Histoire et description naturelle de la commune de Meudon/Chapitre III

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CHAPITRE III.

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FORÊT DE MEUDON.
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III.


Situation et étendue.
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Elle occupe la partie supérieure du territoire de cette commune, et revêt souvent les pentes du plateau qu’il forme ; à l’est, elle est limitée par le village de Meudon et la commune de Clamart ; au sud, par la route du Petit-Châtillon, le buisson de Verrières « la commune de Vélizy ; à l’ouest, par les bois de Châville et la route de Versailles à Paris ; enfin, au nord, par la commune de Sèvres et Bellevue ou par le chemin de fer de la rive gauche, qui l’entame un peu. Son point le plus élevé est au pavillon de Triveau, à 172 mètres au dessus du niveau de la mer, ou seulement à 142 mètres au dessus de celui de la Seine, pris au Bas-Meudon.

Sa superficie, y compris le château et toutes ses dépendances, est de 1,367 hectares 82 ares 70 centiares, dont 234 hectares 12 ares 80 centiares sur le département de la Seine. Il y a 1,085 hectares 39 ares 40 centiares en bois, 42 hectares 41 ares 80 centiares en terres, 28 hectares 31 ares 65 centiares en prés et pâturages, etc., etc. Elle est divisée par carrefours qui communiquent entre eux au moyen d’allées droites et divergentes, comme dans toutes les grandes forêts de ce genre.

Considérations sur son origine, et celle des forêts en général.
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La forêt de Meudon, aussi bien que toutes les grandes étendues de bois de la France, notamment celles des domaines de l’État et de la Couronne, ont sans doute une origine commune ; elles ont encore un cachet primitif ou peuvent être regardées comme autant de lambeaux de celles qui couvraient les Gaules. Nos pères, que ces forêts immenses et impénétrables servirent pendant longtemps à protéger contre les invasions et la fureur des Romains, se mirent enfin à les défricher ; ils durent commencer à utiliser, dans le voisinage des fleuves, les terres unies, nivelées par leurs débordements, et qui étaient le plus à leur convenance, surtout pour les passages ; puis, quand ils eurent substitué l’usage du froment à celui du gland, et goûté les baies de cette plante sarmenteuse introduite par un des leurs[1]ou par les Grecs (ad libitum), ils s’emparèrent successivement de toutes les parties du sol faciles à cultiver, et négligèrent celles qui exigeaient de grands travaux pour devenir arables, ou dont la stérilité s’opposait à l’usage qu’ils auraient voulu en tirer[2]. IIs firent, en un mot, ce que l’on remarque encore dans toutes les contrées du globe, où l’espèce humaine est rare ou bien à l’état sauvage. Nos ancêtres étaient aussi tant soit peu nomades, et, de même que les Lapons et les Samoyëdes actuels, ils ne s’arrêtaient que là où ils trouvaient de quoi vivre, eux et leurs troupeaux, sans se donner la peine de cultiver, et tant que le pays environnant offrait des ressources pour les pâturages, la chasse et la pêche.

Les premiers colons de la Gaule, largement pourvus de champs fertiles, nous léguèrent donc, grâce aux circonstances que je viens de signaler, d’immenses surfaces de terrain boisées, devenues aujourd’hui une des plus grandes richesses de la France. Si la nature du sol n’avait pas fait obstacle au défrichement, nous ne posséderions peut être pas, à l’heure qu’il est, un seul chêne ; l’espèce aurait disparu ; l’État n’aurait pas rencontré dans les forêts ce qui constitue aujourd’hui la partie la plus importante de sa fortune foncière[3] ; il serait privé d’un grand revenu naturel, impérissable, à moins que des révolutions ne finissent un jour par le détruire[4]. Indépendamment des bois de mâture que nous lirons des ports de la Baltique et de la Scandinavie, nous serions encore obligés d’emprunter à l’étranger les chênes nécessaires à la construction de nos vaisseaux. Sans l’abondance et la bonté de nos productions naturelles en ce genre, nul doute que la France n’aurait jamais été une grande puissance maritime.

Celui qui aime a remonter à l’état primitif des choses, à errer dans la nuit des temps, à vivre un peu dans le passé, peut prendre, dans la vue de nos silencieuses et imposantes forêts, une idée de l’état sauvage et barbare dans lequel son pays natal a été originairement plongé : en passant sous les rameaux moussus des chênes séculaires qui semblent remonter à cette époque reculée, il y cherche encore cette fameuse plante parasite[5] que tous les ans, au commencement de l’année (pour les Celtes elle tombait au solstice d’hiver, et l’on criait alors : « A guy, nouvel an »), un druide coupait avec une serpette d’or, tandis que deux autres le recevaient dans un linge blanc[6].

Dans les grandes pierres isolées, couvertes de lichen, il croit voir autant de men-hirs, de cromlec’hs ou de débris de ces dol-mens sur lesquels ces prêtres barbares consultaient, dans la même cérémonie, les entrailles palpitantes des victimes[7] ; il espère recueillir dans le sol vierge de la forêt qu’il foule aux pieds, de…

Asiles du silence el d’un profond repos,
Que respectent des vents les captives haleines.
D’un tremblement religieux
La sainte horreur me saisit en ces lieux :
Le druide, jadis, d’offrandes la main pleine,
Le front couronné de verveine,
Y rendait hommage à ses dieux.
(Description de la maison royale de Meudon, dédiée au dauphin, traduite d’une ode latine de l’abbé Boutard, par l’abbé du Jarry. Mercure Galant, décembre 1703.)

… ces objets en silex, habilement travaillés et qui ont servi de modèles aux outils dont nous nous servons pour abattre les arbres, ainsi qu’à d’autres instruments, tels que les pointes de flèches, de javelot, et même la scie, bien que l’on prétende qu’elle ait été inventée par le fils d’Icare.

Les forêts, considérées dans leur sol, sont donc pour nous les seuls monuments susceptibles de rappeler la première époque si intéressante de notre histoire. Les arbres de haute futaie ne sont-ils pas aussi pour l’habitant des plaines, ce que les cimes des rochers sont pour le montagnard, ce que les flèches des cathédrales gothiques sont pour le citadin ? Toutes ces productions que la nature ou l’art ont élevées vers les cieux, semblent destinées à rappeler incessamment à l’homme qu’il doit y chercher la cause de son existence et de tous ses rapports ici-bas.

Faits historiques.
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L’histoire de la forêt de Meudon appartenant à celle du château, je renvoie, pour les principaux événements qui s’y sont passés, à ce que j’ai dit plus haut ; je me contenterai seulement de rapporter ici quelques particularités qui lui sont essentiellement propres.

Nous avons déjà vu que Servien l’avait fait enclore d’un mur ; ajoutons que ce mur était en meulières cimentées par de la chaux grasse, et qu’il existait des grilles placées de distance en distance, que l’on fermait quand les seigneurs d’alors se livraient à la chasse ; mais Louis XVI, à ce qu’il paraît, fit démolir cette enceinte immense qui avait dû coûter des sommes énormes, afin de donner plus d’étendue à la chasse à courre[8]. La révolution acheva sans doute sa démolition. On aperçoit aujourd’hui à peine quelques traces de cette muraille, et les meulières dont elle se composait ont entièrement disparu. Il est à croire qu’elles ont été employées par les habitants voisins à la construction de leurs maisons.

C’est à cette dernière époque, à celle de la révolution, qu’il faut rapporter l’aliénation de certaines portions de bois et l’enclavement de propriétés particulières dans la forêt ; tel est l’enclos du Mail, et notamment celui de Vilbon, dont je vais dire quelques mots.

Vilbon ou Villebon, ancien écart de la paroisse de Meudon, était, au XIIIe siècle, une grange sur laquelle Etienne de Meudon avait cinq setiers de grain, moitié méteil, moitié avoine, qu’il vendit, en 1236, à Simon, abbé de Saint-Germain-des-Prés, aussi bien que le droit de pressurage des pressoirs de Voües. En 1696, cette ferme renfermait pour le dauphin une chapelle dans laquelle l’archevêque de Paris permit de célébrer. Il y avait, en outre, à Vilbon, un grand potager, une faisanderie et deux moulins d’une invention singulière, servant à élever les eaux de l’étang du Tronchet, et à les transmettre dans deux grands réservoirs qui n’offrent plus aujourd’hui, de même que le mur d’enceinte du grand étang des Fonceaux, que des ruines bien tristes à voir.

Ces moulins et réservoirs, dont l’entretien était fort coûteux, ont été remplacés par un système de rigoles qui s’étendent jusqu’à Vélizy. Ces rigoles, qu’il suffit de curer de temps en temps apportent à l’étang de Bel-Air toute l’eau qu’elles peuvent recueillir dans le grand parc dont la pente, légèrement déclive, se dirige vers le château.

Il est à remarquer que la révolution de 89, qui a aboli tant d’abus, tendait cependant à en introduire un autre, en laissant agir tous les intérêts individuels, et aurait continué l’œuvre de défrichement ou de destruction des forêts, poussé si loin par nos pères. Si elle a rendu d’immenses services à la France, en divisant les grandes propriétés mieux cultivées aujourd’hui, et au profit d’un plus grand nombre d’individus, nous devons néanmoins nous féliciter qu’elle ne soit pas allée plus loin, car elle aurait fait disparaître infailliblement, ainsi que je l’ai déjà dit, une des richesses fondamentales du pays ; fort heureusement les grandes propriétés s’étant vendues à vil prix à cette époque, on ne défricha, dans l’abondance où l’on se trouvait, que des portions de bois qui promettaient de rapides et grands avantages agricoles. On fit exactement comme les Celtes ou les Gaulois. C’est ainsi que toutes les parties de la forêt qui confinent, d’un côté, aux villages de Châville et de Sèvres, et, d’un autre, à la route du Petit-Bicêtre à Châtillon, et qui étaient les meilleures du domaine, ont été plus ou moins entamées. Avec quelle peine ne voit-on pas aujourd’hui la charrue entr’ouvrir le sol au milieu même de la forêt, et cependant les possesseurs de ces terres, obligés d’avoir leurs propriétés placées dans cette situation, croient devoir se plaindre du dégât qu’y fait le gibier, comme si, par cette situation même, ils ne savaient pas qu’ils fussent sujets à cet inconvénient. Une ferme des plus productives occupe les fonds de Châville, où il y avait autrefois seize étangs destinés à la chasse.

Meudon, séparé de tous temps de la forêt par de grandes propriétés particulières, notamment par le château et ses dépendances, n’a pas à se reprocher d’avoir étendu la culture de son territoire aux dépens des biens nationaux ; les habitants paraissent s’être mis seulement à défricher et à cultiver les Vertuqadins, les Jardins-Bas-Meudon, etc., et à combler une grande partie des pièces d’eau qui s’y trouvaient, telles que l'Ovale, le canal de l’Ombre. Tombé en la possession du prince Berthier, ce vaste enclos fut transformé en haras ; la couronne le racheta sans difficulté et a continué d’en faire un établissement très important pour l’amélioration de la race chevaline.

Cependant, toutes les terres cultivées et enclavées dans la forêt n’appartiennent pas à des particuliers ; ainsi, les fermes de Gaillon, de la Grange-Dame-Rose, la plaine de la Palte-d’Oie, etc., sont du domaine de la couronne : il y vient des blés superbes, comparables à ceux des meilleures terres de la Brie. Remarquons en passant que cette culture était autrefois plus étendue dans le même canton ; mais, par amour de la chasse, Louis XVI en aurait fait planter une grande partie : de là, le carrefour des Bois-Plantes.

C’est au milieu d’une chasse en plaine, près de la porte de Châtillon, le 4 ou 5 octobre 1789, qu’on vint annoncer à cet infortuné monarque, que le peuple de Paris s’était rendu en masse à Versailles, dans l’intention de l’escorter vers la capitale, où l’on voulait qu’il fixât dorénavant son séjour. Louis XVI s’empressa de retourner à son château, après avoir dit avec calme : « Messieurs, la chasse est finie. »

On raconte de ce prince, qui n’aimait pas à être importuné dans ses plaisirs, qu’il fit un jour arrêter le perruquier Carouge, de Meudon, venu avec son apprenti dans la forêt pour être témoin de la chasse royale, et qu’il contraignit ces deux hommes à se couper réciproquement les cheveux. A cette époque on les portait longs. Qui eût alors prédit que le roi lui-même verrait, quelques années plus tard, tomber les siens avant de monter sur un échafaud !

II y avait aussi vers le même temps, parmi les gardes de la forêt, un tireur d’une adresse des plus rares ; semblable à l’Écossais surnommé Bas-de-Cuir ou la Longue-Carabine, le garde Valeran ne manquait jamais de toucher un cerf au lancé, dans telle partie du corps que le roi lui indiquait.

Lors de l’avènement de Napoléon au trône, il y eut un camp de dix-huit mille hommes dans la plaine située près du pavillon de Triveau ; les bois furent alors tellement remplis de nymphes, et ce n’étaient pas de chastes dryades, que les femmes honnêtes n’osaient plus s’y hasarder.

En sortant de la Malmaison pour se rendre à Rochefort et quitter a tout jamais la France, l’empereur monta incognito la grande avenue du château de Meudon, suivit la petite située derrière l’ancienne sablonnière de la verrerie de Sèvres, et traversa la forêt jusqu’au Petit-Bicêtre, où il rejoignit la route de Rambouillet[9].

La forêt de Meudon est aujourd’hui une des plus recherchées des environs de Paris, depuis surtout qu’un chemin de fer amène jusqu’à ses portes des flots de promeneurs, et que le bois de Boulogne, coupé par des fortifications, a perdu beaucoup de ses charmes. Cette affluence que favoriserait encore un abaissement dans le prix des places du chemin de fer, trop élevé pour Meudon, ne pourra que s’accroître, si jamais la célèbre forêt de Montmorency, comme elle en a été menacée, vient à être morcelée et arrachée en grande partie. Enfin, pour ne rien omettre, il est triste d’ajouter que les allées de la forêt de Meudon, qui est appelée à devenir à son tour la promenade favorite de la capitale, commencent à être le rendez-vous des parties d’honneur. Pourquoi ne sont-elles plus, hélas ! uniquement consacrées aux doux épanchements de l’amour et de l’amitié ?

Description pittoresque.
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Généralement accidentée, la forêt de Meudon[10]offre de très beaux points de vue, recherchés par les artistes et qui rappellent assez bien certains paysages des pays de montagnes. Il ne lui manque assurément que des masses d’arbres au feuillage toujours vert et persistant pour prendre, dans plusieurs circonstances, l’aspect des contrées basses de la Scandinavie. Il est un site de la forêt qui en donne, selon moi, une idée très juste ; c’est celui qui se déroule du carrefour du Belvéder : la vue plonge dans un large et profond vallon très boisé sur ses côtés, rase le miroir de trois ou quatre petits étangs situés ça et là, séparés par des touffes d’aulnes et quelques prairies ou champs de céréales, et un peu plus loin, discerne les clochers aigus de deux ou trois villages dont les maisons sont presque entièrement masquées par les arbres. Telle est la physionomie de la partie méridionale de la Suède, dont la végétation ressemble si bien à la nôtre ; celui qui voyage dans cette contrée délicieuse aujourd’hui facile à visiter, ne cesse, du haut de ses collines arrondies, de voir des bois, des champs des lacs et des bourgades au milieu desquelles s’élèvent des temples d’une simplicité extrême.

Sur un point voisin du carrefour du Belvéder, au coude que forme le Pavé-des-Gardes, près de la porte Dauphine, il y aurait à faire un autre rapprochement qui sera moins modeste : là on voit au loin, et toujours dans la même direction, percer les flèches des églises de Versailles et briller les toits métalliques et dorés de son château. On pourrait se croire alors au sein des immenses forêls slaves et jouir d’une échappée de vue sur quelque ville russe, Moscou, par exemple ; l’aspect de Versailles, comme la plupart d’entre elles, entouré de collines boisées, rappelle un peu, en faisant abstraction de remparts, les édifices du Kremlin. Mais rien n’égale le panorama dont on jouit à l’opposite de la forêt en se tournant vers le cours de la Seine. Je ne pense pas que le monde entier puisse offrir quelque chose de comparable ; quant à moi, je ne connais rien au dessus de la variété, du grandiose et de la richesse des objets qui s’offrent dans ce cas-ci aux yeux ; pour tout embrasser, il est nécessaire, je crois.de choisir trois points que je conseillerai : au carrefour des Capucins dans le bois de Gallardon ; près de l’étang de Triveau, dans le bois de Meudon ; au dessus de Bellevue, sur le Pavé-des-Gardes 5 ou bien encore sur la terrasse même du château de Meudon.

Du premier de ces points, après avoir plané sur la belle et riche manufacture de porcelaine, dirigée depuis si longtemps par un de nos plus célèbres minéralogistes, M. Alexandre Brongniart, et sur le village de Sèvres, situé dans une gorge profonde qu’on dirait avoir été dans l’origine le lit d’un affluent de la Seine, l’œil se promène successivement, du pittoresque pavillon de Breteuil, qui se détache admirablement

au milieu des arbres séculaires du parc de Saint-Cloud, situé en grande partie sur la croupe d’une colline élevée, à la fameuse lanterne de Démosthènes, obélisque couronné par une copie en terre cuite du joli monument élevé dans la ville d’Athènes par le sculpteur Lysicrate ; s’arrête enfin au Mont-Valérien, naguère le Calvaire, qui domine le château de Saint-Cloud et dont les flancs rougeâtres, fouillés pour en retirer des dépouilles mortelles qui avaient cru trouver là plus de garantie de repos qu’ailleurs, se recouvrent comme par enchantement des murailles épaisses d’une forteresse de première classe.

En contemplant paisiblement ce tableau, on voit, par intervalles, sortir tout à coup de dessous terre, près de Ville-d’Avray et par une ouverture que l’on soupçonne à peine, de longues masses noirâtres, articulées, passant comme un météore avec un bruit tel, que, suivant la direction du vent, il se fait quelquefois entendre dans les parties les plus reculées de la forêt et met en émoi ses timides habitants.

Sur la droite, on distingue d’abord l’île Séguin, où un célèbre fournisseur de ce nom est parvenu, durant la république, à tanner pour les besoins pressants de l’armée du cuir dans l’espace d’un mois, tandis qu’auparavant il fallait plus d’une année[11] ; puis le magnifique pont en pierre de Sèvres, commencé par Napoléon et terminé sous Louis XVIII.

Si nous suivons ensuite le cours de la Seine, au dessus de laquelle les gigantesques ormes du parc de Saint-Cloud, courbés par l’âge, forment berceau, la vue se trouve arrêtée par les massifs de peupliers d’Italie qui garnissent ses îles près de Neuilly ; mais après les avoir franchis, elle parcourt dans la même direction un espace immense, accidenté seulement par la flèche de la cathédrale de Saint Denis et va mourir sur les hauteurs de Sanois et de Montmorency, qui sont, à l’égard de Paris, le pendant de celles de Meudon ; enfin, un peu plus à droite, elle se repose agréablement sur la surface verdoyante du bois de Boulogne, au dessus duquel le grand arc de triomphe de la barrière de l’Étoile se détache comme un aigle immense qui aurait pris son essor, et derrière ce monument élevé à la gloire de nos armées, elle se retrouve de niveau avec la butte Montmartre.

Transportons-nous maintenant au pied d’un chêne séculaire, situé sur le bord du chemin qui conduit du carrefour du Tronchet à la fontaine de Triveau. De ce point culminant, et malgré les arbres de haute futaie environnants, qui encadrent délicieusement le paysage, la vue plane d’abord sur une partie de la forêt, sur le haras de feu S. A. R. le duc d’Orléans, puis s’arrête bientôt à gauche sur le village de Meudon et son château placés en amphithéâtre ; toujours dans la même direction, elle retrouve le sommet du Mont Valérien ; à droite, côtoie le joli bois de Fleury et rencontre le magnifique viaduc qui traverse le Val et sur lequel on voit de temps à autre des convois s’entrecroiser en laissant derrière eux de longues traînées de vapeurs noirâtres. Par dessus le couronnement de ce monument et même sous ses arcades, on aperçoit la vaste plaine de Grenelle, le bois de Boulogne, la ligne anguleuse des fortifications de la capitale ainsi que les hauteurs de Sanois et de Montmorency, lesquelles forment le dernier plan de ce magique tableau.

Mais pour jouir complètement de la vue panoramatique de Paris, que l’on entrevoit, au reste, de toute la lisière orientale de la forêt, il faut se placer à sa sortie, sur les Bruyères-de-Sèvres, près du Pavé-des-Gardes.

De cette position bien dégagée d’arbres et de maisons, élevée de 150 mètres au dessus du niveau de la mer, la vue passe d’abord au dessus du hameau qui tire son nom de sa belle position, descend et remonte à la fois le cours de laSeine, ressemblant si bien, lorsque ce fleuve vient baigner le pied des coteaux de Meudon, à celui du Volga vers Nijni-Novgorod, puis embrasse dans tout son ensemble Paris, ce grand centre de la civilisation, cette Rosa mundi, ainsi que je l’ai entendu appeler si élégamment, à Hambourg, par un Allemand qui y occupe un poste très élevé et se fait non moins remarquer par sa philanthropie que par son savoir profond en histoire naturelle, notamment en cristallographie.

Aucune description, assurément, n’est susceptible de rendre tous les objets que cette rose du monde, mais bien épineuse, étale, il faudrait faire un volume pour l’entreprendre. Que de pensées soulève l’aspect de cette mer d’édifices, dont la surface est hérissée de tours, de clochers, de colonnes, etc., qui sont là comme autant de récifs ou de pics volcaniques, entre lesquels se traînent avec lenteur des nuages épais de poussière et de fumée ! Revenu de l’impression profonde que ce spectacle l’ait éprouver, et si l’on cherche à se rendre compte de la position géographique de l’antique et féconde Lutèce, dont la puissance, dans les belles années de Napoléon, a dépassé celle de Rome sous le règne de Jules-César ; de cette ville qui est plus grande, à elle seule, que le sol aride sur lequel le moderne roi des rois, a subi un si cruel exil, on ne tarde pas, dis-je, à reconnaître qu’elle occupe le centre d’un immense bassin traversé du sud-est au nord-ouest, parles replis tortueux de la Seine.

Placé sur le bord même de cette grande vallée d’érosion, pour me servir de l’expression des géologues, on peut en suivre facilement tout le périmètre. J’ai déjà parlé de Saint-Cloud, du Mont-Valérien et des hauteurs de Sanois, de Montmorency, situés sur la gauche de l’observateur ; à droite on reconnaît, dans la direction du Panthéon, qui domine le quartier latin, les hauteurs de Villeneuve-Saint-Georges et le donjon de Vincennes ; en suivant ensuite une ligne horizontale passant par le faîte des monuments les plus élevés de Paris, tels que les Invalides, Saint-Sulpice, Notre-Dame, situés vers le centre, on trouve devant soi la grande Nécropole du Père-Lachaise, où tant de rangs divers et de générations se donnent rendez-vous, et dont les cendres, tôt ou tard mélangées, fertilisent aussi bien le chardon que le laurier, la violette que la rosé. Si c’est par un beau soleil couchant que les yeux se portent dans cette direction, on verra sur la gauche et un peu plus haut scintiller les vitres de Belleville[12]. On croirait alors qu’il se passe de vives réjouissances dans ce village, tandis que, dans l’immense champ de la mort qui lui est contigu, tout devient, par le même phénomène, de plus en plus sombre et sévère, à mesure que le soleil s’approche de sa couche océanienne. C’est alors aussi, et dans cet instant suprême du jour, que la forêt de cyprès laisse entrevoir une foule de mausolées, dont la blancheur semble augmenter pendant que des ténèbres épaisses s’apprêtent à envelopper entièrement la capitale.







  1. Brenn ou Brennus, chef-roi en langage celtique, lors de la conquête de Rome par les Gaulois, dans les premiers temps de la république, passe pour avoir rapporté de l’Italie quelques ceps de vigne qu’il planta dans son pays.
    Mais, comme Pline dit que la fondation de la colonie grecque à Marseille eut lieu à la même époque que l’excursion des Gaulois en ltalie. Il est difficile, ainsi qu’on le voit, de savoir de quel côté est la vérité.
  2. Presque tous les bois et les forêts des environs de Paris sont sur le sable : les uns sur le sable ou grès des hauteurs, tels sont les bois ou forêts de Marly, de CIamart, de Verrières, de Meudon, de l’Isle-Adam, de Chantilly, de Hallate, de Montmorency, de Villers-Coterets, de Fontainebleau ; les autres sont sur les sables ou limons d’altérissements anciens, tels sont les bois et forêts de Bondy, de Boulogne, de Saint-Germain, etc. » (Cuvier et Brongniart, Géologie des environs de Paris.)
    Je ferai cependant remarquer qu’à l’exception des bois et forêts de Fontainebleau, de Chantilly, de Saint-Germain, de Boulogne, etc., le sol proprement dit des autres bois et forêts, tels que ceux de Meudon, de Verrière, de Marly, etc., appartient aux argiles et meulières supérieures, qui ne laissent percer le sable que sur quelques points.
  3. La valeur approximative en capital, des propriétés immobilières de l’État, s’élève a 1 milliard 283 millions 441,678 fr. Les forêts de l’État sont évaluéas à 727 millions, 583,285 fr., et le domaine royal à 8 millions.
  4. La révolution de 89, si violente, qui a anéanti tant de choses, n’a cependant qu’effleuré les forêts. Celle de 1830 s’est bornée à détruire le gibier.
    Tout le monde, jusqu’au plus malheureux, comprend aujourd’hui combien il importe de conserver nos forêts, si l’on veut qu’un jour où toutes les mines de charbon de terre de notre continent viendront nécessairement à être épuisées, il soit possible de prévenir l’effroyable cataclysme industriel qui, taris des moyens suffisants de chauffage, pourra menacer nos machines, nos bateaux à vapeur, nos chemins de fer, etc., dont le développement est toujours croissant.
  5. Suivant M. Mérat, c’est probablement le loranthus europœus qui croît principalement dans le midi de l’Europe, et qui ressemble beaucoup au gui.
  6. Là, les antiques troncs des vénérables chênes forment de spacieux enclos.
  7. Il existe encore des pierres levées dans d’Ermenonville ; les rochers de Fontainebleau renferment une grotte connue dans le pays sous le nom d'Antre des Druides.
  8. A quelques particularités près, inutiles ou ridicules, comme l’usage du faucon et autres, la chasse de Napoléon était aussi splendide, aussi bruyante que celle de Louis XVI ; et elle ne lui coûtait annuellement, assurait-il, que 400 mille francs, tandis qu’elle revenait au roi à 7 millions. (Voir le Mémorial de Sainte-Hélène.)
  9. Voir pius haut pour ce qui est relatif aux événements de 1814 et 1815.
  10. Sous le titre de Floretum philosophicum seu ludus Meudonianus in terminos totius philosophiœ, extrait du manuscrit : Elogia Rabelaesina, par l’auteur lui-même, dont j’ai déjà parlé au commencement de cet ouvrage (p. 38), Leroy a publié sur la commune de Meudon des vers latins qui commencent ainsi :
    Meudonum locus est Musis gratissimus almis,
    Et pietas ipsum religiosa colit.
    On me saura peut-être gré d’avoir donné la préférence à la traduction suivante, qui a été faite des principaux de ces vers, par un de mes amis, le docteur Paulin Silbert, neveu du célèbre Ilard.
    Meudon.
    « C’est un lieu chéri des Muses bienfaisantes et que recherche la piété fervente.
    « Ici une roche parnassienne perce un double sommet et se couvre ça et là du laurier d’Apollon.
    « Tout le pays s’engraisse d’eaux Pégasiennesqui serpentent jusqu’au fond delà vallée partout verdoyante.
    « Pan, Flore, Cérès, Pomone, Bacchus et toutes les divinités des bois, habitent ces lieux, mais tout proclame le nom plus saint de Martin.
    « Blaise, son fidèle compagnon, régit tous ces champs ; à lui le fertile jardin des Capucins plus agréable que le paradis terrestre ; à lui ces forteresses qui touchent le ciel de leur sommet.
    « Ici les champs et les jardins ont leur beauté naturelle.
    « La chapelle imposante de Guise frappe les cieux de sa majesté, et offre une des choses de ce monde qui plaisent le plus.
    « Vous voyez pour lui (sans doute Meudon) la Seine rouler ses flots et les forêts venir ombrager les rives de ce fleuve.
    « La douceur de l’air récrée ici l’esprit, et l’on peut jouir à la fois de la campagne et de la vue de Paris qui est si proche.
    « Vous, qui, par goût, recherchez les fontaines, les collines, les plaines el les forêts, courez à Meudon ; si la terre de ce pays rend avec tant d’usure les semences qu’on lui confie, un esprit bien cultivé rapportera-t-il les fruits que je lui demande ?
    Fleury.
    « 0 vous, qui désirez cueillir les fruits les plus variés des champs, fréquentez d’abord Fleury.
    « Les agréments de Meudon sont ici aussi bien sur la terre que dans le ciel ; quels sont les fruits que le sol de Fleury ne rapporte pas ?
    Val de Meudon.
    « L’agrément de sa vallée est bien grand ; dans ces lieux enchanteurs, un esprit paresseux est bientôt éveillé. « Si vous aimez les lieux que vous pouvez parcourir sans peine, avouez que de délices celle partie de Meudon ne vous procurera-t-elle pas ! » Il n’y a pas sous la lune (déclare Leroy, dans un autre endroit en prose de son ouvrage), une partie de la terre, si favorisée qu’elle soit, qui n’éprouve les vicissitudes de stérilité et de fertilisé ; cela ne dépend pas du sol ; on doit plutôt l’attribuer, soit à l’inclémence de l’atmosphère, soit à un décret du pouvoir suprême qu’il n’est pas donné à l’esprit humain de pénétrer. Mais lorsque l’état de l’atmosphère répond à celui du terrain, et que l’air, plus tempéré, ne dédaigne pas de fournir à cette terre, un mouvement vital el salutaire, nulle contrée n’est plus heureuse, plus féconde, plus agréable et plus salubre, il suffit d’avoir nommé Meudon. « Un lieu si remarquable par toutes sortes de beautés et de magnificences, dit Lebeuf, n’a pas manqué d’être célébré par les poêles comme par les historiens. Moreau de Mautour fit paraître à ce sujet une idylle en 1696 ; l’auteur de la Nymphe des Chanceaux en fit une mention en 1699 ; mais le poète qui en parla le mieux fut l’abbé Boutard. II fit une ode de quatre-vingt-douze vers, dédiée au dauphin, et commençant par ceux-ci :
    Lœtus in aërios viblanda transferor hortos,
    Rapit serena me tocorum amœnitas.
    (Description de la maison royale de Meudon, traduite et mise en vers français par l’abbé du Jarry. On y remarque les vers suivants qui s’appliquent plus particulièrement à la forêt :
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    Près des murs qu’arrosé la Seine,
    S’élève un mont fameux que domine la plaine :
    II est couvert d’un bois dont les épais rameaux
    Dérobent au soleil leurs ombrages tranquilles,

    Et, dédaignant de rustiques hameaux,
    Commande avec orgueil à la reine des villles.

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    Ces coteaux ombragés d’arbres impérieux,
    Dont flotte au gré des vents la verte chevelure,

    Et semble mêler sa verdure
    Avec le vif azur des cieux ?

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    Mais parcourons ces bois dont les touffus rameaux

    Doivent leur fraîcheur aux eaux vives,
    Qui, parmi les détours de cent confus ruisseaux,
    Se dérobant sous d’agréables rives,
    Joignent aux doux chants des oiseaux
    Le murmure charmant des ondes fugitives.
    (Mercure Galant, décembre 1703)

  11. C’est probablement là qu’était préparée la peau des victimes (jusqu’à des enfants !) que l’exécrable tribunal révolutionnaire, qu’il conviendrait mieux, par respect pour le mot tribunal, d’appeler abattoir révolutionnaire, faisait guillotiner tous les jours par charretées (voyez p. 62).
  12. Le point le plus élevé de ce village, qui doit recevoir un fort, est à 82 mètres au dessus du niveau de la Seine à Paris.