Histoire maccaronique/Avertissement
e n’est point aux cerveaux esventez que ceste
Histoire est voüée, elle est de trop long-temps
promise à ceux qui, non moins doctes que curieux,
ont peu cognoistre par effect ce que je monstre par
apparence. Je sçay que c’est de se precipiter aujourd’huy
devant ces esprits bigeares, qui se faschent
autant de vous relever, comme ils sont joyeux de
vostre cheute : et ne fais difficulté de croire qu’ils
iront plustost après une umbre imaginaire, que de
courir au-devant du corps. Telles gens mesprisent
seulement ce qu’ils ne peuvent comprendre ; et n’approuvent
que ce que leur jugement pueril pent penetrer.
Je sçay bien qu’un langage pointu et affecté
les pourroit peut-estre arrester à la superficie ;
mais j’aurois peur qu’après ils en gastassent le
fonds, et fissent accroire à ce Livre autre chose
qu’il ne dit. On a fait dire plusieurs fois à Homere
ce qu’il n’a pas voulu, à Platon ce qu’il n’a pas sçeu,
et à Aristote ce qu’il n a pas entendu. Car, entre ce qui est attaché à la suitte de chasque sens, nous tirons
une infinité d’argumens, de consequences et
de conclusions, à une explication fausse, par la comparaison
d’un point à l’autre, pour nous esloigner
de l’intention d’un Autheur : et bien que nostre jugement
nous trompe, nous soustenons plustost ces fantastiques
interpretations que d’advoüer nostre ignorance.
Je dis cela, pour ce que le subject que je
traicte semble autant esloigne de la verité, qu’il
est difficille de croire ; et n’estoit que je me fie a
l’aage de ce Livre, je craindrois qu’il fust souvent desmenty.
Aussi, pour ceste consideration, sera-t-il tonsjours
espargne, et en excusera-t-on le discours,
qui n’a voulu changer le ramage de son temps ;
d’ailleurs que l’antique réputation de ce grand cavalier
Balde, vivant encore en la bouche de ce Livre,
estonnera ces Correcteurs nouvellement erigez. Je
ne veux pas dire qu’il n’y ait quelque chose de fabuleux
en la suitte de ceste Histoire ; mais aussi ne
veux-je pas nier qu’il n’y ayt de la verité, et que ce
ne soit une chose approuvée de la representer sous
la Fable, de laquelle nos Anciens se sont servis si à
propos. J’en demanderois volontiers queique chose à
ce grand docteur Me François, et ce qu’il a voulu
dire, et qu’il a voulu traicter sous le couvert d’une
infinité de plats maccaronesques. Il me respondra :
« Ceux que vous traictez sous les ruses et subtilitez de
Cingar ; sous les tours facetieux de Boccal ; sous les
revelations de Seraphe ; sous la conversion de Guy ;
sous les adventures de Leonard ; sous la force de
Fracasse ; sous les enchantemens de Pandrague et de Gelfore ; sous les rencontres et galantises de Balde ;
et bref, sons tant de pays de fourmage, montagnes
de soupes grasses, que ces guerriers inimitables onL
passez… » Car il ne peut estre que, par le moyen de
leurs voyages, ils ne l’ayent rencontré dans le ciel,
sur la terre, dans la mer, et aux enfers, et ne luy
ayent faict cognoistre une partie de leurs adventures.
Mais c’est tout un, je m’en rapporte à ce qui en est,
et me persuade n’estre pas tant obscur, qu’il faille
faire de cest Ouvrage, comme fist S. Hierosme des
Escripts de Perse :
attendu que les histoires nous font foy (et peu de
personnes l’ignorent) que ce grand personnage, dont
il est traicté, est descendu de Guy, et du Paladin
Renaud, jadis tant renommé. Que si on ne veut
prendre pied à la suitte, j’advertis les Lecteurs d’en
considérer les despenses, et s’arrester sur ce qu’ils
cognoistront digne d’explication ; ce pendant que la
trompette fera sortir en champ de bataille les Mousches
et les Fourmis, qui sont sur les termes de s’assaillir. Adieu.