez-vous expliquer la perte de valeur dans les cas de consommation subjective ? Comment expliqueriez-vous la valeur attribuée par la caravane à l’eau de l’oasis ? Comment expliqueriez-vous le vin qui prend de la valeur en vieillissant et qui revient ensuite à en perdre ? Même dans l’industrie usuelle, comment expliqueriez-vous que, le fabricant, connaissant la quantité de travail social incorporée à ses produits et la quantité de travail social incorporée aux autres marchandises qu’il désire acheter ensuite ne puisse cependant connaître ni ses prix de vente, ni ses prix de rachat ou remplacement ? Il faut donc dire bien haut que la thèse de Karl Marx sur le travail cause et mesure de la valeur n’a pas un atome de vérité en elle[7].

II. — La plus-value.

La plus-value — Mehrheit ou Plusmacherei — est l’excédent de la valeur ou force-travail — Arbeitskraft — retenue par le patron, sur la valeur ou force-travail payée par lui à l’ouvrier. En d’autres termes, le patron fait travailler l’ouvrier une journée entière ; il garde le produit de cette journée et donne à l’ouvrier seulement l’équivalent du produit d’une demi-journée. Cette plus-value, constamment reproduite et retenue, engendre le capital, lequel est un vol continu.

Ici la dialectique de Karl Marx devient particulièrement prolixe et laborieuse.

Si le capitaliste, dit-il en substance, ne vendait le produit qu’à sa valeur d’échange en donnant à l’ouvrier l’intégralité de cette valeur, il n’aurait aucuns profits. Mais il en exige : pour en avoir, il prend la force de travail de l’ouvrier, il la paye ce qui est suffisant à l’ouvrier pour pouvoir vivre (soit l’équivalent de six heures de travail) et il lui fait produire le double (soit l’équivalent d’un travail de douze heures). C’est cet excédent ou différence qui constitue la plus-value.

Un peu plus loin[8], Karl Marx distingue deux sortes de plus-value :

1° La plus-value absolue, fournie par l’allongement de la journée, c’est-à-dire par le surtravail ou excédent du temps de travail accompli sur le temps de travail nécessaire à la reproduction d’une valeur égalé au salaire ;

2° La plus-value relative, résultant de méthodes qui font produire en moins de temps l’équivalent du travail qui serait nécessaire à cette reproduction. Cette plus-value relative dépend de l’intensité personnelle du travail chez l’ouvrier ; elle dépend surtout de la productivité technique de l’industrie, par l’emploi des machines et le perfectionnement des procédés. Enfin la division du travail accroît la plus-value relative, idée que nous avions signalée déjà comme étant en germe dans le Mémoire de la propriété de Proudhon[9]. « La production de la plus-value absolue, dit Marx, n’affecte que la durée du travail ; la production de la plus-value relative en transforme entièrement les procédés techniques et les combinaisons sociales. Elle se développe avec le régime capitalistique proprement dit. » Karl Marx doit donc être hostile aux perfectionnements qui tendent à accroître la productivité.

Ainsi c’est la plus-value qui engendre le capital de l’entrepreneur[10]. Ici Karl Marx distingue deux sortes de capital : 1° le capital constant, soit cette partie du capital qui achète des choses, qui se transforme en matières premières ou en instruments mécaniques de travail ; 2° le capital variable, soit cette partie du capital qui achète du travail, celle qui se transforme en force de travail et qui reproduit, non pas seulement son équivalent, mais encore la plus-value. « Le capitaliste, dit Marx, en transformant l’argent en marchandises qui servent d’éléments matériels d’un nouveau produit, et en leur incorporant ensuite la force du travail vivant, transforme la valeur du travail passé, travail, mort, devenu chose, en capital, c’est-à-dire en valeur grosse de valeur, monstre animé qui se remet à travailler comme s’il avait le diable au corps. »

À la distinction du capital constant et du capital variable se lie, chez Karl Marx, le problème de la population.

D’abord chaque régime économique a son propre « principe (ou loi) de population ». Or, sous le régime capitalistique, le rapport du capital variable au capital constant a une tendance irrésistible à décroître ; au lieu de faire moitié du plus qu’un tiers, un quart et toujours moins. En effet, toute machine ou tout perfectionnement de procédés rend inutiles un certain nombre de bras. Marx appelle « armée de réserve de l’industrie » ou « population de surplus » cette partie de la population qui devient superflue par le progrès des méthodes capitalistiques. Or, l’existence de cette armée de réserve est indépendante de l’accroissement absolu de la population. Au début du régime capitalistique, la proportion de l’un et de l’autre capital ne s’altérait que lentement, et l’accroissement du capital constant coïncidait avec un accroissement encore assez rapide de la demande de travail par les patrons. Puis cette demande est allée en décroissant et la diminution a été activée par les efforts que les patrons faisaient pour obtenir de chaque travailleur un rendement plus élevé, grâce au surtravail, à l’intensification de la production et à l’emploi des femmes et des enfants. Ainsi, dit Marx, « le surtravail de la partie occupée des travailleurs augmente l’armée de réserve ; et inversement aussi la pression que cette dernière exerce sur les travailleurs actifs par la concurrence dans l’offre du travail, condamne ces derniers au surtravail, en les assujettissant toujours davantage à la dictature du capital. Mais condamner à l’oisiveté forcée ? une partie de la classe ouvrière par le surtravail de l’autre partie — et inversement — est un moyen d’enrichissement pour le capitaliste. L’armée de réserve s’augmente donc avec une proportion et une rapidité qui correspondent au progrès de l’accumulation sociale[11]. »

La théorie de la plus-value et la théorie du travail social cause de la valeur, mises en contact l’une avec l’autre, dégagent les deux lois suivantes[12] : 1° que la valeur (ou prix) d’une certaine quantité de travail est une quantité fixe et indépendante de la productivité effective et concrète (c’est la théorie du travail social) ; 2° que la plus-value, au contraire, augmente en raison directe de cette productivité concrète et en raison inverse du salaire payé à l’ouvrier ; ou — ce qui revient au même — qu’elle croît ou décroît nécessairement et toujours d’après l’écart entre le salaire effectif et le prix commercial réalisé par la venté du produit du travail[13].

Finalement le capital est un vol, instrument de domination pour le capitaliste et instrument d’oppression contre le travailleur. Mais c’est un vol objectif et matériel, non pas un vol subjectif et formel ; il est inévitable, il résulte de toute l’organisation sociale, il n’est pas imputable à tel ou tel patron ; par conséquent il ne peut pas ne pas être commis par un patron qui serait personnellement plus désintéressé et moins rapace que les autres. Marx ne rend pas « l’individu isolé responsable des conditions dont il dépend socialement, comme cet individu devrait Têtre s’il pouvait s’élever subjectivement au dessus d’elles[14] ».

— Cette deuxième thèse de Marx — la thèse de la plus-value — est aussi fausse que la première. Il n’est pas vrai que le capital soit un vol, même simplement objectif, parce qu’il n’est pas vrai que le gain de l’entrepreneur soit un vol sur l’ouvrier, vol accompli au moyen du surtravail.

D’une part, en fait, rien ne prouve que six heures de travail produisent une valeur égale aux besoins des travailleurs. Nombre d’entrepreneurs végètent ou se ruinent en faisant travailler le temps normal et usuel, qui est actuellement en France de dix à onze heures et rarement davantage, très souvent beaucoup moins ; nombre, aussi, de travailleurs autonomes se ruinent ou végètent en travaillant autant, plus même ordinairement, que les salariés de l’industrie. L’assertion de Marx reste donc dénuée de preuve et de vérité[15].

D’autre part, en principe, le gain du patron a pour cause : 1° en tant que loyer ou intérêt, la productivité du capital (à supposer que le capital soit fourni par lui) ; 2° en tant que profit : a) le salaire implicite du travail de direction et de coordination ; b) la rémunération des aléas d’entreprise, avec compensation des mauvaises chances par les bonnes[16].

Marx s’engage ensuite dans an long plaidoyer contre le régime industriel moderne, où tout est contre l’ouvrier[17]. Le machinisme pousse à l’intensification du travail, c’est-à-dire à l’augmentation fatale de la plus-value relative. Le patron y est conduit par le désir de ne pas laisser chômer son capital constant et de pouvoir répartir ses frais généraux sur une production plus abondante, à tel point que la plus-value relative peut augmenter par l’abréviation du temps de travail avec maintien du même salaire, si le patron, en réduisant le nombre d’heures de ses ouvriers, parvient à rendre leur travail plus intensif[18] et à épargner en même temps sur les dépenses de combustible et d’éclairage. Marx combat également la théorie de la compensation, c’est-à-dire du déplacement du travail par l’effet des machines.

Toute cette partie du livre, sans faire le procès théorique du capitalisme, décrit et critique, soit l’état chaotique de la grande industrie, déjà bien corrigé au temps de Marx et bien davantage depuis lors, soit le sweating system, où se trouvent, précisément en dehors des machines et des perfectionnements économiques et techniques, les pires misères et les plus désolants exemples de paupérisme.

Ici Karl Marx a méconnu, exagéré ou travesti les faits. La transformation industrielle a accru la population partout où elle s’est accomplie : c’est au contraire dans les pays voués aux anciennes pratiques du travail que la population est restée stationnaire ou a décru en nombre. La « théorie de la compensation est démontrée par l’expérience, sauf les abus et les souffrances des trop brusques transitions. Les excès de la « période chaotique » ont été heureusement combattus par l’initiative généreuse d’un bon nombre de patrons, par la législation ouvrière et par le mouvement général de l’opinion. Ainsi le salaire réel s’est élevé considérablement, et avec lui le standard of life[19]. Enfin, il est faux que le moyen âge et l’ancien régime, antérieurs à la concentration de l’industrie et à la forme dite capitalistique, n’aient pas connu d’âpres souffrances, non seulement les famines, mais aussi les déplacements de vie industrielle et commerciale, qu’attestent en Belgique le déclin de Bruges, d’Ypres et de Louvain, en Italie les ruines de Pise, de Sienne et de nombre d’autres cités.

III. — Rôle du capital dans les procès de production et de circulation.

Marx a décrit longuement et verbeusement le rôle du capital, non sans donner au capital argent, dans la production industrielle, une importance que celui-ci n’a pas aussi grande en réalité. Pour Marx, le mouvement circulatoire s’opère en trois stades. Au premier, l’argent se convertit en marchandises (matières premières) : c’est l’acte de circulation auquel l’expression A — M sert de formule[20]. Au deuxième stade, le capital passe par le procès de production : le résultat est une autre marchandise, d’une valeur plus grande que celle de ses éléments (M… P… M’) puisque la marchandise produite vaut tout ensemble et le capital variable et la plus-value (v + pl). Enfin, au troisième stade, les produits finis retournent au marché ; et là ils se reconvertissent en argent (M’— A’). « La formule du mouvement circulatoire, dit Marx, est donc

A — M… P… M’— A’,

les points indiquant que le procès de circulation est interrompu » (pour faire place au procès de production…). « Capital-argent, capital-marchandises, capital productif, dit-il ailleurs, ne désignent pas des variétés autonomes de capitaux… ces mots ne désignent que des formes fonctionnelles différentes du capital industriel, qui les revêt toutes les trois tour à tour. » La durée du cycle total est la somme des périodes de production et de circulation[21].

Quant à la monnaie, tout simplement elle « représente une quantité de travail social sous une forme qui lui permet de fonctionner comme instrument de circulation » ; d’où cette double conséquence : 1° que l’accroissement des marchandises exige un accroissement de monnaie ; 2° que le renouvellement de la monnaie est une « fraction de la richesse sociale qui doit être sacrifiée au procès de circulation[22] ». Par contre, « le crédit, qui accroît l’efficacité de la monnaie et qui supprime son intervention dans l’accomplissement du travail et de la production sociale, augmente directement.la richesse capitaliste[23]. »

On finit par s’apercevoir — mais avec quelle peine ! — que ces longs développements sur le procès du capital renferment une des idées maîtresses du marxisme : à savoir, que la production n’est devenue capitaliste que lorsqu’elle s’est appliquée à transformer des matières premières obtenues par voie d’échange, pour en faire des produits destinés à leur tour à être échangés. D’où l’on a pu dire avec raison qu’aux yeux de Marx le capital est essentiellement constitué par de l’argent obtenu au moyen d’un échange précédent d’argent. Donc, logiquement, si avec 1.000 francs qui ne proviendraient pas d’un échange (hypothèse invraisemblable dans le système marxiste), j’allais au marché pour acquérir des marchandises que je dusse ensuite revendre 1.100 francs, ces 1.100 francs seraient du capital, mais non pas les 1.000 francs premiers. Cette dernière partie de la théorie marxiste est de pure fantaisie : quant à la description des stades circulatoires, du stade productif et des vitesses variables de rotation, il faut reconnaître que les développements ou les explications fournis par Marx, bien loin de jeter quelque clarté, ne font qu’obscurcir des phénomènes assez simples par eux-mêmes.

IV. — Matérialisme historique.

Par ce mot on entend, dans la doctrine de Marx, la fatalité immanente des systèmes sociaux et des idées. Ce seraient les situations économiques qui commanderaient les événements et toutes les phases successives de l’évolution sociale ; les hommes ne seraient rien ; les phénomènes de production et de répartition seraient tout et livreraient en toutes choses le dernier mot de l’histoire. Le matérialisme historique — selon le mot du socialiste Anton Menger — c’est « cette conception de Marx et d’Engels, selon laquelle les domaines idéaux de la vie humaine — l’État, l’Église, l’art et la science — sont simplement le produit des conditions économiques concomitantes[24] ».

Pas plus sur ce terrain que sur les autres, nous ne pouvons suivre Karl Marx. Les circonstances économiques sont loin de donner la raison de toute l’histoire : car si l’on voit qu’elles ont eu leur large part d’influence dans l’invasion dès barbares et l’organisation de la féodalité, on est bien obligé, par contre, de ne leur en accorder aucune dans la brusque irruption des Arabes sous la poussée de l’islamisme et dans l’explosion de la Réforme au XVIe siècle, obligé tout aussi bien de ne leur en accorder aucune dans l’éclosion de la Révolution française et les rapides chevauchées de Napoléon à travers l’Europe. Au résumé, l’économie politique n’est avec beaucoup d’autres qu’un des facteurs de l’histoire : et en dehors d’elle il y a des idées, des mœurs et des croyances qui n’en procèdent point, sans compter les hommes inattendus par qui marchent ces idées.

Le matérialisme historique a trouvé jusque parmi les socialistes des adversaires ardents et convaincus. Ceux-ci se sont attachés à relever dans l’histoire l’influence et la force de l’élément subjectif, c’est-à-dire des idées morales, religieuses, philosophiques et de tous les grands courants d’opinions ; et ils ont insisté tout aussi justement sur l’extrême complexité des phénomènes et des causes de tout ordre qui amènent ou modifient ceux-ci — causes morales, politiques, religieuses et non point seulement économiques. — De ces contradicteurs, nous nous bornons à signaler ici Bernstein et Anton Menger[25].

Est-ce même Marx qui a inventé le matérialisme historique ? On le lui conteste. « Il est maintenant prouvé jusqu’à l’évidence, et sur ce point l’excellent travail de Ch. Andler est lumineux, que Pecqueur a formulé avant Marx la conception matérialiste de l’histoire. Seulement, tandis que celui-ci en tirait des conséquences pessimistes et révolutionnaires, celui-là y voyait les conditions matérielles de l’harmonie sociale future[26]. »

Du matérialisme historique, qui est un principe faux, Marx avait déduit un corollaire qui est doublement faux, puisque sa vérité ne découle pas même de l’énoncé du principe : je veux dire qu’il en a tiré la loi de l’évolution vers le collectivisme.

V. — La loi de l’évolution vers le collectivisme.

La fatalité d’un contraste croissant entre le capital et le travail, c’est-à-dire la loi générale de l’accumulation capitalistique, en continuant à exercer son action, doit amener logiquement le collectivisme[27].

Il y a nécessairement deux phases successives. Dans la première, c’est-à-dire dans celle où nous sommes, nous avons, à ce que dit Marx, la concentration des capitaux en un petit nombre de mains, la disparition des classes moyennes, l’augmentation du nombre des prolétaires et l’aggravation de leur misérable situation. Cette phase est caractérisée par la disparition graduelle de la propriété privée, que remplace l’accumulation aux mains de quelques grands capitalistes[28]. Dans la seconde phase, la propriété, que cette accumulation capitalistique a enlevée à la masse qui la possédait auparavant à titre individuel, retourne à cette même masse, mais de façon que celle-ci jouisse dorénavant d’une manière collective et non plus à titre individuel comme autrefois.

« L’expropriation, dit Marx, s’accomplit par le jeu des lois immanentes de la production capitalistique, lesquelles aboutissent à une concentration des capitaux… À mesure que diminue le nombre des potentats du capital, qui usurpent et monopolisent tous les avantages de la première période d’évolution sociale, on voit s’accroître la misère, l’oppression, l’esclavage, la dégradation, l’exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière, sans cesse grossissante et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste… La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats….. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés… La production capitaliste engendre elle-même sa propre négation, avec la fatalité qui préside aux lois de la nature[29]… Elle rétablit, non la propriété privée du travailleur, mais sa propriété individuelle (des biens de consommation), basée sur la coopération commune de tous les moyens de production, y compris le sol. »

Or, cette seconde expropriation, inverse de la première, s’accomplira beaucoup plus vite, parce que les individus à exproprier seront moins nombreux cette seconde fois qu’ils n’avaient été la première.

— Malheureusement toutes ces conjectures de Marx reposent sur une fausse analyse de l’état social contemporain, qui, du reste, est beaucoup plus complexe que l’auteur du Capital ne l’a vu.

Va-t-on, comme il le croit, à une concentration des fortunes par suite du régime de la grande industrie ? Va-t-on également à une disparition de ces classes moyennes qui se recrutaient auparavant par une lente ascension de certains éléments des classes inférieures ?

Évidemment non. Nous ne contestons point que cette classe moyenne se transforme, en fournissant un nombre croissant d’individus qui, au lieu d’être industriels et négociants pour leur propre compte, sont salariés de la grande industrie et du grand commerce. Aussi bien les immenses sociétés coopératives de consommation dont l’Angleterre peut être fière, comme celle de Rochdale, ont-elles elles-mêmes concouru à cet amoindrissement relatif du commerce de détail. Mais par un autre côté la baisse du taux de l’intérêt et la vulgarisation croissante du crédit ont rendu proportionnellement plus de services aux petits entrepreneurs qu’aux gros ; et avec la quantité beaucoup plus grande des échanges, avec la dilatation automatique des besoins que tout homme croit ressentir, avec la création d’une foule de professions et de métiers nouveaux, il s’est ouvert à la classe moyenne des débouchés et des carrières qui lui avaient manqué auparavant. Bref, il y a lieu de croire qu’elle est plus nombreuse qu’autrefois, et cela d’une manière proportionnelle et non pas seulement absolue. En France, sans doute, nous souffrons du danger de voir se créer dans son sein un véritable prolétariat intellectuel ; mais la menace en vient moins, selon nous, d’un réel encombrement des carrières de travail que de la diffusion mal comprise de l’enseignement, du déclassement général de la population et du prestige exagéré des situations officielles et des diplômes.

L’action économique et sociale des sociétés anonymes a été encore plus mal comprise par Marx. Selon lui, elles servent d’une part à la concentration des capitaux ; d’un autre côté elles préparent la société à l’idée du collectivisme, puis à son avènement effectif. Eh bien ! tout au contraire, elles ont été réellement et elles sont toujours de plus en plus des instruments de la division des fortunes. Grâce aux petites coupures et à la forme au porteur, leurs titres fournissent des emplois faciles à la petite épargne ; et c’est par elles que la richesse va en se morcelant et en se démocratisant, avec des actions et obligations toujours disséminées de plus en plus[30].

Ce n’est pas tout ; et entre les sociétés industrielles qui existent aujourd’hui et la société socialisée et collectiviste que Marx nous promet, il y a une grande différence que Marx n’a point vue : à savoir, que le collectivisme embrasserait l’homme tout entier et tous les hommes d’une manière obligatoire et irrévocable, tandis que les sociétés industrielles sont libres et non forcées, passagères et non perpétuelles, se nouant et se dénouant au gré de ceux qui y entrent et dont chacun ordinairement appartient en même temps à un grand nombre d’entre elles. Vaudrait-il donc mieux que les ouvriers fussent collectivement propriétaires des industries avec tout le capital fixe et circulant qu’elles exigent ? On peut en douter. Dans bien des cas, en effet, il semble préférable que leurs économies n’y soient point engagées, de manière à ne pas pouvoir y être compromises, ce qui aurait l’inconvénient de faire coïncider la perte de l’épargne avec la cessation du travail ; de plus, au point de vue d’une prospérité économique à laquelle l’ouvrier est tout aussi intéressé que qui que ce soit, il est bon que le capital et la direction d’entreprise soient séparés du travail manuel, afin que l’entreprise soit plus une, plus agissante et mieux disciplinée, toutes conditions qui facilitent le succès et qui, par conséquent, garantissent mieux le travail productif de l’ouvrier. Il en serait autrement sans doute si les procédés et les forces de l’industrie moderne étaient demeurés ignorés : mais il ne devait pas dépendre de l’humanité de refuser la révélation que la Providence lui en faisait, à une certaine heure éternellement marquée dans les desseins de Dieu.

Tout cela, sans nier des abus de fait, puisque nulle institution humaine n’en est garantie. Tout cela, sans nier davantage des devoirs et des responsabilités, auxquels les lois civiles n’ont pas à demeurer indifférentes.

Quoi qu’il en soit et en résumé, dans l’état social actuel il y a une multiplication croissante des petits et moyens revenus. Or, c’est là exactement le contraire de la description que Marx avait faite : et la première phase de l’évolution ne se parcourant pas suivant ses prédictions, il est évident que la seconde, qui ne devait être d’après lui que la contrepartie de la première, ne saurait rien avoir de fatal ou bien que sa réalisation — passagère sans doute — serait due à des causes toutes différentes. Du reste, le courant actuel est beaucoup plus vers le socialisme réformiste que vers le socialisme révolutionnaire, sous réserve de l’identité du but à atteindre.

— Sur le terrain des définitions et des principes, l’erreur fondamentale dû marxisme, celle que nous considérons comme la plus grosse par les conséquences logiques qui nous paraissent en découler nécessairement, c’est la thèse de l’improductivité du capital. Marx, assurément, ne conteste point que l’ouvrier ait produit davantage s’il a été servi par des instruments : mais il n’a jamais voulu reconnaître que des instruments possédés par un entrepreneur doivent figurer au nombre des causes économiques de la valeur et du produit ; il n’a donc jamais voulu reconnaître que l’entrepreneur ou le propriétaire est un producteur par les instruments ou le sol qui lui appartiennent et qu’il met à la disposition du travailleur manuel. Marx croyait échapper ainsi à la nécessité d’attaquer la propriété dans son principe, pour pouvoir ne la saper que dans son organisation et ses résultats.

Nous sommes convaincu, quant à nous, que tout système ou toute classification qui refusera de voir un agent de production dans le capital, sera logiquement condamné à interdire les « revenus sans travail » — l’arbeitsloser Eintrag des Allemands — et à admettre la thèse du « produit intégral au travailleur ». De quel droit ; en effet, le commanditaire d’un négociant, l’actionnaire ou l’obligataire d’une société anonyme, même le propriétaire d’un bien-fonds que ses auteurs ont aménagé ou défriché, demanderaient-ils soit une part variable ou forfaitaire dans les bénéfices de l’industrie, soit un fermage ou une part des récoltes, si le commandité, si les ouvriers, si le fermier ou le métayer avaient le droit de lui répondre que l’instrument, une fois mis aux mains du travailleur, forme avec celui-ci un tout inséparable et que l’action de cet instrument n’est pas distincte de l’action de la main qui le conduit[31] ? Aussi Anton Menger et le socialiste chrétien Rudolf Meyer étaient-ils conséquents avec eux-mêmes, quand ils reprochaient à l’Eglise de n’avoir pas nié généralement la productivité du capital au temps où elle interdisait l’intérêt de l’argent[32].

Telle est, dans ses lignes essentielles, l’œuvre du grand prophète du collectivisme. Les disciples ne manquèrent pas autour de lui. Nous nous bornons à citer son meilleur ami, Engels, né à Barmen, mais industriel à Manchester et retiré ensuite à Londres, qui continua la publication du Capital ; Kautsky ; puis Bebel, député au Reichstag, auteur, entre autres ouvrages, de Die Frau und der Socialismus, livre profondément immoral où il prêche l’émancipation de la femme et son égalité avec l’homme sur le terrain de l’union libre et passagère.

Ce livre eut un immense succès. Bebel y traite notamment la question de la population : il y affirme que « ce sont les institutions sociales, c’est-à-dire les modes actuels de production et de répartition des produits — mais non pas le nombre des hommes — qui engendrent la misère… Il n’y a pas manque de moyens de vivre ; il y en a, au contraire, un excès comme il y a un excès de produits industriels. Au surplus, ajoute-t-il, l’idée de Karl Marx, que chaque période économique de développement a sa loi particulière de la population, se vérifiera pleinement sous l’empire du socialisme. » C’est que la félicité procurée par l’avènement de ce socialisme, jointe à l’ennoblissement des âmes qui en sera la conséquence, aura suffi pour transformer les passions de l’humanité. « Le genre humain, dit Bebel, marche, actuellement à l’aventure, dans l’ignorance des lois naturelles, tandis que dans la société nouvelle il agira avec un ordre parfait et dans la pleine connaissance des lois de son développement[33]. » Le socialisme mènera de front l’affranchissement de l’ouvrier et l’affranchissement de la femme, ces deux victimes des préjugés et des violences du passé : et la femme attestera son émancipation par son acceptation — libre désormais et non plus contrainte — d’une « maternité consentie ».

Quoi qu’il en soit, il est bien difficile de soutenir que l’œuvre de Marx n’ait été pas surfaite. Bien plus, de ceux qui font l’éloge du philosophe, combien y en a-t-il qui le connaissent ? Beaucoup proclament l’immortalité de son Kapital, qui ne l’ont jamais lu et qui peuvent d’autant moins juger sa pensée, qu’ils peuvent moins la reconnaître et la suivre à travers les nuages pédantesques de sa métaphysique[34].

  1. Engels, ami et disciple de Marx, a écrit Die Entwickelung des Socialismus von der Utopie zur Wissenschaft, 1882.
  2. L’original est en français. L’ouvrage ne fut traduit en allemand qu’en 1885, par Bernstein et Kautsky, autres sommités du parti collectiviste.
  3. Par ses trois filles, Marx eut trois gendres illustres dans le socialisme, Paul Lafargue, qui fut député du Nord, puis Aveling et Longuet.
  4. Les volumes postumes du Capital ne sont guère que des morceaux isolés, plus ou moins soudés entre eux par Engels, interprète de la pensée du maître. Les redites y abondent, et la lecture en est remarquablement pénible. Les trois derniers volumes du Capital ont été traduits en français, en 1900,1901 et 1902.
  5. Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édition, pp. 33 et s.
  6. Supra, p. 17.
  7. Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édition, pp. 34 et s. — Voyez une bonne discussion de la théorie marxiste de la valeur dans de Bœhm-Bawerk, tr. fr., Histoire critique des théories de l’intérêt du capital, t. II, 1903, pp. 85-114.
  8. L. I,ch. xvi.
  9. Voyez plus haut, p. 679 en note.
  10. L. I, ch. viii.
  11. Sur l’opinion des divers auteurs socialistes au sujet de la population, voyez le Handbuch des Socialismus de Stegmann et Hugo, v° Bevoelkerungstheorie, pp. 66 et s. — « La surpopulation, dit encore Marx, provient, non pas d’un accroissement positif de la population ouvrière ; qui dépasserait les limites de la richesse en voie d’accumulation, mais au contraire d’un accroissement accéléré du capital social, qui permet à celui-ci de se passer d’une partie plus ou moins considérable de ses manouvriers… En produisant l’accumulation du capital et à mesure qu’elle y réussit, la classe salariée ; produit donc elle-même les instruments de sa métamorphose en surpopulation relative… Le mouvement d’expansion et de contraction du capital envoie d’accumulation produit alternativement l’insuffisance ou la surabondance relatives du travail offert : mais ce n’est ni un décroissement absolu ou proportionnel du chiffre de la population ouvrière qui rend le capital surabondant dans le premier cas, ni un accroissement absolu ou proportionnel du chiffre de la population ouvrière qui rend le capital insuffisant dans l’autre » (Capital, tr. fr., t. I, pp. 272-280).
  12. Ch. xvi. — Karl Marx, subtilisant, constate trois lois. En réalité, la troisième est contenue dans la seconde.
  13. On peut comparer avec des propositions analogues de Ricardo, moins subtiles, mais tout également fausses (voyez supra, p. 312).
  14. Cette distinction du vol objectif et matériel, que l’individu commet sans en être responsable parce que ce sont les conditions sociales qui l’y condamnent, n’est pas spéciale à Karl Marx. Les démocrates chrétiens l’ont maintes fois employée, par exemple pour expliquer le prêt à intérêt, dont la pratique est due, suivant eux, aux vices d’une organisation capitalistique destinée à disparaître avec une transformation radicale de la société (en ce sens, Georges Goyau, Autour du catholicisme social, 1897, p. 247 ; — R. P. Antoine, S. J. , Économie sociale, 1re éd., p. 507). Ces formules, chez les démocrates chrétiens, ont le grand avantage de leur permettre, d’une part, de déclamer contre la société contemporaine et le libéralisme économique, d’autre part, de continuer en sécurité de conscience à gérer leur fortune comme tout le monde et à payer les salaires de leurs ouvriers au taux de tout le monde.
  15. À plus forte raison en est-il de même de cette assertion parfaitement gratuite et injustifiée de M. Ch. Andler : « L’obligation, dit-il, de ne pas renvoyer d’ouvriers ou simplement la résolution prise par une coopérative ou par une autorité constituée d’occuper tous les travailleurs sans ouvrage résoudrait la question sociale : 1° parce que tout travailleur produit toujours son salaire ; 2° parce que, en ne produisant jamais que ce qui est dans le besoin public, mais en le produisant sans bénéfice, on ne dépasserait jamais le pouvoir d’achat du marché » (Ch. Andler, Préface à la traduction du Droit au produit intégral du travail de Karl Menger, p. xxiv). — M. Andler devrait bien apprendre aux entrepreneurs menacés de faillite et surtout aux viticulteurs du Midi la manière de faire toujours produire son salaire à l’ouvrier ! On lui paierait bien cher son secret !
  16. Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édition, pp. 157, 591 et s.
  17. L. I, ch. xv.
  18. C’est la thèse soutenue en fait par John Rae, dans ses Eight hours of labour. Rae considère que le plus grave défaut de la réduction de la journée à huit heures serait d’accroître le rendement du travail et de provoquer par conséquent le renvoi d’un certain nombre d’ouvriers. Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette assertion, que nous tenons pour fausse à beaucoup d’égards.
  19. Sur les progrès de la condition ouvrière, voyez notamment Lavollée, les Classes ouvrières en Europe, 1886-1896, t. I, II et III ; — von Schulze-Gævernitz, la Grande industrie dans son rôle économique et social, tr. fr., 1896 ; — Paul de Rousiers, le Trade-unionisme en Angleterre, 1897 ; — Levasseur, l’Ouvrier américain, 1898 ; — Castelein, Socialisme et droit de propriété et l’Appendice IV (en français) de ses Institutiones philosophiæ moralis et socialis, Bruxelles, 1899 (Op. cit., pp. 597-623) ; — Cathrein, der Socialismus, 7e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1898, etc., etc.
  20. Il faut se garder de lire ces formules de Marx comme des notations algébriques : s’il en était ainsi, on aurait du trouver bien plutôt :.A = M.
  21. T. II, 1re partie, ch. I, tr. fr., pp. 1, 33, 152, etc.
  22. T. II, ch. iv, §§ 1 et 3.
  23. T. II, ch. xvii, § 2.
  24. A. Menger, Droit au produit intégral du travail, tr. fr., p. 171. — Marx professait déjà le matérialisme historique dans sa Misère de la philosophie, de 1847, et dans son Zur Kritik der politischen Œkonomie (où l’on trouve d’ailleurs beaucoup moins la critique des économistes que l’exposé du propre système de Marx). — Engels a adopté le matérialisme historique dans l’ouvrage Die Entwickelung des Socialismus von der Utopie zur Wissenschaft.
  25. Bernstein, Socialisme théorique et social-démocratie pratique, tr. fr., 1900 ; — Anton Menger, Droit au produit intégral du travail, pp. 170 et s. — En sens inverse, pour défendre Marx en atténuant peut-être sa pensée et en prétendant que le matérialisme historique n’est pas une philosophie de l’histoire, voyez Labriola (professeur à l’Université de Rome), Del Materialismo storico, Rome, 1896, et In memoria del manifesto dei Comunisti, Rome, 1895 ; — voyez aussi Benedetto Croce, Matérialisme historique et économie marxiste, tr. fr., Paris, 1901.
  26. Fournière, les Théories socialistes au XIXe siècle, 1904, p. 296 ; — Pecqueur, Manifeste communiste, t. II, commentaire, pp. 84-102.
  27. L. I, ch. xxxii.
  28. Bernstein, qui combattait le matérialisme historique, combat aussi la formule de l’appauvrissement progressif ou Verelendungstheorie (Socialisme théorique et social-démocratie pratique, tr. fr., 1900, pp. xxxvi et s. ; et passim.
  29. Il y a là comme un retour involontaire aux « contradictions économiques » de Proudhon.
  30. « La société anonyme constitue d’après nous un grand progrès. En facilitant le groupement des capitaux et en limitant la responsabilité au montant des actions, elle permet aux plus modestes fortunes de participer aux progrès et aux bénéfices de l’industrie » (Castelein, Socialisme et droit de propriété, p. 445). — Voyez Bernstein, Socialisme théorique et socialdémocratie pratique, pp. 80 et s.
  31. Dans ses Principes d’économie politique (ch. ii, art. 6, sous la rubrique : « Le capital ne doit pas, en principe, être mis au nombre des producteurs de la richesse » ), le P. Liberatore a écrit : « On ne peut pas compter parmi les causes d’un résultat ce qui suppose ce résultat préexistant au moins en partie…L’opinion qui fait du capital un producteur, pourrait paraître plus, fondée à l’égard des instruments : ceux-ci, apportant aux travailleurs le concours d’une action réelle, bien que secondaire, pourraient réclamer de près quelque droit au nom de producteurs. Mais, à considérer les choses, on verra qu’il n’en est rien. L’instrument, par rapport au travail, n’exerce pas une action distincte de celle de l’agent principal ; il forme avec lui un quid unum.… Dans le nombre des vrais producteurs et producteurs absolus de la richesse, il suffit de compter la nature et le travail de l’homme : tout le reste vient de l’une ou de l’autre » (Op. cit., pp. 61-66 de la traduction française, 1894). Et l’auteur croit prouver sa thèse en faisant observer que si un touriste, mis en face d’une toile de Raphaël, demande qui l’a faite, le cicérone doit lui répondre, non pas que c’est un pinceau, mais que c’est Raphaël. Après cela, si vous n’êtes pas convaincu, c’est que vous êtes bien exigeant !
  32. Voir plus haut, p. 60.
  33. Die Frau und der Socialismus, 28e édition, Stuttgart, 1897, pp. 457-463.
  34. Par exemple, pourquoi M. du Maroussem, qui veut bannir les mots travail, capital et valeur, appelle-t-il le Capital une « œuvre immortelle » ? (Les Enquêtes, pratique et théorie, 1900, p. 201).