Histoire du Canada sous la domination française, Vol 1/Chapitre 40

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CHAPITRE XL.


Bataille du lac George. — Disette. — Expéditions. — Prise des forts Ontario et Oswego.


Les habitans des colonies anglaises, plutôt animés que découragés par la défaite de Braddock, mirent sur pied deux nouveaux corps de troupes, l’un sous le commandement du général Shirley, et l’autre sous celui du général Johnson. Ce dernier partit, le 8 août 1755, accompagné de plusieurs centaines d’Agniers et autres Iroquois, pour le lac George, où le général Lyman était déjà arrivé, avec près de 6,000 hommes de troupes provinciales. Il s’y posta dans un endroit avantageux, entourré de bois, ayant derrière lui le lac, devant, un long abattis d’arbres, et sur les aîles, des terrains marécageux.

Aussitôt qu’il fut connu à Montréal, que les troupes anglaises étaient parties d’Albany, et que le but du général Johnson était d’attaquer les forts de Carillon et de la Pointe à la Chevelure, le baron Dieskau, récemment arrivé de France, fut envoyé à ce dernier poste, avec un corps de 3,000 hommes, composé de troupes de ligne, de troupes de la marine, de Canadiens et de Sauvages. Arrivé au fort Saint-Frédéric, le baron y laissa la moitié de son armée, et s’avança, par la Baie du Sud, avec 1,500 hommes seulement et sans artillerie. Il rencontra une garde avancée de 1,000 à 1,200 hommes, sous le colonel Williams, la défit, et arriva, en la poursuivant, à la vue des retranchemens des Anglais. Au lieu de continuer à avancer sur ces retranchemens, pendant que les fuyards y arrivaient en désordre, il s’arrêta à cent-cinquante verges de distance, pour faire ses dispositions d’attaque. Il fit sa grande attaque du centre avec ses troupes régulières, pendant que les Canadiens et les Sauvages, dispersés sur les flancs, faisaient un feu de tirailleurs. La bataille devint bientôt générale sur toute la ligne : les soldats français combattirent avec un ordre et une bravoure, qui firent croire que, si leur commandant n’avait pas fait la faute de laisser la moitié de son monde à la Pointe à la Chevelure, il aurait remporté une victoire éclatante, au lieu d’essuyer une défaite signalée ; car accablées par la grande supériorité du nombre de leurs adversaires, les troupes de ligne furent obligées de faire un mouvement rétrograde, sur la droite des Anglais, et quoique renforcées par un corps de Canadiens, après quatre heures d’un combat si inégal, il ne leur fut plus possible de résister, et la retraite leur devint inévitable. Les Français la firent sans être poursuivis ; mais leur perte avait été énorme : les historiens anglais la font de sept à huit cents hommes, tandis qu’ils ne portent celle de leurs gens qu’à deux cent-quatre-vingts. Ces derniers y perdirent, entr’autres officiers, les colonels Williams et Titcombe et le major Ashley, et les Agniers, leur grand chef Hendrick. Le baron Dieskau, qui combattit avec la plus grande bravoure, fut blessé grièvement, à la jambe et à la hanche, et fait prisonnier. Le général Johnson fut aussi blessé, mais légèrement. La bataille du lac George se livra le 8 septembre, et dura depuis midi jusqu’à quatre heures.

Le corps que commandait le général Shirley était parti d’Albany, à la fin de juillet, et était arrivé à Oswego, au commencement d’août. Le général y attendit des provisions qui ne lui arrivèrent qu’à la fin de septembre. Il crut qu’il était trop tard alors pour entreprendre une expédition contre Niagara, qu’il avait eue en vue, et ayant laissé une garnison de six à sept cents hommes à Oswego, il repartit, le 24 octobre, pour Albany.

Le Canada souffrait, depuis quelque temps, de la rareté et de la cherté des provisions de bouche : les choses empirèrent, sous ce rapport, pendant l’hiver de 1755 à 1756, en grande partie, par la faute de l’intendant Bigot et des employés du gouvernement. La compagnie dont nous avons parlé plus haut, accaparait tout le commerce intérieur des grains et des farines. Elle expédia ses agens dans les campagnes, pour y acheter autant de bled que possible ; elle en revendit ensuite au gouvernement ce qu’il lui en fallait, à un prix exhorbitant, fixé par l’intendant lui-même, et demanda le même prix aux particuliers, pour ce qu’il lui en restait. On se plaignit à l’intendant de la conduite de ses associés ; mais ceux-ci lui firent entendre que la rareté du bled provenait de ce que les cultivateurs le tenaient à un haut prix, dans la vue d’en tirer un plus grand profit, et lui conseillèrent de faire faire des perquisitions dans les campagnes, et de contraindre les habitans à fournir ce qu’il fallait de grains pour la subsistance des villes. M.  Bigot fit l’estimation de la quantité requise, et en fixa le prix à un taux beaucoup plus bas que celui de la compagnie. Aussitôt, le sieur Cadet, commis aux vivres, et ses employés se mirent à parcourir les paroisses de la campagne, pour contraindre les cultivateurs à leur vendre leur bled, au bas prix fixé par l’intendant ; et ceux qui ne le voulurent pas faire le perdirent ; car il fut saisi et enlevé, sans paiement ni rémunération quelconque. Quelques uns se plaignirent des procédés de Cadet à M.  Bigot ; mais celui-ci les renvoyait à quelqu’un des associés, qui, ligué avec les autres, menaçait les plaignants de la prison, s’ils ne cessaient de murmurer. Ce manège se continua, les années suivantes.

Cependant, M.  de Vaudreuil ne restait pas inactif, dans la capitale : ayant appris que les Anglais avaient construit un nombre de petits forts, sur la route d’Oswego, afin de couper la communication entre le lac Ontario et les postes français situés au-dessus, il forma un parti d’environ trois cent-cinquante hommes, qu’il mit sous le commandement de M.  de Lery, fils du célèbre ingénieur de ce nom. Ce détachement partit de Montréal, le 17 mars 1756, et après avoir traversé un immense désert, et enduré de grandes fatigues, il arriva à la vue d’un fort en pieux debout, où était posté un lieutenant, avec vingt-cinq hommes. M.  de Lery fit sommer cet officier de se rendre : sur son refus, le fort fut attaqué avec vigueur, et emporté de vive force. La plus grande partie de ceux qui le défendaient furent massacrés par les Sauvages, malgré les efforts de M.  de Lery et des Français, pour les sauver.

Cette expédition fut suivie d’une autre, sous M.  de Villiers, le même, dont il a été parlé plus haut. Cet officier, parti de Montréal, à la tête de trois cents hommes, construisit, à quelque distance d’Oswego, un fort en palissades, tellement entouré d’épaisses forêts, qu’il fallait en être tout près, pour l’apercevoir ; ce qui lui donna le moyen d’intercepter, à plusieurs reprises, les effets et les provisions envoyés d’Albany à Oswego.

Sur ces entrefaites, trente députés iroquois arrivèrent à Montréal, pour assurer le gouverneur général que leur nation désirait observer la neutralité entre les Français et les Anglais, et le prier de ne lui point fermer le chemin entre Oswego et Montréal.

M. de Vaudreuil leur répondit, que la coutume de ses guerriers était d’aller chercher leurs ennemis et de les combattre, partout où ils les trouvaient ; mais que, quant à la nation iroquoise, tant qu’elle continuerait à demeurer neutre, elle n’aurait rien à craindre, de leur part.

Cependant, la plupart des postes de l’Ouest avaient changé de commandans : M. de Contrecœur avait été remplacé, au fort Duquesne, par M. Dumas : M. de Bienville avait eu pour successeur, au Détroit, M. de Mery, capitaine dans les troupes de la colonie ; et ce dernier avait été remplacé ensuite par M. Picoté de Belestre, gentilhomme canadien.

Au commencement de juillet, il arriva à Québec, un grand corps de troupes, sous les ordres du marquis de Montcalm, maréchal de camp, du chevalier de Levis, brigadier, et de M. de Bourlamaque, colonel. Le marquis de Montcalm monta incontinent à Montréal, où était le gouverneur, afin de se concerter avec lui, sur les opérations de la campagne. Il approuva fort qu’on eût envoyé des troupes pour bloquer Oswego, ou lui couper la communication avec Albany ; et après avoir donné les ordres qui lui parurent nécessaires, il se rendit au fort Frontenac, pour y attendre l’arrivée des troupes qui montaient de Québec, ainsi que des Canadiens et des Sauvages, qu’on assemblait à Montréal. En attendant, il fit bloquer l’embouchure de la rivière d’Onnontagué, par deux vaisseaux armés, et envoya des partis de Sauvages en différents endroits, sur la route d’Albany, afin d’ôter aux Anglais tout moyen de communication.

Les troupes attendues arrivèrent enfin, et le 4 août, M. de Montcalm se mit en route, par eau, avec la première division, et fut joint, deux jours après, par la seconde, avec l’artillerie et les provisions. M. Rigaud de Vaudreuil, gouverneur des Trois-Rivières, avait eu ordre de prendre les devans, avec un corps considérable de Canadiens : il arriva le 7, à trois lieues d’Oswego, et fut joint, le 10, par la première division. M. Rigaud s’avança, par les bois, jusqu’à une demi-lieue des forts anglais, (car il y en avait deux, à l’embouchure de la rivière), afin de favoriser le débarquement du principal corps d’armée. Les deux divisions s’y étant réunies, le débarquement se fit, le 12, à minuit.

Le général ayant fait ses dispositions, ouvrit d’abord la tranchée devant le fort nommé Ontario. La garnison fit un feu soutenu, le 13, depuis la pointe du jour jusqu’à six heures du soir ; mais alors, ses munitions se trouvant épuisées, elle encloua ses canons, et se retira au fort Oswego. Aussitôt que le marquis de Montcalm se fut aperçu de ce mouvement, il fit occuper par un gros détachement le fort abandonné. Plusieurs des canons laissés par la garnison s’étant trouvés en état de servir, on les dirigea contre l’autre fort, qui était le plus considérable. Le feu de ces canons, joint à celui des batteries qu’on avait érigées, effectua bientôt une brèche considérable dans les murs du fort Oswego, et le colonel Mercer, qui y commandait, ayant été tué, la garnison, forte de plus de 1,200 hommes, demanda à capituler, à la condition d’être conduite à Montréal prisonnière de guerre ; ce qui lui fut accordé.

La perte des Anglais fut de cent-cinquante hommes, tués et blessés, et celle des Français de quarante. Le colonel Bourlamaque fut du nombre des blessés. Outre les deux forts, sept bâtimens de 10 à 18 canons, deux cents bateaux, plusieurs pièces d’artillerie, et une grande quantité de provisions de bouche et d’effets militaires tombèrent au pouvoir des Français. Les étendards pris aux Anglais furent suspendus, comme des trophées, dans les églises de Québec, de Montréal et des Trois-Rivières. Les prisonniers, au nombre de 1,200, furent traités avec beaucoup d’humanité, à Montréal, et échangés, avant la fin de l’année.

La victoire d’Oswego, ou de Chouaguen, ajouta beaucoup à la réputation que le marquis de Montcalm s’était déjà faite en Europe, et ne contribua pas peu à entretenir, à augmenter même le goût pour la guerre, l’enthousiasme militaire des Canadiens. Ce général, après avoir démoli les forts dont il venait de se rendre maître, redescendit à Montréal, avec ses troupes.

Par la destruction des forts anglais d’Oswego et d’Ontario, les Français devenaient maîtres de tous les grands lacs ; les communications entre les Anglais et les Iroquois se trouvaient coupées, et les plantations anglaises situées sur la rivière Mohawk, ou des Agniers, demeuraient exposées aux ravages des alliés sauvages de la colonie française, qui, en effet, se prévalurent de cet état de choses.

Vers l’automne, le fort Grenville, sur les frontières de la Pensylvanie, fut surpris, pillé et brûlé par les Français, qui emmenèrent prisonniers les soldats et les habitans.