Histoire du Parnasse/Frédéric Plessis

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Éditions "Spes" (p. 443-452).

CHAPITRE IV
Frédéric Plessis

Les symbolistes, pressés d’enregistrer la fin du Parnasse, déclarent qu’il se dessèche et dépérit : « Hugo mort, dit Verhaeren en 1891, il a paru que la poésie fût morte. Les Parnassiens purs — tel Leconte de Lisle ou Jose-Maria de Heredia — restaient dominateurs. Mais leur art n’avait en lui assez de sève pour renouveler les flores[1] ». Elle est pourtant singulièrement vivace, leur « flore », car, si nous faisons commencer le Parnasse à 1852-1853, avec les Émaux et Camées, avec les Poèmes Antiques, voilà plus de soixante-quinze ans qu’il dure, et il n’est pas épuisé : il y a encore des Parnassiens, et parmi eux le plus direct héritier d’André Chénier.

La valeur absolue de Frédéric Plessis est tellement au-dessus de sa réputation qu’il convient d’étayer mon admiration pour lui par des autorités qui vont encore plus loin dans l’éloge : « il y a plus de poésie véritable, dit M. Maurras, dans une épigramme de Frédéric Plessis que dans tous les Trophées. Pour ma part, je donnerais bien presque toute l’énorme production du Parnasse pour un quatrain comme celui-ci, de La Lampe d’Argile, dont on adorera la douce bienveillance et l’antique parfum :


N’accuse pas la mer de ton sort misérable,
Naufragé ! mais plutôt les vents injurieux :
Car ils t’ont fait périr, et le flot secourable
T’a roulé doucement au tombeau des aïeux[2]. »


Catulle Mendès est tout aussi respectueux de ce talent : « je crois bien que M. Frédéric Plessis est un des artistes les plus parfaits de notre époque, de toutes les époques[3] ».

Dans la nouvelle Pléiade, qui veut être une école savante, Plessis représente, avec L. Ménard, la vaste culture et l’érudition véritable. Ce docteur en droit est élève de l’École des Hautes Etudes, disciple d’Eugène Benoist. Les Parnassiens admirent cet humaniste. Pendant la longue absence de Louis Ménard, il représente à leurs yeux l’hellénisme[4]. Et sans doute il sait du grec autant qu’homme de France ; mais c’est d’abord un latiniste, un latin, surtout un maître de latin. C’est un professeur de professeurs ; maître de conférences à Poitiers, il complète l’érudition de son titulaire ; Hild disait loyalement : — c’est lui qui m’a révélé la science moderne. — Comme critique scientifique, Plessis est en effet de premier ordre ; il y a dans son histoire de la Poésie Latine un modèle de discussion serrée, pressante, sur le lieu de naissance de Properce ; il pense que le poète latin est né sur le mont Subiaco, à Assise, ou tout auprès, à cause des nombreuses inscriptions relatives aux Propertii, trouvées aux environs d’Assise, tandis que l’érudit Urbini penche pour Spello : « G. Urbini parle avec plus d’esprit que de sérieux quand il objecte que l’on a trouvé aussi à Rome, et même à Nîmes, des inscriptions où se lit le nom de Propertius, et qu’il demande si l’on va dire pour cela que Properce est né à Nîmes ou à Rome ? Non, on ne le dira pas, attendu que nous savons par ses vers qu’il est né en Ombrie, et dans quelle région de l’Ombrie ; que cette région est bien celle où se trouve Assise ; et comme Assise et les environs nous offrent beaucoup d’inscriptions consacrées aux Propertii, il est naturel de croire que c’est bien là le berceau de sa famille[5] ».

On pourrait encore prendre son édition savante des Carmina d’Horace, où l’érudition n’alourdit ni le sens littéraire, ni l’amour de la poésie : c’est un des monuments de l’actuelle renaissance classique[6]. Mais si l’on veut vraiment comprendre l’union de la science et de la poésie, leurs réactions réciproques, dans l’âme de ce poète, il faut remonter jusqu’à sa thèse de doctorat ès-lettres, ses Études critiques sur Properce. Le poète français étudie dans le poète latin son propre état d’âme, comme l’a bien vu Le Braz[7]. Sous la dialectique froide du savant, on sent le désenchantement du breton. Sa mélancolie est raisonnée : elle provient d’une psychologie pénétrante, et donc amère, car toute psychologie pénétrant jusqu’au fond du cœur de l’homme arrive jusqu’à la couche profonde d’amertume. C’est ainsi que dans cette thèse, vieille de plus de quarante-quatre ans, et aussi rigoureusement scientifique que les travaux actuels, passent des souffles de poésie lourds de la tristesse bretonne :


Bretagne, ce que j’aime en toi, mon cher pays,
Ce n’est pas seulement la grâce avec la force,
Le sol âpre et les fleurs douces, la rude écorce
Des chênes et la molle épaisseur des taillis ;

Ni qu’au brusque tournant d’une côte sauvage,
S’ouvre un golfe où des pins se mirent dans l’azur,
Ou qu’un frais vallon vert, à midi même obscur,
Pende au versant d’un mont que le soleil ravage.

Ce n’est pas l’Atlantique et ton ciel tempéré,
Les chemins creux courant sous un talus doré,
Les vergers clos d’épine et qu’empourpre la pomme ;

C’est que, sur ta falaise ou ta grève souvent,
Déjà triste et blessé lorsque j’étais enfant,
J’ai passé tout un jour sans voir paraître un homme[8].


La mélancolie de la Bretagne est peut-être une des sources les plus puissantes de la poésie française. Mais il s’agit de la capter, de la faire entrer dans les formes étroites et rigides de l’art. Tout jeune, et déjà poète de cœur, l’écrivain de dix-sept ans cherche un maître, et s’adresse d’abord à Louis Bouilhet qui lui répond par une lettre pleine de sagesse, de sens, et d’expérience personnelle : « la popularité peut suivre ceux qui se hâtent — la gloire est à ceux qui savent attendre[9] ». C’était déjà quelque chose ; mais voici l’influence décisive : un de ses amis, comme lui étudiant en droit, prête à Plessis le Parnasse de 1866 : c’est pour le néophyte, nous l’avons vu, toute une révélation. Les vers de Dierx surtout excitent son admiration pour l’œuvre, sa sympathie pour l’ouvrier. Plessis écrit au Parnassien encore obscur, et vivant dans l’amour désintéressé de son art : Dierx tombe de son haut en se découvrant un admirateur ; désormais le débutant va de temps en temps, le soir, chez le poète qu’il trouve toujours tout seul, en tête à tête avec sa pipe ; Plessis demande à Dierx de lui lire ses vers inédits ; bon apprentissage, qu’il paye son juste prix dans un sonnet de La Lampe d’argile[10].

C’est encore Dierx qui le présente à Heredia et à Mendès : ils l’emmènent au passage Choiseul. Heredia, avec sa bonne grâce habituelle, invite Plessis à l’aller voir avenue de Breteuil, et lui lit les Conquérants de l’Or. Enfin Calmettes, un de ses anciens camarades de Louis le Grand, lui fait faire la connaissance d’Anatole France, et cela devient, lentement, la grande amitié de sa vie littéraire. De son côté, France se prend de sympathie pour ce cadet du Parnasse, laborieux, rêveur, entêté, idéaliste, comme un Breton, surtout adorant le vers « pour sa mélodie mystérieuse, pour sa beauté secrète[11] ». Plessis semble avoir vraiment touché, par un charme particulier, le cœur sec de France : celui-ci, en août 1875, écrit, de Royat, à sa mère, qu’ils ont donné une soirée littéraire devant Autran, Laprade, E. des Essarts : « Frédéric a récité de beaux vers qui ont beaucoup plu[12] ». Avec une sincérité visible, France vante le poète savant à ses amis : sur l’Acropole, il dit à Ségur que Taine n’a vu de la Grèce qu’une partie, le culte du corps et de la beauté, l’amour de la science, et qu’il n’a pas découvert la grâce hellène : « peut-être faut-il avoir l’âme d’un poète pour discerner cela… Tels vers de mon ami Plessis me satisfont plus que les constructions de Taine[13] ». Ces lettres privées, ces conversations intimes lui paraissent insuffisantes comme témoignages de son estime littéraire : il dédie Les Noces Corinthiennes à Plessis ; celui-ci n’est pas en reste avec son ami, et, sûr de sa propre valeur, il proclame ce qu’il doit à France :


À l’âge bienheureux qui souffre et qui s’étonne,
Près de toi j’ai marché dans la ronce et les fleurs,
Et les fruits que je cueille en mon précoce automne
Te doivent une part de leurs belles couleurs…

Je fuyais, je cherchais la solitude et l’ombre…
Qui donc, m’offrant un but digne de mes efforts,
M’enseigna le chemin qui déplaît au grand nombre,
Me dit : Quitte le siècle et vis avec les morts ?

Ô poète I c’est toi ; c’est ta mémoire agile
Qui, se jouant aux vers relus et médités,
D’abord me fit connaître Euripide et Virgile,
Et m’ouvrit le trésor des deux antiquités.

C’est toi qui me menas vers le docte Racine
Formé, dès son enfance, à la langue des dieux
Je marchais altéré… la source était voisine…
À peine un clair rideau la voilait à mes yeux.

Mais il fallait ta main pour m’écarter les branches[14]


Plessis paye royalement ses dettes, et croit ne les avoir jamais assez payées. Il manifeste encore aujourd’hui sa reconnaissance pour Mendès ; il vante sa complaisance, sa bonne camaraderie, la générosité avec laquelle ce fondateur de revues, à la fin du second Empire, lance les jeunes poètes. De vrai, c’est grâce à Catulle Mendès que sont insérées au Parnasse de 1869 quelques pièces de Plessis : un sonnet gothique, Le Coffret, Somnolence, et Médaille. Je ne les ai pas retrouvées dans ses œuvres complètes, et pourtant, dans ces vers qu’il dédaigne, il y a déjà de bien jolies choses, très au-dessus de la moyenne du Parnasse ; ainsi, dans Somnolence :


Un miroir de Venise, et, sur la table frêle,
Bois d’ébène incrusté de nacre qui reluit,
Aux rougeurs des tisons expirant dans la nuit,
Une théière, un livre ouvert, une aquarelle.


Comme nature morte, ce n’est pas déjà si mal ; mais c’étaient, à ses yeux d’artiste, de simples croquis d’atelier. Son envoi au Parnasse de 1876 est d’une tout autre valeur. Desiderium Peccatorum, Mors atra, Les Deux Archers, La Vierge Sage, Da Gloriam, Le Maître de Ravenswood, L’Anathème à Bakkhos, Introibo, et L’Érinnys d’une Mère, ont été reproduits dans l’édition définitive, avec des variantes insignifiantes portant surtout sur l’orthographe parnassienne, abandonnée plus tard, Bacchos au lieu de Bakkhos, Cadmos au lieu de Kadmos, etc.[15]. Trois pièces seulement ont été rejetées, Le Chapeau, Les petits cheveux, qui n’ont pas, en effet, une grande valeur, et L’Image qui a été injustement dédaignée par le poète parvenu à sa maîtrise complète :


J’aime à vous évoquer dans une chaste pose,
Debout et les doigts joints et les yeux souriants,
Comme au temps où, rêveur injustement morose,
Je profitais si mal de mes beaux jours fuyants.

Ah ! je vous ai du moins présente en ma mémoire !
Tout, depuis le nœud bleu sous le petit col blanc
Ou la simple croix d’or, avec la robe noire
Qui garde dans ses plis mon pauvre cœur tremblant…

Vous avez dédaigné les bizarres coiffures
Qui semblent au vieux goût faire un dernier affront,
Et, pour la gloire encor des belles chevelures,
Deux simples bandeaux noirs couronnent votre front[16].


C’est une bien jolie pièce, et que Sainte-Beuve eût aimée. Quelques jaloux font remarquer, chez Lemerre, que toutes ces pièces constituent une masse encombrante ; et, en effet, cela fait quinze pages, deux de moins que pour Leconte de Lisle, autant que Coppée, plus que Dierx et Sully-Prudhomme, qui n’ont que douze pages. Théodore de Banville proteste avec feu contre ces jalousies : « Tout, de M. Plessis ! Il faut prendre tout ! Et il en ajouterait encore que vous devriez le prendre ! » C’est l’avis officiel du Comité de publication : Banville insiste : « Toutes les pièces de M. Plessis sont autant de merveilles. Voilà un poète ! » Anatole France fait chorus : « ce sera l’honneur du livre ». Coppée ne dit rien, mais, au vote final, on lit trois oui, suivis du mot : tout[17] !

Après cela il paraît bien oiseux de se demander si Frédéric Plessis est du Parnasse ; pourtant M. Maurras veut enlever ce poète qu’il aime à un groupe qu’il déteste[18]. Le poète, pour son compte personnel, se contente d’affirmer qu’il n’y a pas de vers spécifiquement parnassien ; et, en effet, Leconte de Lisle et Heredia, les vrais maîtres successifs du Parnasse, ne créent pas un vers nouveau ; ils utilisent ce qu’il y a de meilleur dans l’alexandrin classique et dans le trimètre romantique ; ils recommandent surtout, par leurs conseils et leurs exemples, de viser à la perfection, de rejeter l’à peu près, le vers bâclé, chacun restant maître de l’harmonie, de la musique de son vers. En ce sens, M. Plessis a raison d’écrire, en 1924 : « je ne sais pas ce que c’est que le « vers parnassien » dont j’entends parler depuis quelque temps. Il n’y en a jamais eu ; des Parnassiens, les uns ont pratiqué le vers de Malherbe, de Racine et de Chénier, les autres celui de Hugo, seconde manière, à partir des Contemplations[19]… »

On le voit : M. Plessis ne se laisse pas embrigader. Il reconnaît pourtant qu’il a subi profondément l’influence de Leconte de Lisle. Avant 1870, les Poèmes Barbares l’avaient intéressé ; les Poèmes Antiques excitent chez lui une admiration complète qui va jusqu’au culte de tendresse. Présenté au Maître en 1873, il subit le charme comme les autres jeunes, plus peut-être. En mars 1888, il écrit à Leconte de Lisle : « nous sommes très malheureux, ma femme et moi : nous avions fait un rêve, irréalisable : c’était d’aller, à Bourbon, voir les lieux où se sont passées vos premières années[20] ». De son côté, Leconte de Lisle tient en très haute estime ce poète savant : il confie à Jules Breton que « Frédéric Plessis est un Latin pur sang. Il ira loin, car un rayon de Virgile l’éclaire, et, presque imberbe encore, il est déjà un érudit[21] ». Devant pareil éloge, un autre se fût prosterné ; Plessis garde l’indépendance de ses opinions ; il ose prendre la défense des élégiaques devant Leconte de Lisle qui les attaque : c’était un soir, au sortir d’un dîner chez Heredia ; M. et Mme Leconte de Lisle, escortés par A. France et Plessis, suivaient la rue de Babylone, et approchaient de la Croix-Rouge. Tout en cheminant, le Maître criblait de sarcasmes les élégiaques et la poésie sentimentale. Agacé, Plessis l’interrompt : — mais vous-même, mon cher Maître, vous êtes avant tout un élégiaque, un sentimental ; vos plus beaux poèmes sont d’inspiration subjective. — Et il accable Leconte de Lisle avec L’illusion Suprême, Ultra Cœlos, Les trois Spectres, La Fontaine aux Lianes : — Et Djihan Ara, votre plus pur chef-d’œuvre, n’est-ce pas une élégie ? — Le maître s’arrête, et répond : — Vous avez raison. — Puis, se tournant vers France : — Plessis a raison ! — Anatole France est de cet avis ; il trouve même l’idée bonne, car il la reprend.dans un article sur Leconte de Lisle, sans citer sa source : « il y a pour le cœur de l’homme des émotions… intimes et douces ; et celles-là, quoi qu’on dise et quoiqu’il dise, ne sont pas absentes de son œuvre. Je n’aurais pas grand’peine à prouver que parfois M. Leconte de Lisle est un élégiaque[22] ». Leconte de Lisle l’est, en quelque sorte, malgré lui, et malgré ses principes. Plessis, lui, est élégiaque à plein cœur, parce qu’il est Breton, parce qu’il connaît André Chénier, Properce, et tous les élégiaques romains.) Mais son élégie est pure ; il pourrait répéter comme siens les vers d’Henri de Bornier :


Parfois, dans le doute ou le blâme,
À l’heure où les cieux sont couverts,
Une ombre me passait sur l’âme…
Mais l’ombre n’est pas dans mes vers.


Son élégie est une coupe où il verse la plus claire, la plus limpide tendresse de son cœur, sans que jamais on y trouve un arrière-goût de fadeur[23]. La pensée reste vigoureuse, trempée dans l’eau du Tibre. Il a mis en ses vers la force, la beauté romaine, condensées dans son Septime Sévère, prélude de La Lampe d’argile :


C’est dans Eboracum, où le ciel froid du Nord
D’un brouillard éternel baigne les murs de brique ;
Le soldat basané de la côte d’Afrique,
Sévère, est venu loin pour rencontrer la mort…

Mais le César sémite à la barbe de neige
Oppose, malgré l’âge et les infirmités,
L’invincible rempart des fortes volontés
Au dégoût, au remords peut-être qui l’assiège.



Il meurt, farouche et seul, de la mort des lions ;
Et lorsque le tribun de garde se présente,
Rouvrant avec effort sa lèvre agonisante,
Il donne pour dernier mot d’ordre : Travaillons…

À l’heure où nous voyons le but s’évanouir,
Tel fut ton jugement sur l’homme et sur la vie :
Une loi de travail tient la terre asservie,
Et le lâche, lui seul, refuse d’obéir.

La vie est pour nous tous une guerre sans trêve ;
Tant qu’on se bat encor, fût-il couvert de sang,
Nul soldat n’a le droit d’abandonner son rang.
Et de jeter pour fuir sa cuirasse et son glaive.


À la fin de sa longue carrière, F. Plessis peut relire ce prélude de toutes ses poésies avec un sourire de fierté ; il a gardé sa cuirasse et son glaive, il a combattu le bon combat. En 1903, dans ses Gallica, il mettait encore tout son talent, toute sa tristesse, et tous ses ressentiments. En 1921, dans La Couronne de Lierre, il écrivait une sorte de testament littéraire, où l’inspiration est aussi puissante que l’art est exquis :


Omnia fert ætas


Vous nous quittez un jour, ô vous Muses aussi !
Dernière vanité dont nous ayons souci,
Don de tout voir en beau, de tout mettre en images,
De montrer les vieillards sous le manteau des mages
Et la jeunesse avec une rose aux cheveux ;
Don de tout transformer : en un parc merveilleux
Le jardin, en château la maison familière,
La source en Hippocrène, et de prendre le lierre,
Sous lequel un vieux mur se déjette et se rompt,
Pour celui dont jadis se couronnait le front
D’Horace en ses banquets ou du divin Virgile…
Je ne le nierai pas : vous m’avez été douces.
Mais je vous dis adieu, puisque vous le voulez,
Et que des rêves morts et des jours écoulés
Et du vol frémissant de ma jeune Chimère
Rien ne subsiste plus qu’une mémoire amère.
Et sans doute il convient qu’au départ ceint de fleurs
Et sonore de chants joyeux ou querelleurs,
Vers la rive natale, après la longue absence,
Sur l’eau triste du soir l’esquif rentre en silence[24].


Cet adieu à la poésie est prononcé d’une voix si forte et si jeune, si bien maîtresse de ses nuances, qu’on attend, après ce Consummatum est, un Sursum corda ! En effet, trois ans après, donnant son avis dans une enquête sur la poésie, Frédéric Plessis, en un retour d’esprit parnassien, exprime, avec une vigueur et un mépris dignes de Leconte de Lisle, ses sentiments sur le Symbolisme qui a prétendu affranchir le vers en y introduisant la musique : « le progrès, dans un art, se manifeste par des restrictions et des exigences, jamais par l’affranchissement… Il se traduit aussi par les distinctions, par le renforcement de l’indépendance vis-à-vis des autres arts, jamais par des confusions et la prétention à rendre ce qu’il n’est pas dans son rôle et dans ses moyens d’exprimer[25] ».

Cette étude serait incomplète si l’analyse littéraire ne distinguait pas, dans la lumière blanche de ce pur talent, le rayon chrétien. M. Paul Bourget, développant cette pensée, qu’il n’y a pas de vie profonde hors de l’Église, pas plus pour le pays que pour l’individu, s’appuie sur l’autorité de l’auteur de Gallica : « c’est le cri touchant d’un noble poète, de ce Frédéric Plessis dont le nom mériterait de survivre, quand il n’aurait écrit que ces vers :


Pareil à l’arbrisseau qui se sèche et s’incline
Transplanté d’une serre à l’autre sans succès,
J’ai retrouvé ma force en reprenant racine
Grâce à toi, dans le sol catholique et français[26].



  1. Impressions, III, 176-177. J’ai fait usage dans ce chapitre de souvenirs et de documents inédits très sûrs.
  2. Barbarie et Poésie, p. 10.
  3. Rapport, p. 148 ; cf. Le Goffic, L’Âme Bretonne, III, 183.
  4. Mendès, Rapport, p. 148. Cf. Thérive, p. 60-72, 89, sqq.
  5. La Poésie latine, p. 38.
  6. Maurras, Barbarie et Poésie, p. 289-292 ; cf. Dupouy, Revue de France, 15 janvier 1926, p. 338 sqq ; Le Goffic, L’Âme Bretonne, III, 181.
  7. Plessis, Études critiques sur Properce, p. 283-284 ; Le Braz, Débats du 18 septembre 1897.
  8. Poésies complètes, p. 214.
  9. Walch, Anthologie des Poètes Français Contemporains. (Delagrave, 1906).
  10. Poésies complètes, p. 42-43.
  11. La Vie littéraire, I, 164 ; III, 178.
  12. G. Girard, La Jeunesse d’A. France, p. 229.
  13. Ségur, Conversations, p. 35.
  14. Poésies complètes, p. 109-110.
  15. Poésies complètes, p. 79, 56, 52, 53, 82-83, 173.
  16. Parnasse de 1876, p. 306-307.
  17. Le Manuscrit Autographe, mars 1928, p. 43, 46, 52.
  18. Barbarie et Poésie, p. 10.
  19. La Muse Française, du 10 mai 1924.
  20. Dornis, Essai, p. 329.
  21. Mme Demont-Breton, II, 132.
  22. La Vie littéraire, I, 105.
  23. Cf. Bény, dans les Poésies complètes, p. 207-208.
  24. La Couronne de Lierre (Jouve, 1921), p. 162-163.
  25. La Muse Française du 10 mai 1924.
  26. Au Service de l’Ordre, p. 258 ; Plessis, Poésies complètes, p. 371.