Histoire des vents (trad. Lasalle)/Avertissement

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Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres11 (p. i-viii).
AVERTISSEMENT
DU TRADUCTEUR.

Nous avons appris, dans notre retraite, que plusieurs hommes de lettres, entre autres M. Deluc, membre de la société royale de Londres, et d’une infinité d’autres académies, avoient bien voulu interrompre leurs études, pour nous détourner des nôtres, et se nuire à eux-mêmes, en nous disant publiquement des injures. Des amis judicieux et au sentiment desquels nous faisons gloire de déférer, nous ont exhortés à nous défendre complètement ; mais nous balançons encore à nous engager dans un combat de cette nature. Nous n’ignorons pas que le public s’amuse quelquefois de ces petites querelles littéraires, par exemple, lorsqu’elles lui fournissent l’occasion de s’amuser aux dépens des puissances belligérantes : cependant des raisons assez fortes nous empêchent pour le moment de lui procurer ce genre d’ennui ou d’amusement.

1°. Ce rôle de deux hommes de lettres disputant avec chaleur par devant le public, sur un sujet qui le plus souvent n’intéresse que leur susceptible vanité, nous a paru avilissant… ! C’est peut-être à cette indécente conduite qu’ils doivent imputer le rôle subalterne qu’ils jouent depuis tant de siècles, eux qui, au lieu d’être le jouet de la multitude, comme ils l’ont été trop souvent, en devoient être l’œil et le cœur. Et c’est sans doute à une conduite plus noble que doit son élévation l’illustre citoyen qui joue, à nos yeux, avec tant d’aisance et de dignité, le double rôle d’homme de lettres et d’homme d’état, vérifiant, chaque jour, en sa personne, ce mot prophétique du divin Platon : Heureux, mille fois heureux le temps où l’on verra la philosophie gouverner, et le gouvernemeni philosopher !

2°. Pour répondre complètement à M. Deluc, je serois obligé de toucher aux bases de la religion, de la politique, et, jour tout dire, des sociétés humaines ; matières délicates que je ne traite pas volontiers : c’est un immense brasier, couvert d’une cendre désormais très légère : je pourrois, en me défendant ainsi, faire cent fois plus de mal qu’on ne peut m’en faire en m’attaquant ; et mieux vaut ne point lutter du tout que de se défendre à demi.

3°. Je ne pourrois répondre, avec toute l’exactitude et la précision requises, à cette partie de la critique qui intéresse particulièrement les Anglois, qu’en parlant de leur constitution politique ; je ne pourrois parler de leur constitution qu’en disant la vérité. Or je n’ai pas plus droit de me mêler de leur constitution, qu’ils n’ont droit de se mêler de la nôtre, et ce tort qu’ils ont envers nous, je ne veux pas l’avoir envers eux.

4°. Pour se défendre complètement contre un écrit tout rempli de personnalités et même d’invectives assez grossières, il faut parler de soi ; rôle aussi humiliant qu’ennuyeux : je suppose que l’auteur dont on se souvient le plus, c’est celui qui, dans ses écrits, sait le mieux s’oublier lui-même, pour ne se souvenir que de ses lecteurs ; et je suis trop occupé de mes concitoyens, pour avoir le temps de les occuper de moi ; car c’est d’eux qu’il s’agit.

5°. Lorsque j’ai relu le monologue qui a été le principal sujet de la critique de M. Deluc, j’ai trouvé qu’il suffisoit, pour détruire toutes ses objections, de remettre, dans les passages qu’il a cités, les phrases et quelquefois même les pages entières qu’il a jugé à propos de supprimer ; attendu que ces suppressions insidieuses sont l’unique base de ses objections. Ainsi je n’aurois besoin, pour répondre complètement à sa brochure, que de renvoyer les lecteurs et lui à ce monologue qui se défend lui-même. Mais d’ailleurs je trouve, à chaque pas, dans le douzième volume dont je suis actuellement occupé, des assertions formelles qui pulvérisent toute cette critique, et qui prouvent que mon véritable tort a été de croire que j’achevois la pensée du chancelier Bacon ; pensée qu’il achève lui-même dans ce douzième volume, comme on le verra bientôt.

6°. Si je partage mon attention entre une réponse à la critique de M. Deluc, et ma traduction, je suis assuré de faire une mauvaise traduction et une mauvaise réponse. Ainsi, tout le temps que je perdrois à prouver que je n’ai pas mérité cette censure, seroit employé à en mériter de mieux fondées ; et je ferois alors précisément la sottise qui accommoderoit le mieux mon adversaire. Au lieu que, si, après avoir achevé ce qui presse le plus, savoir, ma traduction, je m’occupe de cette réponse qui presse beaucoup moins, elles seront toutes deux un peu moins mauvaises. Je n’ai point le talent de tout faire à la fois ; mais j’ai celui de ne faire qu’une seule chose dans chaque temps, et d’y penser souvent.

7°. Depuis que je suis engagé dans cette entreprise littéraire, mon temps ne m’appartient plus ; il appartient tout entier aux personnes qui, ayant acquis les premiers volumes de cette traduction, ont le droit de m’en demander la suite ; et je n’aurois droit de m’interrompre, pour ferrailler avec ceux qui voudroient absolument faire du bruit à mes dépens, que dans le seul cas où ces acquéreurs, et même la pluralité de mes lecteurs, m’auroient enjoint de perdre ainsi ce temps qui est leur propriété.

8°. Si j’ayois été assez heureux pour être de quelque utilité à mes concitoyens, il ne seroit pas fort étonnant que j’eusse déplu à leurs ennemis ; cette disgrâce que j’éprouverois au dehors, sans la sentir où je suis, seroit même une sorte de succès ; et je consentirois à être condamné à Londres, pourvu que je fusse approuvé à Paris ; car les deux ou trois Druides qui n’ont attaqué, relevant d’une puissance qui réside à 300 lieues de moi, ne sont pas mes concitoyens.

Ainsi, non-seulement je ne puis ni ne dois me venger de la critique amère de M. Deluc, par un écrit sur le même ton, ou sur un meilleur ton ; mais je n’en ai pas même la tentation. La seule vengeance que je voudrois tirer de lui, ou de tout autre homme de lettres qui après avoir été cité avec éloge, dans mes écrits, me paieroit de ce juste hommage par un pamphlet injurieux, où il ne me rendroit pas une seule fois justice, ce seroit de chercher, dans ses autres écrits, et dans ce pamphlet même, quelques vérités utiles, quoique mal appliquées, et de leur donner place dans mes notes, en payant à l’inventeur le tribut d’éloges qui lui seroit dû, et en le remerciant aussi de m’avoir rendu, par des critiques mêmes qui porteroient à faux, plus attentif et plus exact, pour en prévenir de mieux fondées. Telle est la seule vengeance digne de cette jeunesse à laquelle notre traduction est destinée, du chancelier Bacon et de son interprète ; le châtiment le plus sévère qu’on puisse infliger à un censeur injuste, c’est de ne pas lui ressembler.

Mais, en attendant que nous puissions nous venger ainsi, qu’il nous soit permis de donner quelques lignes au sentiment d’une affectueuse reconnoissance, et de dire que le gouvernement actuel, sous les auspices des citoyens Chaptal (Ministre de l’intérieur) ; Guiraudet (Préfet du département de la Côte-d’Or) ; Berthet (Sous-Préfet de Semur) ; et Berthier (Conservateur de la bibliothèque nationale de la même ville), nous a accordé une nouvelle gratification, jointe à des procédés encore plus encourageans pour un homme de notre caractère.

Nous devons aussi un remerciement au citoyen Raymond père, médecin de profession, et botaniste distingué, qui s’est prêté, avec sa complaisance et son activité ordinaires, à nous procurer les éclaircissemens relatifs à ces deux parties.