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Histoire du Montréal, 1640-1672/15

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de l’automne 1652 a l’automne 1653, au départ des navires du canada.


Le quatorze octobre de cette année, il se fit une très-belle action de la manière que je vais dire. On sut par l’aboiement des chiens, qu’il y avait des ennemis en embuscade du côté qu’ils regardaient. M. le major, qui était toujours sur pied en toutes les occasions, eu l’honneur d’avoir cette découverte à faire, il y alla avec 24 hommes et marcha droit vers le lieu où il était question ; pour y aller avec prudence, il détacha le sieur de la Lochetière, Baston et un autre dont je ne sais pas le nom, trois bons soldats qui marchaient devant à la portée de fusil ; il donna l’ordre à ces trois détachés de n’aller que jusqu’à un certain lieu qu’il désigna. La Lochetière, emporté par son courage, passa un peu plus outre pour découvrir par dessus un arbre qui était devant lui, si les ennemis n’étaient point dans un fond qui y était ; en regardant par dessus cet arbre, les Iroquois qui étaient cachés au pied firent d’abord leurs hués, le tuèrent et le mirent à mort, mais non pas si soudain qu’il ne fit payer sa vie à celui qui le tua, d’autant qu’il lui rendit la pareille de son coup de fusil ; les deux autres découvreurs voulant se retirer, eurent une salve qui fut furieuse, mais dont Dieu les garantit. Le major mit d’abord ses hommes en état ; obtint ferme quelque temps, mais il aurait expérimenté un moins heureux combat, ayant affaire à tant d’ennemis, sans que M. Prud’homme, ancien habitant d’ici, l’appela d’une chétive maisonnette où il était, lui criant de se retirer bien vite, d’autant qu’on l’environnait ; il n’eut pas plus tôt ouï la parole et tourné la tête qu’il vit les Iroquois quasi tout autour de la maisonnette et de lui, ce qui lui fit commander à ses gens de forcer ces barbares d’entrer dedans à quelque prix que ce fut, ce qui fut dit fut rigoureusement exécuté ; incontinent qu’on fut dedans, on fit des meurtrières et chacun commença à faire grand feu ; hormis un lâche, qui saisi de frayeur se coucha tout plat sans que les menaces ni les coups le pussent faire lever ; il fallut donc laisser ce mort toutes vie qu’il était et songer à se bien battre, car les Iroquois joignaient la maison de toutes parts et tiraient si rudement que les balles passaient au travers de cette chétive maisonnette, qui était si peu solide, qu’après l’avoir percée, elle perça un de nos plus beaux soldats, qui est un nommé Laviolette, et le mit hors de combat, ce qui nous fut une grande perte pour cette occasion, d’autant que cet homme a toujours paru ici un des plus intrépides et vigoureux, ce qui a fait qu’on lui a donné plusieurs fois des commandements dont il s’est fort bien acquitté. Enfin, nonobstant ce malheur, il le fallut pas laisser de se battre et faire de son mieux, ce qui nous réussit très-bien et se passa de la sorte : nos meurtrières étant faites et ayant moyen de répondre aux ennemis, nous commençâmes à voir notre tour, et dans les premières décharges, nous en jetâmes une telle quantité par terre, ce qui les embarrassa fort, surtout à cause que ne voulant pas abandonner leurs morts, ils ne savaient aussi comment les enlever, d’autant que chacun qui en approchait ne manquait pas de le payer de quelques coups de fusil. Ce tintamare dura tant que nous eûmes de la poudre, mais les munitions manquèrent ; cela inquiéta fort notre major qui en témoigna quelque chose au sieur Baston qu’il savait bon coureur ; comme il avait bon courage, c’en fut assez pour le faire s’offrir d’en aller chercher. Alors monsieur Closse, tout joyeux, le mit en état de partir avec tous les témoignages d’amitié possible ; après, on lui ouvrit la porte et on favorisa sa sortie par les redoublements des décharges ordinaires en ces occasions ; enfin, malgré eux, il arriva au château d’où il revint bien amunitionné, avec 8 ou 10 hommes, qui étaient tout ce qu’on pouvait lui fournir, conduisant à couvert deux petites pièces de campagne chargées à cartouche, à la faveur d’un rideau lui passe depuis le château jusqu’à vis-à vis la maison attaquée. Quand il fut le plus proche qu’il pouvait aller à couvert, tout à coup il parut sur le rideau avec ses deux canons, qu’il tira sur les Iroquois. M. Closse, qui l’entendait, sortit tout aussitôt avec son monde pour favoriser son entrée, dont le régal fut un redoublement de coups de fusil afin de faire connaître aux Iroquois si cette poudre valait bien la précédente, mais comme ils virent qu’on était moins chiche qu’avant l’arrivée de Baston, ils jugèrent qu’il valait mieux se retirer, que d’user plus amplement de nos libéralités ; il est vrai que comme ils étaient au pied de la maison, cette retraite était un peu difficile, aussi en s’enfuyant reçurent-ils bien des coups. On ne sait pas au vrai le nombre de leurs morts, quoiqu’ils aient beaucoup perdu eu cette occasion, parce qu’ils les emportèrent quasi tous, et qu’ils n’ont pas accoutumé de se vanter des gens qu’ils ont ainsi perdus. Il est vrai qu’ils n’ont pas pu s’en faire absolument et que exagérant les pertes des leurs, ils les ont exprimées en ces tenues : « Nous sommes tous morts. » Quand aux estropiés, ils en ont compté le nombre aux Français, leur avouant qu’ils en avaient 37 des leurs parfaitement estropiés ; au reste c’est une chose admirable que ces gens-là aient tant de force à porter, car encore qu’ils ne soient pas bien forts en autre chose, ils ne laissent pas pourtant que de porter aussi pesant qu’un mulet ils s’enfuient avec un mort ou un blessé, comme s’ils n’avaient quasi rien, c’est pourquoi il ne faut pas s’étonner après les combat, s’il se trouve peu de personnes puisqu’ils ont une si grande envie de les emporter. Pour ce qui regarde ce qui nous arriva en cette occasion, je n’y remarque rien de funeste, sinon la mort du brave La Lochetière et la grande blessure du pauvre Laviolette mais il est bien à propos sur ce sujet que je dise un mot de M. Closse qui a été reconnu de tous comme un homme tout de cœur et généreux comme un lion : il était soigneux à faire faire l’exercice de la guerre, était l’ami des braves soldats et l’ennemi juré des poltrons.

Tous ceux qui l’ont bien connu le regrettent et avouent qu’on a perdu en lui une des plus belles fleurs de ce jardin ; que si on avait besoin d’écrire toutes les belles actions qui se sont faites en ce lieu tous les ans, nous lui ferions plusieurs éloges d’autant qu’il était partout, et partout il faisait des merveilles ; mais la négligence alors d’écrire m’oblige à les laisser dans le tombeau aussi bien que celles de plusieurs autres dont les faits héroïques entrepris pour Dieu et sa gloire, seront un jour tirés du sépulcre par un bras moins faible que le mien et une main plus puissante que celle avec laquelle je travaille pour cette histoire ; on ne saurait exprimer les secours de cet excellent major, c’est pourquoi il nous faut passer outre, pour dire que dans la suite de cette année, on eut plusieurs autres attaques, mais que les ennemis n’y eurent pas de grands succès ; on se secourait avec une telle vigueur, qu’aussitôt qu’un coup de fusil s’entendait en quelque lieu, aussitôt on y venait à toutes jambes ; on courait ici aux coups comme à un bon repas ; encore qu’ailleurs on fut moins friand de ces morceaux, de quoi on eut une plaisante marque au printemps, d’autant que M. le Gouverneur ayant envoyé une barque au Montréal, il avertit le commandant de n’approcher pas du château, s’il n’y voyait des marques qu’il y avait encore des Français, s’il n’en voyait pas qu’il s’en revint, crainte que les Iroquois ayant pris le lieu, n’y fussent en embuscade pour les y attendre. Ce qui fut dit fut fidèlement exécuté ; la barque vint proche du Montréal, il est vrai qu’on ne la pouvait pas bien distinguer du château à cause des brumes. Là, ayant mouillé l’ancre, nos Montréalistes qui la voyaient disputaient fortemont, les uns disaient que c’était une barque, les autres le contraire, la barque ayant resté pendant toute cette dispute. Enfin elle se lassa d’attendre, et croyant fermement qu’il n’y avait plus personne à cause qu’elle ne voyait ni n’entendait rien, elle résolut de lever l’ancre et de partir pour retourner vers Kêbecq, assurant qu’il n’y avait plus de Français au Montréal ; or la barque étant partie, et le temps étant devenu serein, nos Français qui jusqu’alors avaient dit qu’il n’y avait point eu de barque dirent aux autres : “ Hé bien, y avait-il une barque ?” Ceux qui avaient tenu l’affirmation dirent que cela avait bien la mine d’une barque, qu’il fallait que ce fut un fantôme ou bien quelque diablerie, ainsi se résolut la question jusqu’aux premières nouvelles de Québec, qui apprirent au Montréal que ce n’était point un prestige, mais bien une véritable barque, ce qui fit un peu rire et ce qui doit aussi apprendre à un chacun qu’on estimait ici le monde dans un tel danger d’être taillé en pièces on ces temps-là, que toutes les fois qu’on y venait, on y était dans de grandes appréhensions que cela ne fut déjà fait, c’est pourquoi on osait en approcher sans beaucoup de circonspection, crainte d’y rencontrer des Iroquois au lieu des compatriotes que l’on y venait chercher ; même communément, il fallait aller aux barques pour les avertir de ce qui se passait et leur donner avis de l’état des choses, autrement ont eut été en danger, que sans s’en approcher elles ne s’en fussent allé aussi bien que celle-là. Mais parlons d’autre chose, et disons que Mlle Mance toute désireuse du retour de M. de Maison-Neufve, descendit à Kébecq de bonne heure cette année-là, ce qui fut un coup de la Providence, d’autant que n’ayant pas de chaloupes pour descendre, elle eut été enlevée infailliblement par les Iroquois si elle y eut été plus tard, d’autant que ces antropophages, ennemis du genre humain, se ressouvinrent de la réussite qu’ils avaient eu l’an dernier aux Trois-Rivières, y vinrent bientôt après qu’elle fut passée, rechercher ce qui avait échappé à leurs cruautés, bloquant ce lieu des Trois-Rivières, avec 600 hommes ; elle aurait dormi dans ce blocus et aurait été prise au passage si elle avait tardé ; mais heureusement elle était à Kébeck, où elle apprit par feu M. Duhérison, qui était du premier navire, que M. de Maison-Neufve, venait avec plus de cent hommes, ce qui lui donna une joie non puérile, et même dans tout le public qui était fort abattu de crainte ; tout le monde dans Kébecq et par les côtes, commença à offrir ses vœux à Dieu pour son heureuse arrivée, on le nommait déjà le libérateur du pays. Cette heureuse nouvelle venue, Mlle Mance supplia M. le Gouverneur de vouloir bien donner au plus tôt cet agréable avis au Montréal ; il ne lui put refuser une si juste demande, et pour cela, il expédia une chaloupe, mais Dieu qui ne la voulait pas perdre, lui envoya un vent contraire qui l’empêcha d’aller jusqu’au blocus des Trois-Rivières, dont on avait aucune nouvelle à Kébecq, et dont on avait rien su, sans qu’il fut découvert par les plus lestes du pays, qui en ce même temps coururent après le Père Pounère pour le délivrer d’entre les mains des Iroquois. Or ces messieurs, revenant de cette course dont il est parlé dans les relations du temps, ils trouvèrent la chaloupe, laquelle montait au Montréal, qu’ils avertirent de descendre au plus tôt à cause de l’armée Iroqnuise qu’ils avaient vue devant les Trois-Rivières, ce qui faisait redon'ler les vœux pour l’arrivée de M. de Maison-Neufve, afin d’aller dégager ces pauvres affligés, mais si Dieu ne voulut pas accorder cet honneur, il voulut se servir en ceci du Montréal par une voie bien différente. Il y avait lors plusieurs Hurons au Montréal qui y faisaient la guerre aux Iroquois à l’abri de ce fort entre autres, il y avait le plus brave de tous, nommé Anontaha. qui avait fait voir un courage extraordinaire dans une action dont nous parlerons ci après. Or ces Hurons, dans leurs découvertes aperçurent un jour la piste des ennemis, lesquels venaient tâcher de faire quelque méchant coup en ce lieu ; d’abord qu’ils eurent eu cette connaissance, ils en vinrent donner avis, et incontinent les Français et les Hurons formèrent deux partis du côté d’où venait l’ennemi, qui se trouva enfermé entre les deux, où il leur fallut combattre en champ clos, il est vrai que les Iroquois vendirent bien leur vie et leur liberté, car encore qu’ils fussent peu, c’étaient les plus braves de leur nation, et que de plus, ils étaient favorisés d’un grand embarras de bois, mais enfin en ayant été tué la majeure partie, le reste fut contraint de se rendre à la force, hormis quelque : uns qui se sauvèrent. Or tous les captifs ayant été amenés au château, ils dirent qu’ils avaient une grosse armée qui ravageait tout le pays d’en bas et y mettait tout en combustion. M. De Musseaux[1] qui commandait, sachant ces choses, et que ses prisonniers étaient des considérables, il se conseilla avec les mieux censé de ce qu’il y avait à faire. Le sentiment commun fut que M. Lemoine persuaderait à Anontaha de s’en aller parlementer avec les Iroquois et de sauver le pays, et s’il pouvait, nommément les Trois-Rivières qu’on apprenait être en grand danger ; à cette proposition ce brave sauvage se résolut d’exposer sa vie pour le bien du pays, il descendit dans un canot lestement équipé et entra dans les Trois-Rivières, après qu’il y fut, il proposa aux Iroquois de s’approcher et de l’entendre, ensuite leur ayant donné le loisir de venir assez près pour l’ouïr il leur dit fortement : “ Ne vous avisez pas de faire du mal aux Français ; je viens du Montréal, nous y avons pris tels et tels vos capitaines qui y étaient allés comme vous savez, ils sont maintenant à notre discrétion, si vous voulez leur sauver la vie, il faut faire la paix.” Ces barbares ayant nommé leurs capitaines, et sachant qu’ils étaient pris, d’abord il s’approchèrent et dirent que volontiers ils feraient la paix d’abord qu’on leur rendrait leur gens. Ce qui réjouit beaucoup les pauvres assiégés, mais à la vérité, leur joie pensa tout d’un coup être changée en tristesse, car les Hurons qui étaient restés au Montréal avec les prisonniers Iroquois, pensèrent être pris, eux et leurs captifs tout à la fois, d’autant que sottement, ils les voulurent amener aux Trois-Rivières sans attendre aucune escorte de chaloupe, de bonne fortune les Iroquois songeaient alors qu’à la paix et furent surpris, que s’ils ne l’eussent été et eussent attrappé ces étourdis, les affaires eussent été en pire état que jamais, mais enfin, les Iroquois traitaient à main et à demain et ne songeaient qu’à se remplir des…….. françaises sans plus songer à la guerre pour le présent ; au plus vite, on envoya des Trois-Rivières à Québec afin d’avertir de ce grand changement, et les Hurons qui étaient remplis d’orgueil pour ces réussites y portèrent promptement ces bonnes nouvelles, enfin il se fit une paix forcée, à quoi les ennemis acquiescèrent, seulement pour avoir leurs gens et avoir lieu ensuite de nous surprendre ; nous reconnaissions bien leur fourberie, mais comme ils étaient les plus forts, nous en passions par là où ils voulaient, la faiblesse de ce temps là faisait jeter de grands soupirs après l’arrivée de M. de Maison-Neufve avec son secours, mais enfin, il ne venait point, ce qui affligeait tout le monde à un tel point que la saison s’avançant sans qu’il parut ; afin d’obtenir cette grande assistance que tous attendaient par sa venue, 011 exposa le Très-Saint Sacrement pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que le ciel, importuné par ces prières publiques, voulut exaucer les vœux de ces peuples, ce qui fut le 27 septembre, auquel jour on chanta à l’église le Te Deum pour action de grâce de son arrivée. M.de Maison-Neufve ayant rendu ses devoirs au Souverain des lumières, il alla rendre ses respects à M. de Lozon auquel il raconta les disgrâces de son voyage, entre autres que son retardement avait été causé par une voie d’eau qui les avait obligé de relâcher trois semaines après leur départ. Ensuite de cette première visite, d’aller vers les Révérends Pères Jésuites et autres maisons religieuses, ensuite de quoi il se vint renfermer avec Mlle Mance pour lui dire en particulier ce qui s’était passé de plus secret dans son voyage, ensuite ce qui concernait cette bonne dame inconnue, ce qu’il commença de la sorte : “ Comme vous m’avez confié le nom de cette sainte Dame, me voyant en France, fort embarrassé par le présent désir de secourir ce pays dans l’extrémité, où les Iroquois l’ont réduit, j’avais bien envie de lui parler et lui faire connaître les choses sans faire semblant de rien, car comme vous m’aviez dit que de la manifester c’était tout perdre, je ne l’eusse pas voulu faire, mais comme aussi vous m’aviez dit, beaucoup de fois, que si vous l’eussiez pu entretenir là-dessus à cœur ouvert que cette âme généreuse y aurait apporté du remède, cela me donnait envie de la voir ; or étant dans ces souhaits, Dieu me fit naître une belle occasion parle moyen d’une de mes sœurs qui avait procès contre elle, ce que sachant, je m’offris de lui donner la main pour aller chez elle et comme je savais qu’elle n’ignorait pas mon nom à cause du gouvernement du Montréal, je me fis nommer à la porte afin que cela lui renouvela la mémoire : elle eut lieu de m’interroger et moi de l’entretenir. Dieu donna bénédiction à ma ruse, car l’ayant saluée, et ma sœur lui ayant parlé de ses affaires, elle s’enquit de moi, si j’étais le gouverneur du Montréal, qu’on disait être dans la Nouvelle-France, je lui répondis que oui, que j’en étais venu depuis peu ; qui est, me dit-elle, de ce pays, dites le nous, et nous apprenez des nouvelles de ce pays-là, comme on y fait, comme on y vit, et quelles sont les personnes qui y sont, car je suis curieuse de savoir tout ce qui se passe dans les pays étrangers. Madame, lui dis-je, je suis venu chercher du secours pour tâcher de délivrer ce pays des dernières calamités où les guerres des Iroquois l’ont réduit, je suis venu tenter si je pourrais trouver le moyen de le tirer de misère ; l’aveuglement est grand parmi ces sauvages qui y sont, néanmoins on ne laisse pas toujours d’en gagner quelques uns ; au reste ce pays est grand, et le Montréal est une île fort avancée dans les terres, très-propre pour en être la frontière, car nous sera une chose bien fâcheuse s’il nous faut abandonner des contrées aussi étendues sans qu’il n’y reste personne pour annoncer les louanges de celui qui en est le Créateur ; au reste, cette terre est un lieu de bénédictions pour tous ceux qui y viennent, car cette solitude jointe aux périls de la mort où la guerre nous mot à tout moment, fait que les plus grands pécheurs et pécheresses y vivent avec édification et exemple ; cependant, s’il faut que tout cela s’abandonne, je ne sais pas ce qu’il deviendra. Ce qui me fait le plus de peine, est une bonne fille qu’on appelle Mlle Mance, car si je n’amène un puissant secours, je ne puis me décidera retourner, d’autant que cela serait inutile, et si je ne m’en retourne pas, je ne sais ce qu’elle deviendra ; de plus, je ne sais ce que deviendra une certaine fondation qu’une bonne dame qu’on ne connaît point a faite en ce pays-là, pour un hôpital, dont elle a fait cette bonne demoiselle administratrice, car enfin si je ne les vas secourir, il faut que tout quitte et échoue. À ces mots elle me dit : « Comment s’appelle cette dame ? » Hélas ! lui répondis-je, elle a défendu à Mlle Mance de la nommer, elle n’oserait l’avoir fait ; au reste, cette demoiselle dit que sa dame est si généreuse dans ses charités qu’on aurait lieu de tout espérer si elle pouvait avoir l’honneur de lui parler, — qu’autrefois elle avait auprès d’elle un bon religieux qui eut bien négocié cette affaire et lui eut bien fait connaître le tout, mais maintenant, lui étant mort, elle ne peut lui parler ni lui faire parler, pas même lui écrire, parce que cette dame lui a défendu de mettre son nom pour l’adresse de ses lettres ; que quand ce religieux vivait, il connaissait ce mystère, elle lui envoyait ses lettres parce que lui qui avait tout moyen et savait le tout les portait ; maintenant qu’il n’y avait plus rien à faire, que si elle avait seulement mis son nom pour servir d’adresse sur une lettre, elle assura qu’elle tomberait dans sa disgrâce et qu’elle aimait mieux laisser le tout à la seule Providence, que de fâcher une personne à qui elle est tant obligée elle et toute la compagnie du Montréal. Voilà, madame, lui dis-je, l’état où sont les choses, même on est si pressé de secours que la demoiselle voyant que tous les desseins de la fondatrice sont prêts à être mis au néant, elle a donné un pouvoir de prendre 22,000 livres de fondation qui sont dans Paris pour 100 arpents de terre que la compagnie lui donne, en disant : Prenez cet argent, il vaut mieux qu’une partie de la fondation périsse que le total, servez-vous de cet argent pour lever du monde, afin de garantir tout le pays en sauvant le Montréal. Je ne crains point, dit-elle, l’esprit de ma bonne dame, si elle savait les angoisses où nous sommes, elle ne se contenterait pas de cela. Voilà l’offre qu’a fait cette demoiselle. J’avais de la peine à accepter, mais enfin, ayant été pressé vivement par elle qui m’assurait toujours qu’elle pouvait hardiment interpréter la volonté de sa bonne dame en cette rencontre ; j’ai fait un concordat avec elle pour ces cent arpents de terre, en faveur des 22,000 livres qu’elle a espéré devoir beaucoup aider à garantir le pays qui est l’unique but de ce concordat ; car la terre à ce pays-là serait un peu bien chère. Voilà, madame, la situation où nous sommes. « Je voudrais bien, me répondit cette bonne dame, que vous me revinssiez voir pour nous entretenir de ces choses. » Volontiers, madame, lui dis-je. Depuis, je l’ai vue plusieurs fois, même elle prenait plaisir à me faire entrer dans son cabinet, pour m’entretenir à loisir de toutes les particularités, mais jamais elle n’a voulu se découvrir à moi, il est vrai que notre négociation n’a pas laissé de réussir, d’autant qu’elle a donné 20,000 livres à M. de la Mongan, lui disant qu’une personne de qualité faisait présent à la compagnie du Montréal de cette somme, pour lui aider à lever du monde pour secourir leur isle sous la conduite de M. de Maison-Neufve ; elle fit ce qu’elle put pour que M. de la Mognon crut que cela venait d’ailleurs, mais enfin nous savons assez la main d’où procédait ce bienfait. Voyez, dit après cela M. de Maison-Neuve à Mlle Mance, une belle ratification de vos 22,000 livres ; l’illustre et charitable fondatrice, Dieu la bénisse à jamais. Voilà ce que j’avais à dire à son sujet ; mais parlons maintenant d’une bonne fille que j’amène, nommée Marguerite Bourgeois, dont la vertu est un trésor qui sera un puissant secours au Montréal ; au reste cette fille est encore un fruit de notre Champagne qui semble vouloir donner à ce lien plus que tous les autres réunis ensemble.

Cette fille est une personne de bon sens, de bon esprit, qui ayant passé jusqu’à 18 ou 20 ans sans vouloir approcher de la congrégation de Troyes, crainte de passer pour bigotte, quelque sollicitation qu’on lui en fit. Dieu lui ayant donné ensuite une forte pensée de voir comme on y lésait, elle y remarqua si bien la solide vertu qu’on pratiquait, qu’elle s’y envola d’une si bonne manière, qu’y marchant à grands pas, elle fut bientôt élevée à la préfecture, où on l’a continué douze ou quinze ans à cause du grand avancement qu’on avait vu sous sa conduite, encore qu’une pareille continuation ne soit jamais faite aux autres. Enfin, cette bonne fille ne se contentant pas de demeurer comme elle était, et voulant être religieuse, elle souhaita d’être carmélite, et son père se résolut de faire tous ses efforts pour la doter, afin de lui donner ce contentement, parce qu’il ne lui pouvait rien refuser. Mais en ce temps une congréganiste qui avait une forte pensée pour le Canada, vint la trouver et lui dit fortement qu’il ne fallait pas qu’elle fut religieuse, mais qu’il fallait aller toutes deux servir Dieu dans la Nouvelle-France. Là-dessus elle la tourna tant et de tous côtés, qu’à la fin elle l’obligea d’en parler à la supérieure de leur congrégation qui étant une bonne religieuse, laquelle avait soin de toutes ses congréganistes externes, dont Marguerite Bourgeois, vulgairement nommée la sœur Marguerite, était préfette, car Dieu permit que cette supérieure fut la propre sœur de M. de Maison-Neufve auquel elle dit tout ce qui se passait dans l’esprit de sa préfette. M. de Maison-Neufve ne l’eut pas plus tôt su qu’il désira de la connaître, il ne l’eut pas plus tôt connue qu’il souhaita de ne pas perdre un aussi illustre trésor, il fit tout ce qu’il put pour le conserver. Enfin, elle résolut de passer et de venir cette présente année avec tout ce monde que M. de Maison-Neufve amenait, où elle n’a pas reçu une médiocre peine, car y ayant eu quantité de malades, elle les a tous servis en qualité d’infirmière avec un soin indicible, non seulement sur la mer mais encore à Québec. Mlle Mance ayant appris quelle était cette fille, commença à la caresser, et je dis beaucoup, en quoi elle avait bien raison, et qui se manifesta assez par les grands services qu’elle a rendus depuis à Dieu et au Montréal, surtout dans les instructions qu’elle a faites aux personnes de son sexe, à quoi elle a travaillé depuis incessamment et avec tant de profit que plusieurs autres bonnes filles se sont rangées auprez d’elle afin de la seconder, avec lesquelles depuis plusieurs années elle a fait ici un corps de communauté, laquelle a été depuis autorisée par lettres patentes du Roi ; ce que j’admire ici dedans est que ces filles, étant sans biens, soient si désintéressées, qu’elles veuillent instruire gratis et font beaucoup d’autres choses de cette manière, et que néanmoins par la bénédiction que Dieu verse sur le travail de leurs mains, elles aient sans avoir été à charge à personne, plusieurs maisons et lettres en valeur dans l'isle de Montréal, et que cette bonne sœur en divers lieux, vienne de faire comme elle a fait, un voyage de France de deux ans, dans lequel, sans amis ni argent, elle a subsisté, obtint ses expéditions de la cour, et revenue avec 12 ou 13 filles dont il y en avait bien peu qui eussent de quoi payer leur passage. Tout cela est admirable et fait voir la main de Dieu. Mais laissons là cette bonne fille, puisqu’aussi bien ce que nous disons de ce dernier voyage où elle a apporté ses patentes ne fait que de s’accomplir et n’appartient point à l’année dont nous traitons. Disons plus tôt que tout le monde que M. de Maison-Neufve amena cette année, étaient de bons et braves gens dont la pluspart a péri pour le soutien et défense du pays. M. de St. André eut l’honneur de lever ce monde sous M. de Maison-Neufve, dans les provinces d’Anjou, du Maine, de Poitou, de Bretagne qu’il avait été désigné pour cet effet. Ce qui nous reste aujourd’hui de ces gens-là, sont de fort bons habitants dont le nom sera, je l’espère, mentionné dans le livre de vie pour la récompense de leurs bonnes actions. Si la manière d’écrire les histoires me permettait de les nommer tous, je les nommerais joyeusement, parcequ’il y en a bien peu qui n’aient mérité leur place dans cette relation, mais puisque le discours historique ne m’accorde plus cette liberté, ils m’excuseront si je ne le fais pas, aussi bien cela ne leur produirait qu’un peu de fumée qui pourrait obscurcir la juste récompense qu’ils en attendent de celui pour qui ils ont travaillé. Enfin M. de Maison-Neufve ayant raconté toutes ces choses à Mlle Mance, et ayant laissé quelques jours ses soldats rafraîchir, demanda deux barques pour les monter au Montréal, dont celle de Mlle Mance monta la première. Mais il y eut bien des difficultés à faire marcher ses soldats, d’autant qu’on ne voulait pas les laisser aller sans que M. de Maison-Neufve dit qu’il les voulait avoir et qu’ils avaient trop coûté à la compagnie du Montréal pour en laisser aucun après lui ; ayant un poste aussi dangereux que celui qu’il avait à défendre, ce qu’il y avait de plus fâcheux eu ceci était qu’on lui devait fournir des barques, et on ne lui en voulait point donner. A la fin il en trouva, et après avoir envoyé tout son monde,[2] il les suivit, ne voulant aller que le dernier de tous pour ne laisser personne après soi.

  1. Il était neveu de M. Louis d’Aillebout.
  2. M. de Maison-Neufve parait avoir amené en 1653, plus de 100 soldats recrutés en France.