Histoire du chevalier Grandisson/Lettre 117

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Nouvelles lettres angloises, ou Histoire du chevalier Grandisson
Traduction par Abbé Prévost.
(tome VIIIp. 23-24).

LETTRE CXVII.

Le Chevalier Grandisson à Clémentine.

Mercredi au soir, 18 Février.

La généreuse, la noble Clémentine en Angleterre depuis dix jours, sans avoir fait l’honneur à son quatrieme Frere de l’informer de son arrivée ! Pardon, Mademoiselle, si je vous reproche de la cruauté. Vous pouvez faire, du plus heureux homme du monde, un homme très-malheureux ; & ce sort est infaillible pour lui, si vous lui dérobez l’occasion de se jetter à vos pieds, pour vous marquer toute la joie qu’il ressent de votre heureuse arrivée. Votre Jeronimo & le mien m’a fait l’honneur de m’écrire. J’ai mille choses à vous dire de votre Famille ; mais elles ne peuvent être confiées au papier, ni renfermées dans les bornes d’une Lettre. Permettez, Mademoiselle, que j’aie l’honneur de vous voir, accompagné d’une de mes Sœurs, ou seul si vous le desirez ; vous avez en moi un Ami fidele, indulgent ; éloigné, ne le savez-vous pas, de toute sorte de sévérité. Si vous souhaitez que votre demeure soit inconnue à tout autre, je garderai inviolablement votre secret. Vous serez aussi libre dans toutes vos volontés, dans toutes vos actions, que si j’ignorois moi-même où vous demeurez. En un mot, si vous avez jamais pensé favorablement de votre Frere, si vous avez jamais souhaité le voir heureux, accordez-moi la liberté de vous voir ; car je répete que son bonheur en dépend.

Je ne reçus qu’hier la Lettre de notre cher Jéronimo. Elle contient des explications fort tendres.

L’espérance d’apprendre de vos nouvelles m’a fait prendre la poste, pour être ici ce soir. Sur-le-champ j’aurois pris des informations. Mais j’étois fort éloigné de croire que ma Sœur fût à Londres depuis dix jours. Ne différez pas un moment, à soulager le cœur de votre très-humble, très-fidele & dévoué Serviteur,

Charles Grandisson.