Histoire du Bouddha Sâkya-Mouni (Summer)/Deuxième Partie/V

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Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, IIp. 172-177).


V.

FUNÉRAILLES ET PARTAGE DES RELIQUES.


Le Bouddha était né 623 ans avant J.-C. ; il mourut en 543 ; il avait donc vécu quatre-vingts ans.

Un des plus célèbres religieux, Anirouddha, cousin de Sâkya-Mouni, prit immédiatement la direction de la communauté. Les disciples, troublés par la douleur, avaient besoin d’être calmés. Dans un discours ému, Anirouddha dépeignit le maître délivré du réseau des passions, et parvenu au terme de son existence, comme une lampe qui s’éteint quand l’huile est épuisée. Ces consolations suffirent pour arrêter les larmes des religieux, et on songea à rendre, sans délai, au bienheureux, les honneurs qui lui étaient dus.

N’eût-il pas été un saint, le Bouddha avait droit, par sa naissance, aux funérailles d’un roi Tchakravartin, ou monarque universel. Malgré son mépris des vanités humaines, le maître attachait de l’importance à ces formalités dernières, et lui-même en avait réglé les moindres détails. Selon ses volontés, le corps fut lavé plusieurs fois avec une eau parfumée, puis enveloppé de coton, roulé ensuite dans cinq cents pièces de toile, et placé au milieu d’un coffre de fer plein d’huile végétale.

Pendant sept jours, les plus grands personnages vinrent faire des offrandes et des libations autour du cercueil.

Les femmes et les filles des Mallas avaient élevé un dais à l’endroit où le corps était exposé ; elles voulaient porter ce précieux fardeau jusqu’à la ville de Koucinagara. Quand le cortége fut prêt à se mettre en marche, il leur fut impossible de soulever le cercueil. Anirouddha donna l’explication de ce mystère : la volonté des dieux était que les femmes laissassent aux princes Mallas et à leurs fils le soin d’accomplir ce pieux devoir. Sâkya-Mouni se méfiait-il encore des femmes, même après sa mort ?

Au centre de la ville de Koucinagara s’élevait une pyramide de sandal et d’autres bois odoriférants. Les princes Mallas déposèrent le corps sur ce bûcher, auquel ils voulurent mettre le feu. En vain, à l’aide d’éventails, l’air fut agité autour de la pile funéraire ; le bois s’obstina à ne pas brûler. Anirouddha, consulté de nouveau, dit que les dieux voulaient laisser à Kâcyapa le temps de venir assister aux funérailles de son ami. Le grand théologien, avec cinq cents religieux, était attendu, de jour en jour, au pays de Pâwâ. Il apprit, par hasard, en route, la perte que les Bouddhistes venaient de faire. Éperdu, haletant, il arriva sur la place de Koucinagara ; et, s’agenouillant devant le bûcher, il fit une muette prière qui fut aussitôt exaucée. Le cercueil s’entr’ouvrit ; les cinq cents pièces de toile s’écartèrent, et les deux pieds du Bouddha apparurent, brillants comme le soleil et la lune. Le fidèle Kâcyapa baisa dévotement ces pieds, sous lesquels étaient marqués les signes des glorieuses destinées du sage. Quand tous les religieux eurent aussi rendu ce dernier hommage à leur maître, le monceau de draperies se referma comme par enchantement et, cette fois, les flammes jaillirent de toutes parts. Quelques instants après, de celui qui avait rempli l’Inde de sa renommée, il ne restait plus que des cendres et des ossements. On éteignit le feu avec du lait ; les précieuses reliques furent recueillies dans des urnes d’or, et exposées, au milieu d’un Tchâitya, à la vénération des fidèles.

La nouvelle des funérailles de Sâkya n’avait pas tardé à se répandre. Plusieurs souverains réclamèrent une part du trésor que les Mallas s’étaient approprié tout entier. « Bhagavat était notre ami, répondirent les princes ; il est mort aux environs de notre ville, il a été brûlé à Koucinagara ; ses cendres nous appartiennent, et nous les garderons ! »

Des menaces de guerre accueillirent cette déclaration. Trop fervents, les Bouddhistes voulaient se déchirer au nom de celui qui, toute sa vie, avait prêché la paix. Mahâ-Kâcyapa et Ananda représentèrent aux antagonistes le mauvais effet de cette conduite ; les Mallas se radoucirent, et l’on partagea les reliques en huit parts égales.

La famille royale de Kapila et Adjâtasatrou furent parmi les privilégiés.

Le souverain de Râdjagriha monta sur son éléphant, pour aller lui-même chercher la part qui lui était échue ; mais, au seul souvenir du bienheureux, il tomba évanoui, et l’on dut le ramener dans son palais. Le nouveau converti était bien changé ; et, depuis qu’il avait laissé son père mourir de faim, il était devenu bien sensible.

Les rois s’empressèrent de faire bâtir des temples pour y enfermer les reliques, mais le pieux Kâcyapa n’était pas satisfait ; celui qui allait convoquer le premier concile pour empêcher la doctrine de s’altérer, regrettait de voir se disperser ainsi les restes du maître. Il sut persuader à tous les rois de lui confier la plus grande partie des reliques, et d’en garder seulement quelques-unes pour les offrir à l’adoration du peuple. Kâcyapa s’entendit ensuite avec Adjâtasatrou pour construire un monument dont la destination fût ignorée de tous.

Dans un lieu désert et peu accessible, on creusa profondément le sol ; on bâtit, dans les entrailles de la terre, une chapelle d’airain ; au centre furent placés six coffrets contenant les reliques ; pour plus de sûreté, chaque coffret était, lui-même, enfermé dans plusieurs boîtes de métal. Mille lampes, remplies d’huile parfumée, brûlaient nuit et jour, entretenues par les dieux ; des bas-reliefs représentant le Bouddha, dans ses cinq cent cinquante dernières existences, quatre-vingts statues des principaux disciples, une statue du roi Souddhôdana et une autre de la reine Mâyâ, composaient la décoration du temple. Aussitôt le travail terminé, les grilles et les portes, qui donnaient accès dans la chapelle souterraine, furent closes avec des barres de fer. Sur la dernière porte, au haut de l’escalier, on fixa un énorme rubis qui portait cette inscription : « Que celui qui trouvera ce rubis le présente aux reliques. » C’était le « Sésame, ouvre-toi ! »

Le temps vint en aide aux hommes : les lianes et les broussailles recouvrirent ce sanctuaire qu’on voulait cacher à tous les regards. Plus d’un Bouddhiste s’agenouilla près du temple, sans soupçonner le grand secret renfermé sous ces pierres verdies. Un miracle seul devait amener le roi Asôka devant ce rubis mystérieux, confié par Kâcyapa aux hasards de l’avenir.



FIN.