Histoire du célèbre Pépé/9

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CHAPITRE IX LE COMPÈRE DE MOUTONNET

L’atmosphère était traversée de vents attiédis. On ne craignait plus le froid. Alcindor ne faisait plus allumer le calorifère de son manège. On exposait les cages des singes au grand air. Les bourgeons commençaient à éclater sur les arbres, et quand Pépé allait se promener dans les terrains vagues du voisinage, il trouvait des fleurs jaunes qu’il rapportait à Mme Alcindor et à Margarita.

Une activité plus grande se manifestait dans la maison de l’hivernage. On vérifiait la tente, les bancs, les accessoires ; on raccommodait les costumes, remplaçant par des neufs ceux qui étaient usés.

Les musiciens réengagés venaient chaque jour à Levallois-Perret et jouaient dans le manège. La troupe reprenait ses manœuvres d’ensemble, les répétitions avaient lieu en costume et Alcindor ne quittait pas des yeux ses artistes.

Pépé savait jongler et il était aussi fort que Moutonnet. Il régnait entre le chien et lui une grande intimité. Le brave caniche qui l’avait pris en affection dès son arrivée à la fête de Montmartre ne le quittait plus, et Pépé avait une telle amitié pour Moutonnet qu’il dormait parfois avec lui dans sa niche.

Margarita était obligée d’aller le chercher le soir pour qu’il ne passât pas la nuit sur la paille en tenant le chien dans ses bras, et, dès le matin, il retournait vers Moutonnet afin de le peigner, de le brosser et de le faire beau avant que le palefrenier chargé de la toilette du caniche n’y eût procédé.

— C’est étonnant, disait en riant Margarita à Alcindor ; je suis certaine que Moutonnet préfère Pépé à sa maman Margarita ; c’est un ingrat, ce Moutonnet.

— Les chiens aiment les enfants, dit Alcindor. Ils sont bons les uns et les autres.

Moutonnet était pour Pépé non seulement un ami, mais un modèle. Le caniche, habitué aux exercices, posait dans toutes les positions et dans une immobilité de statue. Alors on voyait Pépé, un carton sur ses genoux, son papier devant lui, son crayon à la main, s’efforçant de rendre son modèle qui se tenait gravement, tantôt assis, tantôt faisant le beau, debout sur une chaise ou montant à l’échelle.

À force de le croquer, Pépé commençait à donner de la physionomie et de l’allure à ses dessins.

— Moutonnet finit par être ressemblant, disait Alcindor.

Mais il fallait s’occuper de son métier. Mme Alcindor avait commandé pour Pépé un costume de petit clown, noir avec des ornements rouge et or.

— Il a l’air d’un lutin, dit la directrice, quand il l’essaya.

Pépé était ravi. Il ne s’était jamais vu plus beau. Son maillot, fait exprès pour lui, collait, sur son corps, il se sentait en même temps à l’aise et soutenu. Toute la troupe disait qu’il était joli et il le croyait.

Il allait bientôt débuter en public, de compagnie avec son ami Moutonnet.

— Et tu vas avoir un début pour de vrai, lui dit Mme Alcindor. Songe que tu verras ton nom sur l’affiche. Tu n’auras pas peur, au moins ?

— Oh ! non, dit Pépé.

Mme Alcindor l’emmena avec elle choisir l’emplacement où le cirque devait être installé à la foire au pain d’épice, par laquelle on ouvrait la campagne, et, en revenant, elle passa avec lui par la pension où sa fille Colette était placée.

Colette était plus jeune que Pépé. Mme Alcindor après l’avoir laissée longtemps chez une nourrice, l’avait mise en pension encore qu’elle fût en bas âge, afin de la soustraire complètement au milieu forain dans lequel elle vivait.

— Je veux, disait-elle, que ma fille soit fort correctement élevée et qu’elle se marie avec quelqu’un qui n’exerce pas notre profession. Elle est fille unique, elle sera riche, très riche, puisque nous lui gagnons une grosse fortune, je veux qu’elle appartienne à un monde plus huppé que le nôtre.

Pépé trouva Colette bien, bien gentille.

C’était une blondinette aux yeux bleus, mignonne et menue, que sa robuste maman osait toucher à peine de peur de la casser.

— N’est-ce pas extraordinaire, disait-elle, que la fille d’un homme brun et fort comme Alcindor et d’une grosse femme brune comme moi, soit blonde et ne pèse pas une once ?

Colette cependant se portait à merveille. On la soignait, dans sa pension, car Mme Alcindor payait royalement, était très généreuse.

— Oh ! elle est jolie, Colette, dit Pépé, quand il sortit de la pension avec Mme Alcindor.

— Vraiment ! tu trouves ça, toi, petit, murmura la patronne.

Elle fut flattée d’entendre Pépé déclarer naïvement que sa fille était jolie, mais elle ne put s’empêcher de dire en évoquant son mariage lointain :

— Tu sais, ce n’est pas pour ton nez.

Pépé comprit que Mme Alcindor ne le laisserait pas jouer avec sa fille et que jamais Colette ne remplacerait Moutonnet, car il ne pensait pas à faire son petit mari.

Ils rentrèrent dans la maison de l’hivernage et, quatre jours après, ils la quittaient avec tout leur « bataclan dans les roulottes », comme disait Alcindor, pour n’y plus revenir habiter qu’à la fin de l’automne.

À cinq heures du matin la caravane partit ayant en tête les voitures chargées de la tente, des accessoires, des mâts, des banquettes, et en queue les fourgons dans lesquels logeait la troupe, et la belle habitation roulante des Alcindor.

Pépé assista à la naissance d’une ville de toile et de bois, au dressement du vaste édifice qui portait le nom de Cirque Alcindor.

En une heure, la charpente des écuries était ajustée par terre, relevée, fixée et couverte de toile. Les bat-flancs étaient en place, les animaux sur leur litière.

Les cordes grinçaient sur les poulies, un grand mât autour duquel la toile pendait, assez semblable à un gigantesque parapluie, se dressait, s’emboîtait dans un trou creusé exprès et qu’on comblait aussitôt avec de la maçonnerie tandis que de vingt côtés les cordes se tiraient, la toile se soulevait, le para­pluie se développait. Des barres de bois venaient en soutenir les arêtes, des piquets tiraient la toile qui retombait tout autour, et le cirque avait son toit et sa paroi. Il ne restait plus qu’à le meubler, à poser les banquettes, garnies de coussins pour les premières, simplement rembourrées pour les secondes et en bois pour les troisièmes. En quatre heures, le cirque était entièrement installé et on y pouvait jouer.

Mais il fallait attendre l’ouverture de la fête. Les voitures du cirque se parquaient, celles qui servaient au logement contre le cirque, les autres plus loin. Le cours de Vincennes, large, mal bâti, désert, poussiéreux, se garnissait comme par enchantement des baraques les plus diverses, baraques que Pépé avait déjà vues à la fête de Montmartre et qui reparais­saient là comme elles allaient reparaître sur tous les champs de foire, d’une fête à l’autre. Ce qui tenait du prodige, c’était la rapidité avec laquelle elles s’installaient et couvraient de chaque côté les deux larges trottoirs de l’avenue, l’égayant des multiples couleurs des toiles en façades, toiles qui enthousias­maient Pépé et dont il essayait de reproduire le dessin.

— Il faudra que je lui achète une boîte pour peindre, à cet enfant, disait Mme Alcindor. Tu entends, Pépé, si tu es sage, tu auras une boîte à couleurs pour tes étrennes.

— Alors, dit Pépé, je pourrai faire ce qu’il y a sur les toiles de nos camarades ?

— Oui, certainement, dit Mme Alcindor.

— Oh ! Que ce serait beau ! Je suis toujours sage, n’est-ce pas, madame Alcindor ?

— As-tu vu ton nom sur l’affiche, Pépé ? demanda Alcindor.

— Non, dit Pépé, puisque je ne sais pas lire.

— Viens, je vais te le faire voir.

Et Alcindor lui épela : « Moutonnet et son élève, le jeune Pépé. »

— Alors, dit Pépé, je suis l’élève de mon bon ami Moutonnet ?

— Oui, tu es l’élève de ton compère, le brave caniche.

Pépé réfléchissait profondément.

— Est-ce que tu es froissé d’être l’élève de Moutonnet ? demanda Alcindor. Tu sais que c’est lui qui va te faire faire l’exercice.

— Non, dit Pépé… je songe……

— À quoi, Pépé ?

— Je songe qu’il faut que j’apprenne à lire.

— Certainement, dit Alcindor, mais ça ne presse pas. Tu apprendras à lire quand tu auras les reins souples.

Alcindor lui-même ne savait pas très bien lire ; sa femme lui donnait chaque jour connaissance de ce qu’il y avait sur le journal.

Précisément, ce soir-là, elle raconta qu’on imprimait une singulière histoire de voleurs.

— Croiriez-vous, dit-elle, qu’ils avaient une caverne en plein Paris !

— Pas possible ! s’écria Gig.

— En plein Paris ! Ils s’étaient installés dans les ruines de la Cour des Comptes.

À ce mot, Pépé leva la tête.

— Dans les ruines de la Cour des Comptes ! dit-il, mais c’est là que j’ai été, moi !

— C’est vrai, c’est là qu’il a été, l’enfant, dit Gig. Je n’y pensais plus.

— Au fait, c’est là que tu étais, dit Mme Alcindor.

— Et comment se nomment-ils, ces voleurs ? demanda Pépé.

— Il y en a un, dit Mme Alcindor, qui se nomme Jambe-de-Cerf.

— C’est le mien ! s’écria Pépé.

— Un autre a nom Queue-de-Merle.

— C’est cette bande qui s’était emparée de moi.

— Il y a deux femmes, Doxie et Marie.

— C’est parfaitement ça, dit Pépé. Est-ce qu’ils sont condamnés ?

— Oui, dit Mme Alcindor.

— Beaucoup ? demanda Pépé.

— Jambe-de-Cerf a six ans de réclusion, dit Mme Alcindor, Queue-de-Merle quatre ans de prison, et Doxie et Marie ont chacune deux ans. Les autres sont enfin frappés, mais de moins fortes peines. Il me semble, d’après ce que tu racontais, que la Justice s’est montrée clémente.

— Ils seront corrigés, dit Pépé, quand ils sortiront de prison.

— Hum ! Hum ! fit Gig, ce n’est pas sûr. Ils seront plus voleurs qu’avant.

— Ce que je souhaite, dit Alcindor, c’est que tu ne les rencontres jamais quand ils seront libérés, car ils te feraient probablement expier de les avoir fait pincer.

— Oh ! je ne les reverrai jamais, dit Pépé.

— Je l’espère, dit Alcindor. Allons, mes enfants, attention à la première ! Pépé tu vas te distinguer.

Pépé n’avait aucune anxiété. Quand il revit le cirque éclairé par son lustre, le public sur les banquettes, Alcindor au milieu de la piste, sa chambrière à la main, il lui sembla qu’il se replongeait dans l’élément où il avait l’habitude de vivre.

Il entra tenant la patte à Moutonnet et celui-ci commença par grimper à l’échelle ; une fois en haut, il sauta.

Pépé le regardait. Moutonnet aboya et, comme Pépé faisait mine de ne pas comprendre, le chien lui saisit la main, l’amena au pied de l’échelle et aboya en la lui montrant.

Pépé grimpa à l’échelle, mais arrivé en haut, il parut hésiter à sauter. Moutonnet aboya, le grondant. Le public riait.

— Il est moins brave que le chien, disaient les enfants.

Enfin Pépé sauta.

Moutonnet alla danser sur la corde, ce qu’il faisait fort gentiment, par petits bonds.

Quand il fut arrivé au bout, il revint chercher Pépé, lui montra la corde. Le public comprit alors que c’était le chien, qui faisait faire ses exercices à l’enfant. C’était nouveau, il s’amusa.

Pépé posa le pied sur la corde. Il chancela. Moutonnet gronda. Pépé avança d’un pas, le chien trottant à côté de lui.

L’enfant tomba par terre. Aussitôt Moutonnet se précipita sur lui, aboyant furieusement, lui reprochant sa maladresse, aux applaudissements du jeune public.

Pépé recommença sa traversée de la corde et il arriva jus­qu’au bout. Moutonnet fit entendre un grognement de satisfac­tion. Ensuite, ce fut l’exercice des chaises, puis il fallut se mettre en équilibre sur des bouteilles, et toujours le même jeu recommençait, tel qu’il avait été réglé dans la maison de l’hivernage. Pépé feignant de s’y prendre maladroitement, Moutonnet se fâchant de ce qu’on l’imitait mal, le public on ne peut plus satisfait de voir le triomphe d’une de ces bonnes bêtes de chien que tout le monde aime sur un individu de l’espèce humaine.

Pépé s’amusa de cet exercice dans les premiers jours ; mais, à chaque représentation, dans le jour, le soir, il se renouve­lait, identiquement le même, sans qu’un pas, un geste chan­geât. Il ne s’intéressa bientôt plus à ce métier mécanique. Il voulait faire autre chose, et eût demandé de suite à changer d’exercice s’il n’avait craint de faire de la peine à son ami Moutonnet, d’être séparé de lui.

Il continua donc d’être le compère de Moutonnet ; et il occupa ses moments de liberté à dessiner, rectifiant de lui-même les erreurs de son crayon, et acquérant une certaine habileté de main. Les autres enfants de la troupe s’intéressaient vivement à ce qu’il traçait sur le papier et ils le priaient de faire leur portrait ce qui donnait à Pépé des modèles vivants qu’il s’appliquait à imiter.

Or, Pépé qui avait commencé par faire des bonshommes avec des traits, des lignes, petit à petit donnait à ces lignes plus d’épaisseur et plus de forme.

— Viens donc, disait Gig. C’est affaiblissant le métier que tu fais là. Au lieu de te développer le torse, tu te plies l’estomac en deux. Ce n’est pas ainsi qu’on fabrique un homme.

Gig ne voulait pas que son travail fût perdu et que Pépé cessât d’être souple comme une anguille ; il n’entendait pas non plus que les qualités musculaires de l’enfant et son amour de la gymnastique se perdissent.

Il l’accrochait au trapèze après l’avoir travaillé sur la sciure de bois de l’arène, dans l’intervalle des représentations, et il lançait le trapèze, le balançait, lui donnait de la volée.

— Voyez-vous, patron, disait-il à Alcindor, ce qu’il faut faire de cet enfant, c’est un Léotard ; il est beau, il est musclé, il fera un Léotard magnifique.

— Ce serait une riche affaire, dit Alcindor, d’avoir un Léotard. Le public est friand de ce spectacle-là et Pépé nous attirerait du monde.

— Je vous dis que c’est ce qu’il faut en faire.

— Il est trop jeune ; ses bras sont faibles encore pour se retenir sur un trapèze en mouvement.

— Le temps de le dresser, il aura l’âge et les bras, dit Gig.

— Qu’est-ce que c’est qu’un Léotard ? demanda Pépé.

— Léotard ! Tu ne connais pas Léotard ? s’écria Gig. Il est vrai qu’il ne connaît rien, cet enfant-là. Léotard, mon ami, c’est le premier gymnasiarque des temps modernes et peut-être des anciens. C’est un homme fait au moule qui n’a pas peur de se jeter dans le vide, d’un trapèze à l’autre. Tiens, comme si, de ce trapèze, tu te lançais en franchissant le cirque pour saisir un autre trapèze qui se trouverait là-bas, de l’autre côté. Un oiseau qui fend l’air, quoi ?

— Oh ! j’aimerais faire ça, moi ! s’écria Pépé.

— Eh bien, tu le feras, dit Gig.

Mais l’apprentissage d’un pareil exercice ne pouvait se faire que dans la maison de l’hivernage, pendant la morte-saison. En attendant, Pépé resta le compère de Moutonnet.

Ils allaient de fête en fête. À Saint-Cloud, dans le parc, sur les gazons, devant la grande cascade, au milieu des arbres feuillus, sous le chaud soleil de l’été, recevant un public joyeux, des fillettes en robe blanche, des garçonnets endimanchés.

De la foire au pain d’épice, le public ne rentrait pas sans rapporter un général ou une brave mère Gigogne dont on mangeait le bras ou la jambe pendant le trajet ; à la fête de Saint-Cloud, on achetait des mirlitons et on chantonnait les airs populaires en lisant, dans des éclats de rire argentins, les vers qui les enguirlandaient. Les Parisiens rentraient chez eux, par bandes, les bras chargés de fleurs et de verdure ramassées dans le parc, le mirliton aux lèvres, nourris de gaufres dorées et saupoudrées de sucre, de friture et de jambonneau mangés sur l’herbe.

Avant Saint-Cloud, c’était la fête de Neuilly. L’avenue de la Grande-Armée était couverte de monde et les gens les plus riches s’y portaient comme les plus pauvres, fréquentaient les baraques ; c’était le 14 Juillet, puis la fête du Lion de Belfort, au boulevard d’Enfer, puis le carrefour de l’Observatoire, puis Montmartre, quelquefois la province, et on rentrait passer l’hiver à Levallois-Perret, Alcindor content de sa campagne, ayant gagné beaucoup d’argent.

La troupe reprenait ses habitudes d’hiver, Gig faisait travailler plus que jamais Pépé.

— Sois toujours pendu au trapèze, lui disait-il.

Pépé ne demandait pas mieux pourvu qu’on le laissât, l’exercice terminé, s’asseoir à côté de son ami Moutonnet et dessiner.

Quand, au jour de l’An, Mme Alcindor lui fit cadeau d’une boîte de couleurs, il ne se posséda pas de joie. À partir de ce moment, il ne connut plus personne. Sa vie se renferma entre son trapèze et sa boîte en compagnie de son compère Moutonnet. Il peignit, cherchant lui-même ses combinaisons de couleurs, trouvant, progressant.

— Je t’assure, disait Mme Alcindor à son mari, que cet enfant a le génie du dessin et de la peinture.

— Heureusement, disait Alcindor, qu’il a aussi des muscles d’acier et le génie du trapèze. D’ici à deux ans, Gig en est sûr comme moi, Pépé sera l’émule de Léotard, il le surpassera, et tu verras s’il nous fait gagner de l’argent !

— Certainement, il attirera du monde ; mais cela n’empêche pas de le laisser peindre. Il fera peut-être un jour nos portraits, et puis les peintres, on les décore.

— Je ne m’y oppose pas, au contraire.

L’année suivante, Pépé était encore le compère de Moutonnet, mais on avait ajouté quelques exercices à son répertoire. Le brave caniche sautait à travers des cercles en papier et à travers des cerceaux enflammés, et Pépé à sa suite.

De plus, quand Gig, Rig et Pig faisaient la pyramide, Pépé grimpait sur le clown le plus haut et agitait le drapeau français.

Alcindor avait eu l’idée d’ajouter à son spectacle une tombola qui ne lui coûtait pas cher et qui amusait énormément les spectateurs.

Margarita, Coralia, Mametta, Luisa distribuaient des cartons portant un chiffre, on amenait sur un char une grande boîte contenant des lots, qui faisait l’effet d’être lourde, et une petite fille choisie dans l’honorable société tirait d’un sac les numéros que Gig proclamait à haute et intelligible voix.

Le premier numéro gagnait toujours un gros bouquet de violettes de Nice, ce qui mettait le public en goût d’avoir un lot.

— Le niouméro souivante, criait Gig, il gaigne oune pote-feuille.

— Oh ! un portefeuille ! murmurait-on avec convoitise dans l’assistance.

On attendait la proclamation du numéro.

— C’est moi, criait un monsieur.

Le monsieur souriait pour dissimuler sa joie et se frottait les mains en pensant au portefeuille qu’il avait gagné.

— J’en avais précisément besoin, disait-il à ses voisins.

— Ici, ici, ce monsieur a gagné.

— Bien, disait Margarita.

Elle ouvrait la caisse et en retirait une branche d’arbre dépourvue de ses feuilles.

— Voilà le portefeuille, disait-elle.

Pépé le portait au gagnant qui était bien attrapé. Le public, joyeux, se moquait de lui.

Le numéro suivant gagnait les œuvres de Racine en deux volumes. Son possesseur était déjà tout alléché.

On lui apportait deux carottes, et le public riait autant de la mine déconfite du gagnant que du lot même.

Le suivant gagnait une paire de souliers, et on lui apportait deux sous liés ensemble

— Le niouméro ensouite, criait Gig, il gaigne oune épicier.

— Un épicier ! répétait-on dans la foule. Qu’est-ce que ça peut être ?

Rig et Pig paraissaient portant une énorme scie, on sortait un épi de blé de la caisse, Margarita et Gig le tenaient chacun par un bout, et Rig et Pig le sciaient avec de grands han ! de grands efforts.

— À qui l’épi scié ? demandait Margarita tandis que les spectateurs se moquaient du gagnant.

La tombola était ainsi composée « d’attrapes » sauf deux ou trois lots sérieux et le dernier lot qui, intitulé « un sac de haricots », était toujours un sac de dragées.

Le public, se tordait et la représentation finissait dans une fusée de rire. Le cirque Alcindor était avec Bidel, Cocherie et Totor ce qui attirait le plus de monde et ce qui présentait le plus beau et le plus gai spectacle des fêtes foraines de Paris et des environs.