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Histoire maccaronique/Avertissement

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(sous le pseudonyme de Merlin Coccaie)
Adolphe Delahays (p. 1-3).


AVERTISSEMENT


Ce n’est point aux cerveaux esventez que ceste Histoire est voüée, elle est de trop long-temps promise à ceux qui, non moins doctes que curieux, ont peu cognoistre par effect ce que je monstre par apparence. Je sçay que c’est de se precipiter aujourd’huy devant ces esprits bigeares, qui se faschent autant de vous relever, comme ils sont joyeux de vostre cheute : et ne fais difficulté de croire qu’ils iront plustost après une umbre imaginaire, que de courir au-devant du corps. Telles gens mesprisent seulement ce qu’ils ne peuvent comprendre ; et n’approuvent que ce que leur jugement pueril pent penetrer. Je sçay bien qu’un langage pointu et affecté les pourroit peut-estre arrester à la superficie ; mais j’aurois peur qu’après ils en gastassent le fonds, et fissent accroire à ce Livre autre chose qu’il ne dit. On a fait dire plusieurs fois à Homere ce qu’il n’a pas voulu, à Platon ce qu’il n’a pas sçeu, et à Aristote ce qu’il n a pas entendu. Car, entre ce qui est attaché à la suitte de chasque sens, nous tirons une infinité d’argumens, de consequences et de conclusions, à une explication fausse, par la comparaison d’un point à l’autre, pour nous esloigner de l’intention d’un Autheur : et bien que nostre jugement nous trompe, nous soustenons plustost ces fantastiques interpretations que d’advoüer nostre ignorance. Je dis cela, pour ce que le subject que je traicte semble autant esloigne de la verité, qu’il est difficille de croire ; et n’estoit que je me fie a l’aage de ce Livre, je craindrois qu’il fust souvent desmenty. Aussi, pour ceste consideration, sera-t-il tonsjours espargne, et en excusera-t-on le discours, qui n’a voulu changer le ramage de son temps ; d’ailleurs que l’antique réputation de ce grand cavalier Balde, vivant encore en la bouche de ce Livre, estonnera ces Correcteurs nouvellement erigez. Je ne veux pas dire qu’il n’y ait quelque chose de fabuleux en la suitte de ceste Histoire ; mais aussi ne veux-je pas nier qu’il n’y ayt de la verité, et que ce ne soit une chose approuvée de la representer sous la Fable, de laquelle nos Anciens se sont servis si à propos. J’en demanderois volontiers queique chose à ce grand docteur Me François, et ce qu’il a voulu dire, et qu’il a voulu traicter sous le couvert d’une infinité de plats maccaronesques. Il me respondra : « Ceux que vous traictez sous les ruses et subtilitez de Cingar ; sous les tours facetieux de Boccal ; sous les revelations de Seraphe ; sous la conversion de Guy ; sous les adventures de Leonard ; sous la force de Fracasse ; sous les enchantemens de Pandrague et de Gelfore ; sous les rencontres et galantises de Balde ; et bref, sons tant de pays de fourmage, montagnes de soupes grasses, que ces guerriers inimitables onL passez… » Car il ne peut estre que, par le moyen de leurs voyages, ils ne l’ayent rencontré dans le ciel, sur la terre, dans la mer, et aux enfers, et ne luy ayent faict cognoistre une partie de leurs adventures. Mais c’est tout un, je m’en rapporte à ce qui en est, et me persuade n’estre pas tant obscur, qu’il faille faire de cest Ouvrage, comme fist S. Hierosme des Escripts de Perse :

Intellecturis ignibus elle dedit ;


attendu que les histoires nous font foy (et peu de personnes l’ignorent) que ce grand personnage, dont il est traicté, est descendu de Guy, et du Paladin Renaud, jadis tant renommé. Que si on ne veut prendre pied à la suitte, j’advertis les Lecteurs d’en considérer les despenses, et s’arrester sur ce qu’ils cognoistront digne d’explication ; ce pendant que la trompette fera sortir en champ de bataille les Mousches et les Fourmis, qui sont sur les termes de s’assaillir. Adieu.