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Histoire maccaronique/Notice

La bibliothèque libre.
(sous le pseudonyme de Merlin Coccaie)
Adolphe Delahays (p. vii-li).


NOTICE
sur la vie et les ouvrages
DE THÉOPHILE FOLENGO
ET SUR LA POÉSIE MACARONIQUE EN GÉNÉRAL




Lart de la poésie macaronique consiste, on le sait, à entremêler au latin des mots de l’idiome vulgairo plaisamment latinisés, et à donner ainsi au style une tournure facétieuse ou grotesque. C’est ce qu’a su faire, avec un rare bonheur, le poëte dont nous allons nous occuper. Nous parlerons brièvement de sa vie, de ses écrits et des auteurs appartenant à diverses nations qui se sont exercés dans cette langue factice, constamment étrangère à tout sujet sérieux[1].

§ 1er. vie de folengo.

Théophile Folengo descendait d’une famille ancienne et distinguée qui habitait à Cipada, village de la banlieue de Mantoue. Dans un de ses écrits, il nous apprend qu’il naquit le 8 novembre 1491. Après avoir commencé ses études à Ferrare, il alla les continuer à Bologne, sous la direction du célèbre Pierre Pomponace, qui professait la philosophie d’Aristote ; mais, trop ami des plaisirs et trop enclin à la poésie, le jeune Mantouan se livra fort peu à des lectures sérieuses. Des espiègleries un peu vives le brouillèrent avec la justice et l’obligèrent à quitter Bologne ; il revint dans sa famille, et fut assez mal accueilli par son père, qui n’avait pas sujet d’être très-satisfait de lui. Il voulut alors embrasser la profession des armes ; mais, promptement rebuté à l’idée des fatigues et des périls auxquels il s’exposait, il préféra entrer dans un convent de Bénédictins, et, après un noviciat de deux années, il fit profession, le 28 juin 1509, dans le couvent de Sainte-Euphémie, à Brescia ; il n’avait pas encore dix-huit ans accomplis. Ce fut alors que, quittant le nom de Jérôme qu’il avait reçu à sa naissance, il prit celui de Théophile.

À cette époque, la discipline était fort relâchée dans les monastères, et les conteurs italiens, qui donnent une si mauvaise idée de la conduite des moines, n’ont peut-être pas extrêmement charge le tableau qu’ils avaient sous les yeux. Folengo n’était pas homme à résister à l’influence des mauvais exemples, surtout depuis que son monastère avait perdu un chef, Jean Cornelius, qui l’avait dirigé avec habileté, mais qui avait été remplacé par un ambitieux sans principe, Ignace Squaccialupi[2]. Jetant le froc aux orties, Folengo s’enfuit en compagnie d’une femme, Giroloma Dedia, dont il était éperdument épris, et il se mit à parcourir l’Italie.

On ne saurait le suivre dans la vie errante qu’il mena durant quelques années. En 1522, il était à Venise ; il y revint en 1526, après avoir séjourné à Rome. Ce fut pendant cette période agitée qu’il composa son épopée macaronique, accueillie par le public avec un vif empressement, et qu’il écrivit un poëme badin sur l’enfance de Roland, qui eut moins de succès.

Fatigué de courir le monde et d’être livré à la misère, qui l’avait forcé momentanément à se faire soldat, il rentra dans son couvent en 1527 ; mais son humeur inquiète ne s’accommodait pas de la solitude du cloître, et il se remit à voyager, toutefois d’une manière conforme à la décence.

En 1555, il se trouvait à Naples, et bientôt il se rendit en Sicile, où un des princes de la maison de Mantoue, Ferrante de Gonzaga, gouvernait cette ile en qualité de vice-roi et protégea notre poëte. Se repentant de ses erreurs passées, il revit ses ouvrages ; il en effaça les hardiesses, et il en supprima ce qui était le plus propre à scandaliser ses lecteurs ; malheureusement ces éditions corrigées sont précisément celles dont le public ne veut pas.

Après avoir séjourné quelque temps auprès de Palerme, Folengo, arrivé à l’âge mûr et ayant des fautes nombreuses à déplorer, entra définitivement dans un couvent, où il voulut terminer sa vie. Il ne fit pas un long séjour à Santa-Croce di Campese, car, l’année suivante, une fièvre maligne l’emporta, le 9 décembre 1544[3].

Il a trouvé un panégyriste fervent dans l’auteur d’un Elogiodi T. Folengo, imprimé à Venise en 1803, lequel n’hésite pas à dire que Mantoue doit être aussi fière d’avoir produit le poëte macaronique que le chantre d’Énée, et que celui-ci, grand philosophe, grand poëte et grand homme, sera honoré tant que les lettres et le mérite recevront les hommages qui leur sont dus[4].

Folengo s’était d’abord livré à la composition d’un poëme latin, dans lequel il se proposait de surpasser Virgile ; mais, reconnaissant que cette prétention était excessive, il aima mieux occuper la première place dans le genre badin qu’être réduit à un rang inférieur dans le genre sérieux, et il écrivit ses poésies macaroniques, qu’il mit au jour sous le nom de Merlin Coccaie[5]. Soit conviction de son propre mérite, soit par une de ces plaisanteries qui fourmillent chez lui, Folengo se décerne à lui-même des éloges éclatants :

Magna suo veniat Merlino parva Cipada,
Atque Cocajorum crescat casa hassa meorum ;
Mantua Virgilio gaudet, Verona Catullo,
Dante suo florens urbs tusca, Cipada Cocajo.
Dicor ego superans alios levitate poetas,
Ut Maro medesimos superat gravitate poeta.

Et ailleurs il s’écrie :

Nec Merlinus ego, laus, gloria, fama Cipada.

C’est à son épopée macaronique que Folengo doit la réputation qu’il a conservée, et c’est elle qui doit nous occuper en ce moment, lorsque nous aurons d’abord fait connaître ce qui distingue la langue factice dont notre poëte ne fut pas l’inventeur, mais que personne, avant lui, n’avait maniée avec autant de bonheur et appliquée à des productions d’aussi longue haleine. Ch. Nodier a eu raison de dire qu’il y avait dans les délicieuses macaronées de Folengo tout ce qu’il faut d’imagination et d’esprit pour dérider le lecteur le plus morose.

§ 2. de la langue macaronique.

La véritable diction macaronique consiste à ce que l’auteur prend les mots dans sa langue maternelle, et qu’il y ajoute des terminaisons et des flexions latines. Faute de s’être bien rendu compte de cette particularité, des auteurs, fort estimables d’ailleurs, sont tombés dans des erreurs complètes en confondant avec le macaronique le latin corrompu à plaisir et des langages hybrides, enfants du caprice. Le pédantesque, qui amusa un instant l’Italie, a été aussi l’objet d’une confusion semblable, tandis qu’il est l’inverse du macaronique, puisqu’il soumet le mot latin aux formes du langage vulgaire ; la macaronée, au contraire, assujettit le mot vulgaire à la phraséologie et à la syntaxe latine.

Ces distinctions sont nécessaires à préciser, car pendant longtemps on a employé, dans presque toute l’Europe, un genre de comique qui consistait à créer un mélange hybride dépourvu de règles et fort éloigné de la véritable macaronée. « Dans celle-ci, (ainsi que l’a judicieusement observé Ch. Nodier), c’est la langue vulgaire qui fournit le radical, et la langue latine qui fournit les flexions, pour former une phrase latine avec des expressions qui ne le sont pas, au contraire des langues néo-latines usuelles, et c’est l’expression qui est latine dans une phrase qui ne l’est point. L’italien et donc du latin soumis à la syntaxe vulgaire ou aborigène, est la langue factice de Merlin Coccaie, est de l’italien latinisé. »

L’origine du mot macaronique a donné lieu à des explications plus ou moins ingénieuses et nécessairement contradictoires. Folengo, qui devait savoir à quoi s’en tenir, donne à cet égard une explication fort nette dans son Apologetica in sui excusationem, morceau placé à la tête de plusieurs éditions de ses œuvres : Ars ista poetica nuncupatur macaronica, a macaronibus derivata, qui macarones sunt quodam pulmentum farina, caseo, botiro compaginalum, grossum, rude et Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/22 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/23 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/24 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/25 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/26 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/27 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/28 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/29 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/30 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/31 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/32 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/33 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/34 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/35 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/36 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/37 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/38 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/39 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/40 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/41 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/42 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/43 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/44 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/45 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/46 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/47 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/48 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/49 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/50 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/51 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/52 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/53 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/54 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/55 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/56 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/57 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/58 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/59 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/60 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/61

  1. Nous avons souvent fait usage dans notre travail de deux ouvrages spéciaux relatifs à la littérature macaronique : Histoire (en allemand) de la poésie macaronique, par le docteur Genthe, (Leipzig, 1829), et Macaronéana, par M. O. Delepierre (Paris, 1852, in-8). Ce savant littérateur, revenant sur le même sujet, a donné quelques détails nouveaux dans un mémoire imprimé à très-petit nombre parmi les travaux d’une association d’amateurs à Londres, la Philobiblon Society (1855, in-8°, 79 pages). N’oublions pas quelquues pages spirituelles de l’académicien Ch. Nodier : Du langage factice appllé macaronique, insérées dans le Bulletin du bibliophile (Paris, Techener, 1854).
  2. Dans un de ses ouvrages, le Chaos del Tri per Uno, Folengo fait le plus grand éloge de Cornelius, qu’il désigne sous le nom à peine déguisé de Cornegianus. Par contre, dans son Orlandino, l’abbé qu’il nomme Griffarosti, et qu’il dépeint sous de noires couleurs, est sans doute le portrait de Squaccialupi.
  3. On plaça sur sa tombe une inscription ainsi conçue :
    « llic eineres Theophili Monachi tantisper, dum reviviscat, asservantur, et in Domino quievit felicissime die nona decembris 1544. »
    Plus tard on lui érigea un autre mausolée sur lequel on plaça des épitaphes en vers et en prose latine, en espagnol, en italien. (Voir Genthe, p. 115.) Nous nous bornerons à citer deux distiques :

    Mantua me genuit : Veneti rapuere : tenet nunc.
    Campesium ; cecini ludicra, sacra, sales.
    Hospes, siste gradum : manes venerare sepultos
    Merlini. Corpus conditur hoc tumulo.

  4. M. Delepierre, qui parle avec quelques détails de cet éloge, p. 99 et suiv., n’a pas connu l’auteur ; il est appelé Angelo Dalmistro dans un catalogue imprimé à Paris. (E. P., 1850, no 124.)
  5. Le nom de Merlin a été emprunté au célèbre enchanteur anglais qui joue un si grand rôle dans ces romans de chevalerie dont Folengo était le lecteur assidu, et qu’il imite en s’amusant. Un autre Anglais, Geddes, signa du nom de Jodocus Coccaius, Merlini Coccaii pronepos, une ode ironique pindarico-saphico-macaronica in Guglielmi Pitti laudem, qu’il publia en 1795. Ajoutons que Merlin Coccaie a été mis sur le théâtre et qu’il fait usage de sa diction macaronique dans une comédie de G. Ricci : I Poeti rivali, drama piacevole. Roma, 1652. Quant au nom de Coccaie, on croit que notre poëte le prit à un des maîtres qui avaient instruit son enfance, Visago Coccaie.