Histoire du Montréal, 1640-1672/17

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de l’automne 1654 jusqu’à l’automne 1655, que les vaisseaux partirent du Canada.


Cet automne outre plusieurs combats qui se rendirent ici, il y en a eu un qui fait connaître que les Iroquois sont bien faciles à Surprendre et qu’il faut bien être sur ses gardes pour n’en être point attrapé, ayant la guerre contre eux : voici le fait. Un parti de ces barbares se cacha dans les déserts à l’ombre des souches qui y étaient, lorsque nos gens allaient au travail ; or comme il fallait toujours être sur ses gardes, nos Français mirent une sentinelle du côté d’où l’ennemi était à craindre ; cette sentinelle étant postée, monta sur une souche afin de mieux découvrir, et comme la souche était un peu grosse, cela lui donnait moyen de se tourner tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, afin de voir ce qui se passait dans la campagne et s’il n’y avait point d’ennemis ; or à mesure qu’elle tournait la tête d’un différent côté un certain Iroquois s’avançait toujours de souche en souche, quand la sentinelle regardait vers le lieu où il était, il ne branlait pas, si elle regardait ailleurs, il s’approchait incontinent autant qu’il le pouvait sans se faire découvrir ; enfin le renard vint si près du mal-perché, que tout d’un coup sautant sur lui, il le prit par ses jambes sur ce bois où il était monté, soudain il le chargea sur ses épaules et s’enfuit avec ce fardeau tout de même qu’un voleur emporterait un mouton ; il est vrai que ce prisonnier criait plus haut et se débattait d’une autre manière, enfin cet innocent voyant après S’être bien débattu que ce sauvage était fort, il se laissa porter sans réjimber davantage à la boucherie où il fut bientôt payé de son peu de précaution à découvrir, rien de plus étonné que nos gens lorsqu’ils entendirent leur brebis bêler et le loup l’emporter, on voulait courir sur cet épervier et lui faire lâcher prise, mais il fut bientôt secouru par un nommé La Barique qui commandait le parti Iroquois, lequel fit tout d’un coup faire bride en main à nos gens et demeurer sur une défensive où ils eussent été battus sans que M. le Major vint au secours, lequel voyant que la Barique était le principal soutien de nos ennemis, il commanda à un fort bon tireur qu’il avait auprès de lui, de percer au plus tôt ce tonneau d’un coup de fusil afin qu’en ayant tiré le jus, les ennemis ne s’en pussent davantage prévaloir et fortifier. Cet homme commandé ne manqua pas son coup et fit son approche sur ce personnage, lequel était monté sur une souche où il exhortait ses gens et leur disait ce qu’ils devaient faire dans le combat, comme si c’eut été un Européen. Notre Français étant parvenu à la portée raisonnable de son fusil, il en frappa si droit et si rudement la Barique qu’elle en tomba par terre et commença à ruisseler de toutes parts à cause que le fusil était chargé de gros plombs et qu’il le reçut quasi tout dans son corps ; les ennemis furent si découragés par la perte de cet homme qu’ils croyaient mort qu’ils s’enfuirent aussitôt et nous laissèrent maître du champ, cela fait, on remmena ici. Lorsqu’il fut revenu à soi, sa cruauté se changea totalement par la douceur qu’on lui fit paraître eu le guérissant autant qu’il se pouvait ; il est vrai qu’il en est demeuré extrêmement estropié et inhabile à tout, mais il a vu qu’il n’a pas tenu aux Français s’il n’a pas été complètement remis, c’est pourquoi il a été tellement gagné par cette humanité que depuis, il a pris toujours nos intérêts fort à cœur, ce qui n’a pas empêché que ses amis qui le croyaient mort ne nous fissent cruellement la guerre pour s’en venger, entre autres son frère, qui était tellement acharné sur nous, à cause de lui, que tous les jours nous l’avions sur les bras, même une fois, il fit quatre attaques différentes dans une journée afin de se venger, mais à la dernière ayant ouï la Barique qui l’appelait et qu’on avait porté exprès sur le lien du combat, il lui cria : “ Est-ce toi, mon frère, es-tu encore en vie ? ”--“ Oui, lui dit-il, et tu veux tuer mes meilleurs amis.” À ces mots, il vint à lui doux comme un agneau et promit de ne nous jamais faire la guerre : il dit qu’il allait promptement chercher tous les prisonniers Français qu’il y avait dans leur pays, qu’il allait travailler à la paix pour revenir dans un certain temps qu’il marqua afin de la conclure. Tout ce qu’il promit, il le garda, hormis que n’ayant pu résoudre les esprits de ses camarades aussi vite qu’il l’avait promis, il fut obligé de retarder plus qu’il ne l’avait dit ; mais dans ce retardement, il arriva une affaire qui rendit souple tous ses gens là à tout ce qu’il voulait d’eux. Voici comme la chose se passa. Les Iroquois ayant ce printemps détruit l’Isle aux Oies et tout ce qui s’y rencontra hormis les petits enfants de Messieurs Moyen et Macar, une partie d’entre eux emmena dans leur pays ces petits prisonniers et le reste nous vint faire la guerre en cette Isle, où ils firent plusieurs attaques et entrèrent en plusieurs pourparlers avec le sieur de la Barique que l’on portait toujours sur les lieux afin de leur parler, cet homme ne put jamais réduire à la raison ces animaux féroces : toujours ils tendirent à faire quelque méchant coup, il est vrai que Dieu nous assista bien, puisque pendant qu’ils furent ici à nous faire des embuscades, jamais ils ne nous tuèrent qu’un homme nommé d’Aubigeon. Peu après ce meurtre, ils en furent bien châtiés, car ils tombèrent à notre discrétion, ce qu’ils firent ainsi. Ce meurtre étant commis, ils passèrent de l’autre côté du fleuve et envoyèrent ensuite quelques uns d’entre eux, feignant vouloir parlementer et être de ces nations qui n’avaient jamais eu de démêlés avec nous, feinte dont ils ont usé en plusieurs de leurs trahisons passées et qui leur était ordinaire, mais en même temps, M. Lemoine revenant de Québec dit à M. de Maison-Neufve : “ Voila des gens qui ont fait un tel coup à l’Isle aux Oies, qui ont tué d’Aubigeon et qui veulent encore nous trahir. Il faut les prendre, car ce sont des fourbes et des menteurs.” Afin de les attaquer, Mr. de Maison-Neufve leur fit crier que le lendemain, ils vinrent parlementer : cela dit, ils se retirent de l’autre côté de l’eau sans s’approcher plus près ; le lendemain venu, voici deux Iroquois qui paraissent dans un canot avec un petit Anglais au milieu, ils viennent un peu hors la portée du mousquet du château. Alors M. le Gouverneur voulut envoyer à eux plusieurs personnes, mais M. Lemoine l’en empêcha lui disant qu’ils s’enfuieraient et que s’il voulait, il irait tout seul à eux dans un petit canot de bois avec deux pistolets cachés au fond de son canot, que dans cet état, il irait aborder sur la même bature où ils étaient ; qu’étant seul de la sorte ils le laisseraient venir sans se défier, qu’étant sur eux, il se lèverait tout d’un coup avec ses pistolets, et qu’ayant pris le dessus, il leur ferait prendre malgré eux le courant qui vient vers le château ; quoique la proposition fut hardie, elle fut néanmoins acceptée, mais pour en faciliter l’exécution, M. le Gouverneur fit glisser des mousquetaires le long de l’eau jusque vis-à-vis les Iroquois, lesquels étaient assez proches de terre, ces mousquetaires ne se montrèrent que quand il fut temps, ce qui aida à bien réussir ainsi qu’on l’avait projetté. Ces Iroquois étant logés, comme ils étaient considérables, un de leurs capitaines nommé La Plume parut aussitôt avec menace qu’il se vengerait si on ne lui rendait ses gens. On lui dit que ses gens étaient bien et qu’il les pouvait venir voir, mais à ces paroles en menaçant, il répondit qu’il y viendrait d’une autre manière, sur quoi il se retira de l’autre côté du fleuve où nos Français résolurent de l’attaquer la nuit suivante avec la permission de M. de Maison-Neufve, mais un capitaine Iroquois, qui ne participait en rien à leur trahison et qui était ici, voyant les préparatifs s’en faire, pria qu’on n’en fit rien, ce qu’on lui accorda parcequ’on l’aimait. Le lendemain cet homme alla voir Laplume et les autres afin de tout pacifier et avoir tous les esclaves Français comme nous le souhaitions, ce qui lui fut refusé absolument, et peu après que les nouvelles en eurent été rapportées au château, voilà que tous les Iroquois en plein midi traversent à notre barbe de notre côté afin de nous venir escarmoucher, mais M. de Maison-Neufve ne leur en donna pas le temps, car il commanda au major de les aller charger sur le bord du rivage où il les voyait aborder, ce qui se fit si heureusement que M. Lemoine lui quatrième prit le commandement, lui cinquième, sans qu’il osât tirer aucun coup, parce qu’ils leur mirent le fusil dans le ventre auparavant qu’ils les eussent aperçus. Quand au reste des Iroquois, ils furent mis en fuite et en déroute par M. le Major. Ces barbares voyant qu’on leur avait été la meilleure plume de leur aile, commencèrent à ramper et à demander la paix avec toutes sortes de soumissions, ce qui fut moyennée par l’ambassadeur que nous avons ici ; lequel dit que le célèbre La Grand’Armée, grand capitaine Aniez, venait en guerre, qu’il s’en allait au devant de lui, et qu’aussitôt qu’il lui aurait appris les capitaines que nous avions pris il lui ferait faire ce que nous souhaiterions. Il s’en alla et rencontra la Grand’Armée avec un parti d’Aniez, les plus lestes et mieux faits qu’on eut encore vus ; quand il l’eut trouvé, il lui dit : “ Vous allez en guerre, et vous ne savez pas que tels et tels de nos capitaines sont captifs au Montréal, et que faisant quelques coups vous allez les faire tuer par les Français.” Ces paroles firent tout d’un coup échouer ces grands desseins et penser uniquement à la paix ; que cet ambassadeur dit qu’il l’obtiendrait s’il la demandait aux Français qui étaient bons ; cet avis lui fit faire un beau et grand pavillon blanc au derrière de son canot ; en cette équipage il passa en plein jour devant le Montréal, mit pied à terre un peu au dessus ; vint parlementer et demanda qu’on lui fit venir les prisonniers, ensuite les ayant vus, il proposa la paix pour les ravoir ; on lui dit qu’on l’acceptait pourvu que l’on ramena tous les prisonniers Français ; ce que faisant, on leur rendrait les leurs. Il donna parole de le faire dans un certain temps, à quoi il fut fort ponctuel, il ramena les quatre enfants de Messieurs Moyen et Macar, Messieurs de St. Michel et Trottier avec le nommé La Perle qu’on avait perdu au Trois-Rivières sans espérances de le ravoir, et autres, enfin on leur fit rendre tous les captifs de ce pays ; au reste, comme ces deux familles des Moyen et des Macar étaient considérables, le pays reçut en ceci un grand bienfait du Montréal, ces enfants là étant les plus considérables du Canada, ce qui se voit par les alliances, car Mlle. Moyen a épousé un capitaine de condition et de mérite appelé Mr. Dugué, lequel a été épris d’elle par les charmes de sa vertu. Mlle. Macar l’aînée a épousé Mr. Bazile, l’un des plus riches du Canada ; la cadette sa sœur qui est morte avait épousée un brave gentilhomme nommé Mr. de Villiers. En même temps que les Iroquois nous eurent rendu nos prisonniers, nous leur remimes les leurs et nous conclûmes une paix, laquelle a duré un an tout entier ; que si le Montréal a servi en ces paix, pourparlers et trêves, c’est toujours à ses dépens, non-seulement à cause de la vie qu’on y exposait afin d’y obliger les ennemis, mais encore à cause des dépenses qu’il fallait faire pour cela, tant en voyages de Kébecq que présents et autres choses, car dans les premiers temps on était là-bas habile à recevoir et non pas à donner ; s’il fallait faire un présent, c’était à Messieurs du Montréal à le faire, si on en recevait quelqu’un, il ne fallait pas le retenir mais le faire descendre, ainsi on a toujours eu la gloire de servir au pays en toutes manières avec un détachement parfait.