Histoire du Parnasse/Introduction

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Éditions "Spes" (p. xvii-liv).

INTRODUCTION


I. Les historiens du Parnasse. II. Le Parnasse est une réaction contre le Romantisme. III. C’est un groupement de jeunes. IV. Est-ce une École ? V. Les Impassibles. VI. Les Parnassiens qui comptent.

I

Jusqu’à ces derniers jours, la véritable histoire du Parnasse restait à écrire, malgré l’attrait du sujet : elle avait été embrouillée à plaisir par ses premiers historiens. Ce furent d’abord des poètes qui voulurent la conter, se donnant le beau rôle, se gonflant eux-mêmes, diminuant les autres. Nul d’entre eux n’a fait plus de tort à la vérité que Catulle Mendès, d’abord dans sa Légende du Parnasse, reproduction d’une série de conférences faites à Bruxelles. Titre obscur ; on croit d’abord qu’il indique l’intention de substituer à la légende, à l’histoire légendaire, l’histoire tout court ; mais non : l’ami de Mendès, Armand Silvestre, nous apprend que cela veut dire simplement un récit avec citations[1]. En ce récit, Mendès fait de la modestie : racontant une bataille littéraire, il se définit simplement « un des combattants, le plus humble de tous[2] ». En réalité, sa vanité est amusante, tant l’effort pour se surfaire est apparent : après avoir parlé, brièvement, de Sully Prudhomme, de Coppée, de Dierx, de Heredia, il annonce « un très chétif rimeur qui n’a jamais prétendu s’égaler à aucun de ses camarades. C’est moi-même que je veux dire[3] ». Or, jusqu’ici, il s’est nommé à chaque instant, il s’est mis en scène souvent, au premier plan, et maintenant il s’adjuge une vingtaine de pages d’affilée[4] ; il se cite, il déclame La dernière Âme, Le Lion, Penthésilée, La dernière Abeille, La Femme adultère. En revanche, il tâche d’escamoter Leconte de Lisle ; craignant que quelque auditeur ne se rappelle que le Parnasse c’est Leconte de Lisle, et que les Parnassiens sont ses élèves, il magnifie de préférence Victor Hugo : « toute poésie vient de lui, se meut en lui, retourne à lui[5] ». D’après Mendès, les « Parnassiens » devraient bien plutôt s’appeler des néo-romantiques[6]. Mais tout de même, se dit le lecteur soupçonneux, ces néo-romantiques ne faisaient-ils pas partie d’une école, et d’une autre école que celle de V. Hugo ? Mendès nie l’école : « aucun mot d’ordre, aucun chef, toutes les personnalités absolument libres[7] ». Comme il est rare qu’on écrive bien quand on ment, Mendès insiste lourdement, gauchement : « tous n’avaient à rendre compte à aucun de leurs sujets, et n’avaient à soumettre leur inspiration à aucune loi acceptée[8] ». Mais enfin, il y avait au moins un groupement autour de Leconte de Lisle ? Que non pas ! Le vrai centre, c’est moi, dit Mendès, car il fonde en 1861 la Revue fantaisiste ; Glatigny va lui porter un exemplaire de ses Vignes folles ; Monsieur le Directeur lit le livre, et, le lendemain, dit à l’auteur : « Vous êtes un poète. — Glatigny répliqua : « Vous en êtes un autre ! — Ces injures échangées les deux jeunes gens se serrèrent la main ; et ce fut le commencement du groupe[9] ».

C’est pourtant cette entreprise contre la vérité que Mendès définit « un livre de ton fantasque, où le moindre détail, pourtant, est rigoureusement exact ». Ce bel éloge figure dans son Rapport sur le mouvement poétique français de 1867 à 1900[10]. Ce rapport officiel, dédié respectueusement « à Monsieur le Ministre », est suivi d’un Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du xixe siècle. Craignant de ne pas avoir assez célébré sa gloire, et celle de sa famille, dans son Rapport, il s’octroie dans son Dictionnaire, dix-huit colonnes et demie, quand il en accorde vingtet-une à Hugo, huit à Banville, huit à Baudelaire, sept à Leconte de Lisle, six à Coppée, cinq à Heredia, trois et demie à Sully-Prudhomme, une et demie à Anatole France. Encore a-t-il sur sa modestie une note inestimable[11] !

Le Rapport est encore plus singulier que le Dictionnaire : après avoir nié que le Parnasse fût une école, après avoir isolé Leconte de Lisle de ses disciples tant qu’il a pu, il pousse la « præpotenza » jusqu’à dire des Parnassiens : « leur œuvre, qu’on incline à présenter comme collective, est, au contraire, infiniment éparse et diverse. Ceux-là nous ont lus étourdiment ou sont de mauvaise foi qui ont cru ou feint de croire le contraire ». Le mot que je souligne est maladroit, car il nous autorise à douter nous-mêmes de la bonne foi du rapporteur. Il altère la vérité quand il affirme que Leconte de Lisle ne s’est jamais considéré comme le directeur, pas même comme le conseiller des Parnassiens[12] ; que Heredia n’a jamais été l’élève de Leconte de Lisle : jonglant avec les mots, et avec la vérité, Mendès affirme à Monsieur le Ministre que Heredia s’est distingué de son maître « par l’énormité rayonnante et fulgurante, et partant personnelle, de la ressemblance même ; il est… non pas un docile à-côté, mais un triomphant au-delà de Leconte de Lisle[13] ». On voit bien que le Maître, dont la grandeur offusque l’auteur du Rapport, est mort depuis quelques années : Mendès n’eût jamais osé écrire cela du vivant de Leconte de Lisle, pas plus qu’il n’aurait eu l’imprudence de reproduire, du vivant de Théophile Gautier, la boutade de Faguet : que Théo manquerait d’idées[14].

Mendès écrit sa pseudohistoire avec ses vanités froissées, avec ses rancunes. Même la pauvre Nina de Callias, dont il avait été si souvent l’hôte, se voir diffamée dans la Maison de la Vieille, ce pamphlet qu’on a appelé justement une infamie, une immonde légende[15]. Toutes les fois que Mendès a un intérêt personnel ou une haine à satisfaire, il faut se défier des assertions du personnage. Ainsi on peut ne pas croire un traître mot de ce qu’il répond à Huret lui demandant si le Parnasse n’est pas une école, comme le Romantisme : « Mais nous n’avons seulement pas écrit une préface !… Le Parnasse est né d’un besoin de réaction contre le débraillé de la poésie issue de Mürger… Le groupement parnassien ne s’est fait sur aucune théorie, aucune esthétique[16] ». Ce disant, Mendès nie ce qui est ; puis, mis en train, il affirme ce qui n’est pas, à propos du premier Parnasse : « l’éditeur, dans un avant-propos que j’avais rédigé, disait : Le « Parnasse » sera à la poésie ce que le Salon est à la peinture[17] ». Or, il n’y a pas d’avant-propos au Parnasse de 1866.

Le bluff réussit souvent. L’anecdote Glatigny fait son chemin ; quarante ans après La Légende du Parnasse, nous la voyons reparaître, agrémentée[18]. Et pourtant Brunetière avait pris soin de démentir le propos, en vérifiant les dates : faire commencer le Parnasse en 1861, c’était frustrer de leur part légitime ceux dont Mendès et Glatigny n’étaient que les continuateurs bruyants[19]. Avant 1860, alors que Mendès était encore un petit Bordelais inconnu, et Glatigny un cabotin errant, Banville avait déjà publié Les Cariatides, Les Stalactites, Les Odes funambulesques ; Leconte de Lisle, ses Poèmes antiques, et une quarantaine de pièces détachées qui formeront largement la moitié des Poèmes barbares[20]. Mais qu’importait à Mendès ? Voulant se faire passer pour le fondateur du Parnasse, il associait à sa gloire Glatigny, qu’il ne considérait pas comme un rival dangereux ; il voulait même le faire passer pour le parrain des Impassibles ; il prétendait que ce nom, ce sobriquet, avait été donné aux Parnassiens à cause d’une pièce de Glatigny, intitulée L’Impassible. M. Scheffer a démontré que c’était là une erreur matérielle[21].

Mendès est un si étrange historien que son confrère, Xavier de Ricard, éclairé par la jalousie, s’en est aperçu, et a protesté : « Mendès a une très lyrique conception des droits souverains du poète sur la réalité, et, pour bien avertir qu’il a voulu rester poète en parlant du Parnasse, il a intitulé son recueil non pas histoire, mais légende[22] ». Ricard, qui est moins bon poète que Mendès, est meilleur historien. Il est beaucoup plus modeste, dans ses intentions ; il nous prie, au début de sa série d’articles dans Le Petit Temps, de ne pas oublier qu’il n’écrit pas l’histoire du Parnasse, qu’il apporte simplement sa contribution à cette histoire, ne comptant parler que des Parnassiens qu’il a intimement connus[23]. Malheureusement sa mémoire est infidèle, et son-récit fourmille d’erreurs de détail. Mme de Callias, fille de M. Gaillard, nous est présentée comme « née Chaptal[24] » ; son salon qui, nous le verrons, a joué un certain rôle aux débuts du Parnasse, n’aurait été fréquenté qu’après la dispersion de l’École. Ricard enfin a pour les dates un mépris fâcheux. Dans le Petit Temps du 3 décembre 1898, il affirme que le premier Parnasse, de 1866, fut suivi de deux autres, en 1876 et en 1879-1881 ; puis, sans paraître s’en apercevoir, il se rectifie lui-même dans le numéro du 6 décembre : « la publication du second Parnasse, préparée en 1869, fut, à cause de la guerre, ajournée à 1871 ; le troisième et dernier parut cinq ans après, en 1876 ». Voilà bien des flottements, bizarres chez celui qui se prétend fondateur de l’École, avec Mendès, et presque unique créateur du Parnasse[25] ; car il réclame pour son journal L’Art ce que, sournoisement, Mendès voudrait attribuer à sa Revue fantaisiste ; L’Art, dit-il, n’a été ni la continuation, ni la reprise de la publication de Mendès ; au contraire, prétend’le directeur vexé, L’Art est le père du Parnasse : « il faut poser ceci en principe, dit solennellement Ricard : c’est un anachronisme de parler de parnassiens avant le Parnasse, et il n’y a pas eu de Parnasse avant le groupement qui s’opéra à l’occasion du Parnasse Contemporain chez Lemerre, à la suite de la transformation du journal L’Art, qui en fut la préparation et la préface[26] ». Nous verrons que ni Mendès ni Ricard ne sont les vrais fondateurs du Parnasse, séparés ou associés. Mais dès maintenant le duel de leurs vanités est intéressant : il est toujours amusant de regarder ferrailler les amours-propres d’auteur, et c’est très utile, car, chacun des adversaires découvrant et visant le point faible de l’ennemi l’erreur est détruite par l’erreur, et c’est la vérité qui gagne.

Ricard est un passionné ; s’il est moins vaniteux que Mendès, il est politicien, et c’est aussi fâcheux pour la précision littéraire. Il raconte les débuts du Parnasse avec son animosité contre ceux qui, comme Coppée, ne partagent pas ses idées sur l’affaire Dreyfus. La même affaire rapproche Ricard d’Anatole France « en une amitié très intime qu’une longue séparation n’avait pas détruite[27] ». Ricard en arrive à considérer la passion politique comme le critérium de la valeur littéraire : « Verlaine, dit-il avec une sorte de naïveté, ne serait pas le grand poète qu’il fut, si, entre tant de crises par où il passa, il n’eût eu sa crise républicaine et même communarde[28] ».

Verlaine, tâtonnant dans ses souvenirs, cherche qui, de Mendès ou de Ricard, fut le véritable fondateur du Parnasse ; ils s’étaient liés, étant, dit-il, « voisins de palier », et, de ces premières relations, comme des réunions chez Mendès ou chez la mère de Ricard, serait sortie l’idée du Parnasse[29]. On ne voit pas très bien le Parnasse fondé sur un palier ; mais Verlaine se ressaisit, et, dans ses Mémoires d’un veuf, précise un peu : les soirées chez M. et Mme de Ricard sont le vrai germe du Parnasse, et de même L’Art est bien la première publication parnassienne, car ce journal hebdomadaire, publié chez Lemerre, « parut pendant quelques semaines, juste le temps d’ensemencer sur un papier et dans une typographie irréprochables, les théories absolues, hautaines, intransigeantes, d’où sortit de terre, grâce à l’épais fumier de quelques grasses injures, ce Parnasse Contemporain[30] ». Mendès, d’après Verlaine, se serait associé avec L’Art et son directeur, apportant pour sa part contributive « un très honorable esprit de propagande littéraire », et aussi « le précieux concours de ses illustres maîtres et amis, MM. Théodore de Banville et Leconte de Lisle[31] ». Verlaine, du moins, prononce le nom prestigieux que Mendès et Ricard s’efforcent de passer sous silence. Il y a même un singulier mérite, car Leconte de Lisle, après quelques témoignages de bienveillance, avait fini par l’exécuter ; dans un de ses meilleurs jours, alors qu’il écrivait Les Hommes d’aujourd’hui, Verlaine lui a rendu cet hommage : « Leconte de Lisle était un beau causeur, souvent amer par exemple… Gare à ceux qu’il investit de son animadversion ! Une dent acérée brille et mord ferme le malheureux… N’importe ! Il en est, parmi ces victimes d’injustices criantes, qui n’en veulent pas du tout, mais pas le moins du monde, à leur « Carnufex », et que d’ailleurs, l’équité et l’amour des Lettres forceraient quand bien même à crier solennellement et devant le monde entier : Leconte de Lisle est un grand et noble poète[32] ». Verlaine avait donc au fond du cœur assez de générosité pour écrire une histoire impartiale du Parnasse, s’il avait été capable de s’appliquer longtemps à la même idée ; du moins son témoignage est considérable.

Enfin, pour épuiser la liste des poètes plus ou moins parnassiens qui ont raconté, à leur façon, l’histoire de l’École, il faut voir ce qu’on peut tirer de l’ami et biographe du pauvre Lelian, Edmond Lepelletier. Verlaine lui a dédié la pièce bien connue :


Mon plus vieil ami survivant
D’un groupe déjà de fantômes
Qui dansent comme des atomes
Dans un rais de lune devant
Nos yeux assombris et rêvant[33]


Pour Lepelletier, le salon Ricard semble avoir eu une importance capitale : tout en reconnaissant que cette maison était devenue peu à peu très bohème, il trouve que son action sur l’École a été décisive ; il insiste sur ces réunions du vendredi ; il prétend que le Parnasse en est sorti, comme de son berceau[34]. Cela tient simplement à ce qu’il a fréquenté ce milieu, tandis qu’il n’était pas reçu chez Leconte de Lisle[35]. Il parle souvent de son salon, comme s’il voulait faire croire qu’il était un des habitués, mais il n’a échangé qu’un mot avec le Maître à la première d’Henriette Maréchal, et c’est tout[36]. Il ne connaît même pas très bien le texte des trois Parnasses : il dit de Nina de Callias qu’elle adorait les vers et avait le mérite de n’en pas faire ; or, les vrais parnassiens font des plaisanteries sur les pièces qu’elle publie dans le Parnasse de 1869[37]. Chose plus grave, Lepelletier ne sait pas lire les textes qu’il cite : ainsi Barbey d’Aurevilly, dans Le Nain Jaune, reproche aux parnassiens d’avoir oublié, dans le Parnasse de 1866, Lamartine et quelques autres. Ricard envoie à Barbey une lettre en riposte. Lepelletier rappelle cette histoire : il trouve que ce fut une injustice et une maladresse de n’avoir rien demandé à Lamartine, et constate que « la lettre de Ricard garde sur ce point un silence, peut-être trop prudent ». Il semble oublier qu’à la page précédente il a reproduit la lettre de Ricard, et qu’on y trouve cette déclaration : « Il est vrai que nous n’avons rien demandé à M. de Lamartine qui, selon M. Barbey d’Aurevilly, a le fier honneur de ne plus être populaire parmi nous[38]  ». Il n’y a donc, de la part de Ricard, ni silence, ni prudence, mais dédain. Autre faute de lecture : Verlaine, incarcéré en Belgique, ayant demandé l’appui de Hugo, Lepelletier prétend que « V. Hugo n’agit pas », et, un peu plus loin : « le grand poète intervint, mais sans succès, pour obtenir une remise de peine[39]  ». Même légèreté dans le récit des funérailles de Nina de Callias : Lepelletier raconte que H. de Callias a conduit le deuil de sa femme, rue des Moines, alors qu’elle n’y demeurait plus, jusqu’au cimetière de Bagneux, alors qu’elle n’y a pas été inhumée[40] .

Décidément les poètes ont trop de ciistractions, ou de vanité, pour être des historiens exacts. Emmanuel des Essarts imagine un Parnasse où Leconte de Lisle ne serait qu’une étoile lointaine, ce monde littéraire gravitant autour de Mendès, Ricard, Coppée…, et des Essarts[41]  !

Heureusement nous avons quelques monographies plus précises, notamment pour Leconte de Lisle ; on connaît les nombreuses études signées Jean Dornis, pseudonyme quelque temps mystérieux : « sous le nom de Dornis, disait Banville, se cache une dame dont l’auteur subissait la grande fascination. C’est avec cette délicatesse vraiment féminine qu’elle lui rend en hommages posthumes ce que le poète lui avançait, sa vie durant, en enthousiasme et en adoration[42]  ».

En effet, nous trouvons en tête de son roman publié en 1894, La Voie douloureuse, une préface signée : Leconte de Lisle ; le sévère critique s’épanouit en compliments : « grâce à la constante élévation de votre pensée, vous avez su éviter, madame, avec un rare’ bonheur, les écueils d’une situation romanesque quelque peu dangereuse, non moins que les banalités psychologiques à la mode ; vous vous êtes contentée d’être émue et d’émouvoir[43]  ».

Étant donné cette intimité de leurs âmes, Jean Dornis aurait pu nous donner sur le poète l’étude psychologique la plus profonde. Malheureusement l’auteur de l’Essai, qui a eu à sa disposition les confidences du poète, ses papiers inédits, des notes biographiques autographes, ne s’en est pas servi avec toute la précision désirable : pourquoi nous dire que le jeune étudiant est resté trois ans à Rennes lorsqu’il est prouvé qu’il y resta six ans ; qu’il est reparti pour Bourbon en 1841, quand c’est en 1843[44]  ? Pourquoi surtout nous dire qu’il a évoqué dans Le Soir d’une bataille le souvenir de son neveu Alfred, tué en 1870 à Toul, quand la pièce est de 1860[45]  ? D’autres erreurs sont tendancieuses : au lieu de nous parler uniquement de Leconte de Lisle, Jean Dornis éprouve le besoin d’exposer ses théories personnelles, et de commenter la pensée du poète, qui nous intéresse, avec ses propres idées, qui sont moins intéressantes. Ainsi le discours de l’évêque Cyrille voulant convertir Hypatie, dans les Poèmes antiques, lui semble l’image de l’éloquence religieuse actuelle : « à l’entendre, ne croirait-on pas écouter, à la veille d’une élection générale, quelque prédicateur ecclésiastique moderne, expliquant à ses ouailles que la doctrine chrétienne… est une assurance pour ceux qui possèdent contre les révolutions qui viennent d’en-bas[46] ? » Je ne sais dans quelle église Jean Dornis a entendu semblables propos, mais je sais que la pensée de Leconte de Lisle est faussée ; de son effort vers la poésie historique on veut faire une déclamation primaire. De même l’anticléricalisme de Jean Dornis se réjouit à la pensée de découvrir « un lien occulte entre les préoccupations religieuses du poète et le modernisme[47]  ». Un pareil anachronisme ferait sourire, si l’on ne souffrait pas plutôt de voir ainsi travestir les idées de Leconte de Lisle. Ailleurs enfin, c’est pis : le poète patriote est trahi quand, s’appuyant uniquement sur son pamphlet, l’Histoire Populaire du Christianisme, son commentateur parle de « la certitude où il était que l’esprit de soumission dont la religion catholique fait un devoir à ses fidèles, venait d’être battu, avec les routines de la stratégie française, par l’esprit luthérien du libre examen[48]  ». Ainsi l’Allemand, asservi à tous ses maîtres, esclave de son fanatisme militaire, prenant pour unique vérité le mensonge utile à sa race, arrivant logiquement au culte de la force et au mépris du chiffon de papier, traité ou dépêche, aurait été l’idéal de celui qui a écrit Le Soir d’une bataille ! On dirait que cet Essai a été traduit de l’allemand.

Pouvons-nous accorder une créance plus solide au livre de Fernand Calmettes, Leconte de Lisle et ses amis ? Calmettes est chartiste : il connaît donc les bonnes méthodes[49] . Il connaît aussi le milieu parnassien ; c’est un ami d’A. France, qui lui dédie ses Idylles et Légendes. C’est un habitué des soirées chez Leconte de Lisle. Il ne se contente pas d’y prendre des notes, il y parle, et fort bien, car c’est lui qui apparaît plus d’une fois dans les discussions, désigné par une périphrase modeste : un des assistants, tel autre assistant, etc. Un jour que l’éloquent anonyme a soutenu une thèse sur la vraie poésie, Leconte de Lisle, qui l’approuve, s’approche de lui, et, d’une voix brève : « Pourquoi ne faites-vous pas des vers ? — Et de sa part, reconnaître à l’un de ses intimes la faculté de pouvoir faire des vers, c’était lui décerner un brevet de mentalité très haute[50]  ». Nous voilà discrètement prévenus de la valeur du témoin. Son témoignage est d’autant plus considérable qu’il essaye de n’être pas trop personnel. Calmettes cherche à être l’interprète exact de la pensée collective du groupe parnassien[51] . Il veut résister aux tentations du démon de l’anecdote ; ainsi, racontant une historiette péjorative sur Heredia, Calmettes s’arrête, après le point final, et se critique : « j’avoue que cette anecdote me met en défiance, non pas seulement parce qu’elle est trop belle et pour ainsi dire plus vraie que la vérité, mais avant tout parce que je ne l’ai pas entendue de la bouche de Leconte de Lisle[52]  ». C’est sage ; il eût été plus sage encore de supprimer un cancan suspect et méchant, mais il ne faut pas demander aux gens de lettres, même sortis de l’École des Chartes, un pareil héroïsme, surtout quand il s’agit pour eux de satisfaire leurs rancunes. Il y en a tant, dans ce livre, qu’on serait tenté de trouver son titre incomplet, et de l’allonger ainsi : Leconte de Lisle et ses amis, par un ennemi[53]. Je ne donnerai ici qu’une preuve de l’esprit de dénigrement qui anime Calmettes quand il parle de son héros : il risque ce paradoxe terne, que ce n’est pas Leconte de Lisle qui a fait le Parnasse, mais les Parnassiens qui ont fait de lui un Maître[54]. Calmettes a une intolérance philosophique, une brutalité de pensée qui le font tomber dans l’erreur matérielle : ne s’avise-t-il pas d’affirmer que « Lamartine, le doux chantre d’Elvire, l’auteur de romances pour les anges, n’était dans la pratique de la vie qu’un athée charnel[55] ». Il a d’autres erreurs, plus massives encore ; il a pour les dates une indifférence gênante : il ne les donne presque jamais ; quand par hasard il en fournit une, elle est fausse : il raconte que, vers 1893, à une reprise de Ruy Blas, Leconte de Lisle, passant près du théâtre, est salué par Ernest d’Hervilly, alors au Rappel, et qui vient pour un compte rendu de la représentation : « Ah ! ricane Leconte de Lisle, vous allez voir le domestique ! » d’Hervilly raconte le mot à ses confrères, qui le rapportent à Maurice et à Vacquerie : « par eux, il arriva jusqu’au Maître[56] ». Mystère et occultisme ! Tout le monde, en effet, sauf F. Calmettes, se rappelle que Hugo est mort en 1885. Nous conclurons avec Barrès : « volume très renseigné, mais bien fâcheux par sa complaisance à recueillir des anecdotes salissantes… On fait tout dire à des anecdotes, et vraiment elles ne nous renseignent que sur celui qui les raconte[57] ».

Est-ce le cas de M. J.-J. Brousson ? Son premier volume a été accueilli avec curiosité, et froideur. On trouvait mauvais que le jeune confident fît de son « bon Maître » un affreux bonhomme. Les lecteurs les plus indulgents se rappelaient le vers d’Horace :


Quum flueret lutulentus, erat quod tollere velles.


D’autres pensaient que s’il y avait simplement cinquante pour cent de vérité dans ce livre, Anatole France était odieux, mais que le livre lui-même ne valait pas plus cher, à moins qu’il n’y eut quelques circonstances atténuantes : il y en a[58]. L’itinéraire de Paris à Buenos-Ayres, très supérieur à l’Anatole France en pantoufles, comme valeur littéraire, explique l’attitude de l’indiscret secrétaire : il a rendu coups pour coups ; ses livres ne méritent pas un prix Montyon, mais c’est une très utile contribution à l’histoire d’A. France.

Il faut faire une place à part à quelques témoignages de bon aloi, parce qu’on n’y trouve aucun alliage de vanité froissée. Tel M. Barracand avec ses articles de la Revue de Paris, documentés et bienveillants[59]. Calmettes lui-même fait l’éloge de son cœur resté, dans le bon sens du mot, provincial, ou, comme le lui disait Leconte de Lisle, départemental[60]. Tel M. Maurice Dreyfous, qui a écrit un livre d’une bonne critique, sans bêchage ni fétichisme, notamment les pages consacrées à Victor Hugo et à Théophile Gautier[61]. Telle encore Mme Demont-Breton, au tome II de son ouvrage Les Maisons que j’ai connues. Elle a quinze ans et demi quand, en 1875, son père, Jules Breton, le peintre-poète, la conduit chez Leconte de Lisle. Dans la « mansarde parnassienne », elle voit et entend le Maître, ses principaux disciples ; elle sait voir et écouter, sans méchanceté, mais elle a l’esprit de finesse ; comme elle le dit elle-même, Mlle Breton est à l’âge « où l’on commence à raisonner ses enthousiasmes instinctifs[62] ». Une sagesse plus avertie, et plus amère, se dégage du livre de Jules Huret sur l’évolution littéraire aux environs de 1891. Huret a interrogé les écrivains notoires à cette date, surtout les Parnassiens et les Symbolistes. Ils ont témoigné, pour eux, avec confiance, et, contre leurs rivaux, avec colère. Le combat pour la vie littéraire dégénère en bagarre ; Richepin, qui se refuse à prendre part à cette rixe, trouve la scène écœurante ; elle évoque pour lui « le tableau d’un marécage pestilent, aux eaux de fiel, où se dressent quelques taureaux, et où ruminent quelques bœufs, tandis qu’entre leurs pieds s’enflent des tas de grenouilles coassant à tue-tête : — Moi, moi, moi ! — C’est sans doute divertissant pour la galerie ; mais ce n’est pas gai pour ceux qui aiment les lettres[63] ». Ce n’est pas gai, certainement, mais c’est très instructif, très vrai, puisque pas un des écrivains interrogés n’a protesté contre ses paroles, fidèlement rapportées[64]. Cette collection de confidences passionnées est précieuse pour notre sujet.

Après ces dépositions de témoins ou d’intéressés, il y aurait un grand nombre d’études littéraires à énumérer. On trouvera les plus curieuses indiquées dans la bibliographie ou dans les notes. J’ai tâché d’en extraire le meilleur. Citons à part deux ouvrages intéressants, dûs à des étrangers. M. Fernand Desonay vient de publier, dans la Bibliothèque de l’Université de Louvain, Le Rêve hellénique chez les poètes parnassiens[65]. Ce titre seul indique que l’auteur ne croit pas à la réalité de l’hellénisme du Parnasse. Il admet celui de Louis Ménard, mais il en exagère l’influence sur Leconte de Lisle ; il fait de l’auteur des Poèmes antiques un simple élève du maître en hellénisme, répétant une leçon péniblement apprise, de façon imparfaite, « à la façon d’un perroquet ». M. Desonais s’appesantit, s’acharne sur Leconte de Lisle. Il ne veut voir en lui qu’un créole, incapable de comprendre la lumière grecque autrement que comme un reflet des tropiques. Il le trouve exagéré, emphatique, douceâtre, doucereux, inintelligent ! Le Manchy n’est qu’un « bariolage ». On serait tenté de fermer là le livre, pensant qu’il n’y aurait pas grand profit à continuer. Pourtant il serait dommage d’ignorer ce que M. Desonais pense de J.-M. de Heredia : les Trophées ne sont pour lui « qu’une audacieuse mystification. Comme coloriste, Heredia enlumine des images d’Épinal ! »

M. Desonais réserve toute sa sympathie et son admiration pour A. France. Il l’interprète du reste à sa façon. Pour lui, l’auteur des Noces Corinthiennes a essayé « de comprendre la beauté sévère de la doctrine de la souffrance… À ce titre, il mériterait déjà le respect unanime ». Seulement, pour en arriver à cette conclusion, l’auteur du Rêve hellénique est obligé d’interpréter les textes, de les solliciter même, car il trouve une certaine « mélancolie résignée » dans le vers final des Noces Corinthiennes, au Parnasse de 1876 :


Réjouis-toi, Dieu triste à qui plaît la souffrance.


Il ne faudrait pas en conclure que ce livre est un simple coup de pistolet pour ameuter quelques lecteurs. L’auteur, au contraire,

admire fort la beauté du vers parnassien. Mais son admiration ne vise pas toujours juste. Il partage l’adoration de M. Maurras pour le rythme boiteux que L. de Lisle condamnait sévèrement et justement chez son vieil ami Ménard :


Aujourd’hui j’ai revu cette douce vallée,
Mais je l’aimais mieux dans mon souvenir…


En revanche, après avoir cité des alexandrins de J.-M. de Heredia, comme celui-ci :


Une Ville d’argent qu’ombrage un palmier d’or,


M. Desonais estime que « des vers pareils, chacun saurait en faire ». Il s’empresse d’ajouter : « Qu’on ne crie pas à l’outrecuidance ». Malheureusement le mal est déjà fait… Ce livre, est-il dit dans l’avant-propos, doit faire partie de la Bibliothèque de la Revue de littérature comparée. Il serait bon alors d’augmenter un peu d’Errata à la fin du volume. Page 64, M. Desonais attribue à Jean Aicard une pièce de Théophile Gautier, parue dans le Parnasse de 1869, p. 262 :


J’aimais autrefois la forme païenne…


C’est déjà surprenant ; mais il y a pis : M. Desonais veut décidément enrichir Aicard des dépouilles de Théo ; il attribue à l’auteur de Miette et Nore « la Mnémosyne à son socle accoudée », c’est-à-dire le chef-d’œuvre de Gautier, publié au même Parnasse, p. 261 !

Ce qui ajoute au danger de ce livre, c’est que l’auteur, malgré tout, a du talent. On en pourrait dire autant de La Poétique parnassienne, d’après Théodore de Banville, par M. Rivaroli. Cette thèse présente le défaut de vouloir comprendre la chose la plus difficile à transposer d’un pays à un autre, la poésie. Le vers français est rarement goûté pleinement au dehors. C’est ainsi que M. Rivaroli ne craint pas de corriger un alexandrin de Cyrano : « le vers.de Rostand, <poem style="margin-left:8em; font-size:90%">

Et j’ajoutai : marché, Gascon, fais ce que dois,


est mal fait. Il faudrait : <poem style="margin-left:7em; font-size:90%">

Et j’ajoutai | : Gascon |, mar || che, fais ce que dois,


qui mettrait en relief le mot important : marche[66] ». En lisant cette

correction Rostand aurait eu un sourire crispé. Disons-le en son nom : comme la Mélissinde de La Princesse lointaine, la poésie française pourrait répondre à tout étranger qui la critique :


Nul homme à qui je sois plus illisible au monde…
Eh bien, je trouverai, comme ont fait d’autres dames,
Des plaisirs d’ironie à nos distances d’âmes !


L’ironie malheureusement ne suffit pas à neutraliser l’erreur. M. Rivaroli a cru, et a fait croire, que Leconte de Lisle précédait le Parnasse et n’en faisait pas partie ; que Hugo était presque Parnassien ; que le Parnasse continuait le romantisme et même renchérissait sur son esthétique[67].

II

J’ai montré, dans le dernier chapitre de L’Histoire du Romantisme que le Parnasse avait été une réaction, plutôt violente, contre l’École de 1830 ; que les parnassiens avaient déclaré la guene aux romantiques, vraie guerre civile, et partant guerre cruelle. Je reprends ici la même idée avec de nouveaux textes qui lui donneront, je pense, le caractère de la vérité démontrée. Ils sont du reste, très peu nombreux, ceux qui croient à une entente cordiale entre Parnasse et Romantisme. Regardant les choses d’un peu loin, ce qui n’est pas toujours la meilleure méthode pour bien voir, Needham suppose que Leconte de Lisle, en s’installant dans le fauteuil de Victor Hugo, est devenu du coup partisan de l’art social, et hostile à l’art pour l’art[68]. Dévot à Hugo, et luLcherchant partout des fidèles, Gustave Simon veut nous faire croire que Leconte de Lisle a été un de ses plus ardents « servants » ; il nous cite un poème grandiloquent et faible, dédié à Hugo, mais il ne nous en donne pas la date. C’est certainement une œuvre de jeunesse, qui n’engage pas le poète dans la plénitude de son talent[69]. M. Boschot nous présente l’exilé de Guernesey comme le dieu « lointain, omnipotent, inaccessible », des Parnassiens[70]. M. Canat, tout en constatant que le Parnasse a renié le Romantisme, cherche à les rattacher par un commun sentiment de la solitude[71]. Enfin M. Gregh, dans sa première leçon sur V. Hugo, range l’auteur des Poèmes Barbares dans « la génération de ses disciples, dont chacun voulait l’admirer « comme une brute », la génération de Gautier, de Banville, de Leconte de Lisle[72] ». M. Gregh affirme, mais ne donne pas de preuves.

Pour être complet, ajoutons à la critique littéraire la critique politique. M. Léon Daudet assure, à sa manière ordinaire, que Hugo finit à Leconte de Lisle, et que le flot romantique, « partant de Hugo, vient, par Gautier, Vacquerie et les disciples moindres, mourir à Leconte de Lisle (brr, passez-moi mon paletot !) et au ciseleur de néant, Heredia[73] ».

D’où peuvent provenir de pareilles erreurs ? D’un fait incontestable : il y a eu au Parnasse des partisans de V. Hugo. Sans tenir compte de Théodore de Banville qui, nous le verrons, est peu à peu dépossédé de son influence et supplanté par Leconte de Lisle, il est certain que Mendès, pendant longtemps, est une puissance au Parnasse, et qu’il est hugolâtre. Dans son Rapport de 1902, il vibre d’enthousiasme pour Hugo, et blâme feu Leconte de Lisle de ne pas vibrer à l’unisson. Il reconnaît pourtant que le Parnasse a renié Hugo ; il en rend responsables trois grands renégats qui enveloppèrent leur reniement « des plus parfaites apparences de respect et d’admiration envers l’œuvre et la gloire de V. Hugo[74] ». Il désigne très clairement Leconte de Lisle et Baudelaire ; quant au troisième renégat, Mendès s’enveloppe de brume, tel un dieu antique dans la mêlée : ce ne peut être Théodore de Banville, qui n’a jamais varié dans son hugolâtrie ; il faut donc supposer que, gendre respectueux, Mendès s’en prend sournoisement à son beau-père, « l’irréprochable Théophile Gautier[75] ». L’hypothèse n’a rien d’invraisemblable, car on sait que Théo s’est détaché du romantisme, et à quelle date[76]. Quant à l’hostilité de Leconte de Lisle, pour être diplomatique, elle n’en est pas moins vive, et Mendès a raison de dire, sans trop de mystère : « Ce reniement…, un seul d’entre eux le publia, en termes voilés d’ailleurs, dans une préface qu’il rétracta plus tard en évitant de la rééditer… Mais malgré ce qu’il gardait de religion extérieure, ce reniement n’en existait pas moins, assez féroce[77] ». Puis Mendès s’éloigne de la vérité, et fait de la critique tendancieuse, quand il essaye de montrer le Parnasse refusant de suivre Leconte de Lisle dans son apostasie, et persévérant avec lui, Mendès, dans l’orthodoxie hugolâtre : « ce sera la gloire du Parnasse de s’être toujours tourné vers le Père de toute la poésie moderne qui était là, bien qu’il ne fût point là, et qui reviendrait triomphalement[78] ». Xavier de Ricard rectifie, avec une tranquille fermeté, l’audace de son collaborateur : sans doute il y a au Parnasse des romantiques, ou, comme dit Mendès, des néo-romantiques, mais ils ne sont qu’une minorité, et la majorité est en opposition avec le romantisme[79]. Sur la question Hugo majorité et minorité ne s’entendent qu’une fois, dans un commun mouvement d’opposition politique, quand, à l’Exposition de 1867, l’Empire permet la reprise d’Hernani. Grâce à Vacquerie, tous les habitués du Passage Choiseul sont casés à la troisième galerie, et leur tumulte fait écho aux rafales d’enthousiasme qui montent du parterre ; Mérat, Verlaine, Coppée, Valade, Mendès, Cazalis, Villiers de l’Isle-Adam, se font remarquer par leur délire. Theuriet pour sa part applaudit avec tant de frénésie que pendant trois jours il a mal à la paume des mains. Le lendemain, les Parnassiens se réunissent au café Bobino pour signer une adresse à Hugo : le manifeste exprime à l’Exilé leur joie du triomphe d’Hernani, leurs regrets de son absence, leur admiration sans bornes ; il est signé par Coppée, Dierx, Heredia, Lafenestre, Mérat, Armand Silvestre, Sully-Prudhomme, Theuriet. La plupart des journaux le publient ; La Liberté, après avoir reproduit les noms des signataires, ajoute dédaigneusement :


Si j’en connais pas un, je veux être pendu !


En retour, Hugo remercie, par une lettre collective, ceux qui sont « la couronne d’étoiles de son ciel poétique », et adresse séparément, à chaque signataire, deux pages prises aux Châtiments, signées V. H., où il a souligné de sa main le vers connu :


Et s’il n’en reste qu’un,, je serai celui-là[80].


Leconte de Lisle n’a pas signé. Il est bon diplomate : quand il s’agit de publier le premier volume du Parnasse contemporain, il trouve de bonne guerre d’enrôler deux vieux romantiques ; Stéphane Mallarmé est envoyé à Versailles, au nom du groupe, pour demander aux deux frères Deschamps leur collaboration au Parnasse. Leconte de Lisle, le 29 septembre 1865, remercie lui-même Émile Deschamps de la plus courtoise façon : « Cher Monsieur et cher Maître, Stéphane Mallarmé m’a remis hier l’aimable et charmante lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Je vous remercie bien vivement, et nous vous en remercions tous. Comment aurions-nous pu oublier, sans ingratitude et sans impiété poétiques, que vous nous avez enseigné, un des premiers, les secrets de l’art véritable ? Croyez, cher et excellent Maître, que nous sommes de ceux qui conservent du moins, au milieu de leurs défaillances, le respect et la reconnaissance dûs à leurs anciens, à leurs initiateurs, et à leurs guides[81] ».

Tout cela c’est de la poudre aux yeux des naïfs. Les bons provinciaux, peu au courant, prennent ces éloges protocolaires pour des actes de foi. Un petit parnassien, professeur à Cannes, Bellet, dit à Mme Adam, tout ému : « Ah ! si Victor Hugo était en France, celui dont les Parnassiens disent : « toute poésie vient de lui et retourne à lui », qu’il aurait tôt fait de les mettre en belle lumière !

— Ce jour là, répond Mme Adam très au courant des dessous littéraires, ce jour-là Leconte de Lisle qui n’aime guère V. Hugo, s’écarterait d’eux… Les Parnassiens n’ont besoin aujourd’hui de personne[82] ». L. de Lisle pense, en effet, qu’on n’a plus à ménager les grands romantiques ; il entreprend contre eux, dès 1864, dans Le Nain jaune, une campagne à fond. Le seul qui semble épargné, traité avec quelques égards, c’est Alfred de Vigny, parce qu’il n’a pas été populaire, et qu’il a souffert, comme Leconte de Lisle, de cette indifférence de la foule. Encore Vigny se voit-il durement malmené pour avoir osé intituler une série de quelques pièces Antiquité Homérique : « c’est un pur caprice, sans raison d’être. Alfred de Vigny, semblable en ceci au plus grand nombre des poètescontemporains, n’avait aucun sens intuitif du caractère particulier des diverses antiquités[83] ». Voilà Vigny évincé de la poésie épique, et voici Lamartine excommunié, exécuté : avec des formes polies L. de Lisle lui refuse toute valeur artistique ; l’auteur de Jocelyn a commis un sacrilège envers son génie, et il en a été puni par ses disciples : « M. de Lamartine laissera derrière lui, comme une expiation, cette multitude d’esprits avortés, loquaces et stériles…, pleureurs selon la formule, cervelles liquéfiées et cœurs de pierre, misérable famille d’un père illustre[84] ».

Pour Musset, c’est une autre affaire : le poète des Nuits devient entre les mains de Leconte de Lisle une sorte de pièce anatomique qu’il dissèque devant ses élèves : cela rappelle le chef-d’œuvre de Rembrandt : c’est une nouvelle leçon d’anatomie. Il relève et commente les multiples erreurs du pauvre grand poète. Même le début de Rolla ne trouve pas grâce devant lui :


Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre Marchait et respirait dans un peuple de dieux, Où Vénus Astarté fille de l’onde amère…


Ici, le professeur interrompt sa lecture, et constate que Musset confond Astarté avec la belle Aphrodite Anadyomène, avec Vénus sortie des flots : « Astarté n’a rien à faire avec l’onde amère. Astarté est une divinité phénicienne, une déesse sidérale symbolisant la planète Vénus ; elle est fille du ciel et non de la mer ». Les Nuits elles-mêmes sont savamment coupées en petits morceaux. Dès le début de la Nuit de Mai, au second vers,


La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore…


« Pathos botanique ! » s’écrie le dur maître, qui n’a que trop raison[85]. Les tirades de la Nuit d’Octobre lui semblent bien lyriques, et d’une correction insuffisante :


C’est ta jeunesse et tes charmes
Qui m’ont fait désespérer,
Et si je doute des larmes
C’est que je t’ai vu pleurer.


Cela veut dire, observe avec insistance Leconte de Lisle : je t’ai vue pleurante ; il faut donc : je t’ai vue, et non : je t’ai vu pleurer. — Le grammairien a raison. Mais, attaquer Musset au moment de son occultation, après que sa mort a passé presque inaperçue, c’est de petit exploit. Essayer de détrôner Victor Hugo est plus méritoire, parce que c’est plus dangereux : oubliant que jadis l’auteur des Orientales lui avait révélé, au temps de son enfance, la beauté de son île et la splendeur de la poésie, Leconte de Lisle ouvre une école d’hugophobie[86]. Au lendemain de La Légende des Siècles, il publie dans Le Nain jaune, en 1864, un jugement d’ensemble sur l’œuvre de Hugo ; cette étude comporte quelques compliments de style, mais elle est tout à fait dénuée de tendresse : « Victor Hugo ne sera jamais un poète national… C’est un esprit excessif ; qui le nie ? Il se déclare tel lui-même… Qu’importent les scories qui se mêlent à cette lave ? Elles s’y consument…[87] ». Le tout se termine par une comparaison du génie de Hugo avec les torrents de la montagne à l’île Bourbon, quand « les eaux amoncelées rompent brusquement les parois de leurs réservoirs naturels. Elles s’écroulent par ces déchirures de montagnes qu’on nomme des ravines, escaliers de six à sept lieues, hérissés de végétations sauvages, bouleversés comme une ruine de quelque Babel colossale. Les masses d’écume, de haut en bas, par torrents, par cataractes, avec des rugissements inouïs, se précipitent, plongent, rebondissent et s’engouffrent… Elles vont, elles descendent, plus impétueuses de minute en minute, arrivent à la mer, et font une immense trouée à travers les houles effondrées. Il y a quelque chose de cela dans le génie et dans l’œuvre de Victor Hugo[88] ».

On voit d’ici, si j’ose dire, la tête de Hugo en lisant pareil compliment. Fallait-il commencer le duel de Roland et d’Olivier ? Il songea à Ruy-le-Subtil, et répondit, deux mois après : « Je reçois aujourd’hui seulement la page magnifique écrite par vous sur moi. Je m’incline devant votre appréciation ; j’en discuterais quelques points ; mais vous êtes un maître. Qui est maître est juge… Quand l’âme d’un poète vient à moi, je suis heureux, et quand le poète c’est vous, je suis fier… Vous sentez et vous pensez ; vous avez l’instinct qui vient du cœur, et le souffle qui vient de Dieu… Quelle admirable peinture du débordement des Antilles, à la fois cataracte, avalanche et ouragan !…[89] ».


Fit-il pas mieux que de se plaindre ?


Le pire c’est que L. de Lisle n’est pas adouci par la débonnaireté inattendue de Hugo ; il récidive, gardant son ironique indépendance même dans des conversations philosophiques avec Olympio : « Que dirai-je à Dieu, lui demande un jour Victor Hugo, quand nous nous rencontrerons face à face ? — Eh ! c’est bien simple ! Vous lui direz : — Mon cher confrère[90] ». L’autre, naturellement, n’est pas en reste ; quelque temps après que Leconte de Lisle avait publié sa traduction d’Eschyle, Hugo recevait à sa table quelques parnassiens ; il profite d’un silence pour émettre cette insinuation : « Je consacre toutes mes matinées à revoir les grands poètes grecs. J’ai passé celle d’aujourd’hui dans la lecture d’Eschyle qui n’a jamais été traduit en français ». Puis, il regarde fixement les disciples de Leconte de Lisle, qui se taisent, et qui sont récompensés de leur silence six mois après ; le traducteur d’Eschyle s’étant résigné à faire une visite Avenue d’Eylau, est invité à dîner, avec les mêmes parnassiens, et ils ont la joyeuse surprise d’entendre Hugo revenir sur le même sujet : « Mon cher confrère, je dois vous dire que je passe, tous les jours, une bonne heure de ma matinée dans la compagnie d’Eschyle, dans la vôtre par conséquent[91] ». Officiellement les relations sont affables ; il faut bien faire quelque chose pour la galerie[92]. Mais le cœur n’y est pas. Quand Hugo relit son doux Virgile, il peut y trouver l’histoire de leurs relations :


                             Manet alta mente repostum
Judicium Comitis, spretœque injuria jormœ.
            … Tantæne animis cœlestibus iræ !


Ils se détestent. Hugo ne trouve pas en Leconte de Lisle un thuriféraire : il a donc pour lui les sentiments d’un dieu pour un rebelle. Mais d’où vient l’animosité de L. de Lisle ? Calmettes prétend que c’était jalousie de métier, envie d’inférieur[93]. L’envie est très improbable : Leconte de Lisle s’estimait supérieur à Hugo ; mais un peu de jalousie, c’est possible. Brunetière a vu plus largement et plus juste : il pensait que Leconte de Lisle avait été l’adversaire de Hugo parce que, répugnant à l’étalage du moi, il blâmait l’exaltation outrée, l’hypertrophie de la personnalité chez son rival ; surtout parce qu’il aimait la Grèce, parce qu’il voulait retrouver dans l’hellénisme le sentiment longtemps perdu de la beauté plastique et classique, revenir à Chénier et à Racine[94]. De là sa haine et son mépris ; cela allait si loin, dans l’intimité, que nul auditeur n’a osé répéter ses pires invectives[95]. Celles qu’on nous a transmises suffisent amplement à démontrer ma thèse.

La haine ? Elle apparaît aux funérailles même de Hugo : au sortir du Panthéon, Leconte de Lisle, Alphonse Daudet et Pelletan, qui avaient suivi les obsèques côte à côte, éprouvent le besoin d’aller prendre quelque chose, « exactement comme après les convois populaires, raconte M. Léon Daudet qui avait rejoint le trio. Là conversation tomba sur le Maître qui venait de disparaître… Chacun donna son avis… Puis, le sujet étant épuisé, et comme on allait se séparer, Leconte de Lisle se leva. Avec une expression de haine recuite, il dit ceci : — Il l’a bue et mangée, sa gloire ; eh bien ! maintenant, qu’il la digère ![96] ».

Le mépris ? On sait avec quelle habileté Hugo soignait sa presse, avec quelle rapidité, dit Calmettes, il courait au-devant de l’article louangeur, fût-ce dans la dernière feuille de la dernière ville de province : Leconte de Lisle traitait cette faiblesse de « cynisme détestable[97] ». Faut-il croire que Calmettes exagère ? Prenons un jugement inédit que le chef du Parnasse avait rédigé sur Hugo, pour sa propre satisfaction : « le plus grand poète lyrique connu. Excessif en tout, puéril et sublime, inépuisable en images splendides et incohérentes ; merveilleux rêveur, avec d’extraordinaires lacunes intellectuelles[98] ». Ne dirait-on pas des notes préparées pour un cours ? Nous savons quels étaient ses élèves, et quel effet produisait sur eux le Maître avec ses leçons à l’emporte-pièce ; le mot souvent cité, « Hugo est bête comme l’Himalaya » n’était pas une simple boutade, dit un auditeur, Xavier de Ricard, « et il ne nous scandalisait pas tous[99] ». Autour de Leconte de Lisle, en effet, se groupent les Parnassiens de la stricte observance qui protestent contre les outrances de Hugo, et qui cherchent l’ordre dans la beauté ; l’un d’eux l’a proclamé à l’Académie, quinze ans après la mort du Maître : « l’idéal des poètes du Parnasse, dit Jean Aicard, c’était, au fond, la sobre, rigoureuse et indestructible ordonnance des constructions d’un Leconte de Lisle, opposée à l’œuvre ondoyante, tumultueuse, forêt ou océan, d’un Victor Hugo[100] ». Leur idéal, c’est encore la méthode critique de leur maître : ils essayent de rivaliser avec sa sévérité, qui parfois semble tourner à la férocité ; c’est une meute lancée, et le grand veneur ne la retient pas. Aucune gloire du passé littéraire n’est respectée. Un des plus indulgents, Theuriet, remarque, à la reprise d’Hernani, que le grand Dumas, au milieu du délire de la salle, verse des larmes d’attendrissement ; sans s’attarder à remarquer que cette émotion, chez un rival, est noble, il ricane : « le père Dumas, dans une loge de second rang, pleurait comme un jeune veau[101] ». C’est un vieux, soit. Mais le poète des jeunes, le contemporain de Théophile Gautier et de Leconte de Lisle, Musset, est épluché avec une sorte d’acharnement ; c’est à lui surtout qu’ils en veulent, « à ce Brummel du style, dit encore Jean Aicard, délicieux dandy qui ne comprenait pas que l’élégance vraie pût aller sans quelque dédaigneuse et jolie négligence, et qui avait pris avec la Muse, traitée en grisette, d’impertinentes libertés ». Il faut citer tout au long la page que lui consacre Calmettes, pour voir quel était, au Parnasse, ce travail de dissection dont Leconte de Lisle avait donné le modèle, et que chacun reprenait de son mieux : « Le vers de Musset (combien on pourrait en citer de ce poète !)


Or le lit sur lequel Hassan était couché,


ne vaut pas la peine d’être écrit en vers, puisque sa réduction au moule poétique n’ajoute rien à la pensée, et l’exprime telle que l’exprimerait la simple prose. C’est un membre de phrase qui dénote le laisser-aller d’un négligent auteur, et qui, pour les Parnassiens, a l’allure anti-poétique par excellence, car l’idée qu’il fait naître en nous est essentiellement particulière et se réduit à la vision d’un certain homme étendu sur ce lit, c’est-à-dire à la plus ordinaire et la plus plate vision[102] ». Sans doute le bistouri de Calmettes est lourd, gauche ; ce n’est pas le coup de scalpel magistral de Leconte de Lisle, mais justement cela nous donne la note moyenne de la critique parnassienne. C’est inintelligent même, car on en pourrait dire autant des plus beaux vers classiques :


Et du temple déjà l’aube blanchit le faîte :


Si l’on voulait appliquer à cet alexandrin magnifique le procédé critique du parnassien Calmettes, il faudrait dire : — l’idée que ce vers fait naître en nous se réduit à la vision d’un certain temple et d’une certaine lumière atteignant le faite de ce temple. — N’importe ; Calmettes a raison devant les parnassiens. Musset supprimé, ils s’en prennent à l’auteur de Jocelyn : comme l’avoue un des conjurés, « on ne pardonnait pas à Lamartine, archange en exil, son divin mépris, hautainement avoué, pour l’art terrestre des vers. On rappelait le génie à l’ordre[103] ».

Pour V. Hugo, c’est un peu plus délicat, parce qu’il est l’Exilé. On ne l’aime pas, mais on essaye de dissimuler, en public : c’est Verlaine qui révèle le secret de la corporation[104]. La brouille, du reste, ne pouvait pas être longtemps dissimulée : dans la première édition du Parnasse Contemporain, en 1866, le nom de Hugo n’apparaît pas. Barbey d’Aurevilly s’en étonne ; X. de Ricard essaye de masquer le conflit dans sa déclaration du 30 octobre : « en ce qui concerne Victor Hugo, l’éditeur Lemerre possède une lettre du grand poète où celui-ci lui dit que, par suite d’engagements avec son éditeur, il lui est difficile de publier des vers dans le Parnasse[105] ». Difficile, soit ; impossible, non. Il y a autre chose : Hugo est tenu au courant des sentiments du Parnasse par Mme Drouet, par ses amis, surtout par le plus fidèle, Paul Meurice : Banville et Vacquerie se laissent séduire, et collaborent au Parnasse : « M. Paul Meurice, dit Ricard, fut implacable[106] ». C’est qu’il était au courant des mauvais propos, des plaisanteries méchantes. On se raconte, entre Parnassiens, qu’un jour, à table, V. Hugo a dit à l’un de ses invités : « vous voyez cette cire noire ; depuis la mort de ma mère, mes bouteilles sont ainsi cachetées de deuil ». Les indulgents penseraient que c’est une façon originale de porter le deuil perpétuel ; Calmettes estime que c’est une « lourde niaiserie » ; il préfère le vers connu, qu’il admire :


Je vous baise, ô pieds froids de ma mère endormie,


et, rapprochant le vers de l’anecdote, il conclut, avec une sévérité parnassienne : « toute l’humaine pitié n’est-elle pas contenue dans ce vers si grand, si noble d’élan filial ? Chez V. Hugo tout sortait, l’âme et l’excrément[107] ».

Ils raillent jusqu’aux amabilités du poète, aux lettres de noblesse littéraire qu’il décerne aux plus simples débutants. Même le plus hugolâtre d’entre eux, Coppée, raconte, avec un sourire narquois, qu’il eut lui, aussi « le bonheur de décacheter, avec l’émotion du néophyte, la lettre traditionnelle, alors timbrée de Guernesey, qui lui apportait son baptême poétique[108] ». Ses camarades, moins hugophiles, vont jusqu’au rire amer, à la caricature : ils composent la parodie de ces compliments protocolaires : « Confrère, car vous êtes mon confrère, dans ce mot il y a frère. Mon couchant salue votre aurore. Vous commencez à gravir le Golgotha de l’idée, moi je descends. Je suis votre ascension. Mon déclin sourit à votre montée. Continuez. L’Art est infini. Vous êtes un rayon de ce grand tout obscur. Je serre vos deux mains de poète. Ex imo. V. H.[109] ». La première ligne de cet « à la manière de… » est bien de Hugo. Jean Aicard contait qu’il avait assisté à un banquet présidé par le Maître. À l’heure des toasts, Hugo commença ainsi : « Mes chers confrères, et dans ce mot il y a frères ». Tout le chœur des poètes répondit en sourdine par une plaisanterie rabelaisienne[110].

L’exemple de Leconte de Lisle avait porté ses fruits. Mais il n’était pas seul à attaquer l’école romantique et son chef ; Anatole France le secondait. Il disait une fois, et le propos est garanti : « le romantisme ? C’est la liquéfaction de l’esprit français[111] ». Un jour que J.-M. de Heredia lui demandait de signer un manifeste où Hugo était appelé le plus grand des poètes : — Non, répondit-il, pas le plus grand. Un grand poète, certes, mais pas le plus grand. — Heredia insista, l’autre s’obstina ; on échangea des propos aigres, mais France ne signa pas[112].

Ainsi, il y avait au Parnasse deux camps : les plus nombreux attaquaient les grands romantiques, la minorité essayait de les défendre. Les deux partis se réunissaient pour tomber sur les disciples attardés de l’École de 1830. Ricard, qui écrivait bien mal, mais qui voyait juste, considérait que le Parnasse était « une protestation contre les déclamations à panache et la queue hugotique, … contre la sentimentalité artificielle et niaise de la queue de Lamartine,… ou les impertinences débraillées de celle de Musset[113] ». C’est exactement ce que dit Verlaine, mais en bon français, quand il met la beauté attique de SullyrPrudhomme en contraste avec « l’excessive facilité de jeunes poètes lâchés, lamartiniens sans génie, hugolâtres sans talent, mussettistes qui n’avaient du maître que l’envers de sa paresse divine[114] ». Tous ces défauts, les Parnassiens les condensent dans une formule collective : l’éloquence de 1830 : « ils avaient, dit Jean Aicard, une volonté commune : réagir contre la composition romantique où le désordre et l’abondance étaient… considérés comme le signe du génie. Toutes ces choses furent, par les Parnassiens, condamnées pêle-mêle sous le nom d’éloquence prononcé avec mépris[115] ».

Cette condamnation est ratifiée même par les adversaires du Parnasse, par les Symbolistes : Remy de Gourmont estime que la réaction parnassienne contre l’École de Hugo a été utile ; qu’elle a eu raison de frapper le romantisme sentimental ; qu’elle nous a délivrés « des faux désespérés dans le genre de celui qui exhale dans La Nuit d’Octobre des plaintes si naïves » ; on a bien tort de reprendre encore à la Comédie Française « ce dialogue chimérique où plane l’ombre surannée de George Sand ; c’est une poésie de décadence, et plus, de décrépitude, qu’on ne peut plus entendre sans malaise. Rien n’est plus choquant que ces pleurs et ces confidences publiques. Il faut aller entendre réciter cela pour comprendre la nécessité de la réaction parnassienne ; ce fut un mouvement de pudeur[116] ». Ce sont là propos de luttes littéraires, qui sentent la poudre. La bataille une fois finie, et gagnée par le Parnasse, un Parnassien explique la manœuvre, avec équité : Coppée recevant Heredia à l’Académie, résume les exploits de leurs camarades, et les fautes de leurs ennemis : « Était-il possible à ces ouvriers de la dernière heure d’aller plus loin dans l’idéal que Lamartine, dans l’imagination que V. Hugo, dans la passion qu’Alfred de Musset ? Non, certes. Mais le génie n’a pas toujours le temps ni la patience de concentrer son effort et de le diriger vers la perfection absolue. Et Lamartine est souvent bien vague, Hugo bien obscur, Musset bien négligé. Les poètes des générations suivantes, Gautier, Banville, Baudelaire, Leconte de Lisle, et après eux les Parnassiens, leurs disciples, désespérant d’atteindre jusqu’aux sommets quelquefois voilés de brume, se sont arrêtés à mi-côte, dans une région moins sublime sans doute, mais toujours baignée de clarté[117] ».

III

C’est par trois générations successives que s’accomplit l’ascension parnassienne, si nous mettons à part l’ancêtre de l’École, Théo, qui est de 1811. Dans une période de cinq ans nous voyons monter la première génération, Leconte de Lisle né en 1818, Baudelaire et Louis Bouilhet en 1821, Ménard en 1822, Théodore de Banville en 1823. La seconde génération, la plus nombreuse, nous donne en sept ans une douzaine de poètes : en 1838, Armand Silvestre et Dierx ; en 1839, Sully-Prudhomme et Glatigny ; en 1840, Cazalis ; en 1842-43, la grande promotion, Heredia, Coppée, Mallarmé, Catulle Mendès et Xavier de Ricard ; en 1844, Anatole France et Verlaine. Enfin, apparaissent les épigones, Jean Aicard en 1848, Frédéric Plessis en 1851, Paul Bourget en 1852. Ce sont les plus jeunes de la bande ; le groupe tout entier donne une impression de jeunesse : en 1866, à l’apparition du premier Parnasse Contemporain qui vaut à l’École sa consécration officielle et comme son état civil, à côté du Maître qui a quarante-huit ans, on voit toute une troupe où les plus âgés ont vingt-huit ans ; le plus jeune en a dix-sept : le 25 mars 1865, Heredia raconte à G. Lafenestre ce que font les amis de Leconte de Lisle : « Ah ! j’oubliais un petit Avignonnais, élève de Roumanille ou de Mistral, envoyé par des Essarts, dont on ne sait pas le nom, qui trouve tout très gentil, et l’est lui-même[118] ». On apprend son nom dans les triolets de Gabriel Marc sur l’Entresol du Parnasse :


Jean Aicard, le cadet de la famille[119].


Il y a comme une poussée de jeunes vers la nouvelle école, surtout après la publication de ses recueils, et cet afflux continue à entretenir l’allégresse du groupe. Le 24 mai 1870, à quinze ans et demi, Arthur Rimbaud, collégien à Charleville, écrit à Théodore de Banville qu’il voudrait bien figurer au Parnasse : « voici que je me suis mis à dire mes bonnes croyances, mes espérances… Moi, j’appelle cela du printemps… Que si je vous envoie quelques-uns de ces vers, c’est que j’aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, puisque le poète est un Parnassien[120] ».

Ce sont des jeunes, donc intolérants, hyper-critiques, gais, se plaisantant les uns les autres, aimant les jeux de mots sur les noms propres : remarquant que deux des leurs, Mérat et Valade sont inséparables, on les salue à leur entrée : voilà Verrat et Malade[121] ! Quelquefois ils imaginent des sobriquets assez méchants : la jeunesse est impitoyable. Mais ils ont aussi les qualités de ce précieux défaut : Coppée, arrivé à l’âge mélancolique des souvenirs, aime à se reporter au temps où il était jeune soldat du Parnasse : « ce nom de Parnassien, dit-il, je ne puis l’écrire sans émotion, car il évoque en moi tous les souvenirs de jeunesse ; il me rappelle les premières mains qui me furent fraternellement tendues, les premières voix amies qui me dirent : « Patience et courage » et qui me saluèrent, moi, pauvre et obscur jeune homme qui doutais de ma vocation et de mes facultés, de ce noble titre de poète que je suis si fier et si heureux de porter[122] ».

IV

Chose bizarre, le même Coppée qui est si heureux d’avoir été parnassien, fait partie de ceux qui se demandent si le Parnasse a été vraiment une école. Oubliant ce qu’il a publié sur l’enseignement de son premier maître, Mendès, il déclare, à l’Académie, en recevant Heredia, que le Parnasse n’a pas pu être une véritable école, puisqu’il n’y a pas d’institution où l’on enseigne la poésie, puisque les Parnassiens n’étaient pas des écoliers : « bien qu’appartenant à la même école, ils différaient tellement les uns des autres… Ce mot même d’école, ne vous déplaît-il pas comme à moi, Monsieur ? Il implique l’idée de professeur et d’élèves, et il ne saurait y en avoir dans le seul des arts qui ne s’apprend ni ne s’enseigne[123] ». Pareillement les deux poètes qui se vantent d’avoir fondé le Parnasse, se demandent si c’était bien une école, et répondent non. Mendès l’affirme à ceux qui croient que les Parnassiens avaient voulu créer un Cénacle : grande erreur ! Ils ont été un simple groupe, et rien de plus[124]. Ricard est plus nihiliste encore ; d’après lui le Parnasse n’a été ni une école, ni un cénacle, ni une coterie, ni un groupe ; il n’a eu ni Credo, ni dogme littéraire, ni esthétique officielle ; il n’a été qu’une formule, aussi vague que possible[125]. Ils n’ont pas eu de chef, ajoute Verlaine dans ses Mémoires d’un Veuf ; ils pouvaient admirer les vieux lutteurs, Baudelaire, Leconte de Lisle, Banville, mais ces grands poètes étaient si originaux qu’ils ne pouvaient avoir de disciples[126]. Verlaine doit avoir une idée de derrière la tête qu’il ne veut pas dévoiler, pour avancer un raisonnement aussi piteux que celui-ci : un poète ne peut avoir de disciples que quand il n’est pas original ! C’est pourtant ce que répète Jean Aicard, une quinzaine d’années plus tard, en séance académique : le premier Parnasse Contemporain fût-il « œuvre d’école ? Non. Les poètes du Parnasse, très divers d’âme, de caprice, de fantaisie, n’entendaient pas être une école ; mais, sur quelques points précis, ils avaient, semble-t-il, une volonté commune : réagir contre le vers lâché, contre la prétendue inspiration qui, les yeux au ciel, ne daigne pas contrôler le travail sur le papier ; contre l’estompe qui triche en noyant le dessin ; contre la rime insuffisante[127]  ». Telle est aussi, très nettement, l’opinion du dernier survivant du Parnasse, M. Frédéric Plessis : « Si l’on voit dans le Parnasse une école poétique, on se trompe complètement. En ce sens il n’y a jamais eu de Parnasse[128]  ». Un des rares Parnassiens qui admettent le contraire, prétend, par une contradiction amusante, qu’il n’était pas de cette école ; Theuriet a beau assister aux réunions du passage Choiseul, aux dîners parnassiens, être édité chez Lemerre et figurer dans les deux Parnasses de 1869 et de 1876, il dit gravement, après la publication en 1867 de son premier recueil, Le Chemin des Bois : « les poètes qui fréquentaient passage Choiseul me regardaient maintenant comme un des leurs, bien que je n’appartinsse pas à l’école du Parnasse[129]  ». C’est jouer de malheur ! Il y a là un mystère, mystère d’ailleurs facile à percer.

En effet, Coppée qui, tout à l’heure, protestait avec une nuance d’émotion, laisse entrevoir le pourquoi de sa protestation : l’orgueil littéraire : « Une réunion de poètes n’est pas un orchestre, dit-il à Heredia. Si modeste virtuose qu’il soit, chacun d’eux est trop fier pour se contenter d’une place de chef de pupitre. Le poète est un violon solo, et ne joue que sa propre musique. Il doit chanter seul. C’est dans la paix et dans la solitude de la nuit, quand tous les nids se sont tus, qu’on entend bien le rossignol[130]  ». En public, les Parnassiens nient l’école, et surtout le chef, parce qu’ils ne veulent pas laisser croire au public qu’ils ont été élèves, sous la férule d’un maître. Puis ils sont jeunes, et c’est le propre de la jeunesse de croire qu’elle perdrait son originalité en s’asseyant sur les bancs[131] . Mais chacun d’eux, in petto, est bien obligé de reconnaître ce qu’il doit au milieu et au chef. S’ils ne le faisaient pas, d’autres s’en chargeraient pour eux : dans la préface du Parnasse Breton, en 1889, Tiercelin tient à rendre « un témoignage de respect bien dû au Maître incontesté autour duquel s’est fait le mouvement de rénovation poétique de cette fin de siècle[132]  ».

Tout de même, il eût été dommage que, du Parnasse même, aucune voix autorisée ne se fît entendre très haut, exposant avec franchise la situation vraie, telle que nous l’établirons dans la suite de ce livre ; Sully-Prudhomme, parnassien sans enthousiasme, reconnaît qu’il y eut là une véritable société, mais sans contrat social : « en ce qui me concerne du moins, dit-il, je n’ai pas souvenance qu’il y ait eu entre nous un accord préalable, une sorte de conjuration délibérée pour combattre le vers facile à l’excès… Nous avions tous individuellement le même souci d’une facture soignée, et nous nous sommes rencontrés sans nous chercher[133] ». Mais il collabore aux trois Parnasses Contemporains, ce journal officiel de l’École, et il s’incline devant le Maître : « en somme, nous avions choisi pour modèle, spontanément, la versification de Théophile Gautier et de Leconte de Lisle. Ce dernier fut notre maître avoué ; c’est de lui que nous nous réclamions de préférence[134] ». L’auteur des Poèmes Barbares est donc bien le chef d’orchestre, pour emprunter à Coppée son image : les instruments s’accordent ; Dierx tient le violoncelle ; Heredia est au pupitre du premier violon ; et Catulle Mendès promène doucement son archet sur la viole d’amour ; on voit côte à côte Mérat avec son hautbois, Valade avec sa clarinette ; Sully-Prudhomme frôle les cordes de la harpe. Coppée met une embouchure à son cornet à piston ; Xavier de Ricard est debout près de la grosse caisse, tandis que le provençal Jean Aicard essuie son galoubet et tend la corde du tambourin. Rumeur, mélodies confuses… mais L. de Lisle monte au pupitre et frappe quelques coups secs de son bâton. Moment de silence : les virtuoses ont les yeux fixés sur lui…

V

Le public, lui, croit si bien à une école, et à des disciples, qu’il leur cherche un titre commun : Parnassiens, Impassibles. Comment a-t-on pu appeler ces jeunes et ardents poètes des Impassibles ? D’où peut venir, non pas ce nom, mais ce sobriquet ? Nous avons vu l’effort de Mendès pour attribuer ce mot à Glatigny, et cité l’article où M. Schaffer dément cette erreur. Sa discussion est fort bien menée : Mendès prétendant que cette fâcheuse étiquette vient de la pièce de Glatigny, L’impassible, dédiée à Th. Gautier, M. Schaffer fait remarquer d’abord que ces stances sont dédiées à Baudelaire. Comme le Parnasse de 1869 contient un sonnet de Gautier, intitulé également L’impassible, c’est de là que provient probablement l’erreur de mémoire de Mendès. Mais surtout le poème de Glatigny roule sur un sujet beaucoup trop particulier pour qu’on ait pu en étendre le titre à tout un groupe de poètes. Au contraire, ce titre L’impassible, était, longtemps avant 1866, considéré comme un synonyme pour désigner Leconte de Lisle ; l’épithète a pu être transférée du maître aux élèves[135] .

Ainsi raisonne M. Schaffer. Mais je ne connais pas de texte antérieur à 1866 où Leconte de Lisle soit baptisé l’Impassible. Le plus probable c’est que cette maladresse vient de Xavier de Ricard : Mendès ayant reconnu, d’assez mauvaise grâce, que Ricard fut un des premiers à employer cette épithète dans une lettre « imprimée, dit-il, je ne sais où », Ricard répond que sa lettre a paru dans son journal L’Art ; il voulait simplement indiquer par là « que la passion n’est pas une excuse à faire de mauvais vers. Mince gloire ! » ajoutet-il, très sagement[136] . Très mince, en effet, car c’était simplement fournir aux ennemis du Parnasse le sobriquet qu’ils mirent à la mode. Au nom de ses camarades, Mendès proteste avec une sorte d’indignation contre cette « sérénité figée » dans laquelle on veut les enfermer[137] . Mais n’est-ce pas un peu leur faute ? Verlaine, tout en admirant Barbey d’Aurevilly comme un critique génial, lui reproche de s’être laissé agacer par « l’Im-pas-si-bi-li-té toute théorique des Parnassiens. Il fallait bien, explique-t-il, le mot d’ordre en face du débraillé à combattre ». Verlaine est si content de sa riposte qu’il la lance deux fois[138] . Mais elle ne porte pas à fond : parce qu’il y a eu des poètes débraillés, faut-il qu’il y ait maintenant des poètes boutonnés ?

Les Parnassiens sont jeunes, donc passionnés, mais ils se refusent à mettre leurs propres passions en broches, bagues, et bracelets avec initiales. C’est très bien, à condition de ne pas tomber dans l’excès contraire ; or, se raidissant dans un effort contre nature, ils l’exagèrent, et dépassent le point d’équilibre. Jules Lemaître, qui avait l’art de la nuance, a dit excellemment : « le souci de perfection et le besoin de beauté qui hantaient les Parnassiens, devaient, au moins dans les commencements (car toute école nouvelle est intransigeante) les conduire à préférer la poésie impersonnelle, presque uniquement descriptive et plastique[139] ». Ajoutons ceci : à l’ancien adage, ut pictura poesis, ils en préfèrent un nouveau : ut sculptura poesis. De là à déclarer que l’émotion personnelle ne doit pas être la source de la poésie, il n’y a qu’un pas, et Mme Ackermann fait ce pas ; dans son Journal, à la date du 26 mars 1866, elle se vante de son impersonnalité : « j’ai autant que possible évité de parler de moi dans mes vers. Faire de la poésie subjective est une disposition maladive, un signe d’épuisement prochain. Tout individu sera bientôt à bout de chants et de cris s’il n’exprime que ses propres sensations… C’est au nom de la nature qu’il nous faut élever la voix. Ces sources étemelles d’inspiration sont seules vraiment profondes, intarissables[140] ». Oui, mais certaines de ces sources sont glaciales. Contre la froideur du Parnasse, le breton Joseph Rousse proteste auprès d’un poète sceptique :


En fixant mon regard sur tes vitres glacées
Qu’argentait un rayon, je songeais à tes vers :
Ils sont comme un tissu de brillantes pensées,
Mais j’aurais bien voulu voir le ciel à travers[141].


Les broderies du givre sur les carreaux forment des dentelles merveilleuses, mais on se lasse assez vite à les suivre de l’œil ; on regrette le soleil et la chaleur. Les Parnassiens exagèrent la froideur apparente du Maître.

Leconte de Lisle, pour son propre compte, est agacé de cette étiquette dont on l’affuble, lui et son école. Quand Huret l’interroge sur l’impassibilité, le poète se fâche, et répond brutalement : « En aura-t-on bientôt fini avec cette baliverne ? Poète impassible ! Alors quand on ne raconte pas de quelle manière on boutonne son pantalon, et les péripéties de ses amourettes, on est un poète impassible ? C’est stupide[142] ! » Ses vrais amis pensent de même, et le défendent contre cette calomnie : Sully Prudhomme en est révolté[143]. Ceux qui ont l’esprit de finesse, ou la divination du cœur, ne s’y laissent pas tromper : « Je crois que je l’ai bien connu, dit Mme Alphonse Daudet, car j’ai deviné la sensibilité sous l’ironie voulue… Il aimait donc à cacher les qualités vulgaires, à s’envelopper d’un déguisement, lui qui avait en horreur l’autobiographie littéraire et les confessions d’âmes[144] ». Même note chez Mme Demont-Breton : « il avait en horreur les auteurs qui font de l’art avec leurs douleurs intimes, et poussait cette horreur jusqu’à mettre une véritable pudeur à cacher les siennes… Il se revêtait volontairement d’une impassibilité marmoréenne que l’on prenait pour de la froideur et de la pose. Il était si peu poseur… qu’il nous avoua avec bonhomie qu’il avait peur de l’orage au point d’éprouver une envie folle de se cacher sous son lit quand le tonnerre grondait[145] ». Voilà un Leconte de Lisle en confiance, avec des amis sûrs. Il avoue alors que, loin d’être impassible, il est sensible jusqu’à la nervosité. Il est tendre même, le dur poète, dans l’intimité familiale : de Bordeaux, où il est allé voir sa mère et ses sœurs à leur retour de Bourbon, il écrit à sa femme, restée à Paris : « le moment a été bien cruel à passer. Ma pauvre mère, bien vieillie, bien changée, s’est presque évanouie. Tout le monde pleurait, y compris moi, comme je pleure, c’est-à-dire à étouffer[146] ». Ainsi, un nouveau Sainte-Beuve aurait pu écrire « Les Larmes de Leconte de Lisle » ! Chose plus inattendue encore, il a l’émotion littéraire très vive. Un jour, Jules Breton lui lit son poème de Jeanne, et la douleur d’Angèle à la mort d’Étienne : arrivé à ce vers,


Et la première fleur qu’à deux on respirait,


Breton s’arrête ; il regarde son auditeur, et s’aperçoit qu’il a les yeux pleins de larmes : « oui, vous me faites pleurer, moi l’impassible, dit-on, moi qui adore la tendresse[147] ». Impassible de visage devant les profanes, il n’a pas le cœur sec, et c’est pour cela qu’il est poète. Il ne raconte pas l’histoire de son cœur, mais il a un cœur, et qui bat très fort, très vite : il a une vie passionnelle intense, mais il ne se croit pas obligé de servir à tous ceux qui peuvent y mettre sept francs cinquante des tranches de sa vie. Il est dégoûté par les commérages sur l’existence intime des gens de lettres ; un jour, au Club Théagogique, Tessier du Motet prétend devant lui que George Sand s’est donnée à un de ses amis pour cent sous, et, comme on lui demande s’il a une certitude, Tessier répond avec conviction : J’ai vu la pièce[148] ! En histoire littéraire, combien d’anecdotes égrillardes reposent sur des preuves de cette force. Et combien Leconte de Lisle a raison de ne pas vouloir frapper en médailles des indiscrétions sur les autres ou sur lui-même. De là le sonnet des Montreurs, et son horreur pour la plèbe carnassière : il entend par là, dit Calmettes, non la foule, ni le peuple, mais « le bas public littéraire[149] », qui accorde une grossière célébrité à ceux-là seuls qui exhibent devant lui leurs plaies saignantes ; pour lui, il refuse de leur livrer le secret de ses délices et de ses blessures[150]. Voilà ce qu’on appelle, à faux, son impassibilité. Theuriet, qui n’a pas très bien compris la doctrine de Leconte de Lisle, croit remarquer une contradiction entre ses théories sur l’impassibilité et ses vers tout pleins de passion[151]. Anatole France, qui, lui, a parfaitement compris, feint de ne pas comprendre, et, animé d’une sorte de rage contre son ancien maître, souffle ses rancîmes dans une ample période qui se gonfle peu à peu devant nous, et s’irise du jaune de la rancune, du rouge de la colère : « ce poète impersonnel, qui s’est appliqué avec un héroïque entêtement à rester absent de son œuvre, qui n’a jamais soufflé mot de lui-même et de ce qui l’entoure, qui a voulu taire son âme…, qui montre tour à tour, joyeux et fier de l’étrangeté de leur forme et de leur âme, Bhagavat, Cunaçépa, Neferou-ra, Angantyr…, le condor des Cordillières et le jaguar des Pampas…, et les requins de l’Atlantique, ce poète finalement ne peint que lui, ne montre que sa propre pensée, et, seul présent dans son œuvre, ne révèle sous toutes ces formes qu’une chose : l’âme de Leconte de Lisle[152] ». Ce morceau qui serait brillant s’il était vrai, n’est que divertissant parce qu’il est faux, ou plus exactement c’est de la vérité faussée par la haine. La vérité vraie c’est que Leconte de Lisle accomplit sa création littéraire avec toutes les forces qui le font vivre lui-même[153]. Seulement le difficile est d’expliquer comment il peut transformer sa chair et son sang en une matière artistique qui n’est plus lui, comment se fait un pareil changement de substance ; nul ne l’a compris ni ne l’a expliqué avec autant de profondeur que Brunetière étudiant ce problème : jusqu’à quel point le moi de Leconte de Lisle anime-t-il son lyrisme ? « Ni Le Manchy, ni L’illusion suprême, ni La Fontaine aux Lianes ne sont des poèmes de chair et de sang ; … le souvenir y est épuré par la distance ou par le temps de tout ce qui jadis a pu s’y mêler de physique. On ne sent point là palpiter l’égoïste regret des voluptés perdues. Le charme pénétrant est fait de sa diaphanéité même. C’est de la « sensibilité » ou de la « sensualité » purement intellectuelle[154] ». Si Brunetière a raison, voilà Leconte de Lisle revenu à l’art classique, à la création racinienne ? Or, Brunetière a raison : Leconte de Lisle s’est élevé peu à peu jusqu’à cette perfection de beauté par un effort d’épuration progressive, et voici le fait qui le prouve : à trente-cinq ans, le poète aime une charmeuse, et chante sa passion dans une pièce publiée en 1862, dans les premiers Poèmes Barbares, « Les deux Amours » : les strophes de passion alternent avec les stances de pureté adressées à la vierge idéale ; en 1884, il reprend la pièce qu’il avait rayée des Poèmes Barbares, et la reproduit dans les Poèmes Tragiques sous le titre d’Épiphanie, mais les strophes passionnées ont disparu, laissant fleurir uniquement les stances liliales[155]. Dé la chrysalide rouge se dégage un papillon blanc ; de la passion personnelle de Leconte de Lisle, il ne reste, dans l’œuvre achevée, que ce qui est humain.

Ce n’est donc pas le poète qui est impassible, mais souvent le lecteur reste froid faute de bien connaître les dessous d’un poème. Ainsi Guyau prétend que seuls les érudits sont capables de s’intéresser à une pièce comme Kaïn, qui ne peut exercer aucune influence sur la société[156]. L’auteur du sonnet des Montreurs accepterait ce reproche comme un éloge. Mais Guyau, qui croit les Poèmes postérieurs à la Légende des Siècles, commet une nouvelle erreur quand il critique l’effort du poète pour faire revivre les religions antiques : « à force de panthéisme et d’objectivité, le poète a fini par perdre ce don de l’émotion sympathique qui fait le fond même de la poésie. Dans cette voie on aboutit à la littérature glaciale[157] ». M. Léon Daudet dit la même chose au fond, mais avec sa verve coutumière : il compare ce travail poétique à celui d’un tailleur de marbre, puis il résume ainsi son antipathie : « ses ouvrages me font l’effet d’une grotte de glace où pendent des stalactites… Il a trouvé le moyen, l’éminent frappeur de carafes, de congeler l’Iliade et l’Odyssée », et pourtant « on m’avait appris à le vénérer ! » En effet, c’est bien de la vénération que Mme Alphonse Daudet éprouve pour la pensée de Leçon te de Lisle, et pour son expression pure, hautaine. À ceux qui parlent d’impassibilité, de froideur, elle répond que cet art supérieur se communique, et qu’il émeut. Que d’autres, en lisant Hugo, Musset, Lamartine, sentent leur cœur se gonfler, elle éprouve, elle, autant d’émotion, et davantage, en lisant L. de Lisle[158]. La critique commence à reconnaître que son œuvre peut se suffire à elle-même, vivre de sa vie propre, mais que, pour la bien comprendre, il faut retrouver sous l’impassibilité de l’artiste la sensibilité de l’homme, soùs l’impersonnalité de la forme tout un bouillonnement de passions intellectuelles, ardentes tout de même[159].

Renonçons donc à ce mot mal trouvé par un parnassien de troisième ordre ; les grands parnassiens l’ont laissé tomber, dédaigneusement, et leurs ennemis l’ont ramassé pour le leur lancer à la figure. Le sobriquet a plu aux ignorants ; l’histoire littéraire devrait le rejeter comme une erreur. Le Parnasse n’est pas froid, mais il ne livre son secret qu’aux initiés.

VI

Combien furent-ils, les poètes qui fréquentèrent cette école, et combien méritent de survivre ? Brunetière en compte cent trente-trois : cinquante-six auraient collaboré au Parnasse Contemporain de 1869 et soixante dix-sept autres figureraient dans l’Anthologie des poètes français du xixe siècle, éditée par Lemerre[160]. Ce chiffre est inadmissible : le Parnasse de 1869 n’est que le second en date, et l’Anthologie n’est pas un livre avoué par les Parnassiens. Seuls comptent comme recueils officiels de l’Ecole les trois Parnasses de 1866, de 1869 et de 1876 : ils comprennent en tout quatre-vingt-quinze poètes qui, pour la plupart, n’apparaissent que dans un ou deux de ces recueils ; quatorze seulement figurent dans les trois volumes, et semblent tout d’abord constituer le bataillon sacré : Théodore de Banville, Cazalis, Coppée, Dierx, Emmanuel des Essarts, Heredia, Leconte de Lisle, André Lemoyne, Catulle Mendès, Mérat, Antoine Renaud, Xavier de Ricard, Sully Prudhomme et Valade.

Mais, sur ces quatre-vingt-quinze Parnassiens, combien y avait-il de vrais poètes ? Verlaine, du temps qu’il appartenait à l’École, n’en comptait qu’une dizaine au plus[161]. Jules Lemaître va jusqu’à la douzaine[162]. Il m’a semblé qu’on pouvait faire sortir du rang une quinzaine au moins de ces écrivains. Tous n’ont pas persévéré jusqu’à la fin. Plusieurs ont quitté l’école de L. de Lisle pour suivre leur route à eux. Je ne parlerai que de leur période parnassienne, et tâcherai de proportionner à leur valeur absolue l’étendue des chapitres qui leur sont consacrés. Je dresse au milieu de cette histoire la statué de Leconte de Lisle : les autres ne sont que des figures de bas-relief autour de son monument. Leconte de Lisle, sans le Parnasse, subsisterait tout entier ; sans lui le Parnasse n’eût été qu’une échaufïourée.

En 1884, Brunetière disait qu’on ne pourrait écrire l’histoire de cette École que dans une cinquantaine d’années[163] ; cela fait à peu près notre compte.


  1. Portraits et Souvenirs, p. 399.
  2. La Légende du Parnasse, p. 18.
  3. La Légende, p. 264.
  4. La Légende, p. 264-283.
  5. Légende, p. 24.
  6. Légende, p. 11-13.
  7. Ibid., p. 19.
  8. Légende, p. 19-20.
  9. Légende, p. 57.
  10. Rapport, p. 113.
  11. Dictionnaire, p. 189.
  12. Rapport, p. 114-115.
  13. Rapport, p. 116.
  14. Rapport, p. 104.
  15. Pierre Dufay, Le Mercure de France du Ier juin 1927, p. 324, 328.
  16. Huret, Enquête sur l’évolution, p. 288-289.
  17. Enquête, p. 289.
  18. Raoul Follereau, Revue Normande, janvier 1924, p. 35.
  19. Histoire et Littérature, II, 208, 210.
  20. Henri Listel, Revue, 1925, p. 127 sqq.
  21. Modern Language Notes, 1926, xli, 167-168.
  22. Le Petit Temps, 13 novembre 1898.
  23. Petit Temps du Ier juillet 1899.
  24. Ibid., 9 septembre 1900.
  25. Ibid., 13 novembre 1898.
  26. Le Petit Temps des 13 et 17 novembre 1898.
  27. La Revue (des Revues), Ier février 1902, p. 303.
  28. Le Petit Temps du 13 novembre 1898.
  29. Œuvres complètes, V, 414.
  30. Œuvres, IV, 284.
  31. Œuvres, IV, 285.
  32. Œuvres, V, 293.
  33. Œuvres, III, 159.
  34. Paul Verlaine, p. 133-137.
  35. Calmettes, Leconte de Lisle et ses amis, p. 279.
  36. Paul Verlaine, p. 138.
  37. Ibid., p. 171.
  38. Paul Verlaine, p. 195, 194.
  39. Ibid., p. 353, 365.
  40. Pierre Dufay, Mercure de France du Ier juin 1927, p. 324.
  41. Journal des Débats du Ier septembre 1908.
  42. Revue des Revues, 1895, II, 430 ; cf. Paul Gruyer, Deux bancs de pierre sous la feuillée, dans les Débats du 11 juin 1924.
  43. Le Temps du 21 juillet 1894.
  44. Tiercelin, Bretons de lettres, p. 4-6.
  45. Jean Dornis, Hommes d’action, p. 108 ; G. H. Lestel, Revue, 1925, p. 130.
  46. Essai, p. 211.
  47. Ibid., p. 241 ; cf. p. 237, 244.
  48. Essai, p. 243.
  49. Huard, Bulletin du Bibliophile, 1925, p. 138.
  50. Leconte de Lisle et ses amis, p. 285-286.
  51. Ibid., p. 292.
  52. Ibid., p. 206.
  53. Cf. la dédicace, les pages 62-63, 153-154 et passim.
  54. Ibid., p. 150.
  55. Ibid., p. 282.
  56. Ibid., p. 317-318.
  57. Revue Bleue du 12 juillet 1902, p. 38.
  58. La défense d’A. France a été prise par M. Pierre Calmettes dans Le Mercure de France du Ier mai 1929, p. 550-578 : Anatole France et Le Voyage en Argentine. L’article n’est pas très probant. Cf. N. Ségur, Revue de France, 15 septembre 1929, p. 247.
  59. Mars 1914.
  60. Leconte de Lisle et ses amis, p. 222.
  61. Ce que je tiens à dire, p. 245 sqq., p. 261 sqq. Sur ses rapports avec Théo, cf. de Spoelberch, Histoire des œuvres de Th. Gautier, t. I, p. iv-vii.
  62. Les Maisons que j’ai connues, II, 127.
  63. Huret, Enquête, p. 369.
  64. Seul, je crois, un écrivain, simplement nommé, par Maurice Barrès dans l’Enquête, p. 21, M. André Maurel, émet des doutes sur l’infaillibilité de M. Huret, dans ses Souvenirs d’un écrivain, p. 122.
  65. Louvain. Uystpruyst, 1928.
  66. La poétique parnassienne, p. 114, note.
  67. La poétique parnassienne, p. 114, 143 ; cf. Jacques Madeleine, Revue, 1918, p. 482.
  68. Needham, Le Développement de l’Esthétique sociologique, p. 101.
  69. Revue de France, Ier mars 1925, p. 57.
  70. Chez nos Poètes, p. 75.
  71. Une forme du mal du siècle, p. 304 ; cf. Mme Alphonse Daudet, Journal de famille et de guerre, p. 62-63.
  72. Fondation V. Hugo, Bulletin trimestriel, décembre 1927, I, 60.
  73. Études et milieux littéraires, p. 6 ; cf. Maurras, Barbarie et Poésie, p. 24.
  74. Rapport, p. 89-90.
  75. Rapport, p. 93.
  76. Cf. mon Histoire du Romantisme, II, 254.
  77. Rapport, p. 90.
  78. Rapport, p. 118.
  79. Le Petit Temps du 17 novembre 1898 ; cf. Jean Aicard, Figaro du 26 mars 1887.
  80. Theuriet, Souvenirs, p. 250-252.
  81. H. Girard, Un Bourgeois dilettante, p. 511.
  82. Mes sentiments, p. 105-106.
  83. Derniers poèmes, p. 265.
  84. Derniers poèmes, p. 249-250 ; cf. Calmettes, Leconte de Lisle et ses amis, p. 104 ; Barracand, Revue de Paris, Ier mars 1914.
  85. Calmettes, ibid., p. 104.
  86. Derniers poèmes, p. 285-286.
  87. Derniers poèmes, p. 252-254.
  88. Ibid., p. 256-257.
  89. P. p. Louis Barthou, Revue hebdomadaire, 2 mars 1912, p. 42-43. Antilles dut faire sourire le créole de Bourbon.
  90. Laurent Tailhade, Les Commérages de Tybalt, p. 182.
  91. Calmettes, Leconte de Lisle, pp. 320, 321, 317.
  92. Cf. mon Histoire du Romantisme, II, 291-292.
  93. Leconte de Lisle, p. 106.
  94. Contemporary review, décember 1894, étude en partie reproduite dans Le Temps du 12 décembre 1894.
  95. Schuré, Revue des Revues, Ier mai 1910, p. 28, note.
  96. Études et milieux littéraires, p. 221-222.
  97. Leconte de Lisle et ses amis, p. m.
  98. P. p. Jean Dornis, R. D. D.-M., 15 mai 1895, p. 332, note.
  99. Revue (des Revues), février 1902, p. 305.
  100. Discours de réception à l’Académie, 23 décembre 1909 ; cf. Calmettes, Leconte de Lisle, p. 163.
  101. Souvenirs, p. 251.
  102. Leconte de Lisle, p. 238-239.
  103. Jean Aicard, discours de réception, 23 décembre 1909.
  104. X. de {{sc|Ricard, Revue (des Revues), février 1902, p. 305.
  105. E. Lepelletier, Verlaine, p. 194.
  106. Petit Temps du 6 décembre 1898 ; cf. mon Histoire du Romantisme, II, 294.
  107. Calmettes, Leconte de Lisle, p. 181, 182.
  108. Souvenirs d’un Parisien, p. 149.
  109. Lepelletier, Verlaine, p. 142.
  110. Cf. Bergerat, Souvenirs, II, 238, 239.
  111. Roujon, La vie et les opinions d’A. France, p. 230 ; cf. sa conférence à Sao-Paulo en juillet 1909, Revue de Paris, Ier novembre 1928, p. 9-11.
  112. Id., ibid., p. 230-231.
  113. La Revue, Ier février 1902, p. 304.
  114. Verlaine, Œuvres complètes, V, 334.
  115. Discours de réception, 23 décembre 1909 ; cf. Brunetière, Évolution de la Poésie lyrique, II, 193.
  116. Promenades littéraires, II, 53-54.
  117. Le Temps du 31 mai 1895.
  118. Ibrovac, J.-M. de Heredia, p. 125.
  119. Id., ibid., p. 92-93.
  120. Nouvelles littéraires du 10 octobre 1925.
  121. Ibrovac, p. 93.
  122. Souvenirs d’un Parisien, p. 150.
  123. Le Temps du 31 mai 1895.
  124. La Légende du Parnasse, p. 19.
  125. Le Petit Temps, 9 septembre 1900.
  126. Œuvres, IV, 292.
  127. Discours de réception à l’Académie, 23 décembre 1909.
  128. Toutes les fois que je fais intervenir l’autorité de Frédéric Plessis, j’utilise des informations et des documents inédits.
  129. Souvenirs, p. 248.
  130. Le Temps du 31 mai 1895.
  131. Tharaud, Mes années chez Barrès, p. 103.
  132. Le Parnasse breton contemporain, p. 11.
  133. Préface de l’Anthologie de Walch, tome Ier, p. viii.
  134. Ibid., p. ix.
  135. Modern Language Notes, 1926, XLVI, 167.
  136. Le Petit Temps du 17 novembre 1898.
  137. Huret, Enquête, p. 298-299.
  138. Dans ses Poètes maudits et dans ses Mémoires d’un Veuf, IV, 33 et 288.
  139. Revue Bleue, 19 décembre 1885, p. 788.
  140. Mercure de France, Ier mai 1927, p. 566.
  141. Le Parnasse breton contemporain, p. 262.
  142. Enquête sur l’Évolution, p. 283.
  143. Poinsot, Auprès de Victor Hugo, p. 49.
  144. Mme A. Daudet, Souvenirs, p. 198-199.
  145. Les Maisons que j’ai connues, II, 137.
  146. Jean Dornis, Essai, p. 146.
  147. Jules Breton, Revue Bleue du 5 octobre 1895, p. 425.
  148. Berthelot, Louis Ménard, p. 19.
  149. Cf. mon Histoire du Romantisme, II, 295.
  150. Calmettes, Leconte de Lisle, p. 174.
  151. Souvenirs, p. 246.
  152. La vie littéraire, I, 102-103 ; cf. Mendès, Rapport, p. 99.
  153. Cf. Paul Bourget, Essais de psychologie, II, 81, et Jules Lemaître, Contemporains, II, 7-8.
  154. Évolution de la poésie lyrique, II, 158-159.
  155. Dornis, Essai, p. 177-178.
  156. L’Art au point de vue sociologique, p. 263.
  157. Id., ibid., p. 260.
  158. Souvenirs autour d’un groupe, p. 198.
  159. Jean Ducros, Le Retour de la Poésie française, p. 8.
  160. Évolution de la Poésie lyrique, II, 190 ; cf. Ibrovac, Heredia, p. 505.
  161. Œuvres complètes, V, 407.
  162. Revue Bleue du 22 septembre 1883, p. 353.
  163. Histoire et Littérature, II, 208. — Il me reste à offrir ma gratitude aux érudits qui m’ont aidé dans mes recherches : MM. Gazier, bibliothécaire de l’Université de Besançon ; Labrosse, directeur des bibliothèques de Rouen ; Merle, archiviste colonial, conservateur du Musée Léon Dierx, et Foucque, professeur au Lycée Leconte-de-Lisle, à l’île de la Réunion. Pourrais-je oublier dans mes remerciements M. Frédéric Plessis, à qui je dois tant de renseignements inédits et précieux sur ce monde littéraire dont il est la dernière fierté ?