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Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 2

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CHAPITRE II.
DES PARLEMENTS JUSQU’À PHILIPPE LE BEL.

Les parlements furent toujours les assemblées des hauts-barons. Cette police fut celle de toute l’Europe depuis la Vistule jusqu’au détroit de Gibraltar, excepté à Rome, qui était sous une anarchie différente, car les empereurs prétendaient en être les souverains. Les papes y disputaient l’autorité temporelle, le peuple y combattait souvent pour sa liberté ; et tandis que les évêques de Rome, profitant des troubles et de la superstition des autres peuples, donnaient des couronnes avec des bulles, et se disaient les maîtres des rois, ils n’étaient pas les maîtres d’un faubourg de Rome.

L’Allemagne eut ses diètes, l’Espagne eut ses cortès, la France et l’Angleterre eurent leurs parlements. Ces parlements étaient tous guerriers, et cependant les évêques et les abbés y assistaient, parce qu’ils étaient seigneurs de fiefs, et par là même réputés barons : et c’est par cette seule raison que les évêques siégent encore au parlement d’Angleterre, car le clergé n’a jamais fait, dans cette île, un ordre de l’État.

Dans ces assemblées, qui se tenaient principalement pour décider de la guerre et de la paix, on jugeait aussi des causes ; mais il ne faut pas s’imaginer que ce fussent des procès de particuliers, pour une rente, pour une maison, pour des minuties dont nos tribunaux retentissent : c’étaient les causes des hauts-barons mêmes et de tous les fiefs qui ressortissaient immédiatement à la couronne.

Nicole Gilles rapporte qu’en 1241 Hugues de Lusignan, comte de la Marche, ayant refusé de faire hommage au roi saint Louis, on assembla un parlement à Paris, dans lequel même les députés des villes entrèrent. Ce fait est rapporté très-obscurément ; il n’est point dit que les députés des villes aient donné leur voix. Ces députés ne pouvaient être ceux des villes appartenantes aux hauts-barons ; ils ne l’auraient pas souffert. Ces villes n’étaient presque composées alors que de bourgeois, ou serfs du seigneur, ou affranchis depuis peu, et n’auraient pas donné probablement leur voix avec leurs maîtres. C’étaient, sans doute, les députés de Paris et des villes appartenantes au roi ; il voulait bien les convoquer à ces assemblées. Les grands-bourgeois de ces villes étaient affranchis, le corps de l’hôtel de ville était formé. Saint Louis put les appeler pour entendre les délibérations des barons assemblés en parlement.

Les députés des villes étaient quelquefois, en Allemagne, appelés à l’élection de l’empereur ; on prétend qu’à celle de Henri l’Oiseleur les députés des villes d’Allemagne furent admis dans le champ d’élection[1] ; mais un exemple n’est pas une coutume. Les droits ne sont jamais établis que par la nécessité, par la force, et ensuite par l’usage ; et les villes, en ces temps-là, n’étaient ni assez riches, ni assez puissantes, ni assez bien gouvernées, pour sortir de l’abaissement où le gouvernement féodal les avait plongées. Nous savons bien que les rois et les hauts-barons avaient affranchi plusieurs de leurs bourgeois, à prix d’argent, dès le temps des premières croisades, pour subvenir aux frais de ces voyages insensés. Affranchir signifiait déclarer franc, donner à un Gaulois subjugué le privilége d’un Franc. Francus tenens, libere tenens. Un des plus anciens affranchissements dont la formule nous ait été conservée est de 1185 : « Franchio manu et ore, manumitto a consuetudine legis salicœ Johannem Pithon de vico, hominem meum, et suos legitimos natos, et ad sanum intellectum reduco, ita ut suæ filiæ possint succedere ; dictumque Johannem et suos natos constituo homines meos francos et liberos, et pro hac franchesia habui decem et octo libras viennensium honorum. — J’affranchis de la main et de la bouche, je délivre des coutumes de la loi salique Jean Pithon de vic (ou de ce village), mon homme, et ses fils légitimes, je les réintègre dans leur bon sens, de sorte que ses filles puissent hériter ; et je constitue ledit Jean et ses fils mes hommes francs et libres, et pour cette franchise j’ai reçu dix-huit bonnes livres viennoises. »

Les serfs qui avaient amassé quelque argent avaient ainsi acheté leur liberté de leurs rois ou seigneurs, et la plupart des villes rentraient peu à peu dans leurs droits naturels, dans leur bon sens, in sanum intellectum : en effet le bon sens est opposé à l’esclavage.

Le règne de saint Louis est une grande époque ; presque tous les hauts-barons de France étant morts, ou ruinés dans sa malheureuse croisade, il en devint plus absolu à son retour, tout malheureux et tout appauvri qu’il était. Il institua les quatre grands bailliages de Vermandois, de Sens, de Saint-Pierre-le-Moutier, et de Mâcon, pour juger en dernier ressort les appels des justices des seigneurs qui n’eurent pas assez de puissance pour s’y opposer ; et au lieu qu’auparavant les barons jugeaient souverainement dans leurs terres, la plupart furent obligés de souffrir qu’on appelât de leurs arrêts aux bailliages du roi.

Il est vrai que ces appels furent très-rares : les sujets qui osaient se plaindre de leur seigneur dominant au seigneur suzerain se seraient trop exposés à la vengeance.

Saint Louis fit encore une autre innovation dans la séance des parlements. Il en assembla quelquefois de petits, où il convoqua des clercs qui avaient étudié le droit canon ; mais cela n’arrivait que dans des causes particulières qui regardaient les droits des prélats. Dans une séance d’un parlement, on examina la cause de l’abbé de Saint-Benoît-sur-Loire ; et les clercs, maître Jean de Troyes, et maître Julien de Péronne, donnèrent leurs avis avec le connétable, le comte de Ponthieu, et le grand-maître des arbalétriers.

Ces petits parlements n’étaient point regardés comme les anciens parlements de la nation : on les appelait parloirs du roi, parloirs au roi ; c’étaient des conseils que le roi tenait, quand il voulait, pour juger des affaires où les baillis trouvaient trop de difficulté.

Tout changea bien autrement sous Philippe IV, surnommé le Bel, petit-fils de Saint-Louis. Comme on avait appelé du nom de parlements ces parloirs du roi, ces conseils où il ne s’agissait pas des intérêts de l’État, les vrais parlements, c’est-à-dire les assemblées de la nation, ne furent plus connus que sous le nom d’états généraux, nom beaucoup plus convenable puisqu’il exprimait à la fois les représentants de la nation entière et les intérêts publics. Philippe appela, pour la première fois, le tiers état à ces grandes assemblées (1302). Il s’agissait en effet des plus grands intérêts de l’État, de réprimer le pape Boniface VIII, qui osait menacer le roi de France de le déposer ; et surtout s’il s’agissait d’avoir de l’argent[2].

Les villes commençaient alors à devenir riches, depuis que plusieurs des bourgeois avaient acheté leurs franchises, qu’ils n’étaient plus serfs mainmortables, et que le souverain ne saisissait plus leur héritage quand ils mouraient sans enfants. Quelques seigneurs, à l’exemple des rois, affranchirent aussi leurs sujets, et leur firent payer leur liberté.

(28 mars 1302) Les communes, sous le nom de tiers état, assistèrent donc par députés aux grands parlements ou états généraux tenus dans l’église de Notre-Dame. On y avait élevé un trône pour le roi ; il avait auprès de lui le comte d’Évreux son frère, le comte d’Artois son cousin, les ducs de Bourgogne, de Bretagne, de Lorraine, les comtes de Hainaut, de Hollande, de Luxembourg, de Saint-Pol, de Dreux, de la Marche, de Boulogne, de Nevers : c’était une assemblée de souverains. Les évêques, dont on ne nous a pas dit les noms, étaient en très-petit nombre, soit qu’ils craignissent encore le pape, soit que plutôt ils fussent de son parti.

Les députés du peuple occupaient en grand nombre un des côtés de l’église. Il est triste ([u’on ne nous ait pas conservé les noms de ces députés. On sait seulement qu’ils présentèrent à genoux une supplique au roi, dans laquelle ils disaient : « C’est grande abomination d’ouïr que ce Boniface entende malement, comme bougre, cette parole d’espéritualité : CE QUE TU LIERAS EN TERRE SERA LIÉ AU CIEL ; comme si cela signifiait que s’il mettait un homme en prison temporelle, Dieu, pour ce, le mettrait en prison au ciel. »

Au reste, il faut que le tiers état ait fait rédiger ces paroles par quelque clerc ; elles furent envoyées à Rome en latin : car à Rome on n’entendait pas alors le jargon grossier des Français ; et ces paroles furent sans doute traduites depuis en français thiois[3], telles que nous les voyons.

Les communes entraient dès lors au parlement d’Angleterre : ainsi les rois de France ne firent qu’imiter une coutume utile, déjà établie chez leurs voisins. Les assemblées de la nation anglaise continuèrent toujours sous le nom de parlements, et les parlements de France continuèrent sous le nom d’états généraux.

Le même Philippe le Bel, en 1305, établit ce qu’il s’était déjà proposé en 1302, que les parloirs au roi (comme on disait alors), ou padamenta curiæ, rendraient justice deux fois l’an à Paris : vers Pâques, et vers la Toussaint, C’était une cour de justice suprême, telle que la cour du banc du roi en Angleterre, la chambre impériale en Allemagne, le conseil de Castille ; c’était un renouvellement de l’ancienne cour palatine.

Voici comme s’exprime Philippe le Bel dans son édit de 1302 : « Propter commodum subditorum nostrorum, et expeditionem causarum, proponimus ordinare quod duo parlamenta Parisiis, duo scacaria Rotomagi, dies Trecenses bis tenebuntur in anno ; et quod parlamentum Tolosæ tenebitur, sicut solebat teneri temporibus retroactis. — Pour le bien de nos sujets, et l’expédition des procès, nous nous proposons d’ordonner qu’il se tienne deux fois l’an deux parlements à Paris, deux scacaires (échiquiers) à Rouen, des journées (grands jours) à Troyes, et un parlementa Toulouse, tel qu’il se tenait anciennement. »

Il est évident, par cet énoncé, que ces tribunaux étaient érigés pour juger les procès, qu’ils avaient tous une juridiction égale, qu’ils étaient indépendants les uns des autres.

Celui qui présida à la juridiction royale du parlement de Paris et qui tint la place du comte palatin fut un comte de Boulogne, assisté d’un comte de Dreux ; un archevêque de Narbonne et un évêque de Rennes furent présidents avec eux, et parmi les conseillers on comptait le connétable Gaucher de Châtillon.

Précisément dans le même temps et dans le même palais, le roi Philippe créa une chambre des comptes. Cette cour, ou chambre, ou parloir, ou parlement, eut aussi des hauts-barons et des évêques pour présidents. Elle eut, sous Philippe de Valois, le privilége royal de donner des lettres de grâce, privilége que la chambre de parlement n’avait pas : cependant elle ne prétendit jamais représenter les assemblées de la nation, les champs de mars et de mai. Le parlement de Paris ne les a jamais représentées ; mais il eut d’ailleurs de très-hautes prérogatives.



  1. Voyez, tome XIII, les Annales de l’Empire, année 920.
  2. Voyez tome XI, page 519 et suivantes.
  3. Langue teutonne. (B.)