Histoire du poète Sibus

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Histoire du poète Sibus.

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Histoire du poète Sibus1.

Que voulez-vous que je vous die de ce petit homme ? Il faudroit avoir autant d’industrie que Heinsius, qui nous a depuis peu donné de si beaux discours sur un pou2, pour vous pouvoir entretenir de cette petite portioncule de l’humanité. Toutefois, si le proverbe est veritable : Deina peri phachis, il faut esperer que nous en sortirons à nostre honneur.

Premierement, vous devez sçavoir que ce n’est pas de poëte seulement, mais de musicien aussi, que Sibus a joué le personnage dans le monde ; et c’est ce qui fait que vous devez moins vous estonner de sa misère, estant doue de ces deux bonnes qualitez, dont une seule ne manque presque jamais à rendre un homme gueux pour toute sa vie. Ce n’est pas qu’à dire le vray il ait jamais possedé ny l’une ny l’autre veritablement ; mais tant y a qu’il n’a pas tenu à luy qu’il n’ait passé pour tel, et que quelques-uns mesme, soit pour ne le pas bien connoistre, soit peut-estre aussi pour le voir si gueux, l’ont pris pour ce qu’il desiroit d’estre. Il est vray que, comme il connoissoit son foible, il avoit l’industrie de ne parler jamais de vers devant les poëtes, mais tousjours de musique, et avec les musiciens de ne parler que de vers : de sorte que parmy les poëtes il passoit pour musicien, et parmy les musiciens pour poëte. C’est ce qui me donna bien du plaisir un jour que, m’estant successivement trouvé avec Voiture et Lambert3, et estant tombez par hazard sur le sujet de ce petit poëte : « Il est vray, me dit Lambert, que le pauvre petit Sibus ne sçait rien du tout en musique ; mais, en recompense, pour ce qui est des vers, on dit qu’il en fait à merveille. » Voilà le jugement qu’en faisoit ce musicien. Mais le bon fut qu’incontinent après, ayant rencontré Voiture : « Pour moy, nous dit-il, je ne sçay guère ce que c’est que de la musique, et je croy que Sibus y excelle ; mais il a grand tort de se vouloir mesler de faire des vers, où il n’entend rien. »

C’est pourtant à ce dernier mestier qu’il s’est apliqué principalement, et c’est celuy qui l’a le plus fait connoistre dans le monde. Aussi ne vous entretiendray-je guère que de Sibus le poëte, ses principales avantures luy estant arrivées sous ce dernier personnage, ainsi que vous le verrez par le recit que je vais faire de ce que j’ay pû apprendre de sa vie.

Pour commencer donc par la naissance de nostre heros, comme j’ay remarqué dans les bons romans qu’il faut toûjours faire, je vous diray que vous ne pouviez trouver personne qui vous en pût mieux instruire que moy, personne n’en ayant jamais eu connoissance. Vous diriez que ce petit homme ait esté trouvé sous une feuille de chou comme Poussot4, ou qu’il soit sorty de la terre en une nuit comme un champignon. Tant y a qu’il a esté si heureux qu’il n’a jamais connu d’autre père que Dieu, ny d’autre mère que la Nature. Il coula les premiers jours de sa vie dans Nostre-Dame ; ses premières années dans plusieurs autres eglises, sous un habit bleu5, avec un tronc à la main, et les suivantes dans le collége de Lizieux6, où il trouva moyen de s’elever à l’estat de cuistre7. Ce fut là qu’à force de lire les plus rares chefs-d’œuvre de nos poëtes françois, qu’il rapportoit tous les jours du marché avec le beurre et les autres drogues qu’il achetoit pour le disner de son maistre, il luy prit une si forte passion pour la poësie, qu’il resolut, ainsi qu’il disoit alors, de devouer toutes les reliques du peloton de ses jours au service des neuf pucelles du mont au double coupeau. Mais pour ce qu’à son gré, pour un poëte de cour tel qu’il vouloit estre, il ne se trouvoit pas bien dans un collége, il se resolut de changer l’université pour le fauxbourg Saint-Germain. Il y alla donc loger au haut d’un grenier, et vous ne sçavez pas la belle invention dont il usoit pour y escrire ses beaux ouvrages sans qu’il luy en coustast rien en plume, en encre ny en chandelle. Il avoit l’industrie de laisser tellement croistre l’ongle du doigt qui suit le poulce de la main droite qu’il le tailloit et en ecrivoit après comme d’une plume. « Parbleu ! voilà un galand homme ! s’escria icy l’amy de Sylon. Ne s’en sert-il point aussi au lieu de chausse pied, et ne vend-il point les autres pour faire des lanternes ? — C’est un trafic dont je ne voudrois pas jurer qu’il ne se soit avisé, continua Sylon ; mais tant y a qu’il n’y a rien de si extraordinaire dans la longueur de ses ongles qui ne passe pour une très grande galanterie au royaume de Mangy8, ou de la Chine et de Cochinchine, comme aussi parmy les naïres9 de la coste Malabare, où les grands ongles ne se portent que par les nobles, et où c’est une marque de roture de les avoir courts. — C’est peut-estre, repliqua l’amy de Sylon, ce qui fut cause de la belle mode qui courut parmy nos godelureaux il y a quelque temps, de laisser ainsi croistre l’ongle du petit doigt10. Quoy qu’il en soit, reprit Sylon, ce fut l’artifice dont usa Sibus pour ne point acheter de plume. Au lieu d’encre, il se servoit de suye qu’il détrempoit dans de l’eau : de sorte que, son ecriture roussissant à mesure qu’il la faisoit, il disoit par galanterie à ceux qui l’en railloient que c’estoit qu’il n’ecrivoit qu’en lettres d’or ; et il fit un petit trou, qu’il avoit soin de boucher tous les matins d’une cheville, à une meschante cloison qui separoit son galetas de celuy d’une blanchisseuse chez laquelle il logeoit, de manière que, la lueur de la lampe à la faveur de laquelle la blanchisseuse sechoit son linge venant à passer par ce trou, il appliquoit son papier justement au devant, et deroboit ainsi sans pecher ce qu’il n’avoit pas le moyen de payer. Pour le jour, il le passoit ou à corriger les fautes dans une imprimerie11, ou à se promener dans la court du logis où il demeuroit : car j’oubliois à vous dire qu’il avoit aussi trouvé le moyen de se chauffer à peu de frais. Il avoit remarqué un matin par sa fenestre qu’il sortoit une epaisse fumée d’un gros tas de fumier qui estoit dans la court. Nostre poëte jugea que c’estoit là son fait, et ne manqua pas un seul jour de l’hyver d’y faire son peripatetisme et d’y aller rechauffer le feu de sa veine.

C’estoit sur cette plaisante façon de vivre que, faisant reflexion : « C’est ainsi, disoit-il en luy-mesme, taschant à se persuader qu’il estoit un bien grand personnage, à force de se comparer aux plus grands hommes de l’antiquité, dont il avoit leu quelque chose dans de meschans lieux communs ; c’est ainsi que se promenoient Aristote dans son licée, Platon dans son academie, Zenon sous ses portiques, Epicure dans ses jardins, Diogène dans ses cynozarges, Pyrrhon dans ses deserts, Orphée dans ses forests, tant de bons anachorettes dans leur solitude, et nostre premier père Adam dans le paradis terrestre. » Ces pensées le faisoient tomber dans d’autres qui ne luy donnoient pas moins de satisfaction. Il comparoit la peine qu’il prenoit la nuit pour gagner de quoy vivre à celle qu’avoit Cleanthes de tirer de l’eau toutes les nuits pour avoir le moyen de philosopher le reste de la journée, et sa plaisante façon d’ecrire le faisant souvenir de la lanterne d’Epictète, qui fut vendue trois mille drachmes après son deceds12, il se persuadoit que le petit trou qu’il avoit fait à sa cloison pourroit bien estre quelque jour aussi celèbre. Il est vray que, du commencement, il luy survint un accident qui modera bien sa joye : il remarqua qu’à force de se promener le long de sa court il usoit bien plus de souliers, et qu’une paire de bouts qui avoit coustume de luy durer plus de quinze jours ne luy en servoit plus que douze. Que fit-il ? Il se resolut au repos. C’estoit un plaisant spectacle de considerer nostre petit enfant barbu planté comme une fourche devant une montagne de fumier, en humer l’exhalaison, et passer un demy-jour sans se mouvoir. Que s’il entendoit quelque bruit, il se contentoit de tourner la teste, car il n’avoit garde de se remuer tout à fait, de peur d’user toujours ses souliers d’autant. Il s’imagina mesme que ce fumier luy pourroit bien estre utile à moderer les ardeurs de la faim, ayant ouy dire que les cuisiniers mangent beaucoup moins que les autres hommes, à cause des fumées des viandes qui les nourrissent ; mais ce ne fut pas le seul artifice dont il se servit pour suppléer au deffaut de nourriture. Par malheur, ayant mis le nez un jour dans Aulu-Gelle, il y leut que le medecin Erasistrate avoit trouvé l’invention de demeurer long-temps sans manger par le moyen d’une corde dont il se serroit le ventre13. Sibus jugea que c’estoit là un exemple dont il devoit faire son profit ; et pour ce que ce n’estoit pas, à son advis, tant au ventre qu’à la gorge que le mal le tenoit, il voulut encherir sur cette invention, et s’etreignit le col de telle sorte qu’il se pensa etrangler, et en fut long-temps malade.

Ce n’est pas que, quand il pouvoit manger aux despens d’autruy, il ne s’en acquitast de très bonne sorte, car, pour luy, s’il se trouvoit en quelque occasion où il fallût mettre la main à la bourse, il s’en excusoit fort bien, alleguant que, comme Protogène, en faisant à Rhodes le portrait de Jalise, n’avoit vescu que d’eau et de lupins pendant plus de sept ans qu’il y travailla, il estoit obligé de mesme d’observer un regime semblable à cause de son grand poëme auquel il estoit occupé. Toutefois, ce fut une chose bien plaisante, un soir de Saint-Martin, qu’il se servit de cette defaite envers un solliciteur de procez qui logeoit en mesme maison que luy, et qui luy avoit demandé s’il ne vouloit pas qu’ils fissent la Saint-Martin ensemble : car celui-cy, voyant nostre homme si eloigné de la proposition qu’il luy avoit faite, se contenta d’envoyer querir pour son souper un poulet, jugeant que cela suffisoit pour luy. Mais il ne fut pas plutost à table que, Sibus s’en estant approché petit à petit, puis en prenant une cuisse de poulet : « Deussay-je interrompre, luy dit-il, mon travail pour quinze jours, si faut-il que j’en taste, tant je trouve qu’il a bonne mine. — Nous en pouvons encore envoyer querir un autre, repliqua le solliciteur, si le cœur vous en dit. — Ah ! mon Dieu ! reprit le poëte, que ce discours desesperoit, ne me donnez point occasion de violer ma loy davantage : car, s’il y avoit plus de viande, j’ay si peu de pouvoir sur moy que je ne me pourrois empescher d’en manger. » Il eluda donc ainsi la proposition du solliciteur. Neantmoins, comme celuy-cy, qui n’attendoit pas ce renfort, n’avoit fait acheter à souper que ce qu’il luy en falloit, il se trouva que, sa faim n’estant qu’à demy rassasiée, il fut obligé d’envoyer encore querir un autre poulet. Le poëte ne fit pas semblant de s’en appercevoir ; mais, quand il fut sur la table et qu’il eut bien fait de l’etonné : « Ne vous l’avois-je pas bien dit, continua-t-il en se mettant encore après, que je ne me pourrois empescher d’en manger ? »

C’est ainsi que Sibus vivoit le moins qu’il pouvoit à ses despens, et le plus qu’il luy estoit possible à ceux d’autruy ; et ce fut en ce temps-là qu’à force de vendre ce qui n’estoit pas à luy, c’est-à dire les sonnets et les odes qu’il avoit derobés, et d’epargner en bois, en chandelle, et principalement en viande, il amassa de quoy acheter d’une crieuse de vieux chapeaux, des canons de treillis14 et une vieille panne. Il ne faut pas demander s’il se trouva brave quand il l’eut attachée à son manteau, et s’il fit estimer sa marchandise à tous ceux qu’il connoissoit. Tantost, afin d’avoir occasion d’en parler, il disoit qu’il croyoit avoir esté trompé ; tantost il demandoit s’il n’avoit pas eu bon marché, et surtout il ne manquoit pas de dire qu’il avoit veu un homme fort bien fait en offrir autant que luy en sa presence. Ces importunes reflections, dont il lassa tout le jour la patience d’un chacun, firent qu’on se resolut de luy faire oster son manteau dès le soir mesme, afin d’avoir le plaisir de voir avec quelle force d’esprit il supporteroit la perte de ce bien-aimé. Pour ce dessein, comme il s’en retournoit chez luy fort tard, on mit dans un coin de rue par où il devoit passer une lanterne, avec un papier tout proche, où estoit escrit en grosse lettre : « Rends le manteau, ou tu es mort. » La poltronnerie du poète estoit si connue qu’on sçavoit bien que, quelque amour qu’il luy portast, il ne laisseroit pas de le quitter aussi tost qu’il auroit leu ce billet. Aussi n’y manqua-t-il pas, et, dès qu’un de ses amis qui s’en retournoit avec luy, et qui estoit de l’intrigue, eust ramassé le papier, il osta bravement son manteau de dessus ses espaules, et, le couchant auprès de la lanterne : « Quelque sot, dit-il, aimeroit mieux un manteau que sa vie. » Son amy, à dessein de l’eprouver, luy dit que, pour luy, il n’estoit pas resolu de laisser ainsi le sien à si bon marché. Sibus ne l’entendit pas seulement, car, dès qu’il avoit eu posé son manteau, il s’estoit mis à fuir de si bonne sorte qu’il estoit dejà bien loin. Je ne vous entretiendray point des lamentations qu’il fit sur sa mauvaise avanture lors qu’il fut chez luy, et que la seureté où il se vit luy permit de faire reflection sur la perte qu’il venoit de faire. Tous ceux qui estoient du complot ne manquèrent pas de le venir voir aussi-tost, disant qu’ils venoient d’apprendre le danger qu’il avoit couru ; mais toutes leurs consolations furent inutiles, et il n’y eust que la restitution qu’ils luy firent de son manteau capable d’appaiser son affliction. Faisant tant d’estat de ce bel accoustrement, je vous laisse à penser s’il estoit homme à le prophaner et pour mettre à tous les jours ce beau fruit d’une diette qui avoit plus duré que celle de Ratisbonne15. Que pouvoit-il donc faire ? Car d’avoir un autre manteau il n’en avoit pas le moyen, et il ne se pouvoit aussi resoudre à porter celuy-cy ordinairement. Il trouva un autre expedient, qui fut de ne bastir sa pane16 qu’à grands poincts à son manteau, de sorte qu’il luy estoit facile de la mettre et de l’oster quand il luy en prenoit fantaisie. Pour ses canons de treillis, il s’avisa de les passer dans ses bras pour conserver ses coudes et luy servir de gardes-manches.

— Ah ! vrayment, interrompit Sylon, c’estoit donc bien le moins que je pusse faire que de luy payer son fil et la peine qu’il avoit prise à se deboter et se harnacher de sa pane ! car j’oubliois à vous dire que je l’ay tantost pensé meconnoistre, tant il estoit brave au prix de ce que je le venois de voir à la Grève. — Vous ne luy deviez pas beaucoup pour cela, reprit son amy, car ne vous imaginez pas qu’il change de fil quand il la decout ; il ne manque jamais à le serrer pour la prochaine fois.

Avec tout son bon menage, neantmoins, il ne se put empescher de devoir quatre ou cinq termes à son hotesse. Jugez si c’estoit une debte bien asseurée ! Il connoissoit un nommé Mamurin17, par le moyen duquel il se tira de ce fascheux pas. Voyant que sa blanchisseuse refusoit de luy faire credit plus long temps, et ne vouloit pas pourtant laisser sortir ses meubles, qui consistoient en un meschant lit, un escabeau à trois pieds, un vieux coffre et la moitié d’un peigne, il les fit saisir par ce Mamurin, comme plus ancien creancier : de sorte que la pauvre hostesse, qui n’avoit pas bien consulté son procureur, se resolut à luy faire credit. Il en affronta encore plusieurs autres de diverses façons, et se decredita enfin de telle sorte qu’on luy a souvent entendu dire que, bien que Paris soit très grand, il estoit pourtant fort petit pour luy, n’y ayant plus que trois ou quatre rues par où il osast passer.

Il tascha neantmoins de remedier à cette horrible pauvreté par d’assez plaisans trafics. Un jour, n’ayant point de quoy manger, il alla sur le Pont-Neuf à un charlatan, avec qui il fit marché pour dix sols de se laisser arracher deux dents18 et de protester tout haut aux assistans qu’il n’avoit senty aucun mal. L’heure dont ils avoient convenu ensemble estant donc venue, Sibus ne manqua pas, ainsi qu’ils avoient arresté, de venir trouver son homme, qu’il rencontra au bout du Pont-Neuf qui regarde la rue Dauphine, divertissant les laquais et les badauts par ses huées, ses tours de passe-passe et ses grimaces ; il tenoit un verre plein d’eau d’une main, et de l’autre un papier qui avoit la vertu de teindre l’eau en rouge. « Horçà, Cormier19, ce disoit ce charlatan en s’interrompant et se repondant luy-mesme, qu’est-ce que tu veux faire de ce verre et de cette yeau ? — Hé ! je veux changer cette yeau en vin pour donner du divertissement à ces messieurs. — Hé ! comment est-ce que tu changeras cette yeau en vin pour donner du divertissement à ces messieurs ? — Hé ! en y mettant de cette poudre dedans. — Mais, en y mettant de cette poudre dedans, si tu changes cette yeau en vin, il faut donc qu’il y ait là de la magie ? — Il n’y a point de magie. — Il n’y a point de magie ! Il y a donc de la sorcellerie ? — Il n’y a point de sorcellerie. Non, Non. — Il y a donc de l’enchanterie ? — Il n’y a point d’enchanterie. Non, Messieurs, il n’y a ny magie, ny sorcellerie, ny enchanterie, ny guianterie ; mais il est bien vray qu’il y a peu de guiablerie. Gnian vela le mot. »

Le coquin n’eut pas plutost achevé ces paroles qu’il s’eleva un grand eclat de rire par toute la badauderie, comme s’il eust dit la meilleure chose du monde. Pour luy, après avoir long-temps ry avec les autres, il reprit ainsi sa harangue : « Mais, me dira quelqu’un, viençà, Cormier ; je sçay bien que tu es bon frère, tu as la mine de ne te point coucher sans souper, tu ne manges point de chandelle ; mais à quoy sert ça de changer ton yeau en vin, elle n’en a speut-il faire pas le goust ? — Non, Messieurs, elle n’en a pas le goust. À quoy sert ça de mentir ? Je ne suis ny charlatan, ny larron ; je suis Cormier, à vostre service et commandement. Ardé ! velà ma boutique ; n’y a si petit ne si grand qui ne vous l’enseigne. Il y a trente ans, Guieu marcy, que je demeurons dans le carquier. » Il dit tout cecy en ostant son chapeau ; puis, en le remettant : « Mais à quoy ça sert-il donc, poursuivit-il, de changer cette yeau en vin, si elle n’en a pas le goust ? À quoy ça sert ? Ho ! voicy à quoy ça sert : Vous vous en allez un dimanche, par magnière de dire, après la grande messe, dans une tavarne. « Holà ! Madame de cians, y a-t-il moyen de boire un coup de bon vin ? — Ouydà, Messieurs ; à quel prix vous en plaist-il ? à six ou à huit ? » Là-dessus : « Donnez-nous en, ce faites-vous, à six ou à huit sols, tant du pus que du moins. — Pierre, allez tirer du vin à ces Messieurs, tout du meilleur. Viste, qu’on se depesche ! » Velà qui va bien. Vous vous mettez à table, vous mangez une crouste, vous dites à la maistresse : « Madame de cians, faites nous donner un sciau d’yeau pour nous rafraischir, car aussi bien vela un homme qui ne boit que du vin de la fontaine. » Dame ! là-dessus, quand on vous a apporté du vin, vous le beuvez, et, quand vous l’avez beu, vous remplissez la pinte de vostre yeau, et pis vous dites au garçon : « Quel fils de putain est ça ? Il nous a donné du vin poussé ! Va-t’en nous querir d’autre vin ! — Messieurs, c’est tout du meilleur. — Quel bougre est ça ? Je te barray sur ta mouffle ! je t’envoyeray voir là-dedans si j’y sis ! Tu n’es pas encore revenu ? » Là-dessus, le pauvre guiable, ayant regardé dans son pot et le voyant plein, emporte son yau et vous raporte en lieu de bon vin. Dame ! je vous laisse à penser s’il est de la confrairie de saint Prix20 ! »

Le charlatan ayant ainsi expliqué l’utilité de sa poudre21, on croyoit qu’il en alloit faire l’experience, quand il changea tout d’un coup de discours pour tenir tousjours son monde d’autant plus en haleine, et se mit à faire une longue digression sur l’experience qu’il avoit acquise par ses voyages, tant par la France qu’autre part, à tirer les dents sans faire aucune douleur. Il n’eust pas plutost achevé la parole, qu’on ouït sortir du milieu de la foule la voix d’un homme qui disoit : « Pardieu ! je voudrois qu’il m’eust cousté dix pistoles et que ce qu’il dit fût vray ! Il y a plus d’un mois que je ne dors ny nuit ny jour, non plus qu’une ame damnée ! » Cette voix estoit celle du poëte, qui prenoit cette occasion de paroistre, ainsi qu’il avoit esté accordé entr’eux. Le charlatan luy dit qu’il falloit donc qu’il eust quelque dent gastée, et qu’il s’approchast. Et pource que Sibus feignoit d’en faire quelque difficulté : « Approchez, vous dis-je, reitera le fin matois ; nostre veuë ne vous coustera rien. Je ne sommes pas si guiable que je sommes noir ; s’il n’y a point de mal, je n’y en mettrons pas. » Nostre petit homme s’avança donc, et l’autre, luy ayant fait ouvrir la bouche et luy ayant long-temps farfouillé dedans, luy dit qu’il ne s’etonnoit pas s’il ne pouvoit dormir ; qu’il avoit deux dents gastées, et que, s’il n’y prenoit garde de bonne heure, il couroit fortune de les perdre toutes. Après plusieurs autres ceremonies que je passeray sous silence, Sibus le pria de les luy arracher ; mais quand ce fut tout de bon, et que des paroles on en fut venu à l’execution, quelque propos qu’il eust fait de gagner ses dix sols de bonne grace, la douleur qu’il sentoit estoit si forte qu’elle luy faisoit à tous momens oublier sa resolution. Il se roidissoit contre son charlatan, il s’ecrioit, reculant la teste en arrière ; puis, quand l’autre avoit esté contraint de le lascher : « Ouf ! continuoit-il, portant la main à sa joue et crachant le sang ; ouf ! il ne m’a point fait de mal ! » C’estoit donc un spectacle assez extraordinaire de voir un homme, les larmes aux yeux, vomissant le sang par la bouche, s’ecriant comme un perdu, protester neantmoins en mesme temps que celuy qui le mettoit en cet estat et le faisoit plaindre de la sorte ne luy faisoit aucune douleur. Aussi, quoy qu’il en dît, y avoit il si peu d’apparence, que le charlatan luy-mesme, au lieu de doux dents qu’il avoit mises en son marché, ne luy en voulut arracher qu’une. Il ne faut pas demander si le poëte fut aise de s’en voir quitte à si bon compte ; mais ce fut bien à dechanter quand, estant allé le soir chez son homme pour toucher son salaire, l’autre le luy refusa, alleguant qu’il avoit tant crié qu’il luy avoit plus nuy que servy ; qu’il ne luy avoit rien promis qu’à condition qu’il souffriroit sans se plaindre qu’on luy ostât deux dents, et qu’il n’avoit pas osé les luy arracher, de peur que, par ses cris, il ne le dechalandast pour jamais. Il ne faut pas demander s’il y eust là-dessus une grande querelle entre ces deux personnages. Le poëte, faute d’autres armes, a recours aux injures, et, pour tâcher d’attirer quelqu’un en sa faveur, se plaint que l’autre luy a arraché une gencive et appelle le charlatan bourreau. Celuy-cy s’en moque, et dit en riant qu’il a de bons temoins qui luy ont entendu dire à luy-mesme qu’il ne luy avoit fait aucun mal. Je passois par hazard par là lorsque cette plaisante repartie fut faite au pauvre Sibus, que je decouvris, malgré sa petitesse, au milieu de cent personnes qui l’entouroient. Je demanday ce qu’il y avoit, et l’on m’apprit tout ce que je viens de vous dire. Je vous avoue que cette avanture, toute plaisante qu’elle est, ne laissa pas de m’attendrir et de me donner de la compassion ; et, jugeant qu’un homme qui vendoit ses dents pour avoir de quoy manger devoit estre en une etrange necessité, je tiray mon poëte de la foule et le menay souper chez moy. Je ne sçay pas comment il s’en fût acquité s’il eust eu toutes ses dents ; mais je vous jure qu’à le voir bauffrer je n’eusse jamais deviné qu’il en eust manqué d’une seule, et qu’il me fit bien rabaisser de l’estime que j’avois pour le miracle de Sanson, qui defit tant d’ennemis avec la maschoire d’un asne, faisant trois fois plus d’execution avec une maschoire moindre pour le moins trois fois. Après le souper, je ne pus m’empescher de luy lascher quelque petit trait de raillerie sur son avanture passée. Mais tournant subitement la chose en galanterie : « Je croy bien, me dit-il ; n’ay-je pas eu raison de m’en defaire ? Elles n’estoient bonnes qu’à me faire de la depense et vouloient tousjours manger. » Cette reponse me surprit ; mais il m’en fit une autre quelques jours après qui, pour n’estre pas si aiguë ny si plaisante, ne laisse pas, selon mon jugement, d’estre aussi adroite.

Contraint comme l’autre fois par la necessité, il alla encore sur le Pont-Neuf chanter quelques chansons qu’il avoit faites. Il esperoit de n’estre pas reconnu, pource qu’il s’estoit deguisé du mieux qui luy avoit esté possible ; mais la chose estoit allée contre sa pensée, et, l’ayant encore reconnu en passant par là, il eut bien l’adresse, lors que je l’en pensay gausser, de me dire froidement : « Pardieu ! cinquante pistolles sont bonnes à gagner », pour me faire croire que ce qu’il en avoit fait n’avoit esté que par gageure.

Ce sont les moyens par lesquels Sibus taschoit à subsister. Neantmoins, pource qu’il ne pouvoit pas fournir de dents autant qu’il luy en eust fallu tous les jours, je dis quand mesme on les lui auroit payées, voicy encore une autre invention dont il s’avisa : Comme sa veine n’estoit pas des plus fertiles, ny de celles qui portent de l’or, il faisoit faire des vers par quelqu’autre, qu’il vendoit sous main à son libraire, et l’autre avoit pour soy le gain de la dedicace, dont il ne manquoit pas de faire part à Sibus pour le bon office qu’il croyoit qu’il luy eust rendu en faisant imprimer sa pièce22. Vous me demanderez comme est-il possible que des libraires voulussent donner un seul teston d’un si miserable travail. Voicy l’artifice dont il usoit pour les attraper : Quelques jours avant que de leur parler de ce qu’il desiroit mettre sous la presse, il envoyoit tous ses amis au Palais s’enquerir à tous les libraires s’ils n’avoient pas un tel ouvrage de monsieur un tel23. Ceux-cy, voyant tant de gens venir demander son livre, croyoient qu’indubitablement ce devoit estre quelque chose de bon : de sorte qu’au commencement il en tiroit d’assez bonnes sommes. Mais enfin ils descouvrirent la trame et le firent mettre une fois en prison pource qu’il leur avoit vendu à cinq ou six un mesme ouvrage sous diferent titre, qu’il avoit aussi dedié à diverses personnes pour en tirer plus d’argent.

Vous voyez quelle sorte de vie ce petit homme mène, et combien d’affronts il est sujet à recevoir, jusque là que les petits enfans luy font tourner son chapeau sur la teste et luy donnent des coups d’epingles dans les fesses toutes les fois qu’ils le rencontrent en un certain lieu nommé l’Orvietan24, où il ne manque jamais de les aller chercher pour un sujet que je ne veux pas dire, et qu’ils le reconduisirent une fois à coups de pierres du terrain de Notre-Dame, où il va aussi tous les soirs de l’esté pour le mesme dessein, jusques au logis d’un chanoine de condition, où il se sauva. Avec tout cela, neantmoins, vous devez sçavoir qu’il n’y eut jamais de vanité pareille à celle de ce petit personnage, et qu’il ne croit pas qu’il y ait au monde d’esprit comparable au sien. Il esi si friand de louange, que, luy ayant refusé des vers qu’il m’avoit demandez pour mettre au devant de l’un de ses ouvrages, il a bien eu l’impudence d’en composer qu’il y a appliquez sous mon nom, et que, messieurs…, etc…, luy en ayant donné d’autres où il ne se trouvoit pas assez loué à sa fantaisie, il les changea et gasta tous pour y mettre plus d’eloges. C’est tout ce que je vous apprendray de Sibus, dont je ne feray pas l’histoire plus longue, m’imaginant qu’elle l’est assez pour vous avoir beaucoup ennuyé. »

L’historien du poëte n’eut pas plustost prononcé cecy que Sylon prit la parole pour l’asseurer qu’au contraire il y avoit pris beaucoup de satisfaction. Ils se mirent ensuite à faire diverses reflections sur ce petit personnage, et, pource que l’historien dit qu’il falloit que ce fût une ame bien basse de se mesler ainsi d’une chose où il n’entendoit rien (ils parloient de sa poesie) : « Tant s’en faut, repliqua Sylon ; je trouve, pour moy, que ce doit estre un habile homme, d’avoir trouvé moyen de vivre d’un mestier qu’il ne sçait pas. — En effet, repartit l’historien avec un souris que cette reponse attira sur ses lèvres, si Diogène eut raison, voyant qu’on se gaussoit d’un miserable musicien, de le louer bien fort de ce qu’entendant si mal son mestier il ne s’estoit point mis à celuy de voleur, ne peut-on pas dire aussi que Sibus ne peut recevoir trop de louange de ce que, gagnant si peu dans sa profession et y reussissant si mal, il a eu neantmoins la constance d’y perseverer jusques à la fin, sans qu’il luy ait jamais pris envie de se faire pendre pour une mauvaise action. — Voulez-vous que je vous die ? reprit Sylon ; ma foy, moquons-nous de luy tant qu’il nous plaira ; si n’en peut-il si peu sçavoir qu’il n’en sçache autant que la pluspart de ceux de sa profession qui passent pour les plus habiles. — Que dites-vous, repondit l’historien, et à quoy pensez-vous ? La poesie françoise n’est-elle pas aujourd’huy en un tel poinct qu’il ne s’y peut rien adjouster ? Et le poëme dramatique, entr’autres, ne s’est-il pas elevé à un tel degré de perfection que, du consentement de tout le monde, il ne sçauroit monter plus haut ? Se peut-il rien voir de plus beau que le sont la Mariane25, l’Alcionée26, l’Heraclius27, les Visionaires28 ? — Aussi ne condamnay-je pas, repliqua Sylon, toutes les pièces de theatre ny tous les poëtes ; et je vous avoueray mesme, si vous le voulez, que je ne crois pas que, depuis qu’il y a des vers et des poëtes, il y ait jamais rien eu, pour ce qui est de la beauté de l’invention, de comparable, soit en grec, latin ou françois, aux Visionaires que vous venez de nommer. Mais tant y a que, comme une goute d’eau ne fait pas la mer, vous ne pouvez pas conclure que, pour une pièce peut-estre que nous avons eue exempte des defauts des autres, nostre poesie soit en un si haut point de perfection que vous la mettez : car, je vous prie, le poëme dramatique n’estant qu’une pure, vraye et naïve image de la societé civile, n’est-il pas vray que la vraysemblance n’y peut estre choquée le moins du monde sans commettre une faute essentielle contre l’art ? Les poëtes mesmes tombent d’accord de cecy, puis qu’ils ne nous chantent autre chose pour authoriser leur unité de scène et de lieu ; et pourtant où m’en trouverez-vous, je dis de ceux-mesmes que vous m’aportez pour modèles, qui ne l’ayent violée une infinité de fois dans leurs plus excellens ouvrages ? Montrez-moy une pièce exempte de soliloques ; cependant y a-t’il rien de plus ridicule et de moins probable que de voir un homme se parler luy seul tout haut un gros quart d’heure ? Cela nous arrive-t’il jamais quand nous sommes en nostre particulier, je dis dans le plus fort de nos passions les plus violentes ? Nous pousserons bien quelque fois quelque soûpir, nous ferons bien un jurement ; mais de parler long-temps, de resoudre nos desseins les plus importans en criant à pleine teste, jamais. Pour moy, je sçay bon gré à un de mes amis, qui, faisant ainsi parler Alexandre avec luy-mesme dans une pièce burlesque, fait dire en mesme temps par un autre acteur qui le surprend en cette belle occupation : « Helas ! vous ne sçavez pas ? Alexandre est devenu fol. — Hé ! comment cela ? repond un autre. — Hé ! ne voyez-vous pas, reprend le premier, que le voilà qui parle tout seul ? » Ce n’est pas là neantmoins le plus grand de leurs defauts. En voicy encore un autre aussi insupportable à mon gré. Vous y verrez une personne parler à son bras et à sa passion, comme s’ils estoient capables de l’entendre : Courage, mon bras ; Tout beau, ma passion. Mettons la main sur la conscience : nous arrive-t’il jamais d’apostropher ainsi les parties de nostre corps ? Quand vous avez quelque grand dessein en teste, quand vous vous devez battre en duel, faites-vous ainsi une belle exhortation à vostre bras pour l’y resoudre ? Disons nous jamais : Pleurez, pleures, mes yeux29 ? non plus que : Mouchez, mouchez-vous, mon nez ? Çà, courage, mes pieds, allons-nous-en au fauxbourg Saint-Germain ? Vous me direz que c’est une figure de rhetorique qui a esté pratiquée de tous les anciens. Je vous repons qu’elle n’en est pas moins ridicule pour estre vieille ; que ce n’est pas la première fois que l’on a fait du vice vertu ; qu’il n’y a point d’autorité qui puisse justifier ce qui choque le jugement et la vraysemblance, et qu’enfin les anciens ont failly en cecy, comme ils ont manqué quand ils ont fait durer des sujets d’une pièce plusieurs mois, et qu’ils n’observoient ny unité de lieu, ny de scène. Qu’on ne me pense donc point payer d’authorité : il n’y a vice ny defaut que je ne justifie, s’il ne faut pour cela que le trouver dans un ancien autheur. Il n’y a point d’Age, anime ! dans Senèque qui puisse rendre bon : « Courage, mon ame ! » en françois.

C’est encore une bonne sottise que ces sentimens qu’ils appellent cachez. Ils nomment sentiment caché ce qu’un personnage prononce sur le theatre seulement pour éclaircir l’auditeur de ce qu’il pense, en sorte que les autres acteurs avec qui il parle n’en entendent rien. Par exemple, dans le Belissaire30, pièce dont je fais d’ailleurs beaucoup d’estat et dont j’estime l’autheur, lors que Leonce le veut tuer, ce dernier, après luy avoir fait un grand conte que Belissaire a fort bien entendu, s’ecrie :

Lâche, que tardes-tu ? l’occasion est belle31.

Dans le Telephonte32, Tindare dit à son rival, qui veut epouser sa maistresse : Traistre, je t’arracheray plutost l’ame, ou quelque chose de semblable ; puis il poursuit comme si de rien n’estoit, et l’autre n’y prend pas garde le moins du monde. Or je dis qu’il n’y a rien de plus ridicule que cette sorte de sentimens cachez, pource qu’il n’est nullement probable que Leonce, par exemple, qui vouloit tuer Belissaire, fût si sot, dans une occasion comme celle-là, que de dire tout haut, à moins que de faire son coup à mesme temps : Lâche, que tardes-tu ? l’occasion est belle. C’estoit pour se faire decouvrir. En second lieu, quand il seroit assez fol, je demande pourquoy Belissaire, qui a si bien entendu tout ce qu’il luy a dit jusqu’icy, et qui entendra fort bien tout ce qu’il luy dira après, n’entend point ce vers icy aussi bien que les autres. Ces sentimens cachez, dites-vous, sont necessaires pour instruire l’auditeur ; mais, si l’auditeur les oit bien du parterre ou des loges, comment Belissaire, qui est sur le theâtre avec Leonce, ne les entend-il pas ? Qu’est-ce qui le rend si sourd à poinct nommé ? Y a-t il là aucune probabilité ? Il y en a si peu que ce n’est pas la première fois que cette sorte d’impertinence leur a esté reprochée33. Aussi, ayant dessein de ne leur porter que des botes nouvelles, c’est-à-dire de ne leur rien reprocher qui leur ait dejà esté objecté, pource qu’autrement cette matière s’etendroit à l’infiny, j’avoue que j’ay tort de m’arrester à une chanson qui leur a esté si souvent rebatue.

Voulez-vous rien de plus ridicule que leurs fins de pièces, qui se terminent toujours par une reconnoissance, le heros ou l’heroïne ne manquant jamais d’avoir un cœur, une flèche ou quelqu’autre marque emprainte naturellement sur le corps34.

Y a-t’-il rien de plus sot que ces grands badauts d’amoureux qui ne font que pleurer pour une vetille, et à qui les mains demangent si fort qu’ils ne parlent que de mourir et de se tuer. Ils se donnent bien de garde d’en rien faire cependant, quelque envie qu’ils en temoignent ; et s’il n’y a personne sur le theatre pour les en empescher, ils se donneront bien la patience de prononcer une cinquantaine de vers, en attendant que quelqu’un survienne qui les saisisse par derrière et leur oste leur poignard. Vous les verrez mesme quelquefois si agreables qu’au moindre bruit qu’ils entendront ils vous remettront froidement leur dague dans le fourreau, quelque dessein de mourir qu’ils eussent montré, donnant pour toute excuse d’un : Mais quelqu’un vient ! Au lieu de dire cela, que ne se tuoient-ils s’ils en avoient si grande envie ? Un coup est bientost donné. Toutefois, que voulez-vous ? les pauvres gens auroient trop de honte de faire une si mauvaise action devant le monde ; et puis tousjours ont-ils bonne raison, car il y a bien moins de mal à dire une sottise qu’à se tuer. Ils sçavent bien que ce qu’ils en font ce n’est pas tout de bon, ce n’est que par semblant ; ils se souviennent qu’ils ont encore des vers à dire, et que, quelque malheur qui les accable, ils doivent bientost estre heureux et mariez au dernier acte, et ils sçavent trop bien qu’une des principales règles du theatre, c’est de ne pas ensanglanter la scène. Que diroit leur maistresse s’ils avoient esté si hardis que de sortir de la vie sans son congé ? Elle est maistresse de toutes leurs actions, elle le doit donc estre de leur mort, car c’est agir que de mourir. Il faut luy aller dire le dernier adieu et la prier de les tuer de sa main ; le coup en sera bien plus doux : un coup d’epée qui part du bras d’une maistresse ne fait que chatouiller. Mais elle n’a garde de rendre un si bon office à un homme qui a esté si insolent, si temeraire, si outrecuidé35, que de l’aimer : il faut qu’il vive pour sa peine. Il voudroit bien la mort, mais ce n’est pas pour son nez, car ce seroit la fin de ses peines, et l’on n’est pas encore reconcilié. Voilà donc un pauvre amant en un pitoyable estat ; neantmoins il n’y sera pas longtemps. Chimène luy va dire qu’elle ne le hait point. Après cela, qu’y a-t’-il qu’il ne surmonte, quels perils qu’il n’affronte ? Paroissez, Navarrois, Mores et Castillans, et tout ce que l’Espagne a nourry de vaillans36 ! Paroissez, don Sanche ; il va vous en donner ! Il se moque des boulets de canon, car Chimène ne le hait point, et luy a dit qu’elle seroit le prix de son combat37. Par vostre foy, ne sont-ce pas là d’etranges conséquences ? Toutefois, pourquoy s’etonner s’ils raisonnent autrement que les autres hommes, puis qu’ils ont le don de prophetie, et que la divination, au dire des Pères mesmes, est une allienation d’esprit ou un emportement de l’ame hors de ses bornes ordinaires, aussi bien que la manie. Il ne vient personne sur le theatre dont ils ne predisent l’abord et dont ils n’ayent dit : Mais voicy un tel, avant qu’il ait commencé de paroistre. Et ne voyons-nous pas que depuis la Mariane, où cet artifice ne laissoit pas d’estre beau pource qu’il estoit nouveau, il ne leur arrive pas le moindre malheur qu’ils ne predisent par quelque songe funeste ? Le cœur le leur avoit bien dit ; ils sentent tousjours je ne sçay quoy là-dedans qui leur presage tout ce qui leur doit arriver. Mais, à propos de deviner, n’est-ce pas encore une chose bien ridicule que leurs oracles, qu’ils prennent tant de peine à faire reussir ? Tous les gens d’esprit sçavent que ces oracles n’ont esté que des fourberies des prestres des anciens pour mettre par là leurs temples en vogue, et que, s’ils reussissoient quelquefois, ce n’estoit que par hazard, pource que, disant tant de choses, il estoit impossible qu’ils n’en proferassent quelqu’une de véritable, comme un aveugle decochant un grand nombre de flèches peut donner dans le but par cas fortuit. Il n’y a donc point d’aparence de rendre ces oracles si véritables, et un autre de mes amis a bien meilleure raison dans le dessein qu’il a de mettre veritablement un oracle dans un très beau roman qu’il compose, mais à dessein seulement de surprendre davantage le lecteur en faisant reussir sa catastrophe au rebours de ce qu’avoit predit l’oracle. »

Sylon proferoit cecy d’un fil si contenu qu’il sembloit s’estre preparé sur cette matière, et il avoit encore bien d’autres choses à debiter, lors que son amy, l’interrompant : « Cette façon de surprendre le lecteur, luy dit-il, me fait souvenir d’une autre dont je me suis servy dans une espèce de roman burlesque pour railler et suivre tout ensemble la loy de nos romanistes38 et contenter aussi le peuple, qui veulent que cette sorte de livres debute tousjours par quelque avanture surprenante. Je commence le mien ainsi : « Il estoit trois heures après midy lors qu’on vit ou que l’on put voir à Rouen, dans la rivière, un homme couronné de joncs et fait en quelque façon de la mesme sorte que les poëtes et les peintres nous representent leurs dieux marins s’elever et sortir du fond de l’eau. » Ne voilà-t’il pas un superbe spectacle, et qui tient fort l’esprit en suspens ? Aussi ne manquay-je pas de l’embrouiller de beaucoup d’intrigues, selon la coustume, avant que d’en decouvrir la cause ; puis, comme l’on meurt d’envie de la sçavoir, il se trouve enfin que ce Neptune qui a percé l’onde dans un si superbe appareil n’est qu’un escolier qui se baignoit, et qui, s’estant fait un peu auparavant cette couronne de quelques joncs, et l’ayant attachée à sa teste, venoit de se plonger par plaisir. Pour ce qui est de l’unité de scène ou de lieu, que, depuis la Cassandre39, ils veulent tous faire garder dans les romans aussi bien que dans les comedies, je l’observe d’une assez plaisante façon. Je fais faire tout le tour du monde dans un navire à mon principal personnage, de sorte que, suivant la definition qu’Aristote donne du lieu, locus est superficies corporis ambientis, il se trouve que, n’ayant point sorty de son vaisseau, il n’a par consequent point changé de lieu ; et pource que c’est un très mechant homme et qui a fait de très mauvaises actions pendant toute mon histoire, et que, par leurs règles, ils veulent que le vice soit toujours puny à la fin, comme la vertu recompensée, au lieu que les autres font marier leurs heros à leurs heroïnes en recompense de leurs illustres exploits, je punis le mien en luy faisant epouser sa maistresse, alleguant là-dessus qu’après avoir bien resvé au genre de son supplice, je n’ay pas cru luy pouvoir donner de plus rude peine qu’une femme. — Ces artifices sont très agreables, repondit Sylon. — C’est une bagatelle, repliqua l’amy pour faire le modeste, une fadaise, dont vous pouvez bien penser que je ne pretens pas tirer beaucoup de gloire, puis que ce n’est qu’une histoire comique. — Comment ! puisque ce n’est qu’une histoire comique ! reprit Sylon ; hé ! croyez-vous, en bonne foy, que le Dom Quichot et le Berger extravagant40, les Visionnaires, la Gigantomachie41 et le Pedant joué ayent moins acquis de gloire à leurs autheurs que pourroient avoir fait les ouvrages les plus serieux de la philosophie ? Non, non (comme un des plus doctes hommes de ce siècle l’a fort bien sçeu remarquer), l’homme estant egalement bien definy par ces deux attributs de risible et de raisonnable, il n’y a pas moins de gloire ny de dificulté à le faire rire par methode qu’à exercer cette fonction de son ame qui le fait raisonner. Aussi voyons-nous que Ciceron, dans ses livres De orotore, ne s’est pas moins etendu sur le sujet de ridiculo que sur les autres parties d’un orateur qui semblent plus relevées. Si les œuvres et les apophtegmes de Mamurin42, par exemple… » On ne sçait pas bien ce que Sylon vouloit dire icy, car son amy, l’interrompant : « Que voulez-vous dire d’œuvres et d’apophtegmes de Mamurin ? luy dit-il. — Est-il possible, repartit Sylon, qu’en vous racontant la vie de ce parasite, j’aye oublié de vous faire part d’un papier qu’on m’a donné à la Grève où ces choses sont contenues ? » L’amy dit qu’il n’en avoit rien veu, et, là dessus, Sylon luy en fit une lecture, à laquelle il temoigna par mille souris qu’il prenoit beaucoup de plaisir. « Il faut advouer, s’ecria-t’il aussi tost qu’elle fut achevée, que la vie du poëte que je viens d’apprendre a quelque chose d’agreable ; mais si faut-il confesser qu’elle n’a rien d’approchant de celle de Mamurin. — Pourquoy ? reprit Sylon. — Hé ! qu’y a-t’il dans ces deux histoires, repondit l’autre, qui approche soit des commes43, soit des livres et des apophtegmes de celle-cy ? — Parbleu ! s’ecria Sylon, en voilà d’une bonne ! N’y a-t’il pas des beautez de plusieurs formes, de brunes comme de blondes ? Quoy ! vous estes donc d’humeur à ne vouloir que d’une seule sorte de viande ? Je m’attens, pour moy, que, lors qu’on vous racontera les vies d’Alexandre et de Pompée, il ne faudra pas laisser d’y mettre des noms de leurs ouvrages, quoy qu’ils n’en ayent jamais fait, pour vous les faire trouver belles ; et qu’il sera necessaire, de plus, que l’historien ait toujours un homme prest pour l’interrompre, afin de trouver l’occasion d’y mettre des commes : car je gagerois, pour vous montrer comme ce n’est que pure imagination, que, pour ce qui est de vostre histoire du poëte, vous ne la trouveriez pas moins belle si je vous l’avois commée, et si, au lieu du train suivy et continu dont vous me l’avez rapportée, je vous disois à bastons rompus :

« Comme Sybus apprit à faire des vers à force de lire les ouvrages de nos poëtes françois, qu’il rapportoit tous les jours du marché avec le beurre et le fromage qu’il achetoit pour le disner de son maistre ;

« Comme, afin de devenir poëte de cour, il quitta l’Université pour le faux-bourg Saint-Germain ;

« Comme, au lieu de plume, il ecrivoit avec l’un de ses ongles, qu’il avoit laissé croistre à ce dessein ;

« Comme, n’ayant pas le moyen d’acheter de la chandelle, il fit un trou à la cloison de sa chambre, qui repondoit dans celle d’une blanchisseuse ;

« Comme les libraires du Palais le firent mettre en prison pour leur avoir vendu à cinq ou six un mesme ouvrage sous differens titres, qu’il dedia aussi à differentes personnes, pour y gagner davantage ;

« Comme il ne se chauffoit qu’à un tas de fumier, s’imaginant que, comme la fumée des viandes repaist et engraisse les cuisinières, celle de ce fumier pourroit bien aussi rassasier sa faim ; et comme, à force de se promener sur ce fumier, il luy survint un grand malheur, qui fut qu’une paire de bouts qui avoit coustume de luy servir plus de quinze jours ne luy en duroit plus que douze. »

Sylon n’eust pas manqué d’achever de reduire en commes l’histoire du poëte, ainsi qu’il l’avoit commencée, si son amy ne l’eust encore interrompu en cet endroit : « Hé bien ! luy dit-il, voudriez-vous soustenir que ces particularitez des bouts de souliers, que j’ay neantmoins esté obligé de vous rapporter pource qu’elles sont veritables, ne fussent pas plustost basses qu’autrement, et qu’elles eussent rien de comparable à celles de l’histoire de Mamurin ? — Ah ! nous y voicy ! repondit Sylon ; ma foy, je m’imagine que vous estes de l’humeur de nos poëtes, qui, lors qu’ils ont quelque ouvrage à faire, cherchent dans un dictionnaire tous les gros mots, comme trone, couronne, diadème, palmes, indumées, cèdres du Liban, croissant ottoman, aigle romaine, apotheose, naufrage, ondes irritées, et quantité d’autres belles paroles semblables, dont ils vous massonnent après bravement leurs sonnets et leurs odes, s’imaginant que cela suffit pour rendre une pièce excellente, et que de tant de beaux materiaux il ne peut resulter qu’un parfaitement bel edifice. Ainsi, pource que vous croyez que ces mots extraordinaires font toute la bonté d’un ouvrage, vous estes persuadé aussi que ceux qui sont plus communs ne sçauroient manquer de le gaster. — Ce n’est pas le mot que je reprens, repartit l’amy, c’est la chose : car ne m’avouerez-vous pas que cette circonstance de bouts de souliers est très basse ? — Nostre pointu de tantost ne manqueroit pas d’en tomber d’accord, puis qu’il s’agit du dessous des pieds, repliqua Silon ; mais, pour moy, je me donneray bien de garde de croire qu’une chose soit basse quand l’imagination en est extraordinaire et qu’elle represente bien l’objet que l’on veut depeindre. Par exemple, posez le cas que vostre histoire du poëte ne fust pas veritable, mais un conte fait à plaisir : je maintiens qu’il n’y auroit pas moins eu d’esprit à trouver cette particularité de bouts de souliers que beaucoup d’autres, qui ont un plus beau nom, pource que celle-cy represente parfaitement bien les mœurs, les desseins et la personne de celuy que l’on veut decrire. Il s’agit d’un poëte crotté ; ne voudriez-vous point qu’on luy fît donner des batailles pour fendre des demesurez geans jus les arçons, se precipiter dans la mer pour sauver par generosité une dame qui se noye, et faire cent mille autres bagatelles que vous deguisez du nom de hauts evenemens ? — Je ne veux point tout cela, reprit l’amy ; mais je veux que, si un sujet n’est pas capable de recevoir d’autres embellissemens que de circonstances basses et qui peuvent facilement tomber dans la teste d’un chacun, on ne se donne point la peine de nous en rompre la cervelle. — Cela est bien, repliqua Sylon, mais il faut tomber d’accord de ce que nous appellerons bas et capable d’entrer dans la teste d’un chacun. Une chose paroist quelquefois abjecte et facile à trouver, quoy que cependant il n’y ait rien de plus elevé ny de mieux imaginé. C’est l’adresse de l’ecrivain de disposer si bien son fait qu’il semble qu’il n’y ait rien que d’absolument necessaire, et que, par consequent, tout autre n’eust mis aussi bien que luy. Cependant, les veaux qui ne reconnoissent pas cet artifice s’imaginent, à cause que la chose est naïfvement representée, qu’il n’y a rien de plus facile à trouver. Quand Christophle Colomb eut decouvert l’Amerique, quantité de sots et d’envieux pensoient bien diminuer de sa gloire en disant : « Voilà bien de quoi ! Quoy ! n’y avoit-il que cela à faire ? qu’à aller là, et puis là ; et de là, là ; et puis encore là, et de là aborder là ? Vrayment, nous en eussions bien fait autant ! » Colomb, pour se moquer d’eux, il est vray qu’il n’y avoit que cela à faire : « Messieurs, leur dit-il, mais qui de vous fera bien tenir cet œuf sur ce costé icy44 » ? leur dit-il, en montrant la pointe. Ils se mirent tous incontinent à resver, et, pas un n’en pouvant venir à bout, Colomb cogna doucement la pointe de l’œuf contre la table, et, la cassant, fit ainsi tenir l’œuf dessus. Les voilà tous à dire encore : « Quoy ! n’y avoit-il que cela à faire ? Vrayment, nous en eussions bien fait autant. — Toutefois, repondit Colomb, pas un pourtant ne s’en est pu aviser. C’est tout comme cela que j’ay decouvert les Indes. » Ce que disoit Colomb de son voyage se doit entendre de la pluspart des belles choses ; quand nous les voyons faites, nous n’appercevons plus ce qui les rendoit difficiles. Mais je voy bien ce qui vous tient : il vous faut des livres, des apophtegmes ; hé bien ! vous en aurez. Imaginez-vous donc, pour trouver vostre histoire du poëte belle, qu’il a composé45 :

Une invective contre Chrisippus46, de ce qu’ayant fait un si grand nombre de livres, il n’en dedia jamais pas un.

Commentaire sur le passage de Buscon47 où il est parlé des chevaliers de l’industrie48.

Très humbles actions de graces de la part du corps des autheurs à M. de Rangouze, de ce qu’ayant fait un gros tome de lettres, et se faisant donner au moins dis pistolles de chacun de ceux à qui elles sont adressées, il a trouvé et enseigné l’utile invention de gagner autant en un seul volume qu’on avoit accoustumé jusques icy de faire en une centaine49.

Methode de faire de necessité vertu, ou l’Art de se coucher sans souper.

Recherches curieuses sur le proverbe : « Vaut mieux un tiens que deux tu l’auras ».

Le moyen de faire imprimer utilement un livre à ses despens quand le libraire n’en veut pas assez donner à son autheur ; ensemble le privilége gratuit. Traitté très utile à tous, tant poëtes que faiseurs de romans, où, par une methode très facile et experimentée, est enseigné l’art de ne rien payer du privilége d’un ouvrage, en gagnant les bonnes graces d’un secretaire du roy par quelque sonnet à sa louange.

Que les premiers philosophes ont esté poëtes.

Chansons nouvelles et recreatives.

Le triomphe des epigrammes, ou Les epigrammes triomphantes.

Le doute resolu, ou La question decidée, sçavoir lequel vaut mieux à un autheur, en payement d’un sonnet, d’une ode, ou d’une epistre dedicatoire mesme, de recevoir un habit complet avec le manteau, ou dix pistolles50.

Des jours favorables à l’impression.

Le stile des requestes, ou Methode de dresser une requeste en vers pour demander une pension ou autre chose, le tout authorisé par plusieurs exemples tirez des ouvrages de M. ...... jadis ......

Le may des imprimeurs des années 1658 et 165951.

Questions memorables, où il est traitté, entre plusieurs autres recherches curieuses, du prix qu’Auguste et Mecenas donnoient à Horace et Virgile pour une epigramme ou une ode.

Le trebuchet52 des sonnets, ou Sçavoir si, supposé que les pistolles ne vallussent que huit francs, le sonnet ne vaudroit qu’une pistolle ?

Du prix et de la valeur des poëmes epique, elegiaque et dragmatique, et combien il faut de patagons53 pour faire la monnoye d’un sonnet. Ensemble un discours particulier des sonnets, où il est traitté du sonnet de province, du sonnet façon de Paris, et singulierement du sonnet marqué au coing du Marais. »

Comme Sylon avoit l’esprit vif et imaginatif au dernier point, il n’eust pas terminé si tost cette saillie, si son amy ne l’y eust obligé en l’interrompant : « Ma foy ! luy dit-il, vous verrez que le poëte fera tant de livres qu’il y mettra tout ce qu’il sçait, et qu’il ne luy restera plus rien pour ses apophtegmes. — Donnez-vous patience, vous en aurez, reprit Sylon ; qu’à cela ne tienne que vous ne soyez satisfait et que son histoire ne soit aussi belle que celle de Mamurin. Figurez-vous donc que,

Un jour qu’on luy parloit de celuy qui brusla le temple de Delphes pour rendre son nom immortel : « Il le pouvoit faire à meilleur marché et avec moins de peine, dit il : ne connoissoit-il point de poëte ? »

Pource qu’on le railloit de ce qu’il portoit des cloux à ses souliers, il repondit qu’il etoit de l’ordre de Pegase.

Une fois, qu’on luy demandoit pourquoy il mangeoit si peu : « C’est de peur de mourir de faim ! » repondit-il, voulant dire que c’estoit pour epargner de quoy manger le lendemain.

Mamurin luy demandant un jour : « Comment peux-tu vivre et manger si peu ? — Et toy, repondit-il au parasite, comment peux-tu vivre et manger tant ? »

Chantant un jour dans une compagnie, il le fit si miserablement qu’on le livra aux pages et aux laquais, qui le pensèrent accabler de pierres. Quand on luy reprochoit cette aventure, il disoit qu’il avoit cela de commun avec Orphée et Amphion d’attirer les pierres et les rochers.

Une autre fois, tout le monde s’estant levé dès qu’il commença à reciter de ses vers, il dit qu’il estoit le coq de tous ceux de sa profession.

Moqué un jour de ce qu’il gratoit sa teste pour faire des vers qu’on luy demandoit : « Comment voulez-vous que je les en tire, dit-il, si ce n’est avec les mains. »

Une autre fois, sur le mesme sujet : « Pour qu’un champ rapporte, repondit-il, il faut bien qu’il soit labouré. »

Encore une autre fois, en une occasion semblable, comme on le railloit de ce qu’il gratoit tant sa teste pour en faire sortir ses vers : « Ho ! ho ! je croy bien, repliqua-t’il ; il fallut bien fendre celle de Jupiter pour en faire sortir Minerve ! »

Comme on luy reprochoit qu’il estoit logé bien près des tuilles, il dit qu’ayant à communiquer tous les jours avec les dieux, il estoit bien raisonnable qu’il fît la moitié du chemin.

Un jour qu’on luy disoit qu’il estoit bien mal vestu pour un poëte d’importance, il repartit que souvent Virgile estoit bien relié en parchemin. »

Sylon n’eut pas plustost achevé cette plaisante tirade que son amy fut obligé de prendre congé de luy, pource qu’il se faisoit tard ; ils firent encore neantmoins cette reflection avant : que, bien que le caractère de ce personnage fût aussi rare qu’il s’en pust trouver, il n’y avoit neantmoins rien de si ridicule dans sa personne qui ne se rencontre en un degré bien plus haut dans la plus grande partie de nos poëtes, dont il y en a peu qui ne soient plus miserables que Sibus.



1. Nous trouvons cette pièce, si intéressante pour l’histoire des mœurs littéraires au XVIIe siècle, dans l’ouvrage très rare auquel nous avons déjà fait plusieurs emprunts : Recueil de pièces en prose les plus agréables de ce temps, par divers autheurs ; à Paris, chez Charles de Sercy, M.DC.LXI, in-12, deuxiesme partie. Nous ne savons quel est le pauvre diable, à la fois poète et musicien, double métier de gueuserie, qui se trouve représenté ici sous le nom de Sibus. Il étoit d’autant plus difficile de le découvrir qu’un grand nombre de poètes de ce temps-là partageoient la même misère, et que c’est à peine si la plupart nous ont fait parvenir leurs noms. Est-ce Maillet, le Mytophilacte du Roman bourgeois, le poète crotté de Saint-Amant ? Plus d’un détail le donneroit à penser ; mais il étoit mort vieux en 1628, et il n’eût plus été en 1661 une figure de circonstance, surtout auprès de tant de pauvres diables qui n’avoient que trop bien rajeuni le type déguenillé. Je pencherois plutôt pour quelqu’un de ceux qui traînoient leur vie mendiante au milieu du Paris de la Fronde, comme cet auteur de Mazarinades qui, dans la pièce Les généreux sentiments de Mademoiselle, etc., Paris, 1652, in-4, raconte de quelle façon, « ayant été présenter des vers mal fagotés à un prince, il fut égratigné par un singe parcequ’il étoit mal vêtu » ; comme Gomez encore et comme Civart, dont il est parlé dans une autre Mazarinade, La fourberie découverte, ou Le renard attrapé, 1650, in-4, p. 7 :

Paris, qui m’a vu destiné
À cultiver la poésie…
Mais ce métier plein de folie,
Combien qu’il ait beaucoup d’appas,
N’apporte pas un bon repas.
Soyez-m’en témoin, je vous prie,
Et vous Gomès, et vous Civart,
Qu’on montre au doigt dedans le Louvre.

Le nom de Civart — si ce n’est pas encore un pseudonyme — est celui qui se rapproche le plus de celui de Sibus. C’est tout ce que nous pouvons dire, car ce Civart ne nous est connu que par cette seule pièce, et nous ne pouvons savoir si son existence eut quelque ressemblance avec celle qui est racontée ici, et qui semble avoir été plutôt faite à plaisir que d’après la réalité. Parmi les grands déguenillés de ce temps, n’oublions pas le géomètre Vaulezard, dont G. Naudé nous a fait le portrait à la page 270 du Mascurat.

2. Ce singulier traité de Heinsius a été traduit par Mercier de Compiègne ; un autre du même genre, écrit par Th. Canterius, a été mis en françois par Simon, de Troyes. Le poème burlesque de J. Wolcott, the Lousiad, roule sur un sujet pareil. L’insecte chanté s’appelle, comme on sait, louse en anglois. Sur des facéties de même espèce, on peut chercher dans le recueil de Dornau, Amphitheatrum sapientiæ socraticæ jocoseriæ, Hanau, 1670, en deux parties.

3. Ce musicien, beau-père de Lulli, est trop connu depuis la 3e satire de Boileau et par quelques anecdotes de Tallemant pour qu’il soit besoin d’entrer sur son compte dans quelques détails.

4. C’est-à-dire comme Poucet, qui portoit, à ce qu’il paroît, dans les contes de nourrice, le nom qu’on lui donne ici, avant que Perrault eût immortalisé l’autre. Il n’a pas respecté cette particularité de sa naissance, mais elle a été religieusement conservée dans l’histoire de Tom-Thumb (Tom-Pouce), le petit Poucet des Anglois.

5. « C’estoit ainsi qu’on habilloit, dit Furetière (Roman bourgeois, édit. elzev., p. 330), les pauvres orphelins et les enfans de l’hospital, témoin ceux du Saint-Esprit et de la Trinité. »

6. Ce collége, l’un des plus fameux de l’ancienne Université de Paris, se trouvoit alors, non pas rue Saint-Jean-de-Beauvais, où il fut dans les derniers temps qui précédèrent la Révolution, et où il fut remplacé par une caserne, mais rue Saint-Étienne-des-Grès.

7. C’est-à-dire valet de classe, de l’allemand küster. Dans les Cent nouvelles nouvelles, on lit coustre.

8. Il faut lire ici, je crois, Manchy, abréviation de Mantchourie.

9. Les naïres sont, parmi les Indiens, les nobles qui portent les armes.

10. On connoît ces vers d’Alceste à Célimène sur cette mode des muguets du XVIIe siècle (le Misanthrope, acte 2, sc. 2) :

Mais au moins, dites-moi, Madame, par quel sort
Votre Clitandre a l’heur de vous plaire si fort ?
Sur quel fonds de mérite et de vertu sublime
Appuyez-vous en lui l’honneur de votre estime ?
Est-ce par l’ongle long qu’il porte au petit doigt
Ou’il s’est acquis chez vous l’estime où l’on le voit ?

On lit aussi dans la nouvelle tragi-comique de Scarron, Plus d’effet que de paroles, au sujet du prince de Tarente : « Il s’étoit laissé croître l’ongle du petit doigt de la gauche jusqu’à une grandeur étonnante, ce qu’il trouvoit le plus galant du monde. » Cette mode venoit sans doute de ce qu’il falloit gratter avec l’ongle, et non pas frapper, à la porte de la chambre du roi, pour annoncer qu’on désiroit entrer. Porter l’ongle long, c’étoit donc montrer indirectement qu’on étoit reçu chez Sa Majesté. Par flatterie, on grattoit aussi chez les gens les plus puissants. Tallemant, voulant donner une preuve du crédit de Desnoyers lorsqu’il mourut, dit : « On grattoit déjà à sa porte comme à celle du cardinal. » (Édit. in-12, t. 3, p. 78.)

11. C’étoit souvent alors le métier des pauvres diables d’auteurs ou de prêtres. V. dans notre tome 4, p. 79, le Factum du procès de messire Jean contre dame Renee.

12. C’est Lucien qui nous donne ce détail dans sa satire contre un ignorant qui faisoit une bibliothèque : « Mais pourquoi, dit-il, te rapporter les exemples d’Orphée et de Neanthus ? De notre temps, il s’est trourvé un homme, et il est encore en vie, qui a acheté la lampe de terre d’Épictète trois mille drachmes : car il espéroit qu’en lisant les nuits à la lueur de cette lampe, la sagesse d’Épictète viendroit incontinent à lui pendant son sommeil, et qu’il deviendroit tout semblable à ce merveilleux vieillard. » Lucien parle encore du collectionneur qui acheta le bâton de Protée le cynique moyennant un talent (5,500 fr. à peu près). De notre temps, la canne de Voltaire, je dis la vraie, n’auroit pas été à la moitié de ce prix.

13. Ce sont les fragments mêmes d’un livre d’Erasistrate qu’Aulu-Gelle cite à ce sujet. (Noctes atticæ, lib. 16, cap. 3.)

14. C’est-à-dire de grosse toile, comme celle dont les paysans et les maçons avoient des habits. (Dict. de Trévoux.) Ce mot est mis ici par ironie, à cause de sa ressemblance avec celui de trélis, fine étoffe depuis très long-temps célèbre. (V. Fr. Michel, Recherches sur les étoffes de soie, t. 1, p. 115), et dont on fait encore l’habillement de jambe des gens à la mode :

Puis le bas de trélis honnête
Lui fait la jambe encor mieux faite.

(Vers à la Fronde sur la mode des hommes, 1650, in-4.)

15. C’est à Ratisbonne que se tenoient alors les diètes de l’Empire, à cause de la commodité qu’avoient les princes allemands d’y faire venir de leurs États des vivres à peu de frais.

16. C’étoit une étoffe de soie à longs poils dont on doubloit les manteaux.

17. C’est un des noms donnés à Montmaur dans l’une des nombreuses satires dont Sallengre a publié le recueil.

18. Nous avons vu Turlupin le souffreteux presque réduit à la même extrémité (V. t. 6, p. 62).

19. Cormier étoit l’un des fameux opérateurs du Pont-Neuf, l’une des célébrités populaires du Paris de la Fronde, époque badaude s’il en fut. Il est parlé de lui dans l’Agréable récit des barricades, dans le Ministre d’État flambé (1649, in-4), où il est mis au nombre des gens que les événements avoient ruinés :

Sur le Pont-Neuf, Cormier en vain
Plaint sa gibecière engagée.

Une autre mazarinade de la même année le met en scène : Les entretiens du sieur Cormier avec le sieur La Fleur, dit le Poitevin, sur les affaires du temps. Enfin, tout me porte à croire que c’est de lui qu’il est aussi question dans les Mémoires de Daniel de Cosnac (t. 1, 127–128), au sujet d’une querelle de préférence que Molière eut à soutenir pour être admis à jouer au château de la Grange, près de Pézenas, devant M. le prince de Conti. Cormier est en effet le nom du directeur dont on opposoit la troupe à la sienne. Or, notre opérateur devoit en avoir une. Tous ceux de son métier, surtout s’ils avoient sa célébrité et son importance, n’y manquoient pas alors. On le sait par l’Histoire de Barry, que le fils de ce grand charlatan a écrite à la suite du rarissime petit volume le Voyage de Guibray, etc., p. 146 et suiv. : « Mon père, dit-il, étoit à ces belles foires avec une troupe d’acteurs et d’actrices si excellents et si bien faits qu’on ne pouvoit les voir sans admiration… Il avoit les plus belles femmes de l’Europe et le plus magnifique théâtre qui fut jamais, soit pour les acteurs, soit pour les riches décorations qu’il avoit apportées de Venise. » Plus loin, il parle aussi du théâtre d’un autre illustre charlatan, de Mondor, qui avoit, dit-il, « fait le dessein de venir passer l’hiver à Rouen avec les débris de sa troupe, dont on avoit enlevé presque tout ce qu’il y avoit de bon pour l’hôtel de Bourgogne… La comédie, ajoute-t-il, n’étoit pas sur le pied qu’elle est aujourd’hui ; les comédiens et les opérateurs vivoient amis et se voyoient très familièrement, comme gens qui avoient une très grande relation. » Cela dit, il ne vous semblera plus étonnant que Cormier eût, comme Barry, comme Mondor, une belle troupe, avec laquelle, lorsqu’il désertoit Paris, à l’exemple encore de ces grands opérateurs, il faisoit des caravanes par les provinces ; et il vous paroîtra très vraisemblable que, dans une de ses courses à travers le midi, il ait pu se rencontrer avec Molière. Voici maintenant ce qui arriva lors de cette rencontre, où le grand comique, à ses commencements, faillit être obligé de céder le pas à un arracheur de dents, comme peu auparavant, à Nantes, il avoit vu pâlir son succès devant celui des marionnettes du Vénitien Segalla ! (A. Guépin, Hist. de Nantes, p. 317.) Dans le récit de l’abbé de Cosnac, qui seul a parlé du fait, Cormier n’est que nommé, et personne ne s’étoit encore occupé de savoir qui il pouvoit être. « J’appris, dit l’abbé, que la troupe de Molière et de la Béjart étoit en Languedoc ; je leur mandai qu’ils vinssent à La Grange. Pendant que cette troupe se disposoit à venir sur mes ordres, il en arriva une autre à Pézenas, qui étoit celle de Cormier. L’impatience naturelle de M. le prince de Conti et les présents que fit cette dernière troupe à Mme de Calvimont engagèrent à les retenir. Lorsque je voulus représenter à M. le prince de Conti que je m’étois engagé à Molière sur parole, il me répondit qu’il s’étoit depuis long-temps engagé à la troupe de Cormier, et qu’il étoit plus juste que je manquasse à ma parole que lui à la sienne. Cependant Molière arriva, et, ayant demandé qu’on lui payât au moins les frais qu’on lui avoit fait faire pour venir, je ne pus jamais l’obtenir, quoiqu’il y eût beaucoup de justice ; mais M. le prince de Conti avoit trouvé bon de s’opiniâtrer à cette bagatelle. Ce mauvais procédé me touchant de dépit, je résolus de les faire monter sur le théâtre à Pézenas et de leur donner mille écus de mon argent plutôt que de leur manquer de parole. Comme ils étoient prêts de jouer à la ville, M. le prince de Conti, un peu piqué d’honneur par ma manière d’agir, et pressé par Sarazin, que j’avois intéressé à me servir, accorda qu’ils viendroient jouer une fois sur le théâtre de La Grange. Cetta troupe ne réussit pas, dans sa première représentation, au gré de Mme de Calvimont, ni par conséquent au gré de M. le prince de Conti, quoiqu’au jugement de tout le reste des auditeurs elle surpassât infiniment la troupe de Cormier, soit par la bonté des acteurs, soit par la magmficence des habits. Peu de jours après, ils représentèrent encore, et Sarazin, à force de prôner leurs louanges, fit avouer à M. le prince de Conti qu’il falloit retenir la troupe de Molière, à l’exclusion de celle de Cormier. Il les avoit suivis et soutenus dans le commencement à cause de moi ; mais alors, étant devenu amoureux de la Du Parc, il songea à se servir lui-même. Il gagna Mme de Calvimont, et non seulement il fit congédier la troupe de Cormier, mais il fit donner pension à celle de Molière. » M. Sainte-Beuve (Causeries du lundi, t. 6, p. 240) a écrit avec raison qu’après « ce passage, qui nous touche par la destinée du grand homme qui y est mis en jeu et s’y agite si indifféremment, on se sent pénétré d’une amère pitié ». Qu’eût-il dit s’il eût été amené à savoir que le chef de troupe qu’on faillit lui préférer n’étoit, comme je le crois, qu’un arracheur de dents !

20. C’est-à-dire s’il est pris. Le plus souvent cette locution s’employoit pour un homme marié. V. Oudin, Curiosités françoises.

21. On peut rapprocher de cet éloquent boniment, pour employer l’expression argotique en cours aujourd’hui, les discours que Sorel, dans le Francion (1673, in-12, p. 530 et 562), fait tenir sur le Pont-Neuf à un arracheur de dents et à un charlatan. C’est de la réclame de même force et de même style. Cette ressemblance et quelques autres détails de fait et de forme me donneroient presque à penser que cette histoire du poète Sibus pourroit bien être de Sorel.

22. Furetière, dans sa satire les Poètes, parle aussi des procédés de ces mendiants à la dédicace :

Il espéroit tirer cent écus du libraire,
Et vendre cent louis l’epistre liminaire,
Prenant pour protecteur quelqu’orgueilleux faquin
Qui payroit chèrement l’or et le maroquin.

23. C’est justement la manœuvre que M. Scribe a renouvelée dans son Charlatanisme pour faire vendre le livre de son intéressant médecin, le docteur Rémy.

24. C’est sans doute le lieu, voisin du Pont-Neuf, où se tenoit le charlatan qui vendoit la drogue fameuse dont nous avons déjà parlé dans une note de notre édition du Roman bourgeois (p. 106), et qui lui devoit son surnom. L’Orviétan est souvent rappelé dans les Mazarinades ; il y est même mis en scène, témoin les Sanglots de l’Orvietan sur l’absence du cardinal Mazarin et son adieu, en vers burlesques, 1649, in-4 ; Dialogue de Jodelet et de l’Orviatan (sic) sur les affaires de ce temps, 1649, in-4. — Je dois à une obligeante communication de M. J. Ravenel de savoir le véritable nom de cet homme célèbre. Voici la mention qu’il a trouvée à l’Hôtel-de-Ville, dans les registres de la paroisse de Saint-Jacques-du-Haut-Pas : « Christophe Contugi, dit de Lorvietan (il signe Lorvietano), temoin (4 janvier 1652) au mariage de Jean-Baptiste Valeri et Catherine Marcovis. »

25. Tragédie de Tristan Lhermite, qui, jouée en 1636, balança le succès du Cid (Histoire du théâtre françois, t. 5, p. 191). Mondory jouoit le rôle d’Hérode, qui lui coûta bon, comme dit Tallemant, « car, comme il avoit l’imagination forte, dans le moment il croyoit quasi être ce qu’il representoit, et il lui tomba, en jouant ce rôle, une apoplexie sur la langue qui l’a empêché de jouer depuis. » (Édit. in-12, t. 10, p. 45.)

26. Tragédie de du Ryer, jouée en 1639. C’est là que M. le duc de La Rochefoucauld prit les deux vers dont il fit la devise de son amour pour Mme de Longueville :

Pour obtenir un bien si grand, si précieux,
J’ai fait la guerre aux rois, je l’aurois faite aux dieux.

27. C’est la tragédie de Corneille, jouée en 1647.

28. Comédie de Desmarets, représentée en 1637 avec un immense succès. On l’appeloit l’inimitable comédie.

29. On sait que c’est l’exclamation de Chimène, dans le Cid :

Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau :
La moitié de ma vie a mis l’autre au tombeau.

30. C’est la tragédie de Rotrou, jouée en 1643, imprimée l’année suivante, Paris, Anthoine de Sommaville, in-8.

31. Ce vers est en a parte dans la scène 2 du 1er acte.

32. Tragi-comédie de Gabriel Gilbert, imprimée en 1642, puis réimprimée plus tard sous le titre de Philoclée et Téléphonte. « Cette pièce, où Richelieu déposa quelques pensées et quelques vers, fut jouée par les deux troupes royales. » (Catal. Soleinne, t. 1, p. 265.) La Chapelle en reprit le sujet en 1682, et en tira une tragédie qui eut quelque succès.

33. C’étoit l’opinion de La Fontaine, et l’on sait comment un jour, au milieu même d’une discussion à ce sujet, Boileau lui prouva par un argument ad hominem la vraisemblance des a parte. (V. Walckenaer, Histoire de la vie et des ouvrages de J. de La Fontaine, 1re édit., p. 78-79.)

34. Ces dénoûments étoient de tradition antique. Il est rare que les pièces de Térence ou de Plaute finissent autrement.

35. « Qui cuide estre plus qu’il n’est, dit Nicot, qui a trop grande opinion de soi. » Montaigne l’a employé dans une phrase où, comme le remarque Coste, il avoit mis vain dans la première édition. C’est établir au mieux la synonymie très prochaine de ces deux mots.

36. C’est, comme vous savez, le beau mouvement de la 1re scène du 5e acte du Cid.

37. C’est parodier sans bonne foi l’admirable vers de cette même pièce :

Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix.

38. Huet, dans son traité de l’Origine des romans, a aussi employé ce mot, en même temps que celui de romancier.

39. C’est le roman en 10 vol. de La Calprenède. Son grand succès avoit commencé en 1642.

40. C’est le roman satirique décoché par Sorel contre les ridicules de l’Astrée et autres pastorales prétentieuses. L’éloge qu’on en fait ici me confirme dans l’opinion que Sorel pourroit bien être l’auteur de cette Histoire de Sibus. On n’est jamais si bien loué que par soi-même. Et qui alors auroit loué Sorel, si ce n’est Sorel ?

41. Typhon, ou la Gigantomachie, poème burlesque de Scarron.

42. Ici Mamurin est bien Montmaur. Ces apophthegmes ne se trouvent pas dans le recueil de Sallengre, Histoire de P. de Montmaur.

43. C’est-à-dire une série de sommaires commençant par ce mot comme. C’étoit un des procédés adoptés dans les ouvrages burlesques en prose. Sarrazin l’a employé pour la Pompe funèbre de Voiture. On en trouvera un exemple plus loin.

44. On a raconté cette anecdote de beaucoup d’autres et avant Colomb. V. notre petit livre l’Esprit dans l’histoire, p. 10, note.

45. Ce qui va suivre rentre dans la catégorie des Bibliothèques imaginaires, et il se pourroit que Furetière s’en fût inspiré pour le Catalogue des livres de Mytophylacte (Roman bourgeois, édit. elzev., p. 312).

46. Fameux stoïque, trop fidèle aux doctrines de sa secte pour tomber dans cette mendicité des dédicaces.

47. L’Aventurier Buscon, histoire facetieuse, et le Chevalier de l’Epargne, traduit de l’espagnol de Francisco Quevedo (par de la Geneste). Paris, P. Billaine, 1633, in-8.

48. C’est ainsi qu’on disoit alors. V. Fr. Michel, Études de philologie comparée sur l’argot, p. 107–108. — Pour les fameux de l’ordre, il y avoit même un titre plus élevé ; on disoit un marquis de l’industrie. Le 25 janvier 1698 le Théâtre-François joua une pièce sous ce titre.

49. On peut lire sur Rangouze un intéressant chapitre des Essais de littérature de l’abbé Trigaud (1703, in-12, t. 2, p. 72), et sur ses procédés louangeurs une bonne note de la Bibliographie des mazarinades, par M. Moreau (t. 1, p. 421). C’est Tallemant surtout qui nous édifie au mieux sur les mille subtilités de son négoce et sur les profits qu’il y fit : « Il n’en a plus montré, dit-il en parlant de ses Lettres, que celles qu’il a écrites en son nom à toutes les personnes de l’un et l’autre sexe qui pouvoient lui donner quelque paraguante ; il en fit un volume imprimé de ces nouveaux caractères qui imitent la lettre bastarde, et, par subtilité digne d’un gascon, il ne fit point mettre de chiffre aux pages, afin que, quand il presentoit son livre à quelqu’un, son livre commençant toujours par la lettre qui estoit addressée à celui à qui il le presentoit, car il change les feuillets comme il veut en le faisant relier. Vous ne sçauriez croire combien cela luy a vallu. Il y a dix ans qu’il advoua à un de ses amys qu’il y avoit gaigné quinze mille livres, qu’il employa fort bien en son pays, car je crois qu’il a famille ; depuis, il a toujours continué. Le comte de Saint-Aignan lui donna cinquante pistoles. » (Édit. P. Paris, t. 5, p. 2.) — On peut se convaincre de la vérité de ce que dit Tallemant par l’examen de quelques exemplaires du recueil de Rangouze. V., sur ses dédicaces, le Roman comique, édit. V. Fournel, Biblioth. elzev., t. 1, p. 253.

50. Ces dons d’habits plus ou moins complets étoient fort bien de mise en ce temps-là. Les comédiens, qui ne s’affubloient guère qu’avec des défroques prises à la friperie, comme dit Tallemant aux premières lignes de l’Historiette de Mondory, s’en accommodoient mieux que personne. L’Eslite des bons vers, choisis dans les ouvrages des plus excellents poëtes de ce temps (Cardin Besongne, 1653, 2e partie, Recueil de diverses poésies, p. 15), contient des « stances adressées au duc de Guise sur les presents qu’il avoit faits de ses habits aux comediens de toutes les troupes ». Parmi les comédiens nommés se trouvent Beys, la Béjart et Molière.

51. Ce may des imprimeurs étoit un placard en vers, assez maigrement payé sans doute à quelque rimeur famélique, comme Sibus, et que les membres de la corporation affichoient dans leur boutique, auprès du rameau de verdure détaché du mai annuel et votif de la confrérie. À Lyon, l’arbre consacré étoit planté devant la porte du gouverneur. On connoît les vers que Clément Marot fit pour le may de 1529, en l’honneur de Théodore de Trivulce, alors gouverneur de Lyon. V. Delandine, De la milice et garde bourgeoise de Lyon, 1767, in-4 ; Œuvres de Marot, édit. Longlet Dufresnoy, in-12, t. 3, p. 36.

52. C’est-à-dire la balance à mettre les sonnets, pour voir s’ils avoient le poids, comme les pistoles bien trébuchantes dont parle l’Harpagon de Molière.

53. Le patagon ou patacon étoit une monnoie d’argent en cours en Espagne, et de la valeur d’une once. De là vient, selon M. Francisque Michel, l’origine de la locution populaire sur la poudre de patagon, qui fait courir les filles après les garçons. (Études de philologie comparée sur l’argot, p. 314).