Aller au contenu

Histoire maccaronique/1

La bibliothèque libre.
(sous le pseudonyme de Merlin Coccaie)
Adolphe Delahays (p. 5-24).


HISTOIRE MACCARONIQUE
de
MERLIN COCCAIE
PROTOTYPE DE RABELAIS

LIVRE PREMIER.


Une fantasie plus que fantastique m’a prins d’escrire en mots moins polis qu’un autre subjet requeroit, l’histoire de Balde ; la haute renommée et le nom vertueux duquel font trembler toute la Terre, et contraignent l’Enfer de se conchier de peur. Mais, avant que commencer, il est premierement besoing d’invocquer vostre aide (ô Muses) qui estes authrices de l’art Maccaronesque, sans lequel il ne seroit possible à ma gondole de passer les escueils de la mer. Je ne veux point que Melpomene, ou ceste foible Thalie, ny Phœbus grattant son cythre, me viennent fournir d’aucuns mots dorez[1]. Car, quand je pense aux victuailles du ventre, toute ceste merdaillerie de Parnasse ne peut apporter aucun secours à ma pause. Que les Muses, et doctes sœurs pansefiques, Berte, Gose, Comine, Mafeline, Togne et Pedralle viennent emboucher maccaronesquement leur nourrisson, et me donnent cinq ou huict poisles de bouillie ! Voilà les divines Nymphes grasses et coulantes ; la demeure, la region, et propre terroir desquelles est clos, et enferme en certain canton de ce monde reculé des autres, auquel les Caravelles d’Espagne ne sont encore parvenues. En ce lieu y a une grande montaigne, laquelle s’esleve jusques aux patins de la Lune, et laquelle si vous vouliez parangonner au mont Olympe, iceluy seroit plustost estimé colline que mont. En icelles ne se voient des cornes sterilles de Caucase, ni l’eschine maigre de Marroch, ni des embrasemens sulphurez du mont d’Ætna. Là la montaigne de Bergame ne donne des pierres rondes, lesquelles servent de meules pour faire mouldre le bled. Mais, nous allans en ce lieu, nous avons passe des Alpes faites defromage mol, dur et moien. Croiez, je vous prie, ce que je jure ; car je ne pourrois, ni ne voudrois dire une fourbe pour tous les thresors que la Terre tient enclos. Là courent en bas certains fleuves de broüet, lesquels font un lac de souppes et une mer de jus gras, et savouré. Sur ces eaux on void mille bateaux, barques, et gondoles latines, fabriquées de la matiere de tourtes, par le moyen desquelles les Muses exercent, et mettent en usage leurs laqs et rets, lesquels sont faits et cousus de saulcisses et saulcissons, peschans avec iceux des rissoles et goudiveaux, et cervellats[2]. La chose toutesfois est obscure, quand le lac est esmeu, et arrouse le plan du ciel avec ses ondes grandement agilées. Le lac de Menas, ou de la Garde, ne fait tant de bruit quand les vents s’esclatent contre les maisons de Catulle. On void encore en ce lieu des cousteaux fraiz, esquels se voient cent chaudrons fumans jusques aux nuës, pleins de caillotins, pastez et jonchées. Ces Nymphes demeurent à la pointe de la montaigne, et grattent le fromage avec des rappes percées : les unes se travaillent à former des tendres goudiveaux ; autres avec le fromage rappe frigolent et s’esbatent ensemble ; et, se laissant couler du haut de la montaigne à bas, paroissent comme grosses mottes avec l’enfleure de leur ventre. O combien est necessaire d’estendre et eslargir ses jouës, quand on veut remplir son ventre de tels goudiveaux ! Autres, maniant la paste, emplissent cinquante bassins de gras baignetz et crespes, et les autres, voians la poisle boüillir par trop, s’occupent à tirer hors les tisons, et souflent dedans ; car le trop grand feu fait jetter le brouët hors le pot. En somme, toutes s’efforcent de venir à bout de leur gallimafrée, tellement que vous y verrez mille cheminées fumantes, et mille chauldrons attachez et pendus à des chesnes. En ce lieu, j’ay pesché premierement l’art Maccaronique, et Mafeline m’a rendu son poëte pansefique.

Moult a le païs de délices…
Par les rues vont rostissant
Les crasses oies et tornant.

Il y a un lieu en France, prez les confins d’Espagne, nommé Montauban, lequel a grand renom par le monde. Ce n’est point ville ou cité, mais un chasteau très-fort, lequel est enfermé de triples murailles, construites et baties de pierres vives, lesquelles ne redoutent la batterie des grosses bombardes, non plus qu’un asne se soucie des mouches, ou une vieille vache des taons. Ce chasteau est basti sur le plus haut dos de la montagne, et en tel endroit que les chevres barbues n’y peuvent monter. Ce Duc Renaud[3], ce paladin de France, ce dompteur de Magance, cousin de Sguergi, la plus franche lance qui fust au monde, l’a autresfois possedé, et tenoit tousjours en iceluy sept cens bannis, lesquels il entretenoit en ceste forteresse à ses despens. Après longues années, vint de sa race ce grand guerrier Guy, doüé d’une proüesse merveilleuse. Guy estoit très-valeureux, et ne s’en trouvoit de plus genereux que luy, soit en paix, soit en guerre. Le Roy de France l’aimoit par sus toutes choses, et le tenoit tousjours auprès de soy, comme fisché à son costé, pour l’insigne beauté d’iceluy, et pour son regard gentil. La fille de ce roy, laquelle on nommoit Balduine, fut prinse au piege, et receut le dard du Dieu Amour, fils bastard de Venus. Il n’y avoit au reste du monde aucune qui fut plus belle qu’elle, et estoit très-agreable à son pere et à tout le royaume, estant venue en l’aage nubile. Sa beauté nonpareille la faisoit juger n’estre sortie d’aucun humain lignage, et la croioit-on porter une face angelique. C’estoit une Pallas pour son entendement, et son visage representoit une autre Venus, et estoit fort gratieuse à un chacun, et liberale à tous les sujets de son pere. Mais enfin elle se sentit si fort embrasée du feu amoureux de son Guy, qu’elle ne pouvoit prendre aucun repos. D’autre costé, Guy estoit ignorant d’une fureur si cbaude, et sans aucun soupçon tournoit le dos à l’Amour, et s’estoit tousjours mocqué de son arc. Cependant le Roy sert publier par tout son royaume un tournoy et jouste solemnelle, laquelle se debvoit faire en plaine campagne. Ceste nouvelle s’espand par toutes les provinces lointaines, et le bruit d’icelle convie de loing force compagnies. Les Hirlandois, Escossois et Anglois se preparent d’y venir, comme aussi plusieurs de la Picardie et de Baviere. Ce mesme bruict, passant en Italie, excite à s’y acheminer les Liguriens, Genevois, Savoysiens et Lombards, les plus courageux de l’une et l’autre Sicile, de la Toscane, de la Romagne, de l’une et l’autre Marque : des Senois, Romains, de la Pouille et de l’Abbruzzie, se mettent en chemin, ayans entendu qu’en la ville de Paris se debvoit faire un si magnifique tournoy. Ceste ville est le lieu du siege principal du Roy des François, et qui se vante par tout estre si glorieuse, que depuis la naissance de Ninus ne s’est veu ville pareille à elle en toutes les parts du monde. Celle est fort recommandée pour les sciences, et encore plus illustre pour les armes. Le peuple d’icelle s’addonne à l’escrime, ou à disputer en l’une et l’autre part de toutes sortes de disciplines, on à faire bonne chere et reverer Bacchus. Aucuns s’emploient aux armes ; autres à fueilleter et apprendre les subtilitez de S. Thomas d’Aquin ; voulant chascun, par tels moyens, faire preuve de sa valeur. Or des-ja les Chevaliers, la lance sur la cuisse, venoient de toutes parts en ceste grande ville, et de tous costez on voioit trouppes arriver, lesquelles faisoit beau voir pour estre diversifiées selon l’usance ancienne, de plusieurs et diverses livrées, ainsi que chascun vouloit faire paroistre sa passion, ou son contentement. Mille charpentiers estoient en ce lieu travaillans à faire et dresser barrieres en une grande place, pour enclorre le camp, et dressoient des eschaffaulx pour donner commodité aux Seigneurs et aux Dames, de veoir plus à leur aise, du haut d’iceux, les gentils combattans. On voioit d’autre part, çà et là, les enseignes voleter au-dessus des tours et les Palais et maisons magnifiques espiées de longues banderolles, et guidons de toutes sortes de couleurs.

Chascun fait dresser son pavillon et ses tentes, et s’employe à donner habilement ordre à son faict. Toutes les rues sont pleines de peuple. Les uns preparent et accommodent leurs armes : autres font ferrer leurs chevaux : autres se donnent du bon temps, rient, chantent, dansent. On n’oit que fiffres et tabourins resonner par tout ; mesmes les cloches ne sont espargnées pour par leur son et carillonnement rendre ceste feste plus gaillarde. Jour et nuict les portes de la ville sont ouvertes, entrans par icelle continuellement des bandes de gendarmes. Enfin en peu de temps l’amas se faict bien grand de toutes les parties de l’Europe, remplissant tous les environs de Paris. On y void grand’bande d’Allemans, d’Espagnols, et d’Italiens. Il ne peut avoir au monde tant de canaille qu’il y avoit lors à Paris, de Seigneurs et Barons ; et estoit chose merveilleuse de veoir ensemble tant de chevaux. Les Palais, les escuries, hosteleries et tavernes, estoient pleines. Les uns, gargoüillant à table, s’esclatoient de rire ; autres, en leurs bouticques et maisons, martelloient, aiguisoient, fourbissoient, et accommodoient armes. Pendant qu’un chascun s’occupoit ainsi, Balduine, pour l’amour qu’elle portoit à son ami Guy, attendoit de grande affection ceste journée, ainsi que follement la Synagogue des Juifs attend encore le Messias : car elle desiroit fort de veoir comme cet homme briseroit ses lances ; combien d’hommes il jetteroit par terre. Icelle, estant accompagnée d’une belle et grande. troupe de filles, de cent dames, et cent Duchesses, se presenta sur son eschaffaut, vestue d’une robbe brochée d’or, qui rehaussoit merveilleusement la beauté des tapisseries riches, dont estoit tendu l’eschaffaut. Chascun soudain jette sa veue sur elle, et admiroit la beauté de sa face, laquelle, ressemblant en sa couleur naturelle le ait et le vin meslez ensemble, n’estoit fardée d’aucun blanchet, ni sa couleur augmentée d’aucun rouget. Et comme Diane entre les claires estoilles resplendit, ainsi celle-cy paroissoit excellente entre toutes les jeunes filles. Si elle estoit bien regardée, icelle ne regardoit pas moins çà et là, promenant ses yeux le long et à travers la place du camp, pour veoir si elle pourroit point d’avanture apercevoir son amoureux. Incontinent Cupido, voletant legierement devant elle, luy representa son Baron. Iceluy estoit monte sur un fort cheval ; et ne paroissoit en sa personne moins robuste que son grand pere Renaud. Maniant les resnes de son cheval, la part qu’il voulut, luy fait faire quatre bonds en l’air, remplissant le contour de sablon. Ce cheval estoit d’Espagne, couvert d’un poil plus noir que charbon, ayant la teste petite, les oreilles courtes tousjours mouvantes, au milieu du front une estoille, et maschant tousjours avec la dent son mords, en faisant sortir de sa bouche une escume blanche, et tenant les naseaux ouverts, souflant et boursouflant sans cesse avec iceux ; de son meufle touchoit souvent son estomach. Il estoit court, et quelques fois se ramassoit en si peu de place comme si il eust voulu passer par le trou d’une coquille. Il estoit marque de blanc aux trois pieds, portoit sa queue serrée entre les fesses unies, estant tousjours tremblant. Sa crouppe étoit ronde : il couroit tant peu qu’on vouloit, galoppoit et se tenoit soudain en arrest. Son harnois estoit tout couvert d’estoilles d’or ; les estriez estoient aussi d’or, la testiere et chauffrain : toutes les boucles estoient de mesme metail. Balduine, apercevant son ami, s’estonne, s’echauffe, et comme un feu s’enflambe : la pauvre fortunée lance ses yeux sur luy, et ses sens se trouvent prins et attachez en luy. Celle loüe son visage plein d’amour, et sa belle contenance, et enfin desire de s’acoster avec un tel personnage. Iceluy peu à peu s’aproche du lieu où elle estoit, marchant devant luy cent estafiers vestus de velours ras : et, haussant sa face, salüe les Dames, et sans y penser et à l’improviste jette sa veue sur Balduine et les yeux se rencontrans les uns les autres, chascun tombe en la trappe, laschant Cupido ses fleches tant sur l’un que sur l’autre : et alors l’eschec et mat fut donné à Guy, lequel, à l’instant devenu comme estourdi, s’en retourna tout droit en son logis, emportant avec soy un grand dueil. Il descend de cheval, entre en sa chambre, et se jette sur un lict, se donne trois et quatre coups de la main sur la poitrine, et avec une voix plaintive fait une telle lamentation : « Ah, jeune enfant, où me menes-tu ! Ah, combien de pertes et dommages je veoy menacer ma teste ! Ha, malheureux et infortuné Guy ! Voicy un enfant qui te desrobe l’honneur autant que tu en pouvois avoir acquis par tous les tournois où tu t’estois trouvé, et qui comme un bufle te conduit par les nazeaux. Il y a bien de l’apparence que, comme victorieux, tu puisses maintenant rompre tant de lances ainsi qu’il le seroit besoin, et que tu peusses à la verité surmonter tant de braves Cavalliers, toy qui ores est vaincu si laschement par un enfant aveugle ! Ha ! miserable, esteins ou amortis au moins la flambe de ce boutefeu, avant que tu brusles comme une fournaise, sans y pouvoir plus donner aucun remede, n’estant aucunement extinguible par un million d’eaux de la riviere de Brente. Ta race n’est de si grand lieu venue qu’une seule fille d’un Roy luy doibve donner une seule miette de son amour. O quel visage elle a ! O de quelle contenance asseurée elle m’a frappé ! O de quels yeux ce nouveau basilique m’a œilladé ! Il ne faut point que je jette la coulpe de ce mien mal sur moy : mais c’est elle qui seule en est cause. Elle devoit lancer autre part son ribaut regard. Car à bon droict on doibt appeller les yeux ribauts, puis qu’ils sont si hardis d’ainsi en un chemin et passage assassiner un homme, et le laisser au moins touché de plusieurs playes. En vain, à ce que je voy, les dards d’Amour avoient rebouché cy-devant sur moy, et pour neant jusques à present j’avois soustenu la force de son arc, Mais iceluy s’advisant que la pointure de ses flesches ne pouvoit percer ma poitrine d’acier, qui estoit aussi ferme contre les filles, que se monstre asseurée la forteresse de Milan contre le canon, de la trousse de la mort il a tiré un fer mortel, et m’en ayant atteint, a ouvert la porte, et soudain toute ma liberté a été ravie par ce Diable. Car Amour n’est-il Diable ? mais plustost huict Diables, qui contraint les hommes sages tomber en tant de folies. Nostre cuirasse n’a eu aucun pouvoir contre une telle blessure : jaçoit que souventefois elle soit demeurée entiere contre les balles d’arquebuze. Si, pour y resister, Jupiter eust opposé ces montagnes que la trouppe des Geants meit les unes sur les autres, il eust follement perdu l’huille et son travail. » Pendant que ce Chevalier avec ces folles parolles troubloit ainsi son entendement, le bruit des armes et les fanfares des trompettes commencerent à se faire ouïr. Car, s’estant un chascun farci d’un bon repas, soubdain on monta à cheval, et enfin les joustes commencerent. Les trompettes et clairons sonnent leur fariraram[4], et encouragent les plus vertueux. Les chevaux, à ce son, grattans d’un pied la terre, ne peuvent se contenir, se manient à voltes, hennissent, et du pied font voler le sable jusques au ciel. Le fariran des trompettes[5] et le pon pon des tambours estoit si violent, que l’on ne se pouvoit entendre l’un l’autre ; encore qu’on s’escriast le plus qu’on pouvoit. Des-ja les Chevaliers, ayans couché leurs lances en l’arrest, se choquent rudement, et void-on plus de cent selles vuides de leurs chevaucheurs dès le premier assaut. Plus de mille lances sont brisées dont les tronçons volent jusques aux nuës, et les cris des combattans excitent. de plus en plus leurs courages. Le Roy se delectoit fort à veoir un si beau spectacle, la jouste se maniant avec un plaisant et agreable succez. De dessus son eschaffaut, il notoit les plus vaillans combattans, estant vestu d’une robe enrichie de pierres precieuses, et ayant sur la cheveleure bien peignée une couronne d’or. Le seul Guy demeure couché en son logis : luy seul, et seulet estendu sur un lict jouste contre soy-mesme. Enfin il oit les Lennissemens des chevaux, qui retentissoient par l’air : cecy le fait devenir fol, et fantasiant divers discours en son esprit troublé, maintenant veut marcher, s’appelant soy-mesme couard, tantost il se ravise grattant sa teste. Et pendant qu’il se veautre parmi tels et tels pensemens, voicy venir vers luy Sinibalde, qui estoit le plus grand amy qu’il oust. Iceluy, le trouvant au lict malade : « Hola, dit-il, que fais-tu icy, compagnon ? Pourquoy pleures-tu ? ô chose nouvelle ! ô Guy, quelle chere non accoustumée me monstres-tu en ta face ? Le Roy desireux de sçavoir l’occasion de ton retardement, et qui t’empesche de venir aux joustes, m’a envoyé vers toy. Chascun t’y appelle, tous t’y invitent, et te prient de venir au tournoy, lequel sans toy ne sçauroit rien valoir, et sera une chose tenuë à l’advenir pour goffre et sans aucune grace, si tu n’y compares. Tu souspires encore, et de ces soupirs et de tant d’ennuy que je remarque en toy en penses-tu celer la cause ? Tu sçais la faveur que j’ai du Roy, et comme il fait cas de moy ? Partant, si tu penses que je puisse quelque chose envers sa Majesté, qui est plus suffisant que moy pour te delivrer de ces peines ? » Guy, soupirant, jette une œillade vers son amy, comme fait un pierreux ou graveleux estant en tourment, pour ne pouvoir jetter son urine obstant quelque pierre, qui bouche le conduict, quand il void le medecin, avec lequel il se reconforte un peu. « O moy, dit-il, par-dessus tous les autres miserables, poussé çà et là par un mauvais sort, et dont la fortune n’est encore contente ! » Guy, s’escriant en ceste façon, declare enfin toute son alfaire à son fidele Sinibalde ; et pendant qu’il en fait le discours, cent sortes de couleurs luy montent au visage. Sinibalde, d’apprehension, et de fascherie qu’il prenoit de son amy, se ride tout le front, comme coustumierement il nous advient pour quelque merveille inopinée ; ne parle aucunement, et se contient ainsi presque une heure. Enfin toutefois, tirant hors du poulmon quelque voix, il commence à parler, et s’efforce de luy tirer dehors telle bizarrerie, luy mettant au-devant. plusieurs propos de raison. Il luy remonstre la droite voye, et celle qui est oblique et tortueuse, et comme la vie est tousjours accompagnée de cent perils. Il luy propose en après mille beaux exemples, lesquels estoient suffisans pour attendrir l’ame du cruel Neron. Mais, avec ces raisons, Sinibalde pile de l’eau en un mortier, et escrit sur la glace pendant la chaleur d’Apollon. « Ha, frere, mon amy, dit-il, ne te tue point toy-mesme, ne te casse point les jambes, ni te romps le col ! Où est allée ta grande vertu ? Où est ta renommée gaillarde ? Où est la grandeur de ton courage, pour laquelle on te dit par le monde estre le champion de justice, la lumiere de la guerre, le bouclier le de la raison ? Veux-tu en un moment perdre des choses si rares, lesquelles Charlemagne n’a acquises en si peu d’années ? Tu pourrois meurement gouverner tout le monde, et maintenant tu souffres qu’une seule femmielette te gouverne ! O quelle sale et vilaine vergongne efface ta splendeur ! Laisse, je te prie, cet ennuy, et reprens la propre prudence. Pendant que la nouvelle playe s’enfle, il la faut entamer avec le rasoir de raison. Aye devant tes yeux l’embrasement de la miserable Troye, laquelle a esté abismée par les guerres de Grece, de laquelle on ne pourroit veoir une seule bricque restée. Ce cheval a-il esté cause de sa ruine, au ventre duquel estoient cachez des soldats ? Tant s’en faut : mais ç’a esté un visage lascif d’une putain[6], au laz de laquelle ce putacier chevretier, ce Paris, prins, par les jambes et les aisles, comme s’arreste l’oyseau sur la perche, apasté par l’art et industrie d’un pippeur, a faict ce bel essay, que d’une guerre de fuzeaux il s’est rendu la foudre et la tempeste de son pays. » Par telles remonstrances Sinibalde pressoit son compagnon, quand en la mesme chambre vint entrer un autre compagnon de Guy, nommé Franc, armé de belles et luisantes armes, auquel le Roy avait aussi commandé de venir veoir quels empeschemens retenoient Guy au logis. Alors la honte n’a peu retenir davantage Guy au lict : et se jettant iceluy en pieds, demande ses armes. Ses serviteurs hastivement les luy apportent, et arment leur maistre : et par-dessus le vestent d’une casacque, sur laquelle estoit portraict un lyon barré : sa salade estoit couverte d’un grand pennache, et au plus haut estoit enlevé un petit vieillard, lequel avec le doigt monstroit ces vers qui estoient gravez sur icelle :

Rien ne court plustost que le temps,
Les heures ressemblent aux ans :
Si tost que voyons l’enfant naistre,
Aussi-tost se vieillist son estre.

Puis il monte tout armé sur un grand coursier, et prend une forte lance faite d’un chesne verd ; et, comme fasché en soy-mesme, donne des esperons à son cheval, et se presente au tournoy où les lances se brisoient à outrance. Il ne faut de donner la premiere œillade là où estoit Balduine : ce qui luy enflamba davantage sou feu amoureux, et afin qu’il luy peut plaire luy quadrupla sa force, la rendant pareille à celle de Samson, avec laquelle, n’ayant en main qu’une machoire d’asne, il renversa tant de milliers d’hommes. Il avance son cheval, et outrepasse de grand vistesse les barrieres, et s’arrestant un petit pour remarquer l’estour des combattans, soudain lasche les resnes, et tenant la lance ferme en l’arrest, faict voler le sablon en l’air, et, courant d’une course legiere, fait trembler tout le camp. Il fait monstrer au soleil les semelles du premier ; le second fut par luy desarçonné ; le troisiesme fut jetté au bas, donnant du cul en terre ; le quatriesme comme les autres fut renversé sur terre, le cinquiesme, portant envie aux autres, les accompagna de mesme ; le sixiesme, qui estoit de cheval, se veit incontinent homme de pied ; le septiesme estendit ses fesses sur le sablon ; le huictiesme s’apperceut incontinent estre desmonté ; le neufviesme fut contrainct ouvrir les genoux et quitter la selle ; le soleil se voulut cacher, quand le dixiesme, malgré luy, luy monstra le talon à l’envers. Guy en jetta par ordre ainsi plusieurs autres, et, courant ainsi çà et là, toujours se souvenoit de Madame, et à chasque coup qu’il donnoit, avoit ce mot en la bouche, le prononçant toutefois d’une basse voix. Le Roy fut grandement estonné pour les faicts merveilleux que faisoit Guy, et dit ces mots : « Voilà Guy la gloire de toute la nation Françoise ! O combien il represente les chevaleureux faits de nos ayeulx, à sçavoir du grand Roland, et du fort Renaud ! Il est sans doubte qu’il remportera chez soy la palme, et l’honneur de ce tournoy. » Balduine aussi quelquefois disoit à ses Damoiselles : « Si je ne me trompe, ce brave Baron, qui ainsi desmonte les autres, est cet insigne Guy ? O qu’il est vaillant ! O comme il porte bien sa lance ! Voyez-vous comme fort à propos il manie les resnes de son coursier, et avec quelle dexterité il assene ses coups sur le heaulme des autres ? » Elle n’avoit pas plustost achevé ces mots, monstrant, en parlant et en riant d’aise, ses perles blanches avec son rouge coural, qu’incontinent le son des trompettes fut ouy, comme on a accoustumé de faire quand on veut finir la jouste, et faire la retraicte. Guy demeura seul au millieu du camp, regardant autour de soy, ainsi que fait un superbe victorieux. Mais toutefois n’est-il pas victorieux seul, estant le vaincu d’Amour, portant les fers aux pieds, le carquant au col, et les manottes aux poings. Le Roy, accompagné de tout son conseil, va au-devant de luy : mais Guy, l’appercevant, soudain descend de dessus son coursier, et, haussant sa visiere, fait paroistre son visage tout baigné de sueur, et baise le genouil du Roy. La majesté, luy commandant de remonter à cheval, tire de son doigt un très-riche anneau, auquel estoit un très-grand rubi luisant comme une estoille, et le donne à Guy pour prix de la victoire, estant peut-estre comme arrhes des espouzailles de sa fille. Et toutefois sa pensée ne tendoit aucunement à telle chose, combien que tel present fut un advancement de nopces : nopces, dis-je, malheureuses, et qui seront suivies d’une vilaine ruyne. Guy, humiliant sa face, receut ce beau present, digne certes du travail qu’il avoit prins ; et, en le prenant, baisa la main du Roy en s’inclinant fort bas. Puis marchent vers le Palais, estans suivis d’une grand’trouppe de personnes, les trompettes et les fiffres sonnans tousjours devant. Or le soleil, las de son chemin journal, se cachoit des-ja soubs les ondes pour se reposer, et laissoit sa sœur enceinte de son amy ; et cependant on donne ordre au soupper Royal. On oit, par les cuisines, des deschiquetis, des cliquetis de cousteaux, des tintamarres des chaudrons, et poisles. Les entrées d’icelles, couvertes de portiques, se voyent rendre la fumée en dehors, et sont souillées tousjours d’eaux, et de graisses. De là sortent plusieurs odeurs de chairs rosties, et houillies, lesquelles aiguisent l’appetit de ceux, qui les sentent. Il y a en icelles plus de cent serviteurs obeissans aux cuisiniers : une partie d’iceux portent le bois, autres esgorgelent, autres font bouillir les poisles et chauderons l’un tue un cochon, l’autre des poulets, cestuy-cy estrippe, l’autre escorche, un autre plume en eau chaude des chappons ; cestuy faict bouillir testes de veau avec la peau ; autre embroche des petits cochonnez, tirez encore quasi du ventre de la truye, après estre lardez. Celuy qui commandoit en qualité de maistre cuisinier, se nommoit Chambo, lequel estoit subtil et inventif à trouver friandises de gueule, et plaisantes au palais. Iceluy, presidant en une chaire, commandoit entierement à tous les cuisiniers, et quelques fois battoit la canelle et pilloit l’espice sur le dos des marmittons et souillons de cuisine. Il y en avoit un, qui fricassoit avec du land les foyes des poulailles : un autre, sur les fricassées, asperge du gyngembre et du poivre : un autre fait une saulse jaune aux oyscaux de riviere. Un autre tire destremement les faisans, après avoir tasté du bout du doigt, s’ils sont bien cuits. Cinq autres ne font que tourner le moulage de cuisine, d’où coulent les amandes et saulses poivrées. Autres tirent du four des pastez en pot, sur lesquels on jette de la canelle de Venise : un autre tire de la marmite des chappons bouillis, lesquels il met en un grand plat, et espand dessus des gouttes d’eau rose avec du sucre broyé et le couvre d’un test plein de brasier. Mais à quoy m’amuse-je à remplir ce discours de telles fadeseries ! Enfin le soupper s’appreste, lequel par sa delicatesse estoit assez suffisant pour ressusciter les morts. On commence à apporter grande quantité de salades tant cuites que crues, que cent serviteurs et autant de pages apportent, lesquels sont vestus d’une mesme couleur, à sçavoir d’un drap d’Angleterre teint en bleu azuré semé de blanches fleurs de lys, par derriere et par devant. Leur habillement est si proprement joint à l’Allemande, qu’à grand peine se peut veoir la cousture de tels juppons. Arrivans prez la table, font de grandes reverances, plians les jambes l’une après l’autre fort legerement çà et là. Le Roy s’assied le mier, tenant le plus haut lieu de la table, estant vestu d’un accoustrement broché d’or. A sa dextre estoit assise la Royne, et à son costé gauche Guy, par le commandement du Roy. Balduine, esprise d’Amour et aveuglée par cet enfant aveugle, s’advance ; et, ne se souciant de donner quelque tache à son honneur sans aucun commandement, se sied promptement à costé de Guy, et la pauvrette jette du bois dedans le feu ardent. Après, par un long ordre, tous les Seigneurs et Barons prennent place. Chascun estoit affamé, et desiroit de bien manier les jouës. Le travail et l’exercice de la jouste avait fait digerer tous les precedens repas. Les pages, par une longue suite, apportent les mets sur la table. Des gentils-hommes servans marchent devant la viande, et avec un grand silence mettent les plats sur la table, faisans aussi marcher les laquays, comme est la belle usance d’une famille Royalle, et comme on a accoustumé de faire devant les grands Seigneurs. On n’oit aucune parolle sortir de leur bouche, s’il n’en est besoing, et ne se frict aucun bruit, si ce n’est d’aventure, quand quelqu’un de ces gentils-hommes servans donne un soufflet à un page, ou quelque coup de pied à un chien. Il y a trente escuyers, qui ne cessent de frencher les viandes, desmembrer des oyes, oysons, chappons, pieces de veau : decouppent les saucissons, et mettent par rouelles, les tenans d’une main avec la fourchette. Iceux toutesfois, en decouppant, retiennent pour eux les meilleurs morceaux, et gardent pour eux les croppions des chapons. L’Abruze avoit envoyé à ce festin ses jambons fumez ; Naples, ses goudiveaux ; Milan, ses souppes jaunes, et ses cervelats, qui contraignent les biberons François de vuider souvent les bouteilles. Après avoir mangé le bouilli, les gentils-hommes servans font commandement d’apporter le rosti. Et aussi-tost jambons, faisans, francolins, chevreaux, levraux sont apportez, tout autre espece d’oyseaux, que le faucon et l’esprevier peuvent arrester avec leurs serres, et que le gerfaut a accoustumé d’étriper. On appose pour entremets des amandes, de la saulse verte, du jus de citron et d’orange, de la moustarde. On presente après des tourtes, du blanc manger, composé avec laict de vache, et des plats plains de rissoles toutes couvertes de sucre et de canelle. Après s’estre un chacun bien repeu de ces viandes grasses, et tant que leurs panses estoient pleines jusques au gosier, qui contraignoit de lascher la ceinture ; au seul signal des gentils-hommes servans, promptement fut levé le reste de la mangeaille de dessus la table.

Puis, on apporta une grande quantité de tasses d’or et d’argent, et enrichies de perles : dedans icelles estoient diverses confitures toutes dignes d’un Roy, et la table en estoit si chargée, qu’il sembloit qu’elle en plioit. On apporta morseletz, amandes, pignons, maschepains, et cent autres deguisemens de fruicts conficts ; enfin on presente en des grands vases la boisson fumante ; et de tous les vins, la gloire est donnée à la malvoisie, pour laquelle nos anciens disoient le feu s’amortir par le feu. Il n’y avoit pas faulte de raisins de Somme, qui est l’honneur du Royaume de Naples, et la friandise de Rome, ce sont les montagnes d’Orphée, et là se procrée le vin qu’on surnomme grec, lequel fait descendre les compagnons soubs les treteaux. Les vins Mangiaguerre et Vernacquie y furent entremeslez, et aussi ceux, desquels la Bresse se vante, le vin Triboan, de Modene, ne fut pas mis en dernier rang, ni le muscat de Peruse, qui en la teste des Allemans engendra cent sortes de chimeres. Tant de sortes de vins ne se passerent pas sans celuy de la belle vallée de Cesenne, ny sans les douces urines que Corse pisse : un nombre infini de flaccons et bouteilles estoient. pleines de tels vins excedans en bonté tous les autres. Desjà toute ceste brigade, ayant la fumée du vin montée en teste, commençoit fort begayer, avec propos et parolles mal liées ensemble. Chacun parle, et nul ne se taist, force baveries, bourdes, menteries, mille propos de fusées, sans aucun arrest, ny mesure, comme bien souvent il arrive apres une longue et continuelle beuverie. Par entr’eux y avoit personnes de tous pays : et, pour ceste cause, le vin les poussoit à parler leur langage tous ensemble, en sorte que le ciel n’ouit pas plus de diverses clameurs, lors qu’avec la tour Babel on pensoit surmonter les estoilles. Les Italiens contrefont les François ; les François veulent imiter les Allemans, tant est divine la matiere et la forme qui est dedans le tonneau. Sur ces plaisans devis viennent les chantres, qui estoient Flamens, et excellens en leur art. Iceux, après avoir bien beu du bon piot, se mettent à chanter avec voix tremblantes, lesquelles la gorge facilement envoye dehors, ayans tous une poitrine ferme et robuste. A l’accord de telles voix, et à telle melodie, tous ces causeurs se taisent, et toutes choses estans en repos, ny pied, ny bane, ny rien quelconque entrerompt un si doux plaisir que recevoit l’oreille. Après ces chantres, entrerent en la salle cinq joueurs de flustes, tres-experts, lesquels après avoir joué de leurs flustes, s’esleverent avec un grand retentissement des joueurs de hautboys, et avec leurs tons merveilleux se font cognoistre par toute la ville de Paris. En souflant en leurs instrumens, vous leur verriez les joües grandement enflées, et iceux ne faillir jamais à boucher dextrement les trous avec leurs doigts, les maniant legerement haut et bas, avec une grande asseurance et leur musique se diminue si melodieusement, que, de huict personnes qu’ils estoient, vous eussiez estimé iceux estre cinquante. Ces melodies servoient de fournaise pour enflamber de plus en plus le cœur de Balduine. Guy en ses entrailles n’estoit pas moins eschauffé. La prinse de tant de sortes de viandes, de tant de sortes de vins avallez, qui entretiennent les uns et les autres le regne de Venus et de Cupido ; les chansons musicales, les doux luthz, les harpes, les lyres, et autres instrumens de musique, avoient attaché ces deux jeunes personnes à des lacz malaisez à rompre, les brulloient au dedans, et les avoient despouillez de raison. Amour avoit lasché sur eux tant de flesches, qu’il en avoit vuidé cent carquoys, ensorte qu’il ne leur restoit en leur corps aucune partie entiere, sur laquelle ce bourreau d’Amour eust peu lancer encore aucun dard. Desjà Diane commençoit avec un peu de clarté à se faire paroistre, montée sur son rosaique pallefroy. Les chantres, les hautboys, les dances, le bal, à dieu s’en vont, ne retournans jamais les heures vers nous. C’est assez joué, c’est assez caquetté. On donne aux bouffons les livrées. La salle se vuide, et s’en va-on dormir : chacun reprend son logis, et son hostelerie, et expose en proye son corps à l’obscur sommeil. Le seul Guy, esmeu comme la vache picquée d’un taon, allant çà et là, ne peut tenir aucun droict chemin. Hà, comme l’Amour contrainct les sages de se matter eux-mesmes ! Qui est celuy, qui pourroit prendre un tel oyseau, contre lequel nul filet, ny aucun tresbuchet a puissance ? Cæsar, qui subjugua le monde, estoit si vertueux ; une femme vilaine le rangea soubs le joug de l’Amour, Alcide, qui dessus ses fortes espaules relevoit, en façon de pilastre, le plancher du ciel prest à tomber, se vestit d’une chemise de femme, ayant quitté pour icelle sa peau de lyon ; et, mettant bas sa massuë, print entre ses mains le fuseau. Une vile putain a rasé le poil au fort Sanson, lequel souloit à belles mains escarteler les machoires d’un sanglier, d’un tygre, et d’un lyon. Voicy aussi Guy, lequel, rejettant son honneur et celuy du Roy, et prestant l’oreille aux blandices d’une tendre sienne fille, la ravit, et le pont du chasteau abbaissé, s’eschappe, emportant comme un facquin sur son eschine une pesante charge, laquelle il ne voulut jamais oster de dessus ses espaules, jusques à ce qu’ils eussent, eux deux, passé les limites du Royaume de France. Mais nostre Comine a desjà soif, et demande le verre, et ce premier livre a vuidé mon cornet d’ancre.


  1. Cette expression rappelle l’ouvrage plusieurs fois réimprimé dans la première moitié du seizième siècle, et qui, sous le titre des Motz dorez du grant et saige Cathon, offrent une traduction ou plutôt une imitation des Disticha moralia.
  2. Le pays de Cocagne, tel qu’il est décrit dans un fabliau du treizième siècle, renferme des rivières où coulent les meilleurs vins de France ; il s’y fait quatre vendanges par an ; tous les jours fêtes et dimanches. Citons quelques vers d’après le texte que donne le Recueil des Fabliaux, publié par Méon, t. IV, p. 175 :

    De bars, de saumons et d’aloses
    Sont toutes les mesons encloses ;
    Li chevrons i sont d’esturjons,
    Les couvertures de bacons,
    Et les lattes sont de saussices ;

  3. Renaud de Montauban, un des douze pairs de Charlemagne, joue un grand rôle dans plusieurs romans du cycle carlovingien. Il était neveu de Charlemagne. Les plus anciennes épopées italiennes gardent le silence sur son compte ; en revanche, il est un des héros de plusieurs poëmes français, tels que les Quatre fils Aymon et Maugis d’Aigremont.
    Son histoire a été racontée fort au long dans un volume espagnol intitulé : Libro del noble y esforçado cavallero Renaldos de Montalvan ; mais ce livre, qui a fait partie de la bibliothèque de Don Quichotte, est devenu aujourd’hui d’une rareté excessive, bien qu’il ait eu diverses éditions et continuations signalées dans le Manuel du Libraire, de M. J. Ch. Brunet, t. IV, p. 59.
  4. Onomatopée assez expressive. Il y en a d’autres et de nombreuses dans Merlin Coccaie. Elles méritent d’être recueillies lorsqu’on fera pour les onomatopées latines et macaroniques un travail analogue au curieux volume publié par Charles Nodier. (Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises, deuxième édition, Paris, 1828, in-8.)
  5. Trombette frifolant tararan.
  6. Ce mot, qui choque avec raison le lecteur du dix-neuvième siècle, n’éveillait nullement la susceptibilité de nos ancêtres.
    On le retrouve dans une foule de pièces de théâtre de la première moitié du dix-septième siècle. La tragédie de François Perrin, Sichem ravisseur ou la Circoncision des incirconcis, Rouen, 1606, se termine par ces deux vers :

    Quoi ! voulez-vous laisser impuni le vilain,
    Abusant de ma sœur comme d’une putain ?

    Il était même alors admis en chaire, et des prédicateurs réimprimant leurs sermons avec approbation et privilége ne se croyaient nullement tenus de l’effacer. On peut s’en convaincre en parcourant les Sermons du Père Bosquet, publiés à Arras aut commencement du règne de Louis XIII.
    L’Italie offre dans ses poëmes et dans son théâtre maint exemples analogues. Dans l’Orlando innamorato de Berni, Charlemagne, irrité contre Roland, promet de pendre de ses propres mains ce figlinol d’una puttana rinegato.
    Une comédie de Fedini, I due Penilie, Florence, 1583, représentée solennellement en présence de la grande-duchesse de Toscane, nous fait entendre cette exclamation :

    O puttana de mi, ha gran potenza l’amor,

    Un auteur comique assez fécond, François Loredano, plaçait, dès le commencement de sa comédie de la Malandrina, Venise, 1587, in-8, ces paroles mal sonnantes : Voler che s’insegni l’arte del puttanezzo à puttane avezze al bordello.