Histoire du célèbre Pépé/4

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CHAPITRE IV LES BRIGANDS EN PRISON

Arrivé au commissariat de police, on ne trouva pas le commissaire. Il n’y avait chez lui que son secrétaire.

— C’est une affaire qui paraît grave, dit le brigadier. Cet enfant raconte qu’il y a une bande de voleurs dans les ruines de la Cour des Comptes.

— Quelle sottise ! fit le secrétaire. Il y a une grille. Comment feraient-ils pour entrer ?

C’est vrai, s’écria le brigadier en réfléchissant profondé­ment ; au fait, comment pourraient-ils entrer ?

— Ils sautent par-dessus, dit Pépé.

— Voilà, conclut le brigadier, ils sautent par-dessus.

— C’est fort improbable, dit le secrétaire ; car, en sautant par-dessus, ils risqueraient de se faire remarquer et on les arrêterait. Quant à s’installer dans les ruines !… Cet enfant ne sait ce qu’il dit.

— Je sais très bien ce que je dis ! s’écria Pépé.

— Le meilleur, observa le brigadier, c’est d’envoyer chercher le commissaire.

— Je vais vous dire, brigadier, dit le secrétaire : le commissaire est au théâtre ; il s’amuse, et ce n’est pas moi qui le dérangerai. Un homme qui s’amuse n’aime pas qu’on le dérange.

— Je comprends ça, dit le brigadier. Il faut donc l’attendre. Je vais installer l’enfant devant le feu pour qu’il n’ait pas froid, le pauvre !

— C’est un petit vagabond ? dit le secrétaire.

— Non, s’écria Pépé, je ne suis pas un vagabond !

— Où est ton domicile ? demanda le secrétaire.

— Je ne sais pas.

— Et celui de tes parents ?

— Je ne sais pas.

— Hé bien, alors ?… Tu es vagabond. C’est ce que je disais.

— Non, non, cria Pépé qui n’était pas convaincu, ce n’est pas vrai !

— Tiens, tiens… Qu’est-ce que tu as sur la main ? demanda le secrétaire. Qu’est-ce que c’est que ce P-P ?

— J’ai toujours eu cette marque, dit Pépé.

— C’est cela : tu es un enfant perdu, sans parents, sans domicile. Il n’y a qu’aux enfants perdus ou aux mauvais petits vauriens qu’on fait de ces tatouages.

— Je ne suis pas un petit vaurien ! s’écria Pépé, non !

— Tu le diras au commissaire, dit le secrétaire.

Le commissaire rentra vers minuit.

Il écouta très attentivement le récit de Pépé.

— Comment ! mais c’est très grave ! s’écria-t-il. Vous ne m’avez pas envoyé chercher de suite, monsieur le secrétaire ?

— Vous étiez en train de vous amuser, dit le secrétaire.

— Vous êtes un imbécile dit le commissaire. Si ces brigands-là peuvent se douter que cet enfant les dénonce, ils vont déguerpir. Allez chercher une voiture.

Il s’assit à sa table et écrivit un rapport pour informer le Préfet de police.

— Je ne puis guère cette nuit… pensa-t-il ; il est trop tard. Mais peut-être que l’on pourrait surprendre cette bande en plein jour ?…

Il se tourna vers l’enfant.

— Passent-ils quelquefois leur journée dans les caves, ces voleurs ? demanda-t-il.

— Oui, répondit Pépé, et ils s’y grisent.

Le commissaire s’adressa à son secrétaire :

— Vous allez conduire cet enfant au Dépôt, dit-il ; vous aurez soin de dire que c’est un brave enfant et qu’il faut le mettre à l’infirmerie. Recommandez de lui faire donner des vêtements. Demain, on l’ira chercher. Vous passerez ensuite à la Préfecture et vous remettrez ce rapport au chef de la sûreté en lui disant d’envoyer immédiatement des agents. Tenez cet enfant chaudement enveloppé dans la couverture.

Le secrétaire fit monter l’enfant dans un fiacre.

Le pauvre petit Pépé eut le cœur gros quand il vit la voiture passer sous des portes sombres, s’arrêter dans une cour étroite dont toutes les fenêtres étaient solidement grillées et où il y avait des factionnaires. Le secrétaire lui fit franchir des galeries et des corridors où on voyait des gardiens et beaucoup de gros verrous à d’énormes portes percées de judas.

Pépé devina dans quel lieu il se trouvait.

— Est-ce que je suis en prison ? demanda-t-il.

Celui que le commissaire avait lui-même traité d’imbécile justifia une fois de plus ce qualificatif en répondant à Pépé :

— Sans doute, tu es en prison ; le Dépôt, c’est la prison.

Ce mot produisit sur Pépé un effet de terreur plus grand que les coups du méchant Prussien et que le contact des gredins. Il éclata en sanglots.

— Pourquoi est-ce que c’est moi qu’on met en prison, répétait-il, puisque ce n’est pas moi le voleur ?

— Il faut bien te déposer quelque part, dit le secrétaire. Demain, quand on saura au juste qui tu es, on te rendra aux personnes qui peuvent te garder, probablement, et si elles ne le peuvent pas, on te remettra en prison.

— Il n’y a pas de danger, pensait Pépé, que je parle de Mme Giraud, ni des Fougy. Ils n’auraient qu’à savoir qu’on m’a mis en prison ! Ils croiraient peut-être que j’ai mérité d’y être. Non, jamais je ne parlerai d’eux ! jamais !

Et il répétait :

— Je ne suis pas un voleur, moi ! Pourquoi est-ce que c’est moi qu’on met en prison ?

Et il ajoutait :

— Je ne veux pas rester en prison. Je me sauverai encore.

On le fit coucher dans l’infirmerie, mais cette infirmerie était loin d’être meilleure qu’une cellule. C’était une grande chambre basse, garnie de huit lits, éclairée pendant le jour par des manières de soupiraux donnant sur une cour sombre, et éclairée la nuit par une veilleuse qui en rendait l’aspect lugubre.

Pépé ne put souffrir l’idée qu’il était en prison, et, seul, dans cette salle, il eut peur.

— Pourquoi est-ce moi qui suis en prison ? s’écriait-il en pleurant. Ce n’est pas juste ! ce n’est pas juste !

Il se jeta contre la porte et la frappa des pieds et des poings.

— Je veux sortir ! criait-il. Je veux sortir !

— Allons, fit un gardien de l’autre côté de la porte, vas-tu bientôt être sage, petit galopin, ou je te mets au cachot.

Au cachot ! Pépé en trembla de tous ses membres. Il se blottit vite dans son lit, mais il ne s’endormit pas et peupla sa prison d’images terribles de Prussiens, de voleurs, de gendarmes, de commissaires et de gardiens de prison, qui firent pousser plusieurs fois de grands cris d’effroi.

Le matin, on lui donna pour s’habiller des vêtements qui avaient été portés, et, aussitôt qu’il fut prêt, il mangea une soupe et un agent l’emmena au commissariat où il s’était trouvé la veille.

— Je ne veux pas qu’on me remette en prison ! s’écria-t-il dès qu’il aperçut le commissaire.

— En prison ? dit ce dernier, un brave homme aimant les enfants, tu n’y as jamais été,

— Si, cette nuit ! s’écria Pépé.

— Seulement pour que tu fusses à l’abri. Ça ne s’appelle pas être en prison. C’est pour attendre qu’on puisse faire quelque chose de toi.

— Je ne veux pas y retourner, répéta Pépé, moi, en prison.

Le commissaire l’assit sur ses genoux et lui demanda toutes sortes d’indications sur les voleurs des ruines de la Cour des Comptes.

— Nous allons essayer de les pincer à présent, dit-il ; tu vas nous accompagner.

Il était, à quelques minutes près, dix heures du matin, Le commissaire était sur de rafler une partie de la bande, car un agent déguisé, c’est-à-dire habillé comme tout le monde, placé alors qu’il faisait encore nuit en surveillance autour des ruines, avait vu rentrer les deux femmes et plusieurs hommes.

De plus, le concierge des ruines, logé dans une bâtisse en briques bâtie sur la rue de Lille et qui ne s’était jamais aperçu de rien, affirmait avoir perçu des chants venant des sous-sols.

Le commissaire organisa son expédition. C’était comme une manœuvre militaire. Il devait envelopper complètement la Cour des Comptes avec ses agents qui seraient peu éloignés les uns des autres de manière à ne permettre à aucun individu de passer entre les anneaux de leur chaîne.

Les agents filèrent discrètement par la rue de Lille, par la rue de Poitiers, par la rue de Bellechasse et le quai, et, sans éveiller l’attention, ils établirent leur cordon autour du palais en ruine.

En même temps, le commissaire de police, tenant Pépé par la main, pénétrait avec des agents de la sûreté et des gardiens de la paix dans les ruines mêmes.

— Mène-nous à l’escalier des caves, dit le commissaire à Pépé.

Mais Pépé ne reconnut pas le terrain. Ce furent les agents aidés du concierge qui trouvèrent l’escalier.

— Faites attention, dit le commissaire, ces brigands-là pourraient avoir des armes et ils sont capables de s’en servir.

On alluma des falots, on laissa quelques hommes en haut de l’escalier et on descendit avec précaution.

— Sais-tu de quel côté nous devons nous diriger ? demanda le commissaire à l’enfant.

— Non, je ne sais pas, dit Pépé.

Il ne voyait plus son chemin au milieu du dédale des cou­loirs ménagés sous le grand palais.

Ils arrivèrent cependant devant la porte et Pépé la reconnut.

— C’est là qu’ils sont, dit un agent.

— Attention, répéta le commissaire.

Et il cria :

— Ouvrez, au nom de la loi.

Personne ne répondit. Il poussa la porte. À sa grande sur­prise, elle s’ouvrit sans résistance. L’odeur répandue dans la cave lui fit connaître que les lumières venaient d’y être éteintes.

— Ils sont ici, pensa-t-il.

Les agents explorèrent la caverne des bandits. Tous les objets s’y trouvaient tels que Pépé les avait indiqués au commissaire ; les détritus de la cuisine des voleurs, détritus du matin ou de la nuit, ne laissaient aucun doute sur leur présence ; seulement, il n’y avait personne dans leur domicile ordinaire.

— Voyons, pensa le commissaire, ils ne peuvent être sortis des ruines… ces ruines n’ont aucun souterrain communiquant avec l’extérieur… ils sont ici.

Il se tourna vers le concierge :

— Il n’y a de libre que cet escalier par lequel nous sommes descendus ? demanda-t-il. Les autres escaliers ont été murés, vous en êtes sûr ?

— Oui, monsieur le commissaire, répondit le concierge.

— En ce cas, nous les tenons, murmura le commissaire.

Alors commença dans les caves une véritable battue. De nouveaux agents rejoignirent les premiers et de tous côtés on explora les dessous du palais.

— En voilà une ! crièrent les agents en amenant une femme qui se débattait.

— Tiens, c’est Doxie ! s’écria Pépé.

— Petit gredin, fit Doxie, si jamais je t’attrape !…

En ce moment, deux hommes foncèrent tête baissée sur les agents, en jetèrent par terre, bousculèrent les autres, et passèrent comme une trombe devant le commissaire et Pépé.

— Ils s’échappent ! s’écria Pépé.

Le commissaire sourit. Il savait qu’ils n’iraient pas loin. Deux coups de revolver qu’il entendit l’inquiétèrent, mais il continua son exploration aussitôt ses agents relevés et remis de la charge à fond de train des deux bandits.

On trouva peu à peu la bande entière, l’un dans un coin, l’autre caché derrière des pans de mur écroulés, celui-ci derrière des monticules de débris.

Marie fut arrêtée la dernière.

— Oh ! petit misérable ! s’écria-t-elle en mettant le poing sous les yeux de Pépé. Quel malheur que je ne t’aie pas étranglé de mes propres mains !

— Allons, modérez-vous, dit le commissaire.

Ils remontèrent au jour. Un triste spectacle les attendait.

Cet abominable brigand de Jambe-de-Cerf avait blessé d’un coup de revolver un des braves agents demeuré en haut de l’escalier.

— Voilà qui te coûtera aussi cher que tes vols, dit le commissaire.

— Possible, fit Jambe-de-Cerf ; mais je suis un peu vengé. C’est toujours ça. Quant au petit, si jamais il tombe sous ma patte, lorsque j’aurai tiré mon temps, je lui en ferai danser une dont il ne perdra pas la mémoire. Tu entends, Pépé.

— Je n’ai fait que me sauver, dit Pépé bravement. C’est vous qui vous êtes emparés de moi et qui me teniez prisonnier dans votre cave. Je me suis délivré et vous êtes des voleurs.

— Tu n’en viendras pas moins en prison avec nous, dit Jambe-de-Cerf.

Cette parole glaça d’effroi le pauvre petit Pépé.

— Est-ce qu’on me renfermerait encore dans cette vilaine prison où j’ai eu si peur ? se demanda-t-il. Ils en sont capables puisqu’ils m’y ont déjà enfermé, quoique que je n’eusse rien fait. Oh ! ces gros verrous, ces grilles, je ne veux pas les revoir ! Non, non, je ne veux pas revoir cette horrible chambre !

On attachait les menottes aux brigands qu’on venait d’arrêter et on les emmenait au commissariat.

Pépé chemina avec le commissaire.

— Monsieur, lui demanda-t-il, est-ce vrai que vous me ramenez en prison ?

— Tu n’es pas en prison, dit le commissaire. On ne t’y met que pour attendre, seulement pour qu’on sache, ce qu’on fera de toi et pour voir juger ces gredins-là.

Pépé ne comprit pas la différence qu’il y avait entre demeurer en prison pour attendre qu’on l’envoyât ailleurs ou que ces voleurs fussent jugés, ou y être envoyé pour avoir commis une mauvaise action ; son raisonnement était simple et vrai :

— Je n’ai rien fait ; on me met en prison tout de même ; je ne veux pas aller en prison.

Le commissaire, en arrivant dans son bureau, commença par procéder à l’interrogatoire des voleurs tandis qu’on transportait chez lui le contenu des caves.

Les agents de la sûreté qui se trouvaient là, des agents qui ont l’habitude de rechercher les criminels, reconnurent de suite Jambe-de-Cerf, Queue-de-Merle et Doxie pour de vieilles connaissances à eux, des brigands de la pire espèce.

— Ils n’ont pas pris Des Pincettes, se dit Pépé.

Ces bandits montraient une grande insolence, et, loin de dissimuler leurs crimes, ils les étalaient avec une sorte de gloriole, tellement ils étaient mauvais, méchants, pervers.

— La maison de Neuilly ? disait Jambe-de-Cerf, oui, c’est nous qui l’avons dévalisée. Mais l’argent est en lieu sûr, mon pauvre commissaire, tu ne l’auras pas.

— Je vous défends de me tutoyer, dit le commissaire. Parlez poliment.

— Tout l’honneur est pour toi, dit Jambe-de-Cerf en riant.

— Je voudrais bien savoir où vous trouveriez un moyen de nous empêcher de vous tutoyer, si ça nous fait plaisir, dit Doxie.

— Laissons ça, et répondez, dit le commissaire. Vous avouez être les auteurs du vol de Neuilly ?

— Un peu, mon neveu, dit Queue-de-Merle. Et ce bourgeois qui, l’autre jour, fut trouvé ficelé comme une andouille, sous un banc, en plein boulevard des Italiens, c’était un coup de Queue-de-Merle, pour te servir.

— Et cette dame, dit Marie, qui, place de la Concorde, s’est trouvée privée de son manteau… c’est moi…

— Au lieu de nous arrêter, dit Jambe-de-Cerf, on devrait nous voter des félicitations. C’est un art de reprendre avec adresse son bien sur les épaules du prochain.

— Cependant les marchandises des caves de la Cour des Comptes s’accumulaient au commissariat.

— Quel malheur ! soupirait Jambe-de-Cerf, que nous n’ayons pas eu le temps de boire notre vin.

— D’où proviennent ces étoffes ? demanda le commissaire.

— Des grands magasins, tiens ! Ils sont faits pour qu’on s’y approvisionne, les grands magasins.

— Et qui volait ces pièces de laine et de soie ?

— Moi, fit Marie. Ah ! j’en ai trompe des commis ! jusque sous leur nez !

— Où avez-vous pris cette cafetière en argent ? demanda le commissaire.

— Ah ! ça, c’est moi, dit un des voleurs. Un jour que j’avais dîné dans une maison honorable, comme c’est une chose qui ne m’arrive pas souvent, j’ai emporté cette cafetière, en souvenir.

Le défilé des vols continuait, et de plus en plus les voleurs devenaient impertinents vis-à-vis du commissaire.

— En voilà des jambons ! s’écria ce dernier.

— Il faut vivre, dit Jambe-de-Cerf.

— Tous ces gens-là sont de grands voleurs, murmura le commissaire.

— C’est positif, dit Queue-de-Merle, mais nous n’avons jamais assassiné personne. Notre tête ne craint rien.

Et tandis que continuait l’interrogatoire des prisonniers, le petit Pépé passait derrière les agents. Il allait, il venait. On ne faisait pas attention à lui. Il accompagnait ceux qui descen­daient, il remontait avec ceux qui apportaient les objets volés.

Puis, à un beau moment, se voyant dans la rue et les gardiens de la paix ayant le dos tourné, il s’enfuit sans regarder en arrière, loin, loin, loin.

— Je n’irai plus en prison, pensa-t-il.

Mais où pouvait-il aller ?