Histoire du Privilége de Saint Romain/1611 à 1624
Après cela, nous ne trouvons rien de remarquable sur le privilège de saint Romain, jusqu’à l’année 1611, où la fierte fut accordée à Anne De Voré, sieur de Lespicière, qui, plus tard, fut déclaré indigne de cette grâce, et déchu de ses effets. La maison De Voré-Lespicière, dans le diocèse de Chartres, était, depuis un siècle environ, en querelle avec la maison D’Alleray ; en 1610, un procès existant entre le sieur D’Alleray de Vaudoumois et le sieur De Voré-Lespicière, le fils de ce dernier alla trouver le sieur D’Alleray, pour le prier d’accommoder cette affaire ; mais D Alleray, sous prétexte d’un outrage récent, fit désarmer ce jeune homme par ses gens, le saisit au collet, lui tira la barbe, le frappa deux ou trois fois avec une baguette, lui prodigua les injures les plus humiliantes, et ne lui rendit son épée qu’après l’avoir contraint de jurer que jamais il ne s’attaquerait à lui. Cette scène ayant transpiré dans le public, il en rejaillît de l’humiliation sur Anne De Voré-Lespicière, qui put bien concevoir le désir de se venger d’un tel affront. Peu de tems après, ayant entendu dire que l’on pêchait l’étang de Boisviquet, il y alla avec quelques gentilshommes ses familiers, entre autres, avec les sieurs De Nollent de Laschy, ses neveux, et y trouva une réunion nombreuse, dans laquelle était le sieur D’Alleray, accompagné de plusieurs de ses amis. Sous prétexte que ce dernier avait, depuis la scène arrivée entre eux, tenu contre lui les propos les plus injurieux, Anne De Voré lui adressa des reproches qui ressemblaient beaucoup à une provocation. Des deux côtés, on mit l’épée à la main ; on chargea les pistolets ; on se battit ; le sieur D’Alleray fut tué. Poursuivi par la justice, Lespicière s’enfuit et se réfugia à Rouen, où il eut une querelle avec un soldat, et lui donna un soufflet. Ce soldat cria haro contre lui, et le fit arrêter et écrouer à la conciergerie de la cour ecclésiastique. A en croire Lespicière, ce fut seulement dans cette prison qu’il apprit ce que c’était que le privilége de saint Romain, et que l’idée lui vint de l’invoquer pour se soustraire aux conséquences graves que pouvait avoir sa fâcheuse affaire avec D’Alleray. Si cette déclaration était sincère, il faut appliquer ici le proverbe : « A quelque chose malheur est bon » ; car si Lespicière ne se fût pas fait arrêter, peut-être n’aurait-il jamais entendu parler du privilége ; et, alors, comment se soustraire aux poursuites dirigées contre lui ? Les D’Alleray avaient du crédit ; prévoyant que Lespicière pourrait recourir au privilége de la fierte, ils obtinrent de Marie de Médicis une lettre adressée au chapitre de Rouen, pour lui recommander de « n’avoir aucun esgard aux poursuites et sollicitations que pourroient faire Lespicière et les sieurs De Laschy, ses neveux, coupables, disait-elle, de l’assassinat commis en la personne du sieur D’Alleray. Icelluy D’Alleray (disait-elle) estoit ung gentilhomme de mérite, et qui avoit dignement servy le roy. N’aiéz donc aucun esgard aux poursuites et sollicitations qui vous seront faictes par ses assassins, afin que ces derniers soient renvoyés à la justice, pour juger et ordonner de ce crime ainsy par eux exécuté. » La famille D’Alleray avait agi aussi auprès de M. Le Jumel, procureur-général, qui, épousant ses intérêts, entreprit de faire exclure le sieur Lespicière, en vertu de la règle admise précédemment, qui semblait ne permettre d’accorder la fierte qu’aux prisonniers écroués avant l’insinuation du privilège (Lespicière ne l’avait été que depuis). De son chef, M. Le Jumel envoya, deux jours avant l’Ascension, des huissiers dans les diverses prisons de Rouen, demander aux concierges les listes des prisonniers écroués depuis l’insinuation du privilège. Il avait Démêlés, « ce envoyé aussi au Vieux-Palais. M. Du Mesnil Bauquemare, gouverneur de ce château, en porta plainte au premier président ( M. De Faucon, premier du nom), qui, le lendemain, demanda au procureur-général des explications sur ces démarches faites sans que le parlement eut été consulté. Le procureur-général argua de l’arrêt rendu au mois d’avril 1597, qui avait ordonné que les geoliers et concierges seraient tenus de donner la liste des prisonniers détenus lors de l’insinuation du privilège de saint Romain. C’était en vertu de cet arrêt qu’il avait envoyé les huissiers faire commandement aux concierges de donner la liste des prisonniers détenus dans leurs prisons. Il ne devait pas être blâmé, disait-il, d’avoir fait son devoir en exécutant les arrêts de la cour. Le premier président lui représenta qu’il eût mieux fait d’en parler directement à la compagnie. L’exploit destiné au concierge des prisons ecclésiastiques n’avait pas encore été délivré ; le premier président enjoignit aux huissiers de ne délivrer cet exploit ou aucun autre de ce genre, sans un ordre de la cour. Le procureur-général, piqué de cette décision, en demanda acte à la compagnie. Comme le parlement commençait à délibérer sur sa demande, et venait de décider que les conseillers-clercs pourraient opiner, le procureur-général rentra tout-à-coup dans la chambre du conseil. « Ceste affaire, dit-il, touchoit messieurs les chanoines, et, conséquemment, ils ne devoient estre à la délibération, » ; et sur ce que le premier président lui répondit que la cour y avoit jà advisé, le procureur-général, s’oubliant tout-à-fait, dit qu’il demandait acte de ce « qu’en cela le premier président faisoit acte de partye, empeschant l’exécution des arrests de la cour. » — « Vous estes en colère, procureur-général (lui dit M. De Faucon), sortez, la cour en délibérera. » Il fut arrêté que, dans la journée, les huissiers délivreraient, par autorité de la cour, aux concierges et geoliers, les commandemens requis par le procureur-général. Mais ce dernier, se voyant contrarié à la grand’chambre, était allè à la Tournelle. Sur les listes à lui remises, figurait Anne De Voré, sieur de Lespicière. La date de son arrivée dans la prison n’était pas indiquée. Le concierge fut mandé à la Tournelle, et se vit forcé d’avouer que l’arrivée du sieur De Lespicière dans les prisons, était postérieure à l’insinuation du privilège de saint Romain. On pensa, à la Tournelle, que le règlement s’opposait à ce que ce gentilhomme pût prétendre au privilège, ce règlement défendant au chapitre d’élire un prisonnier écroué après l’insinuation. Les parties civiles, les parens de la personne homicidée par le sieur De Lespicière, furent entendus ; ils demandèrent que ce dernier fût déclaré arrêté en vertu des décrets de prise de corps qu’ils avaient contre lui. La Tournelle en référa au parlement, demandant que cette affaire, qui estoit de conséquence, fût décidée par les chambres assemblées, et immédiatement, afin que la cérémonie du lendemain ne fût point troublée par des débats.
L’avocat-général Du Vicquet dit qu’il s’agissait d’un privilége des ecclésiastiques, privilége qui faisoit cesser la Tournelle et toutes procédures contre les prisonniers criminels. Il était étrange que le procureur-général eût fait ces réquisitions sans en avoir conféré avec lui, et fût allé les faire à la Tournelle, lorsqu’il appartenait à la grand’chambre seule de faire les règlemens. Il désavoua ces réquisitions, et demanda qu’elles lui fussent communiquées. Le procureur-général étant entré en ce moment, le premier président et l’avocat-général Du Vicquet lui firent des représentations sur son étrange démarche à la Tournelle. Le procureur-général adressa à ces deux magistrats des paroles inconvenantes, et déclara qu’il se plaindrait du premier président aux chambres assemblées. « Il voyoit, ajouta-t-il, un trouble qui se préparoit pour le jour de l’Ascension ; il lui paraissoit urgent d’y pourvoir. Mais, indignement traité par le premier président, il ne parleroit que devant les chambres assemblées. » Toutefois, il se décida enfin à entrer en explications. Aux termes de l’arrêt du 23 avril 1597, les individus emprisonnés depuis l’insinuation du privilège ne pouvant être élus que pour des crimes commis postérieurement à cette insinuation, et cet arrêt enjoignant aux concierges de donner la liste des prisonniers détenus lors de l’insinuation, déjà le parlement l’avait vu plusieurs fois, le jour de l’Ascension, demander la représentation des registres de geôle, pour voir la date de l’emprisonnement des individus élus par le chapitre, et empêcher qu’il ne fût contrevenu aux réglemens. En cela, le parlement l’avait toujours approuvé jusqu’alors ; et aujourd’hui qu’il agissait de même, on lui en faisait un sujet de blâme. On empêchait les huissiers d’aller, conformément à ses instructions, aux prisons de la cour d’Église. Enfin, le premier président l’avait traité indignement, lui disant : « Sortez, sortez ». Il demandait à se plaindre aux chambres assemblées, des injures et opprobres qu’on lui faisait. S’il était allé à la Tournelle, c’est que c’était là qu’était le registre des réglemens sur le privilége ; au lieu d’avoir voulu exciter une sédition, comme on le lui imputait, il n’avait cherché qu’à assurer l’exécution des arrêts de la cour. Encore aujourd’hui, pour éviter les troubles qui en pouvaient résulter, il demandait que le parlement envoyât un huissier aux dignitaires du chapitre, afin de leur signifier qu’en procédant à l’élection du prisonnier, ils eussent à garder les règlemens. Le premier président prit, à son tour, la parole. Le procureur-général aurait du, dit-il, « reconnoître le lieu où il estoit et se comporter avec plus de respect et de modestie qu’il ne fait. » Il expliqua ses expressions qui avaient blessé le procureur-général, et montra que ce magistrat s’en était formalisé à tort. M. Du Vicquet, avocat-général, demanda que le procureur-général eût à déclarer pour qui il le prenait, s’il le regardoit comme un homme qui n’entendoit point sa charge, et pourquoi, contre les réglemens de la cour, il voulait tout faire, sans en conférer avec lui ? Il devait se souvenir que, dès le jour de l’insinuation, lui, premier avocat-général, avait averti les chanoines de garder les réglemens de la cour. Ce que M. Le Jumel avait fait de plus estoit à l’appétit de quelques particuliers, et contre le service du roy ; il troublait ainsi la compagnie, et montrait sa préoccupation, en faisant emprisonner un gentilhomme par des huissiers de la cour, en vertu de décrets de prise de corps donnés hors de la province, et dépourvus de pareatis.
Le parlement arrêta que, le lendemain, jour de l’Ascension, les chambres assemblées pour la solennité du privilège délibéreraient sur le tout selon les occurrences. Le jour de l’Ascension, le chapitre de Rouen, malgré la lettre de la reine régente, élut Anne De Voré, sieur de Lespicière, pour lever la fierte. Le parlement fit venir ce gentilhomme et l’interrogea sur la sellette. Anne De Voré, en se retirant pour laisser la cour délibérer, déposa sur le bureau une récusation contre M. Le Jumel, procureur-général. Ce dernier, après en avoir entendu la lecture, dit qu’il y répondrait par écrit. Et sur ce que le premier président lui représenta que la forme était de répondre verbalement, en pareil cas, le procureur-général lui dit : « Vous ne trouveriez peut-estre pas bon ce que je dirois ; je respondray par escrit, afin que l’on ne change rien », et il se retira. Le parlement décida que le procureur-général répondrait verbalement ; qu’en cas de refus de le faire, il demeurerait récusé, et que le premier avocat-général porterait la parole dans la délibération sur le cartel. Le procureur-général, après avoir long-tems divagué et répété ce qu’il avait déjà dit la veille, consentit que M. Du Vicquet, premier avocat-général, portât la parole. Ce dernier parla alors sur l’élection, faite par le chapitre, du sieur De Lespicière pour lever la fierte. Le privilège était, dit-il, un acte de religion ; il n’en fallait pas faire un acte de division. Le parlement et le chapitre devaient toujours agir de concert, et obéir l’un et l’autre aux déclarations et réglemens, sans jamais s’en départir. Anne De Voré, — élu par le chapitre, n’avait été écroué que depuis l’insinuation. Le réglement de 1597 portait, à la vérité, que les prisonniers seraient aux prisons avant l’insinuation, mais il n’y avait point de nullité prononcée pour le cas où ils n’y seraient arrivés après. La date de l’emprisonnement du sieur De Voré suffisait-elle pour le rendre indigne du privilège de la fierte ? Pour en venir à l’homicide commis par ce prisonnier, rien ne prouvait qu’il y eût eu guet-à-pens et préméditation. Ce crime paraissait avoir été commis par rencontre. On avait attaqué le sieur De Voré ; on lui avait plumé la barbe, on lui avait donné des coups de bâton… C’estoit une grande offense de frapper ung gentilhomme à coups de baston… Pour lui il consentait que le prisonnier fût délivré au chapitre pour jouir du privilège, à raison des cas confessés par lui, et ainsi qu’il les avait confessés.
Quant aux complices dont le chapitre faisait mention dans son cartel, le règlement voulait qu’ils ne fussent délivrés qu’autant qu’ils seraient présens ; et ils ne l’étaient pas. Ce privilége était en la puissance du roi ; les chanoines n’avaient aucune qualité pour l’étendre ; ils ne pouvaient s’attribuer une autorité plus grande… Il devait leur être défendu, par arrêt, d’entreprendre aucune chose au préjudice de la déclaration du roi.
Enfin, il termina, en requérant qu’avant de passer à aucune délibération sur le cartel, tant pour ce jour que pour l’avenir, « tous les membres du parlement jurassent qu’ils n’avoient poursuivi ou sollicité le privilège pour leurs parents et amys. » Ce dernier article de ses conclusions ayant été mis en délibération, le parlement décida que « le cas s’offrant il y seroit pourvu. » Mais il fut arrêté que, conformément à ce qui avait été réglè en 1597, les prisonniers écroués après l’insinuation du privilège, ne pourraient désormais être admis à lever la fierte que pour les actes commis depuis l’insinuation. Le même arrêt enjoignit aux concierges de donner, tous les ans, le jour de l’insinuation, la liste des prisonniers écroués avant ledit jour. Enfin, après avoir délibéré sur le cartel, le parlement ordonna que Anne De Voré, sieur de Lespicière, qui avait été élu, serait seul délivré. Mais, chose étrange ! cet arrêt mécontenta, à la fois, et la dame D’Alleray, parce qu’il ordonnait la délivrance du meurtrier de son époux, et les chanoines de Rouen, parce qu’avec le sieur De Lespicière, on ne leur avait pas délivré ses complices. L’arrêt fut dénoncé au conseil par la veuve D’Alleray, et argué de nullité : d’abord dans la forme, comme rendu par des juges incompétens, les magistrats de Châteaudun, en première instance, et le parlement de Paris, en second ressort, pouvant seuls connaître d’un crime commis dans le district de Châteaudun par des justiciables de Châteaudun ; puis, au fond, comme contraire à l’édit de Henri IV (1597), qui déclarait indignes de la fierte les individus coupables d’assassinat prémédité. Forte de la clause de l’arrêt qui délivrait le sieur De Lespicière seul, la dame D’Alleray parvint à faire arrêter plusieurs complices de ce gentilhomme, et entre autres sa mère. Dans l’instance au conseil, les chanoines intervinrent et firent grand bruit, demandant aussi la cassation de l’arrêt du parlement de Rouen, par la raison qu’on n’y avait pas compris tous les complices du délit, selon leur ancien privilége. Mais, pour avoir voulu trop obtenir, le chapitre perdit tout. Par arrêt contradictoire du 24 février 1612, le conseil, sans avoir égard à l’arrêt du parlement de Rouen, qui fut déclaré cassé, renvoya le sieur De Lespicière au siége de Châteaudun, pour y être jugé en première instance, sauf l’appel au parlement de Paris. Le motif de cette décision fut que le meurtre avait été commis de guet-à-pens, et que conséquemment, ni le meurtrier, ni ceux qui l’avaient assisté, ne pouvaient être affranchis de ce crime par le privilége de la fierte. Le chapitre fut débouté de sa demande, par la raison que les complices ne pouvaient être absous, sinon en se rendant prisonniers ; et puis le moyen de délivrer les complices, lorsqu’on renvoyait le principal coupable devant ses juges !
En 1612, la fierte fut levée par Jean De la Metz, chevalier, sieur de Bournonville, et par Antoine De la Metz, sieur de la Perne, son frère. Jean De la Metz, jaloux de Jean-François De Hallencourt, sieur de Dromesnil, son beau-frère, qui s’était fait assurer, lors de son mariage, de plus grands avantages que lui, résolut de l’enlever pour lui faire signer (dit-il depuis) quelque reconnaissance de cette inégalité. Pour cela, il avait fait faire ung masque de toile grise, qui n’avoit d’ouverture que par la bouche et par le nez, et estoit sans yeux et sans visière, afin que lorsqu’on se serait saisi du sieur De Dromesnil, ce masque servît à lui couvrir le visage et à l’empêcher de reconnaître le lieu où on le conduirait. Peu de jours après, le sieur De la Metz et son frère, traversant un bois, précédés de leurs gens, ceux-ci aperçurent le sieur De Dromesnil, coururent à toute bride sur lui, et, au lieu de se contenter de l’arrêter, comme on le leur avait ordonné, l’un d’eux lui tira un coup de pistolet qui l’étendit mort. Le sieur Jean De la Metz en fut si indigné qu’il poursuivit son domestique, l’épée à la main. Obligés de fuir après ce meurtre, les deux frères De la Metz errèrent, durant trois ans, « par les pays estrangers, comme Hongrie, Poullongne, Italie, Turquie, Angleterre, Escosse et Malthe, où ils portèrent les armes contre les infidèles, ennemis du nom chrestien. » De retour en France, ils vinrent, en 1612, à Rouen, solliciter la fierte, et l’oblinrent. Mais elle ne leur servit guère. Continuellement tourmentés par la famille du sieur De Dromesnil, en 1616 ils se rendirent prisonniers à Blois, afin de jouir du bénéfice de la joyeuse entrée de la reine. Délivrés une seconde fois, en cette circonstance solennelle, ils n’en furent pas moins poursuivis encore par des adversaires implacables, qui parvinrent même à les faire écrouer au Grand-Châtelet. Mais alors, le duc de Bournonville, leur parent, ambassadeur de l’infante d’Espagne, intercéda pour eux auprès du roi, qui leur accorda des lettres de rémission. En entérinant ces lettres, le parlement de Paris condamna les sieurs De la Metz à vingt mille livres de dommages-intérêts envers les enfans du sieur De Dromesnil, à quatre mille livres envers la veuve, et à d’autres sommes pour les monastères et pour les pauvres.
En 1614, on vit la fierte levée par un jeune homme de seize ans, suivi de son père et de son frère aîné, complices du crime qui l’avait mis dans le cas de recourir au privilége. Au mois de septembre 1613, François et Hector De Nourry, fils du sieur De Bénouville, accompagnés de deux gentilhommes leurs amis, se rendaient de Bénouville-en-Caux, à un village voisin, appelè Bordeaux, « pour tirer et estranger des corneilles qui gastoient le colombier d’une ferme qu’ils avoient dans ce village. » Les sieurs De Trémauville et De Brécy, qui avaient tendu dans la campagne « des chevaux de toile pour tonneler des perdrix », mirent bas ces instrumens de chasse, en voyant venir les sieurs De Nourry, s’avancèrent à leur rencontre, ayant en main, les uns des épées, les autres des arquebuses, et demandèrent aux sieurs De Nourry où ils allaient. « Nous ne vous demandons pas nostre chemin », leur répondirent les sieurs De Nourry ; paroles assez inciviles, il faut en convenir, mais qui s’expliquent par une mésintelligence déclarée entre les sieurs De Nourry et les sieurs De Trémauville et De Brécy. Cette réponse n’était pas de nature à y mettre un terme. Ces gentilshommes échangèrent des injures et des défis. Le jeune Hector De Nourry, voyant François son frère menacé de l’épée nue du sieur De Trémauville, rabattit le coup avec son escopette ; et comme Trémauville s’en prenait à lui-même et voulait le frapper, « il fut contrainct, pour garantir sa vie, de lascher le cliquet de son escopette chargée de menue dragée qu’il déchargea dans le côté gauche de Trémauville » ; ce dernier mourut presque aussi-tôt. Le sieur Nourry de Bénouville, père de ces deux jeunes gens, n’avait pris aucune part apparente au meurtre du sieur De Trémauville ; il n’était arrivé qu’après le combat, et avait adressé de grands reproches à ses fils qui, pour fuir sa colère (dirent-ils depuis), s’étaient absentés du pays. Toutefois, après avoir obtenu, pour lui-même, des lettres de rémission qui, apparemment, n’étaient point encore entérinées, il vint, en 1614, solliciter avec ses fils le privilége de la fierte. Hector De Nourry parut devant le parlement, ayant les fers aux pieds. Le père ne portait point de fers, parce qu’il avait auparavant obtenu pardon pour ce faict, dit le registre du parlement. Enfin, le père et les deux fils parurent ensemble en 1614, à la procession de la fierte.
En 1616, le jour de l’Ascension, pendant que les chanoines délibéraient sur l’élection d’un prisonnier, le peuple s’attroupa dans les rues adjacentes à la cathédrale, et on entendit des murmures et des cris qui firent craindre des scènes fâcheuses. Le parlement fut obligé d’y envoyer la Cinquantaine, et d’inviter le lieutenant-criminel à y mettre ordre. Le peuple était mécontent du chapitre, parce que, à en croire un bruit généralement répandu, il allait préférer à un enfant de la ville un gentilhomme du Poitou, qui avait tué son frère. Ce gentilhomme était Louis Le Petit, écuyer, sieur de la Chausseraie. Son frère aîné, Claude Le Petit, sieur de la Héquinière, lui en voulait beaucoup, parce que leur mère, avant de mourir, lui avait fait une donation qui blessait ses droits d’aîné ; il lui cherchait depuis long-tems dispute, et on l’avait vu, accompagné de domestiques armés comme lui, battre et maltraiter les moissonneurs qui récoltaient pour le sieur De la Chausseraie, et les vignerons qui vendangeaient pour lui dans les terres qui lui avaient été données par leur mère. De ces faits, il était résulté des querelles violentes entre les deux frères, puis des voies de fait, qui finirent par plusieurs « combats avec arquebuses, escopettes et autres armes. » Dans une de ces fatales rencontres, l’agresseur (le sieur De la Héquinière) avait succombé, frappé par son frère. Louis Le Petit, dans sa confession au chapitre, donna, sur l’affaire, des détails très-circonstanciés, qui prouvèrent clairement qu’il avait usé de bons procédés, et que son frère avait eu tous les torts ; Ce dernier l’avait reconnu avant d’expirer. Il avait chargé son confesseur de dire à son frère qu’il lui pardonnait sa mort ; il avait ajouté : « Dieu m’a puny, et ce que je voulois faire à mon frère m’est arrivé. » Le sieur De la Chausseraie, par le récit qu’il fit des violences de son frère aîné, intéressa le chapitre, qui, sollicité d’ailleurs par le maréchal de Souvré, le choisit, cette année, pour lever la fierte. Mais le peuple de Rouen, qui ne pouvait pas connaître les détails du procès, ne voulait voir dans le sieur De la Chausseraie qu’un fratricide, qu’un homme étranger, en tout cas, à la province, et s’indignait qu’on le préférât à un jeune homme de Rouen. Enfant de la ville, coupable, en outre, d’un crime beaucoup moins grave que celui confessé par le gentilhomme poitevin, ce jeune homme n’avait-il pas plus de droits au privilège ? D’ailleurs, la règle voulait qu’on n’admît à lever la fierte que des individus détenus dans les prisons ordinaires de la ville ; et le sieur De la Chausseraie était détenu au Vieux-Palais, où vingt arrêts du parlement avaient défendu au chapitre d’aller chercher ses élus ; encore ne s’y était-il fait écrouer que depuis l’insinuation du privilège, et l’édit de 1597 refusait expressément la fierte aux individus écroués après l’insinuation. Ainsi, aux yeux de cette multitude mécontente, tout était contre le prisonnier, tout accusait d’injustice et de partialité le chapitre, qui le préférait à un enfant de Rouen, à l’élu de la ville. On parvint pourtant à apaiser cette foule émue, dont les murmures avaient inquiété les magistrats ; et ce fut sans doute par condescendance pour l’opinion publique qui s’était si hautement manifestée, que ce jour même, après avoir délivré le sieur De la Chausseraie au chapitre, le parlement défendit expressément de nommer à l’avenir, pour jouir du privilège, aucun prisonnier qui n’aurait pas été écroué aux prisons ordinaires de la ville, avant l’insinuation, et cela sous peine de nullité de l’élection ; ce qui n’empêcha pas, dans la suite, de donner encore la fierte à des prisonniers du Vieux-Palais, et à des prétendans écroués après l’insinuation.
En 1618, le jour de l’Ascension, le parlement dut ressentir quelque embarras, en voyant s’asseoir devant lui, sur la sellette, un conseiller de cour souveraine, élu par le chapitre pour lever la fierte. C’était le sieur De Thirac, jeune conseiller au parlement de Bordeaux, fils d’un président du même parlement. En 1611, et âgé alors seulement de vingt-deux ans, le sieur De Thirac recherchait en mariage damoiselle Ysabeau De Lestonac, jeune personne fort riche et fort jolie, que sa mère voulait marier, malgré toute la famille, à un jeune homme âgé alors de treize ans seulement, fils du sieur De Pontac, trésorier-général de la généralité de Bordeaux. Les parens s’en étaient plaints au parlement de Bordeaux, qui avait défendu à la dame De Lestonac de marier sa fille, jusqu’à ce qu’il en eût été autrement ordonné par la cour. Malgré cet arrêt, des relations étroites avaient continué entre les dames De Lestonac et le trésorier-général de Bordeaux. Tout s’acheminait à un mariage très-prochain, et enfin, un soir, on vint dire au conseiller Thirac que « les dictes damoiselles, mère et fille, soupoient au logis du sieur De Pontac, pour, le lendemain de grand matin, se marier. » Aussi-tôt, accompagné de neuf ou dix de ses amis, armés et déguisés ainsi que lui, le conseiller Thirac se rend à la place de Saint-Remy, où demeurait le sieur De Pontac, dans le dessein, à ce qu’il dit depuis, « de se saisir de la jeune fille, lorsqu’elle sortiroit, pour la représenter en justice, et faire ordonner de son mariage par l’avis des parents. » Cependant, le sieur De Pontac, averti du complot, avait imaginé une ruse pour le déjouer. Il envoya de ce côté « deux certaines filles habillées en damoiselles et voilées d’escharpes », se doutant bien que Thirac et les siens les prendraient pour les dames de Lestonac. C’est ce qui ne manqua pas d’arriver ; au moment où Thirac et ses amis se saisissaient de ces deux femmes pour les enlever, M. De Pontac et ses amis, les uns l’épée à la main, les autres munis d’armes à feu, s’avancèrent pour s’y opposer. Une mêlée eut lieu dans l’obscurité de la nuit ; des coups d’épée et de mousquet furent échangés. Le sieur De Pontac père, atteint d’un coup mortel, expira le jour même ; quelques uns de ses amis furent blessés. Un procès criminel, commencé à Bordeaux, contre le sieur De Thirac et ses complices, fut évoqué au parlement de Paris ; deux des complices furent condamnés à mort et exécutés. Mais Thirac dit à Rouen que « c’estoit pour autre acte, sçavoir est pour s’estre mariez, encores qu’ilz le fussent desjà et que leurs femmes feussent vivantes. » Si ce dernier cas était pendable, il faut avouer que l’équipée de Bordeaux ne l’était guère moins. Pour le sieur De Thirac, il était en fuite, et fut condamné à mort par contumace. Après avoir erré plusieurs années en Flandre et en Espagne, enfin il vint, en 1618, solliciter à Rouen la fierte qu’il obtint. Dans ce laps de tems, la demoiselle De Lestonac, qu’il avait recherchée avec tant d’ardeur, s’était mariée, comme l’avait voulu sa mère, au fils du sieur De Pontac ; et ainsi, trois ou quatre hommes avaient péri, et un magistrat s’était deshonoré inutilement.
L’arrêt du conseil, qui, en 1612, avait débouté le sieur De Lespicière du privilège de la fierte, n’avait pas moins déplu aux magistrats de Rouen qu’au chapitre. Le parlement de Normandie voulait être le seul juge de tous les differends qui pouvaient naître à l’occasion d’un privilége particulier à la province, et voyait avec chagrin ses arrêts cassés par le conseil, toujours prêt à s’arroger une haute compétence sur une matière qui semblait devoir lui être étrangère. Dans l’assemblée des états de Normandie, à la fin de l’année 1618, le parlement et le chapitre, lorsqu’on arrêta les remontrances à adresser au roi Louis XIII, réussirent à y faire insérer une clause relative au privilége de saint Romain. Cet article (le trentième des remontrances) était ainsi conçu : « L’une des plus anciennes remarques qui soit en ceste province, est le miracle que Dieu a faict par l’intercession de saint Romain, archevesque de Rouen, en mémoire du quel vos prédécesseurs ont donné un singulier privilége au chapitre de la dicte église, confirmé par vostre très honoré père Henry-le-Grand, en l’an 1596, et dont le dict chapitre est en bonne et valable possession, de temps excédant la mémoire des vivants. Néanmoins, il se trouve toujours quelques uns qui, opiniastrement, le veulent révocquer en doubte, et, en suscitent plusieurs proceds qu’ils tâchent d’évoquer hors ceste province ; il plaira à Votre Majesté d’ordonner que tous différends meus et à mouvoir contre ceux qui auront joui du dict privilège, se termineront en vostre court de parlement de Rouen, sans pouvoir estre évocquéz ailleurs. »
Le parlement et le chapitre avaient été obligés d’agir de concert pour faire insérer dans le cahier des remontrances cette clause relative au privilège. Mais leur accord n’était qu’apparent, et chacun de ces corps avait sa pensée. Ce que le parlement désirait avant tout, c’était d’être l’unique tribunal où pussent être débattus tous les procès relatifs à la fierte. Le chapitre, au contraire, ne voulait, pour rien au monde, de cette compétence exclusive, qui eût fait du parlement l’arbitre suprême du droit de l’église de Rouen, et eût mis le privilége à sa merci. Souvent des arrêts de cette cour, défavorables au privilége, avaient été déférés au conseil du roi, qui en avait fait justice ; et le chapitre n’avait garde de s’interdire une ressource à laquelle il pourrait, dans la suite, avoir besoin de recourir encore. Mais, d’une autre part, depuis la mort de Henri IV, le privilège n’avait pas encore été reconnu par Louis XIII, son successeur. Il importait au chapitre d’obtenir une confirmation expresse du roi régnant, de l’obtenir à la demande et sous les auspices des états de la province ; et, agissant dans ce but, mais dans ce but seulement, de concert avec le parlement, il espérait bien que la remontrance resterait sans effet en ce qui concernait cette cour, et n’aurait pas d’autre résultat qu’une confirmation nouvelle du privilége de saint Romain. L’événement justifia sa prévision. Les commissaires du roi près les états renvoyèrent bien au roi l’article relatif à la fierte, en déclarant « qu’ilz estoient d’advis que les priviléges accordés au chapitre de Rouen fussent conservez, et les différends, en exécution d’iceulx, traitéz au parlement de Rouen, et non ailleurs. » Mais le roi (sans doute à la grande satisfaction du chapitre) sembla regarder comme simple une proposition évidemment complexe, et répondit en peu de mots : « La volonté du roi est que les privilèges accordés au chapitre de Rouen soient conservéz, à la charge de n’en point abuser » ; et pas un mot sur la compétence. Ainsi il se trouva que le parlement avait servi le chapitre, sans avoir rien obtenu pour lui-même.
En 1619, l’élection du sieur De Sillans, désigné par le chapitre pour lever la fierte, fut l’occasion de scènes fâcheuses qui troublèrent la ville, le jour de l’Ascension. Le sieur De Sillans, gentilhomme du Cotentin, était allé dans l’abbaye de Saint-Etienne de Caen, pour voir dom François De Sillans, son frère, l’un des religieux de cette abbaye. Dans les corridors de la maison, il eut une querelle avec les sieurs De Colombières et De Guerville, qui avaient fait maltraiter par leurs laquais un sieur De Montplaisir, son ami. On mit l’épée à la main, et le sieur De Guerville fut tué dans l’abbaye par un de ceux qui accompagnaient le sieur De Sillans. Cette rencontre avait peut-être été désirée et recherchée par Sillans, qui fut immédiatement poursuivi par la justice ; on procéda activement contre lui. La famille De Guerville eut assez de crédit pour l’empêcher d’obtenir du roi des lettres de grâce. Mais Sillans eut recours au privilège de saint Romain ; et ses démarches auprès du chapitre, secondées par M. De Briroy, évêque de Coutances, dont il avait épousé la nièce, furent appuyées aussi au nom du roi, qu’il était enfin parvenu à intéresser en sa faveur. Le duc de Rohan écrivit aux chanoines de Rouen pour qu’ils donnassent leurs voix à ce gentilhomme. « Encores qu’il se trouve quelque difficulté en son affaire, faites (écrivait ce prince aux chanoines), faites qu’il soit passé outre, attendu que le roy le désire ainsi, Sa Majesté se voulant servir de luy en ces occasions présentes. Je vous asseure, outre, que vous obligerez quantité de braves gentilshommes à qui il appartient. » Ce fut en vertu d’une lettre de cachet du roi, adressée à M. De Bauquemare, gouverneur du Vieux-Palais, que Sillans fut reçu dans les prisons de cette forteresse. Il fut élu par le chapitre pour lever la fierte, avec Quénault dit La Groudière et Sébastien La More, ses complices. Les parens des sieurs De Guerville et De Colombières, avaient intrigué beaucoup auprès du parlement pour empêcher cette compagnie de délivrer Sillans. Le jour de l’Ascension, ils signifièrent des lettres d’évocation auxquelles on n’eut point d’égard. Dans l’interrogatoire que Sillans prêta sur la sellette, on le questionna sur l’assassinat du sieur De Beaurepaire, crime dont ses parties civiles l’avaient accusé pour aggraver sa position. Il repoussa énergiquement cette accusation, qui, en effet, paraissait dénuée de preuves. Mais, soit que le parlement ajoutât peu de foi à ses réponses, soit qu’il y eût, comme l’avouait le duc de Rohan, son protecteur, quelque autre difficulté dans cette affaire, il fut décidé que Sillans et ses deux complices « ne seroient délivréz que pour la solemnité du jour seulement. Toutefois, afin de ne troubler la feste, il fut convenu que les trois prisonniers ne pourroient être arrestés pendant cette journée par les huissiers ni par autres, pour quelque cas que ce fût. » Après avoir prononcé cet arrêt, le premier président fit avertir le maître de la confrérie de Saint-Romain de donner ordre que les prisonniers ne fussent pas arrêtés, afin qu’il ne fût apporté aucun trouble à la cérémonie, « ains de les faire mettre en liberté, après icelle accomplie. » Le premier président étant retourné à son hôtel après la délibération, y vit arriver presque aussi-tôt deux chanoines députés pour lui dire que le chapitre se trouvait arrêté par les réserves de la décision que venait de rendre la cour. Le premier président leur en fit connaître les motifs ; ils parurent satisfaits et se retirèrent. Un parent du maître de la confrérie de Saint-Romain survint presque aussitôt. Le bruit courait, dit-il, que les parties civiles du prisonnier voulaient le faire arrêter ; le maître en charge de la confrérie, craignant du tumulte, suppliait le premier président d’ordonner à la Cinquantaine d’assister le prisonnier jusqu’à sa maison où il devait souper, selon l’usage. Le premier président lui dit qu’aux termes de l’arrêt, le prisonnier ne pouvait être arrêté pendant la journée. Toutefois, pour rassurer la confrérie, il autorisa cet envoyé à dire, en son nom, au capitaine de la Cinquantaine, que si quelques personnes voulaient arrêter le prisonnier par les voies de justice, on fît haro sur elles, et qu’on les lui amenât aussi-tôt. Pendant tous ces pourparlers, M. De Sillans était au haut du perron de la Vieille-Tour, où il attendait la procession qui tardait plus que de coutume, le chapitre n’ayant pas voulu qu’elle partît de Notre-Dame avant d’avoir reçu la réponse du premier président. Sillans vit dans le peuple qui stationnait sur la place une fermentation qui l’inquiéta. C’étaient ses ennemis qui, furieux de ce qu’il avait obtenu la fierte, l’épiaient, résolus à ne le point perdre de vue. Un neveu du maître de la confrérie de Saint-Romain s’étant écrié que si l’on tentait quelque coup de main pour s’emparer du prisonnier, il faudrait mettre balle en bouche, ce mot, qui parvint aux oreilles de Sillans, acheva de l’éclairer sur les dangers ultérieurs qu’il courait. Il se douta que le parlement ne l’avait délivré que pour un jour. Alors sa résolution fut prompte ; apercevant un vide au milieu de cette multitude qui fourmillait dans la place de la Vieille-Tour, tout-à-coup il s’élança du perron, descendit les degrés, rapide comme l’éclair, et disparut, assisté de ses amis, qui, tous l’épée à la main, protégèrent sa retraite, et le reconduisirent au Vieux-Palais où il s’était fait écrouer. Il était près de huit heures du soir ; et, dans ce moment même, la procession de Notre-Dame se mettait en marche. Des officiers de l’église vinrent annoncer au chapitre « qu’il y avoit eu grosse rumeur à la Vieux-Tour, et que le prisonnier s’estoit enfui. Pourquoy, néantmoins, les chanoines ne différèrent le cours de leur procession, ains achevèrent icelle, sans avoir peu, pour l’absence du dict prisonnier esleu, effectuer les cérémonies qui estoient à faire. »
Une information eut lieu contre les auteurs des désordres qui avaient troublè la solennité de l’Ascension, et notamment contre ceux qui avaient dit et fait dire « qu’il falloit mettre balle en bouche », pour empêcher que Sillans ne fût arrêté. J’ignore quel en fut le résultat.
On ne lira peut-être pas sans intérêt le détail des faits qui mirent le sieur De la Bresle, gentilhomme du Bourbonnais, dans la nécessité de recourir, en 1620, au privilège de la fierte. Ce gentilhomme, étant au service du roi, avait conduit une compagnie dans le Piémont, et y avait emmené avec lui un nommé Claude Barbier, qui s’y conduisit bien et montra beaucoup de bravoure. De retour en France avec le sieur De la Bresle, Barbier, ayant changé de dessein et voulu entrer dans l’église, le sieur De la Bresle le fit, par sa protection, « parvenir à l’état de prêtrise » ; bientôt, le bénéfice de Biozat étant venu à vaquer, il détermina la dame De Biozat sa parente à donner cette cure à son protégé. Mais alors Barbier commença « à se déconnoistre et se laisser aller à toutes sortes de dissolutions », ne tenant nul compte des représentations que lui adressait la dame De Biozat, et ne témoignant pour elle que du mépris. Le dimanche 19 juillet 1612, cette dame l’ayant fait prier d’attendre qu’elle fût arrivée, pour commencer la grand’messe, lui, au contraire, commença l’office long-tems avant l’heure ordinaire, les paroissiens n’étant pas encore assemblés ; et lorsque la dame De Biozat arriva, la messe touchait à la fin. « De quoy se faschant incontinent, elle querella le curé, qui luy repartit, en présence de tous les habitans de Biozat, que si elle ne se feust point amusée à paillarder avec son La Bresle, elle se feust levée assez matin pour venir à la messe. C’était une horrible calomnie, une diffamation atroce contre « une dame qui n’avoit jamais vescu qu’avec toute honnesteté, sans donner soupçon à personne. » M. De Biozat étant alors absent pour un procès de famille, la dame De Biozat se plaignit au sieur De la Bresle, son parent, qui était de part avec elle dans le sanglant outrage qu’elle avait reçu, et qui, comme elle, avait comblé Barbier de bienfaits. La Bresle ayant écrit au curé de le venir trouver, cet homme, audacieux autant qu’ingrat, alla au château de Biozat et accabla d’injures sa bienfaitrice. Il lui reprocha d’avoir écrit à son mignon, afin de le faire tuer, et jura qu’il y donnerait bon ordre. Aussi-tôt, il se rend à Riom où était le sieur De Biozat, et parvient à le faire croire à l’existence d’une intrigue criminelle entre sa femme et La Bresle. Ce mari crédule retourne à Biozat, « se saisit de sa femme, l’enferme dans une chambre de son chasteau, et la contraint d’escrire à La Bresle qu’elle le prioit de la venir trouver pour luy conférer de choses qu’elle ne luy pouvoit escrire. » Bien éloigné de soupçonner un piége, La Bresle partit pour Biozat ; mais, à une lieue et demie environ, il trouva en embuscade le sieur De Biozat, le curé Barbier et quatre autres qui le couchèrent en joue, tirèrent sur lui, mais ne purent tuer que son cheval ; pour lui, il parvint à s’enfuir dans le bois où il ne put être poursuivi par ses agresseurs, qui, tous, étaient à cheval. Sur sa plainte, le sieur De Biozat, le curé et leurs complices furent décrétés de prise de corps. Jusqu’alors, la cause de La Bresle était bonne ; et la justice allait le venger ; malheureusement, il voulut aider lui-même à prendre le curé chez une chambrière qu’il avoit au bourg ; et, pour comble d’imprudence, les archers du prévôt se faisant attendre, il s’efforça de se saisir du curé Barbier. Celui-ci résista vigoureusement ; une lutte s’engagea entre eux. La Bresle, craignant que le curé, qui savait fort bien manier les armes, ne vînt à bout de lui, lui tira un coup de pistolet qui le blessa grièvement, mais dont, toutefois, il ne mourut pas. Alors, ce prêtre coupable confessa ses torts et proclama l’innocence de sa vertueuse bienfaitrice qu’il avait indignement calomniée. De son côté le sieur De Biozat reconnut son erreur, et rendit toute son affection à son épouse ; tous les deux se réconcilièrent avec La Bresle. Cependant, le procureur du roi au présidial de Riom, ennemi de La Bresle, et qui avait, en vain, excité Barbier à se porter partie civile, agit d’office contre ce gentilhomme ; il fut jugé par contumace, et condamné à la roue. Un peintre de Riom, qui l’avait peint autrefois, reçut l’ordre de « faire son pourlraict au naturel, qui fut attaché, pendant six mois, en une potence de la haulteur d’un homme, pour le faire remarquer de tout le monde. » Ce fut dans ces circonstances que La Bresle se présenta en 1620 pour solliciter la fierté. D’Ornano, lieutenant-général en Normandie, fit des démarches en sa faveur. De plus, Louis XIII écrivit au chapitre « qu’il auroit bien agréable que ce gentilhomme, qui estoit l’un des gendarmes de sa compagnie, obtînt le privilège[1]. » Ce monarque appuya d’autant plus volontiers les sollicitations de La Bresle, qu’il avait à cœur de faire exclure d’autres prétendans qui remuaient tout pour être admis à lever la fierte cette année ; c’était un nommé Poignant, dit Crèvecœur, qui avait assassiné, de guet-à-pens, le sieur De Bernapré, commandant à Montreuil ; c’étaient aussi les meurtriers du comte de Lévis-Charlus, condamnés à mort par le parlement de Paris. Dès le mois d’avril, le roi avait écrit au parlement de Normandie, que « comme il estoit bien instruit que c’estoit ung assassinat de guet-à-pens (qui est, disait-il, un des cas exceptés du dict privilège), sa volonté estoit qu’ilz ne fussent reçeus à lever la fierte. » Le duc de Longueville, gouverneur de la province, avait, à la sollicitation du grand-prieur de France, recommandé au chapitre et au parlement le sieur De Beauregard, l’un de ces condamnés. Mais aussi-tôt qu’il avait connu les intentions du roi, il s’était désisté. La Bresle fut élu par le chapitre, et délivré par le parlement.
Ces diverses lettres, adressées par le roi au parlement et au chapitre, soit pour détourner ces compagnies d’accorder la fierte à certains postulans, soit pour les prier d’en favoriser d’autres, pouvaient réellement être considérées comme autant de reconnaissances du droit de l’église de Rouen, autant de confirmations, du moins implicites, du privilége. Mais, cette année même, ce privilège fut reconnu et confirmé d’une manière encore plus authentique. Comme par le passé, le parlement désirait toujours être le seul juge des procès que l’on intentait quelquefois à ceux qui avaient levé la fierte. Dans une nouvelle assemblée des états, qui eut lieu à Rouen, en janvier 1620, il fit insérer au cahier des remontrances une clause ainsi conçue : « Il a pleu à vostre majesté confirmer le privilége saint Romain par la responce du cahier de l’assemblée dernière ; mais nous vous supplions très-humblement, comme nous le faisions dès lors, d’ordonner que les différends qui interviendront ensuite du dict privilège contre ceux qui en auront esté déclarés dignes, se jugeront et termineront au parlement de Rouen, sans en pouvoir estre distraictz ny évoqués. « Les commissaires avaient renvoyé cet article au roi, en ajoutant qu’ils estoient d’avis de l’accorder[2]. Mais c’était un parti pris par le roi et par le conseil, d’écarter cette prétention, sans paraître en voir la portée. « Le roy (répondit-on) a, cy-devant, déclaré par plusieurs fois son intention sur ce subject, qui est que les privilèges accordéz au chapitre de Rouen soient conservés, à la charge de n’en abuser. » Ce fut toute la réponse qu’obtint le parlement ; et force lui fut de s’en contenter.
Les meurtriers du comte de Charlus, que Louis XIII avait, en 1620, signalés au parlement, en recommandant si expressément de leur refuser la fierte, furent plus heureux l'année suivante. En 1621, le monarque, non seulement permit, mais demanda que le privilége leur fût accordé. La reine Marie De Médicis envoya à Rouen M. De Lanquetot, son maître d’hôtel, pour solliciter le chapitre en leur faveur. Dans une lettre assez étendue, dont elle l’avait chargé, elle recommandait particulièrement les sieurs De Beauregard. « La qualité de l’acte qu’ils ont commis par un malheur extrême n’ayant permis qu’ils aient esté secourus par les remèdes ordinaires, nous avons sujet d’espérer, (écrivait-elle) que, ayant traisné long-temps misérablement leur vie dans les appréhensions de la mort, leur longue patience et la repentance que nous leur avons veue et que vous reconnoistrez en eux, vous convieront à leur départir ceste grâce. » Enfin, le jour de l’Ascension, avant l’élection, Alexandre De Vendôme, grand prieur de France, fils de Henri IV et de Gabrielle D’Estrées, introduit dans la salle capitulaire, dit au chapitre que « soubz le bon plaisir dû roy, il s’estoit exprèz acheminé en ceste ville, pour se rendre solliciteur envers MM. du chapitre pour les sieurs De Beauregard et Champeroux, afin de leur impétrer le bénéfice de la fierte. Il prioit donc Messieurs du chapitre, de toute son affection, avoir esgart aux mérites de leur famille, et à leurs afflictions que, depuis dix ans, ils avoient souffertes[3]. »
Le fait qui avait mis ces gentilshommes dans le cas de recourir au privilège, mérite d’être rapporté. Depuis plus d’un siècle, une haine héréditaire divisait les maisons de Lévis-Charlus et de Beauregard, familles nobles et puissantes du Bourbonnais. Pourtant, enfin, les maréchaux de France étaient parvenus à accorder leurs différends, et les chefs de ces deux nobles maisons s’estoïent embrasséz. Restait à juger un dernier procès, qui allait être terminé par deux gentilshommes et deux avocats, arbitres acceptés par les parties. Les sieurs De Beauregard partirent de Paris pour le Bourbonnais, afin d’exécuter la sentence des maréchaux de France. Quelques gentilshommes leurs parens ou amis firent route avec eux. Ils se rendaient ainsi, à cheval et en équipage de chasse, d’une petite ville nommée Sancoins, à Champeroux, où était le château de Balthazar De Guadaigne, sieur de Beauregard, l’un d’eux, lorsqu’ayant passé le bourg de Lurcy-le-Sauvage, appartenant au comte de Charlus, ils entendirent du bruit derrière eux. Bientôt, sur le revers d’un coteau voisin du château de Poligny qu’habitait le comte de Charlus, ils aperçurent douze ou quinze cavaliers ; le comte de Charlus, qui était parmi eux, marcha à leur rencontre et les joignit au gué de Mézamblin. Voyant ce seigneur mettre le pistolet à la main, MM. De Beauregard et leur suite en firent autant. Au même instant, deux des sieurs De Beauregard furent attaqués, l’un par le comte de Charlus, l’autre par un gentilhomme de la suite de ce comte. Un combat à coups de pistolet s’engagea. Dans ce combat, le chevalier de Beauregard fut blessé à une main. Le comte de Lévis-Charlus, chevalier de l’ordre, eut le corps traversé d’une balle ; plusieurs furent blessés, de part et d’autre. Quelqu’un de la suite des Beauregard tua un page qui lui avait donné un coup d’épée. Le fils aîné du comte de Charlus, âgé de dix-huit ans, fut tué de la main de Balthazar De Beauregard, qui avait reçu de lui un coup d’épée. Peu de jours après, les Beauregard furent investis dans leur château de Champeroux, par le sénéchal de Bourbonnais accompagné de tous ses archers et de beaucoup de gentilshommes, parens et amis des Lévis. On fit le siége du château, et les Beauregard, ainsi que leurs amis, eurent bien de la peine à s’échapper par une issue secrète. Les prévôts du Berri, du Bourbonnais et du Nivernais firent des procédures contre les fugitifs. Un conseiller du parlement de Paris fut envoyé sur les lieux, avec un lieutenant du grand-prévôt. Il s’ensuivit un arrêt qui condamna les Beauregard (par contumace) à être, les uns roués vifs, les autres pendus. Le château de Champeroux fut rasé, sous couleur que les Beauregard s’étaient rebellés contre la justice. En 1621, après dix ans d’angoisses et de souffrances, les sieurs De Beauregard et leurs consorts furent élus par le chapitre et délivrés par le parlement. Mais l’arrêt de délivrance fut dénoncé au conseil par la comtesse douairière de Charlus, et une procédure assez longue s’engagea sur cette affaire. Enfin, le 15 juillet 1622, un arrêt du conseil décida que, pour certaines considérations, les sieurs De Beauregard jouiraient du privilège de saint-Romain, « pour la seureté de leurs vies et personnes seulement, à la charge qu’ils s’abstiendroient de la cour et du pays de Bourbonnois, et ne se trouveroient jamais en aulcuns lieux et endroictz où seroient la comtesse de Charlus et ses enfants, et s’ils s’y rencontroient fortuitement, qu’ils seroient tenus de s’en retirer aussitost. En cas de contravention, le privilège de la fierte leur deviendroit inutile, et ils ne s’en pourroient plus aider. » Déjà la comtesse douairière de Charlus avait obtenu des dommages-intérêts considérables, et une chapelle expiatoire avait été construite à Poligny, aux frais des sieurs De Beauregard. Par ce nouvel arrêt du conseil, ils furent condamnés à payer encore soixante-douze mille livres de dommages-intérêts[4].
En 1622, la fierte fut donnée à François De Louviers, seigneur de Maurevert, dans la Brie, fils de Louviers De Maurevert, assassin de l’amiral de Coligny. Depuis plus d’un siècle, les sieurs De Maurevert étaient en procès avec les habitans d’Ausouër, relativement à la propriété d’un bois taillis. Le sieur De Maurevert, qui se prétendait en droit d’exploiter ce bois à son profit, en attendant la décision du procès, y envoya quatre bûcherons dans le mois de novembre 1621. Mais les habitans se saisirent de ces quatre ouvriers, et les conduisirent dans les prisons de la haute justice d’Ausouër. Avertis de ce qui se passait, le sieur De Maurevert et le sieur De Vauchamps, son fils, montèrent à cheval et se rendirent à Ausouër. A la porte du manoir seigneurial, qui appartenait aux religieux de Marcoussis, ils trouvèrent le prieur, qu’ils supplièrent de leur rendre leurs bûcherons, sans quoi de tels procédés pourroient estre cause de quelque malheur. N’ayant rien pu obtenir ni du prieur, ni de ses religieux, le sieur De Maurevert, indigné, leur déclara qu’il prendroit plus de leurs habitans prisonniers, qu’ils n’avoient prins des siens ; et, pour commencer, peu d’instans après, il fit arrêter et enfermer dans son château le vacher de la commune. Mais bientôt le tocsin sonna, et on vit tous les habitans d’Ausouër accourir sur la place du village, armes d’épées, de serpes, de haches et de leviers ; une fois réunis, ils allèrent dévaster le bois contentieux et d’autres bois qui appartenaient au sieur De Maurevert. Mais, sur ces entrefaites, ce gentilhomme survint, accompagné de son fils et du sieur De Saint-Remy, et suivi de six domestiques. Tous étaient armés d’arquebuses et de pistolets. Le père et le fils arrêtèrent quatre paysans, en leur disant : « Allons, prisonniers, à Maurevert. » Mais les autres villageois défendirent leurs camarades, et frappèrent le sieur De Maurevert. Celui-ci, outré de colère, cria : Tue, tue ; et, à sa voix, tous ceux de sa suite tirèrent plusieurs coups d’arquebuse et de pistolet sur cette troupe de villageois. Ceux-ci firent une résistance vigoureuse, ils frappèrent à coups de levier sur les sieurs De Maurevert, leurs amis, et leurs domestiques, et en désarmèrent deux ou trois. Un de ces derniers, âgé de soixante-dix ans, se sentant frappé, tua d’un coup d’épée le villageois qui le maltraitait ; un autre paysan tomba mort un instant après. Mais ces tristes succès avaient été chèrement achetés. Les sieurs De Maurevert et ceux de leur suite étaient sanglans et meurtris des coups de levier qui leur avaient été portés. Toutefois, ils se mirent à la poursuite des habitans, en tuèrent encore un, et emmenèrent prisonnier dans leur château, le médecin du village dont, au reste, les secours leur étaient bien nécessaires. Le sieur De Maurevert, son fils et son neveu, condamnés à avoir la tête tranchée, et leurs domestiques, condamnés à être pendus, s’enfuirent et vinrent à Rouen solliciter la fierte qu’ils obtinrent.
L’élection de René Cordier, qui leva la fierte en 1624, est un nouvel exemple de ces combats entre gentilshommes, si fréquens encore à cette époque, malgré la rigueur des édits. Le sieur De Chantemesle, gentilhomme du Perche, suivi d’une douzaine d’hommes armés de carabines et de pistolets, était venu à Bretoncelles, en l’absence de Jean D’Angennes, seigneur de la paroisse, et avait fait, tant dans le château où il s’était introduit par violence, que dans la paroisse où on n’avait pu lui résister, plusieurs prisonniers qu’il avait remis à la garde de quelques sergens qui le suivaient. Peu de jours après, messire Jean D’Angennes, seigneur de Bretoncelles, chevalier de l’ordre du roi, vint, à son tour, accompagné d’une trentaine de gentilshommes armés, au bourg de Voupillon dépendant du sieur De Chantemesle. Une rencontre eut lieu entre eux et ce seigneur, que suivait une compagnie à peu près du même nombre. On en vint aux mains. Des deux côtés, plusieurs gentilshommes perdirent la vie, notamment les sieurs De Piedfontaine, De Mondreville, Brunel, Meaussé, Du Plessis de Saint-Piemy, La Vallée Viardière, Du Busc, De Saint-Martin, Du Saussay, Rémond. Plusieurs furent blessés, et entre autres le sieur De Chantemesle. René Cordier, qui ne s’était trouvé dans cette mêlée que parce que le sieur De Bretoncelles, dont il était le vassal, lui avait ordonné de le suivre, sans lui communiquer son dessein, fut admis à lever la fierte, quoiqu’il eût tué plusieurs personnes en cette rencontre. Le privilège lui fut accordé, pour lui et ses complices, au nombre de vingt. (Registre du chapitre.)
Le sieur De Bonnard de Liniers, qui sollicita la fierte en 1625, était fils d’un père et d’une mère religionnaires ; lui-même faisait profession de calvinisme en l’année 1621, époque où il commit le crime qui le força depuis de recourir au privilège de saint Romain. Mais, peu de mois après, « se trouvant à Béziers où estoit le roy, De Liniers fut converty à la foy catholique par M. De Chaumont, garde de la bibliothèque du roy ; conduit par le dit sieur De Chaumont en l’église des jésuites de Béziers, pour abjurer l’hérésie, il communia le mesme jour, puis fust présenté au roy par le dit sieur De Chaumont, pour luy en rendre tesmoignage. » En 1625, le pieux Louis XIII recommanda au chapitre ce nouveau catholique, dont la conversion s’était faite si à propos, et il obtint la fierté à l’unanimité. Dans la suite, nous verrons deux autres conversions de ce genre (en 1670 et 1683.)
- ↑ Lettre du 20 mai 1620, anciennes archives du chapitre.
- ↑ Articles des remonstrances faictes en la convention des trois estats de Normandie, tenue à Rouen, le 20e. jour de janvier et autres jours ensuyvans mil six cent vingt. Rouen, imprimerie de Le Mesgissier, 1630.
- ↑ Registres du chapitre de Rouen.
- ↑ Manuscrit Colbert, bibliothèque royale, Affaires de France, tome 6e., in-folio.