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Histoire maccaronique/3

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(sous le pseudonyme de Merlin Coccaie)
Adolphe Delahays (p. 40-60).

LIVRE TROISIEME.


Balde, nonobstant les langes et les couches, avoit tiré ses bras dehors, et avoit deslié toutes ses bandes : appeloit sa mere Mamam, et Berthe Tatta : et commence à se tenir en place : et, s’essayant de marcher, n’attend aucun soutien, ny secours de sa mere, et ne se veut ayder de ces petits roulleaux qu’on baille aux enfans de son aage. Luy mestne s’achemine où il luy plaist, allant çà et là. Mais, n’ayant encor les jambes bien fortes ny les pieds bien asseurez, pendant qu’il s’efforce de courir et de vouloir voler comme l’Oyseau, tout halebrené, tombe souvent en terre, et gaigne de bonnes beignes au front, et fait souvent emplastrer ses yeux pochez au beurre noir. Toutefois, pour cela, on ne luy en void pas sortir une larme des yeux : combien qu’il voye son sang sur la place, et soudain se leve, et, se tenant droit, va encor trotter çà et là. Sans qu’aucun luy enseignast, il se fit un cheval d’une canne creuse, et un autre d’un baston de saule et d’un roseau. Ce petit diablotin court deçà delà, ne peut s’arrester en un lieu. Il n’aime se tenir sur la robbe ny reposer sur les genoux de sa mere. Il prend un esclat de bois qu’il attache à son costé en forme d’une espée, et d’une longue canne il fait une lance ; et autant qu’il en peut sçavoir avec son espée il donne coups en l’air à droicte, à gauche, estocades, estramassons, avec tous les coups d’escrimerie. Il court après les mouches, lesquelles il feint estre ses ennemis. Contre les murailles il poursuit les petites lesardes, et prend un grand plaisir, les voyans escourtées de queue, et neantmoins vivre encor et courir. Il commence injurier pere et mere, suivant la nourriture du vulgaire. Estant parvenu à six ans, qui consideroit sa force, ses ossemens, ses membres gros et bien fournis, pouvoit juger qu’il en avoit douze. Mars luy avoit donné les espaules larges, et les reins de mesme, pour soustenir la jouste, et les jambes propres pour sauter, et en somme toute telle dexterité, qui pourroit estre requise en un homme, soit à cheval ou à pied. Tantost il pique des talons son cheval de bois, court tant qu’il peut, l’arreste soudain, il rompt sa lance contre la muraille, ou la fiche dans le ventre d’un chaumier. Tantost il ferre le baston qui lui servoit de coursier, et contrefaict la Pie, le Chat, et le Chien. Que diray-je de la peau de son corps, qui estoit comme une escorce contre les injures du temps ? Les pluyes, la tempeste, la violence, et bourrasque des vents, les neiges froides, les chaleurs brulantes, ne l’eussent sceu retenir une demie heure à couvert. Comme il se couche, il s’endort, et ne dort gueres ; et le plus souvent son dormir est le jour sous le porche de la maisou, on la nuit soubs le plancher des estoilles, et rarement se couche avec sa mere. Pendant qu’elle dort quelques fois, il luy tire et desrobbe sa quenouille, et met le feu à sa pouppée, ne pensant pas que cette besongne soit pour luy, car sa mere lui filoit des chemises. La plume ne luy est pas plus agreable pour se coucher que la terre. Il endurcit ses costez sur la pierre, et change en nerfs forts et robustes sa chair delicate, se couchant ainsi sur la dure. Berthe craint (mais ceste crainte est meslée de joye) que trente boutiques de chausses, ny une milliasse de souliers, puissent fournir à cet enfant ; tant il trottoit de tous costez sans cesse. L’Hyver, le Printemps, l’Esté, et l’Automne ne luy estoient non plus qu’à une pierre ou à un arbre. Quand il avoit faim, il avaloit tout ce qu’il trouvoit devant luy, cuict, ou non cuict, ou-chair, ou oignons, du gland, des fraises, des noix, des chastaignes, des nefles, des meures, des pommes, des cornies, des prunelles, et des grateculs. Il devore tout, et son estomach comme celuy d’une Austruche consommeroit l’acier. Tout ce qu’il beuvoit estoit ou l’eau d’un baing, ou de quelque fosse, ou du vin doux, ou rude, selon qu’il le rencontroit. Berthe avoit cependant espousé une femme nommée Dine, de laquelle, l’ayant promptement engrossée, il avoit un fils nommé Zambelle. Mais, l’an d’après son accouchement, à grand peine estoit-il accomply, qu’icelle mourut de maladie. Ce qui apporta à Balduine un grand ennui. Ainsi Berthe demoura sans espouse, lequel Balde reconnoissoit tousjours pour son pere, et Zambelle pour son frere. Berthe les envoioit tous deux ordinairement aux champs avec sa vache et ses chevres : mais le sang, dont estoit sorti Balde, ne pouvoit porter tels empeschemens. La conduite des chevres, ny la hantise du village, ne luy plaisent point, et, au lieu de s’employer à tel exercice, dès le matin il s’en alloit en la ville de Bianorée, laquelle luy plaisoit tant, qu’il n’en pouvoit sortir. Bien souvent ne revenoit à la maison que sur le soir, rapportant quelquesfois ses habillemens deschirez, et des coups à la teste. Ce petit maling, ainsi qu’est la coustume des enfans, maintenant à coups de pierre, maintenant à coups de poing, se combattoit avec ses pareils, voire contre plus grands que soy, taschoit d’en emporter l’honneur, et desiroit et s’efforçoit de se monstrer devant un chacun estre le premier avant tous compagnons. Et ne faut pas que vous pensiez qu’il fut le dernier à aller au combat ; mais avec sa voix puerile s’escrioit comme brave et hardi par dessus tous les autres, les provoquant. Il avoit la dexterité de se guarantir de plus de cent coups de pierre, et ne failloit gueres d’en donner autant sur la teste de ses ennemis. Balduine cependant avoit acheté un petit livret pour luy apprendre son A, B, C ; mais avec iceluy Balde n’alloit jamais à l’eschole que malgré soy, et ne falloit pas penser que la mere, ou autre maistre d’eschole peust forcer un tel enfant. Ce neantmoins, en trois ans on le veid tant avancé aux lettres, qu’il retenoit par cœur tous les livres qu’il lisoit, et recita en un jour tout l’Æneide de Virgile devant son maistre par cœur, tant les guerres descrites par cet autheur luy plaisoient. Mais, après qu’il eut mis le nez dedans les gestes de Roland, il quitte là incontinent les regles du Compost : il ne se soucia plus les especes, des nombres, des cas, ny des figures : et ne feit plus d’estat d’apprendre le Doctrinal[1], ni ces differences de hinc, illinc, hoc, illoc, et autres telles sophistiqueries, ou fanfrelucheries des Pedans. Il fait des torcheculs de son Donat[2], et de son Perot, et de la couverture en fait cuire des saucisses sur le gril. Rien ne luy plaist que les beaux gestes de Roland, de Renaud, par la lecture desquels il eslevoit son courage à choses grandes. Il avoit leu Ancroye, Trebisonde, les faits d’ Ogier le Danois, Automine, Bayard, Antiforre, et les Actes Royaux de France[3], l’amourachement de Carlon et d’ Aspremont, l’Espagne, Altobelle, les guerres et combats de Morgant le Geant, les espreuves de Meschin[4], les entreprises du Chevalier de l’Ours[5], le livre de celuy qui sans grand’louange a voulu chanter la belle Leandre[6]. Il print plaisir à lire comme Roland fut amoureux de la belle Angelique : comme estant ou feignant estre devenu fol, il tiroit après soy une jument morte : comme il touchoit devant soy un Asne chargé de bois, et comme il s’envola en l’air ainsi qu’une Corneille. Par telles lecture Balde s’excitoit grandement aux armes, mais se faschoit d’estre encore de si petit corsage. Il portoit une petite espée attachée à sa ceinture, de laquelle il faisoit peur aux plus braves ; et jamais ne voulut endurer un coup de foüet : et, pour se faire craindre à l’eschole, rompoi tables avec ses livres, et la teste à son maistre. C’est une usance quasi par toutes villes, que les jeunes enfans se font la guerre les uns contre les autres à coups de pierre ; et de là bien souvent naissent des envies les uns contre les autres, qui enfin engendrent de longues inimitiez. Comme un paysan n’abbat point avec une gaule tant de gland pour le faire paistre et manger à ses pourceaux, afin de les engraisser ; ainsi un jour voyoit-on autant ou plus de pierres tomber de part et d’autre, s’estant des enfans bandez en deux handes l’une contre l’autre, lesquelles ils jettoient pour lors, bruiant ces pierres en l’air, tant elles estoient poussées roidement, par grand force, et la multitude d’icelles obscurcissoit quasi le Soleil. Avec ce sillement de pierres le bruit de voix de ces enfans estoit aussi merveilleux, tellement qu’un tonnerre n’eust scen faire un plus grand tintamarre. Là Balde ne faillit à se trouver, et estre de l’une des parties, et s’advance fort avant devant ses compagnons, et avec une fronde fait ronfler ses cailloux, donne courage aux siens, et la meslée se fait si aspre, que la poussiere obscurcit tout l’air ; et, se mettant trop avant dedans ses ennemis, il reçoit un mauvais coup sur la feste, comme il advient aux vaillans Capitaines. Mais, pour cela, il ne se retire point, et prend davantage courage, ayant veu son sang, et lait comme le poivre, qui tant plus est pilé, plus renforce son odeur, ou comme la palme, laquelle s’estere, plus elle est chargée. Aussi, desire-il estre plustost enfouy dedans un monceau de pierres, que tourner le dos à la semblance d’un couard. Enfin, teile bataille finie, il s’en retourne au logis, tout baigné de sang, se ruë sur les premiers œufs qu’il trouve, d’une partie desquels il fait un retraintif sur sa playe, et de l’autre il appaise sa faim. Mais sa mere, le voyant en tel equipage, s’attriste fort, et l’amitié qu’elle luy portoit la fait desesperer de luy. Mon fils, mon fils, dit-elle, je te prie pourquoy te tourmentes-tu tant ? Ha, pour l’amour de Dieu, arreste-toy : laisse là ces pierres : quitte ces batteries ! Il semble à te voir que tu aves une face de Diable, tant tu es deschiré, et as la face toute plombée de coups. » Balde luy respond : « Voulez-vous, ma mere, que je souffre qu’on me die que je suis bastard, un mulet, un souillon de cuisine, un fils de putain ? Perdray-je ainsi nostre commune renommée ? Y a-il un outrage pire que celuy-cy ? Vous vous souciez trop peu, ma mere, de l’honneur de nostre maison. Je me veux bien vanter que je ne suis seulement si outrageux, que je n’aye bien aussi la phissance de ronger le cœur à tous ceux, qui me voudront appeller bastard, ou dire que vous estes putain. Mon pere Berthe est-il connu, pour l’honneur duquel j’exposeray tousjours cent vies. Appaisez-vous, ma mere, je vous prie : que vous sert de tant pleurer ? Permettez que je m’exerce en ces combats de fronde, afin que par cy après je m’encourage à choses plus grandes. J’abbats autant de garçons, et les mets à l’envers, qu’il s’en presente devant moy, n’ayant aucune force ny aucune reigle d’escrimerie comme j’ay, et desjà on m’appelle Paladin, aucuns un Geant : car pas un ne se peut parangonner à moy en la façon de guerroyer. Avant tous les autres, je lance plus de mille cailloux et neantmoins, ma mere, me voilà sain et gaillard. Il se presente à moy des honnestes personnes, qui prennent plaisir à m’apprendre, comme il faut que je me gouverne en telles guerres, quand ils me voyent deliberé, et que je m’appreste de me trouver à telles meslées pour faire à coup de pierres, de baston, ou de poing. Et nous nous devons resjouir de cette bonne fortune plus que de me voir mener des chevres aux champs, et vous, des oyes. D Balde parloit à sa mere avec si bonne asseurance, qu’icelle pleuroit et rioit tout ensemble.

Cependant un jour vint que la ville de Mantoüe estoit toute confite en joye. Ce jour fut le premier de May, auquel dès le matin chacun fait planter devant sa maison de hauts arbres et rameaux, lesquels on nomme May, à cause du moys. Le peuple suit les charettes par les rues, chargées de tels rameaux, lesquels sont tirez çà et là par des bœufs couronnez, et ornez de longs festons de roses. Au dessus d’icelles on fait un haut amas de feuilles d’oranges, de myrthe, de lauriers, de brins de marjolaine, de rosmarin. On y void toute espece de peupliers, d’ormeaux, de chesnes, de lierre. Du haut pendent mille petits floquets, et autres petites gentillesses faites de papier, qui au vent sont poussées çà et là. Au dessus de ceste mommerie on void Cupidon ailé, qui est un enfant bandé par devant les yeux, lequel detache de son arc plusieurs flesches d’un costé et d’autre. Une troupe de filles suivent après, portans leurs cheveux tressez et couronnez de fleurs. Icelles portent en des paniers des œufs, et vont chantant par la ville.

Balde, se meslant parmy telles handes, chante comine les autres, et, voyant qu’on partageoit ces rameaux, en voulut avoir sa part jusques à un brin de fenoüil, et crie tout haut : « Vous me devez les premiers honneurs ; je veux estre de la premiere partie. » Et, après icelle, il voulut encore estre de la seconde. Mais, arrivant de fortune près de Sainct-Leonard, il entend plusieurs garçons faire un grand bruit pour divers jeux à quoy ils s’esbattoient. Les uns avec des noix taschoient à abattre une piece d’argent, qui estoit assise sur le bout du manche d’un cousteau fiché en terre : les autres jouoyent à la balle : aucuns avec un fouet faisoyent tourner et promener le sabot : autres avec la course sautoyent à trois pas et un saut. Balder jette incontinent son casaquin à bas, et, estant en chemise, commence comme les autres à sauter. Mais il feint ne pouvoir franchir la marque, et fait semblant de ne pouvoir tenir son pied en l’air ; et, ayant un peu serré la boucle de sa ceinture, et osté ses souliers, et quitté son bonnet, ayant retenu le cordon, lequel en façon de bande lui reserroit ses cheveux, commence à prendre sa course. si legerement, qu’à grand peine pouvoit-on voir sur le sablon aucun vestige de la plante de ses pieds ; et asseurant fernement le pied droict, et courbant le gauche, sembloit estre eslevé en l’air comine un petit aigneau, ou comme un chevreau, qui à la sortie de l’estable court, et fait mille bonds sur l’herbe. Du premier saut, il s’advance de six brassées : le second est plus court, mais plus ferme : et au troisiéme, joignant les deux pieds ensemble, se lance en l’air et outrepasse bien loing la marque. Les autres, voiant la marque advancée si loin, ne veulent plus s’y efforcer : et les hommes, qui estoyent là presens, admirerent fort la force de cet enfant, jugeant qu’en luy estoit la dexterité et adresse d’un Paladin.

Autres, qui estoient plus grands, le defient au jeu de la bale, de ceste bale, dis-je, qu’on a accoustumé d’enfler avec une seryngue. Balde assez par force se met de la partie. On luy donne un brassart, il l’accommode à son bras droict, et sur la main : il se presente à jouër : on fait partie avec telles et telles pactions et pour la victoire on accorde une couronne de fleurs, qui seroit adjugée aux victorieux par le peuple, qui estoit là present.

Toutesfois, chacun tend à tromper Balde, lequel de sa part y alloit d’un grand courage et d’un cœur royal, et jamais ne trahit aucun. Car tous les enfans de la parroisse de Sainct-Leonard ne pouvoient endurer qu’un petit villageois et poltron de Cipade eust la victoire, et emportast l’honneur du jeu par dessus les jeunes enfans de la ville, fils des meilleures maisons, comme sont les Passarins, Arlotes, et Bonacourssi. Alors un plus hardi que les autres luy dit : « Je faits ce marché, que tu ne pourras, Balde, rechasser la bale, si premierement tu ne mets argent sur le jeu. » Balde estoit pauvre, et de honte la rougeur luy montoit au front ; car il n’avoit pas en sa bourse trente. deniers. Il se resolut de vendre sur l’heure à un Juif tout ce qu’il avoit sur le dos. Il jette sa veuë sur tout ce peuple, pour veoir, si, entre des bonnets rouges et noirs, il n’en apercevroit pas de jaunes. Il n’en veid pas seulement un, mais cinq, mais huict, mais plusieurs teints en ceste couleur. Car Mantouë n’est point sans des Badanages et Patarins. A iceux il offre son saye, sa cappe, et sa chemise. Plusieurs donnent à ces Juifs asseurance pour luy. Balde commence le premier à joüer : il estend la main gauche, et avec la droite serrant fort son brassard, en se mocquant, crie : « Jouez ! » Puis, courant au devant de son compagnon, qui rechassoit la bale, et la recevant, la rejette en haut d’une telle force et adresse, qu’on la voyoit pirouëter en l’air. Toutefois il la jette, ny trop haut, ny trop bas, et ne la jette, comme on dit, au dessus du clocher. Ainsi cette bale est poussée çà et là, et Balde la considere de l’ail venir à soy ; et se plante pour la recevoir, et la rechasse dextrement, gaignant la premiere chasse, et aussi la seconde et plus on la lui envoyoit plus fort, et plus loing la renvoyoit, et sans cesse, et sans aucune relasche ne failloit d’outrepasser le but prefix : et avant que Phœbus se fut aller coucher en la mer, Balde. meit de gaing en son escarcelle huict carlins de cuivre et reprint son manteau, son bonnet, et s’en alloit gaillard pour dire à son pere Berthe et à sa mere le gain qu’il avoit fait. Mais un jeune garçon de bonne maison, qui estoit du pont d’Arlote, ou du pont de Macere, estant impatient d’avoir perdu la meilleure partie de ses deniers, se leve, et, prenant sept ou huit de ses compagnons, court après Balde, et luy jure, en maugreant, qu’il luy ostera sa bourse ; ou que, s’il ne peut l’avoir, il luy enlevera son manteau ; ou que, s’il ne peut avoir ne l’un ne l’autre, il luy rompra le col et l’assommiera à coups de pierre. Balde avoit jà passé l’Hospital, et estoit prez la porte de l’Evesché, qui est tousjours ouverte, et estoit desjà en la grand’place de Sainct-Pierre pour de la le long du Pont gagner Cipade.

Là, cet enfant d’Arlote attrappe Balde, et le prenant de la gauche par la gorge, et tirant de la main droite unc. daguette : « Rends-moy, dit-il, mes carlins que tu m’as prins frauduleusement ? » En disant ces mots, il presente devant ses yeux la pointe de sa dague. Mais Balde soudain se demesle d’avec luy, et d’une mesme vistesse prend la poignée de sa daguette, et la luy arrache, et luy donne un si grand souflet sur la joue, que la main y estoit toute marquée.

Incontinent les autres garçons se tiennent ensemble, et amassent soubs leurs habillemens de gros cailloux ronds. Balde, pour se garantir de tels coups, tourne à l’entour du bras son manteau au lieu d’un bouclier. Les pierres, les cailloux volent, et morceaux de tuilles sont jettez, bruyans aussi fort comme si c’estoient harquebuzades.

Balde se retire, en combattant, soubs le porche de Saincte-Agnés, de peur que ses ennemis le veinssent assaillir par derriere. Puis, il se range en un coing d’où avec cent piques on ne l’eust sceu tirer. On luy jetta là une gresle de pierre ; mais, estant agile, tantost il saute à gauche, tantost à droite, evitant par ce moyen avec son agilité toutes ces pierres, comme le pilotte expert en son art en faisant son voyage sur mer, voyant devant luy les ondes eslevées ainsi que montagnes, n’abandonne pour cela le timon, ne perd son entendement ; mais eguise son esprit, et donne ordre par son art à fendre les ondes, faire tenir son vaisseau ferme sur icelles : ou les eviter. Ainsi Balde, voyant ces pierres venir droict à luy ou par haut, ou par bas, maintenant baisse la teste à gauche, et à droite, maintenant ouvre les jambes, ou en leve l’une, on la met sur l’autre. Et, par ce moyen, il evite quelquesfois en un instant plus de cent coups de pierre. Ce combat dura plus de trois heures, et le peuple, qui voyoit cette querelle, s’en emerveilloit fort.

Or le Capitaine, et le chef de ces assaillans, ayant le cœur despit, vouloit faire la sepulture de Balde entre ces tuilles et tuilleaux, qu’on luy jettoit, et s’advance fort sur luy. Balde luy crie : « Arreste-toy : si je te romps la teste, que sera-ce ? Ce sera à ton dam, je t’en avertis. » Mais ce poursuivant ne se soucie de ce qu’on luy dit, et ne prend garde s’il estoit suivi de ses compagnons.

Alors Balde ne l’advertit plus de prendre garde à soy : et, sans se soucier du saye et du bonnet de velours qu’avoit l’autre, prend une grosse pierre, et luy lançant en l’estomach d’une violence aussi grande que si elle eust esté jettée avec une fronde, le met par terre, et pense-l’on soudain, qu’il soit mort ; dont les autres garçons estonnez monstrent aussi tost les talons.

Balde n’arreste gueres non plus en place, et se de- traque par cy par là jusques à ce qu’il se veid seul, et maistre de la campagne, où lors il reprint haleine, et, marchant plus à loisir, tiroit droit à Cipade. Il advint qu’un certain vassal, et subject de cet enfant qui avoit été ainsi griefvement blessé, ouit ce bruit et clameur : ces vaultneans de sergens l’appeloient Lancelot ; mais ceux qui ont eu meilleure connoissance de ce faict, le nomment Slandegnoque, qui veult dire lancebeignets. Cet homme estoit d’une corpulence fort difforme et ressemhloit à Manbrin le geant, n’ayant qu’une petite teste de linotie sur de grosses epaules : et eust-on dit que ce n’estoit point la sienne propre, mais une qu’il eust emportée au gibet. Ce compagnon estonnoit tout le monde par parolles, estoit un bravache, un mastin, un taille-tout, lorgnant tout de tort et de travers. Il monstre le poing, puis desgaine sa dague, et entourne son manteau au bras. Cestuy-cy avec ses braveries poursuit Balde, et en courant crie : « Prenez le larron, qu’il n’eschappe ! Prenez ce pendart, qui a rompu et cassé la teste au conte Janorse ! » A cette rumeur, le peuple, qui se trouvoit à la rencontre, tasche à arrester Balde. Il est prins incontinent. Mais aussi tost il se desveloppe d’eux, comme fait l’anguille qu’on ne peut pas retenir aisement. Lancelot toutefois court tousjours après, comme fait un mastin après un gentil lievre, ou comme un asne après un chevreuil, on hien comme un gras bœuf, qui tasche à course d’abatre le cerf. Balde, estant sorti les portes de la ville, à un traict d’arc d’icelles, rengaine son espée, et s’efforce de gagner le logis. Lancelot, deplaisant au possible, à force de courir, met la main sur le dos de Balde, comme le mastin, qui se jette laschement sur un petit chien. Balde, se representant soudain les chevalereux faicts de Roland, roule sa cappe à l’entour du bras gauche, et de la droite tire son estoc, et en fourre la pointe dedans le nombril de Lancelot. J’ay veu autrefois abbatre par le pied un grand arbre pour raison de son ombre, qui nuisoit par trop aux bleds qu’on semoit auprès : mais iceluy ne faisoit pas plus de bruict en tombant, comme feit cet homme grand debrideur de pain en son vivant. A grand’peine Balder avoit-il peu tirer son espée du ventre de Lancelot, qu’il void une bande de sergens accourir vers luy. Ce qui luy fait redoubler le pas, et en galoppant gaigne enfin la maison de sa mere. Balduine, voyant son enfant tout en sueur, et estant tousjours en crainte et en peur de son fils, autant que peut estre le lievre, une couleur plombée luy venant au visage, s’escrie : « Où fuy-tu ? D’où viens-tu ? Qui t’a fait ainsi courir ? Di-moy, gentil danseur, dy, jeune poulain ? Pourquoy, malheureux, me fais-tu tous les jours mourir ? » Balde luy respond : « Voulez-vous que tousjours j’endure mille torts, qu’on me fait ? que je boive mille hontes, mille travaux, qu’on me donne ? Suis-je un asne pour ainsi exposer mon eschine à estre grattée par des poltrons et maroufles ? Je ne me soucie gueres de parolles frivoles : parlent qui voudront parler, je n’endureray jamais une seule chiquenaude, ny qu’on me touche du seul ongle. Du dict au faict il n’y a pas grande distance pour moy : que les hommes causent, babillent, fiantent, je ne les estime pas plus que pulces : je ne crains pas les chiens, qui jappent et abbayent de loing. La peau ne se deschire point par seules baveries. » La mere luy dit derechef : « Mon fils, tu ne sçais pas le proverbe, tu ne sçais pas que le grand poisson engloutit le petit. Ne va plus à la ville, et ne vueille delaisser ta mere : car je t’asseure que si tu ne laisses ces querelles, ces combats, ces batteries, que tu vivras peu. » Balde luy respond : « On ne peut mourir qu’une fois, et n’y a moyen de resister au destin : on n’y peut rien apposer au devant. Que sert de nous. rompre icy la teste après tant de raisons, puis qu’un chacun a son heure bornée ? Mais, je vous prie, ma mere, ne vous tourmentez tant : le Diable n’est si laid comme on le figure. » Pendant ces propos, il regardoit souvent derriere soy, dont la mere entre en soupçon de son faict, et se travaille grandement en son ame. Voicy le Prevost accompagné de ses sergens, qui entre en la court de Berthe, et commande de prendre Balde, et le lier avec cordes pour le mener devant le Juge, s’esmerveillant grandement, et tenant à grand miracle qu’un aussi petit enfant avoit peu tuer un geant. Berthe pour lors estoit absent de la maison, il y avoit desjà un long-temps. Balde, ne se voulant laisser ainsi prendre, donne de son espée en l’aine d’un sergent, coupe le bras gauche d’un autre ; et voulant un d’iceux s’advancer sur luy pour le saisir, il luy donna un vilain revers. Ho ! pensez quelle estoit sa pauvre et craintive mere, le voyant entre tant de sergens, entre tant d’espées nues ! Elle le jugeoit mort, et taillé en pieces ; mais cette femme miserable et malheureuse saisie de si grandes douleurs, le cœur luy refroidit si fort, qu’il estoit en glace. « Ha ! » s’escria-elle, par quatre fois, et appela à haute voix Guy, donnant un suject de descrire sa fortune par une histoire tragicque : laquelle, estant descendue d’une si grande race, perd ainsi miserablement la vie, sortant pour lors, de duëil et d’ennuy, son ame hors de son corps : et voilà quelle fin donna l’Amour à une telle Princesse. Cependant toute la bande de ces sergens, s’estant jettée ensemble sur cet enfant, l’arresterent ; et estant bien garotté, l’un d’entr’eux le portoit sur son dos : mais ce garçon se secoue, se demene, taschant à rompre, ou desnouer ses cordes, se travaillant en vain : car les cordes, qui pouvoyent arrester un taureau, estoient celles avec lesquelles ils avoient lié cet enfant de sept ans. Or, estant la cholere naturelle grande en luy, il prenoit avec les dents le col et les oreilles de celuy qui le portoit. De fortune, à l’heure mesme, arriva là le joyeux Sordelle, qui de Motelle revenoit à la ville. Iceluy, ses gens marchant devant, estoit à cheval, estant desjà d’aage, non toutefois encor debile pour sa vieillesse. Il n’avoit encor perdu aucune dent, il ne crachoit point des huitres, ny ne jettoit des cailles par derriere. Il advise cet enfant lié par les pieds et par les mains, lequel avec tant de tumulte on menoit devant le Juge, en la forme et maniere que ces malotrus de Troyens au temps passé trainoient Sinon au Roi Priam. Iceluy arreste sa haquenée, et fait commandement à ceste trouppe de demeurer, et à ces sergens, s’estonnant fort d’en voir d’iceux blessez, et s’enquiert d’eux l’occasion, s’esmerveillant comme un enfant, à grand’peine pouvant encor parler et cheminer, fut ainsi lié comme un larron, et comme un meurtrier. Le Prevost luy compte tout le faict : mais cet enfant, ayant tousjoure un hardy courage et bonne parolle, parla à Sordelle en cette sorte : « Mon gentilhomme, je vous prie, que vos oreilles daignent ouyr en peu de mots la cause d’un pauvre orphelin. Nostre differend ne sçauroit estre vuidé par devant un meilleur Juge. La renommée de Sordelle est notoire à tout le monde, qui pour le zele de la justice mesprise tout or et argent.

« Dictes-moy, Seigneur Baron, premierement si contre- tout droit aucun vous voulut enlever la bourse ou la cappe, la lairriez-vous ainsi aller ? Il y a bien plus fort, si aucun vous assailloit en pleine rue, vous menaçast, et, qui plus est, voulut vous mettre l’ame hors du corps, voudriez-vous endurer ce faict, et retenir vos mains jointes ensemblement par courtoisie, et faire d’icelles, comme moy enfant je fais, quand je benis la table avant disner ? Seriez-vous tel, qu’on vous feit ainsi une barbe de foin ? Il y avoit un facquin, auquel je n’avois fait aucun desplaisir, et vous prie m’en croire, et ne luy en eusse fait, s’il ne m’en eust donné le premier. Il n’a pas eu honte de me poursuivre plus de trois mille pas, en intention de m’oster la teste de dessus mes espaules. Pourquoy Nature donne-t-elle des pieds à l’homme, un cœur, une main ? Je m’eschappois de luy à courir ; car les pieds ne sont que pour cela. Mais, voyant que je ne pouvois eviter par ma course sa rage, je m’asseure le courage, ainsi qu’avec iceluy nous surmontons tout peril. La main, qui sert de ministre au cœur, que feroit-elle alors en une necessité si urgente ? Perdroit-elle le temps, sans gratter sa rongne, et chercher au soleil des poulx en teste ? Donnez-en jugement selon vostre bonne equité : vous sçavez les ordonnances et statuts de la Table Ronde. Si j’ay tort, qu’on me donne la peine : si aussi j’ay raison, vous m’adjugerez le droit comme equitable Paladin. » Ce Baron fut fort emerveillé des propos de ce jeune enfant, et soudain pourpensa en luy-mesme qu’il seroit un jour un vaillant personnage. Puis, dit à ces sergens : « Il n’y a soubs le ciel personne qui soit de moindre valeur que vous. Quelle honte est-ce cy ? Tost, à qui est-ce que je parle ? Ostez ces cordes à cet enfant, et ne vous en faites point dire deux fois la cause, alin que n’appreniez, qui est Sordelle. » Le Prevost lui dit : « C’est nostre charge d’obeyr au Senat, et ne faisons ne plus ne moins que porte ses commandemens. » Pendant ceste controverse, au bruit d’icelle, le peuple s’amasse de toutes parts. Sordelle voulant bien conserver son honneur, et ne s’attaquer autrement avec cette canaille de sergens, il se tourne vers aucuns citoyens là presens, et avec soubriz dedaigneux tint ce langage : Ces sergens-cy sont grands poltrons, et rien que pouilleux : ce sont gens dignes de mourir avant que naistre, afin qu’ils ne mangeassent point aussi le pain, et avallassent aussi le vin sans l’avoir merité.

« La coustume de ces sergens n’est pas de combatre contre quelqu’un, s’ils ne le voyent sans espée. Car, si aucun leur fait teste se preparant à tirer l’espée, incontinent ces coquins se retirent comme font les poulets voyant le Faulcon. Mais, si un pauvre homme va de nuict par la ville, et porte avec soy, ainsi qu’est la coustume, quelque peu de lumiere, que font ces larrons, et avaleurs de merde ? Ils envoyent un des leurs devant, pour tuer la lumiere de cet homme, et luy arracher sa lanterne. Ce fait, ces vautneans tirent leurs espées de plomb, et faisant sonner leurs boucliers, environnent ce pauvre homme degarni d’armes, le despouillent, le volent, et luy lient les mains : mais, s’il leur donne en tapinois ce qu’il a peu embourser de monnoye pour sa journée, ils laissent aller ce miserable garni seulement de cholere, ne luy demeurant aucun denier qu’il avoit gaigné tout le jour à battre la laine, ou tirer de l’estain, pour se sustenter, et sa petite famille. Le Prevost, pour luy faire perdre manteau, chausses, et chemise, le menace de le mettre entre les mains du bourreau. Telle faute vient des Juges, lesquels doivent envoyer au gibet tels larrons, nettoyer les chemins des assassinateurs, faire mourir et exposer par quartiers les voleurs et guetteurs de chemins, y estant excitez par la voye de justice, et non pour farcir leurs ventres et amasser de l’or.

« O combien voyons nous de pauvres personnes qui n’avoyent rien, et qui n’avoyent un sol en bourse estre pendus au gibet ! Nos ministres de Justice n’ont point toutesfois à present cet esgard : car, pendant qu’ils succent leurs bourses et espuisent les escarcelles, ils secondent les malheureux deportemens de leurs ministres. Ils ostent l’espée à la Justice, brisent ses balances, chient sur le Droict, et tournent le cul aux loix. Ha ! combien ceste canaille de sergens meriteroit mieux estre menée au gibet, que ceux-là qu’ils y menent ! He ! pourquoy donne-on permission à tels chiens de porter espée, estant defendu aux autres d’en porter à leurs ceintures ? Le Prevost, les sergens, portent seuls des armes pour desgager et voler les personnes. Aussi, les vaillans hommes, et ceux qui sont de honne maison, ne veulent aujourd’huy porter espée à leur costé, de peur qu’on les estime sergens. S’ils vont prendre quelque malfaicteur, ce ne leu est assez de l’arrester, mais soudain le volent : l’un prend le manteau, l’autre se saisit du bonnet, un autre le casaquin, leur estant d’avis qu’à eux seuls le vol est permis. Il n’y a au monde impieté plus cruelle. Ils sont instituez pour chastier les meschans : mais, estant insatiables, ils tuent les hommes soubs le manteau de justice ; et avec le sang et la vie emportent le bien. Au contraire, ceste canaille avaleuse de pain, quand la jeunesse courageuse s’esbat de nuit allant çà et là cherchant compagnie, ou donnant quelques aubades à leurs amoureuses avec le luth ; ces sergens-cy, oyant le son des cordes, et avec le chant un frit frit de leurs armes ; et voyant à une petite lumiere reluire leurs jacques, ou cuirasses, ou rondaches, incontinent ils se retirent à quartier, et courent comme beaux diables, disans en eux-mesmes : Il n’y a rien ici à gagner pour nous. »

Sordelle, ayant fait ce discours, commanda derechef à ces satellites de lascher Balde. Le Prevost soudain luy obeist, fait destascher les cordes, et ne se le fait dire trois fois. Et puis se retire, n’aiant jamais eu la hardiesse de faire recit au Senat de cet acte, de peur d’en estre reprins. Balde ayant un gentil naturel, un cœur doux, et un bel esprit, un courage asseuré, une bouche diserte, remercia ce Baron fort courtoisement et autant qu’il proferoit de parolles, c’estoient autant de pierres precieuses. Sordelle le print en tres grande amitié, et eust promptement envers luy telle affection que sans s’en enquerir d’avantage, il tourne le derriere de sa hacquenée, et commande à ses varlets de le monter en croupe derriere luy pour l’emmener chez soy. Mais Balde, prenant pour un courage vil qu’on le montast ainsi en croupe avec l’ayde d’autruy, incontinent avec un saut, en ouvrant les jambes, se jette assis sur ceste croupe, dont ce Baron fut encor plus esmeu d’affection envers luy. Il l’emmene en sa maison, et le fait habiller proprement, se servant de luy au lieu de page. Il n’en trouva point de plus diligent, fut pour nettoyer de bonne heure au matin les robbes de son maistre, ou pour verser à boire, ou aller par la ville faire mille affaires. Or le soleil, pour se coucher, se laissant devaler du haut du ciel, la nuit commençoit à apporter ses tenebres sur la terre, et Gose endormie ronfle à bouche ouverte.

  1. Ce titre fut donné à divers ouvrages fort goûtés à cette époque. Le Doctrinal de Sapience, de Guy de Boy, jouit longtemps d’une grande réputation. On vit paraitre en vers français le Doctrinal des bons serviteurs, des femmes, des filles, des femmes mariées. Michault composa le Doctrinal du temps. Un poëte resté ignoré composa le Doctrinal sautvaige.
  2. Ælius Donatus, grammairien romain, vivait vers le milieu du quatrième siècle. Il eut saint Jérôme pour éléve. Il est l’auteur de divers ouvrages de grammaire ; l’un d’eux devint une petite. syntaxe latine à l’usage des écoliers, intitulée de Octo partibus arationis, et réimprimée maintes fois au quinzième et au seizième siècle. Le nom de Donat finit par signifier toutes sortes de leçons et en général un traité élémentaire quelconque. Quant à Nicolas Perot, né en 1450, il fut l’auteur des Redimenta grammatices dont les éditions furent des plus nombreuses depuis l’origine de l’imprimerie jusque vers l’an 1510, où l’on eut recours à des ouvrages mieux rédigés.
  3. Il faut reconnaître sous ce nom un célèbre roman de chevalerie en italien, Li Reali de Franza, dont la première édition parut à Modène en 1491 ; elle fut suivie de plusieurs autres ; le Manuel du Libraire en énumère dix-sept ; les deux dernières sont celles de Venise, 1094 et 1821 ; celle-ci est due aux soins de l’habile bibliographe Gamba. Ginguené, dans son Histoire littéraire d’Italie, t. IV, p. 165 et suiv., donne l’analyse de cette composition.
    Deux mots au sujet des autres romans signalés dans le même passage :
    L’Ancroie est le poëme intitulé Libro della regina Ancroja, dont l’auteur n’est pas bien connu, et qui, de 1479 à 1589, a été réimprimé au moins douze fois. Les premières éditions sont extrêmement rares. Cette épopée a été appréciée par Ginguené, Histoire littéraire d’Italie, t. IV, p. 200 ; il la trouve ennuyeuse et d’une longueur excessive.
    La Trabisonde est le poëme de la Trabisonda, attribué peut-être à tort à Fr. Tromba, et dont la première édition vit le jour en 1183 ; on en connaît quinze autres ; la dernière porte la date de 1682.
    Ogier le Danois est trop connu pour que nous nous y arrêtions ; le roman en prose qui raconte ses exploits et dont la première édition vit le jour à Paris, vers 1498, est tiré de deux poèmes français des douzième et treizième siècles, lesquels avaient été précédés par une relation latine. Le fond de ces récits est historique, mais l’imagination des trouvéres y a beaucoup ajouté. Voir l’Histoire littéraire de la France, t. XXII, p. 645-659 ; les Recherches de M. Paulin Paris, sur Ogier, dans la Bibliothèque de l’Ecole des Charles, t. III, p. 512, etc.
    Au lieu de Bayard, nous lisons Boiardo, nom de l’auteur de cet Orlando innamorato, si souvent réimprimé, et dont le savant conservateur des imprimés du Musée britanique, M. A. Panizzi, a donné, à Londres, une excellente édition à la suite du Roland de l’Arioste, 1830-1834, 7 vol. in-8.
    On attend encore une bonne traduction française de ce poème. Celles de Le Sage et de Tressan ne sont que des extraits où l’on ne s’est nullement piqué de fidélité.
    Quant à l’Antiforre, c’est le nom d’un géant qui fut mis à mort par Roland lorsque ce chevalier était banni de la cour de Charlemagne. L’histoire d’Antifor ou Antafor de Barosio et des exploits de son vainqueur, forme le sujet d’un poëme qui a été porté à quarante-deux chants. La plus ancienne édition connue est celle de Milan, 1498 ; la dernière porte la date de Venise, 1650 ; entre es deux dates on peut placer une dizaine de réimpressions.
  4. On reconnaîtra sous ce nom le célébre roman de Guerin Meshin (Guerino Meschino), appartenant, comme ceux dont il est ici question, à l’histoire de Charlemagne et de ses paladins. La première édition est de l’arme, 1473 ; les réimpressions sont en très-grand nombre ; plusieurs ont vu le jour au dix-neuvième siècle. Cette production a été traduite en espagnol et en français ; la Bibliothèque des Romans, janvier 1777, t. II, p. 5-52, en présente analyse.
    L’Amourochement de Carlon et d’Aspremont signifie le poëme italien connu sous le nom d’Innamoramento di Carlo Magno, publié pour la première fois en 1481, et divisé en soixante-dix-sept chants, heureusement assez courts ; sept autres éditions attestèrent, jusqu’à 1856, le succès de cette épopée, nel quale (selon les promesses du titre) si contiene varie e diverse battaglie d’arme e amore d’Orlando, Rinaldo, etc.
    Aspremont est un autre poëme de chevalerie où il s’agit surtout de Roland et des paladins français ; publié vers 1488, il a été réimprimé sous le titre d’Aspramonte huit ou dix fois, et en dernier lieu à Venise en 1620. Ginguené (Histoire littéraire d’Italie, t. IV, p. 550) en a fait connaître le sujet.
    L’Espagne ou la Spagna jouit longtemps en Italie d’une grande popularité, quoique ce soit une œuvre au-dessous du médiocre. Composé au quatorzième siècle, mais retouché depuis, ce poëme loit son titre à ce qu’il se propose de raconter les guerres de Charlemagne en Espagne ; il a été réimprimé au moins dix-huit fois et même en 1785. Ginguené l’a analysé. (Histoire littéraire d’Italie, t. IV, p. 86.)
    L’Altobelle est un autre poëme qui raconte le battaglie delli baroni di Francia sollo il nome de l’ardito el gagliardo giovene Altobelio. Imprimé en 1476, cet ouvrage obtint, jusqu’à 1021, les honneurs d’une vingtaine d’éditions différentes.
    Nous n’avons pas besoin de dire que Morgant le géant est le héros du fameux poëme de Pulci, maintes et maintes fois réimprimé depuis 1478, et dont plusieurs éditions ont été mutilées.
  5. On doit voir dans cet ouvrage l’Historia dei due nobilissimi el valorosi fratelli Valentino et Orsone, figliuoli del magno imperatore di Constantinopoli el nepoti del re Pipino. Plusieurs fois réimprimée en Italie dans le cours du seizième siècle, cette historia est une traduction du roman français de Valentin et Orson, publié pour la première fois à Lyon en 1489 et souvent réimprimé depuis. Il ne faut d’ailleurs voir dans ce récit, traduit également en anglais et en allemand, qu’une contrefaçon peu ingénieuse du poëme de Cleomades, composé au douzième siècle par Adenes. Le livre français a été analysé dans la Bibliothèque des Romans, mai 1777, p. 160 à 215, et apprécié par M. Saint-Marc Girardin, Cours de littérature dramatique, t. III, p. 215.
  6. Folengo désigne ici Pier Durante da Cocaldo, auteur resté ignoré d’un poëme sans mérite intitulé : Libro d’arme et d’amore chiamato Leandra, nel quale se tratta delle battaglie et gran fatti delli baroni di Francia el principalmente di Orlando et di Rinaldo. Malgré sa médiocrité, cet ouvrage en vingt-cing chants, publié en 1508, fut souvent réimprimé pendant le seizième siècle. Le titre l’indique comme extrait de la véridique chronique de Turpin, archevêque de Paris, et comme opera bellissima et delettevole quanto alcuna altra di battaglia con molti dignissimi detti el elucidiss me sententie. Un littérateur français, tombé dans l’oubli, de Nerveze, donna à Paris, en 1608, les Aventures guerrieres et amoureuses de Léandre ; c’est une imitation en prose du poëme italien.