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Histoire maccaronique/Préface

La bibliothèque libre.
(sous le pseudonyme de Merlin Coccaie)
Adolphe Delahays (p. i-v).


PRÉFACE DE L’ÉDITEUR


Lancienne traduction du poëme macaronique de Théophile Folengo nous a paru digne de faire entrer ce poëme dans notre Bibliothèque gauloise quoique l’original soit écrit en latin mêlé d’italien et de patois mantouan. Cette traduction, dont l’auteur est resté inconnu, appartient certainement a un des écrivains les plus facétieux et les plus drolatiques de la fin du seizième siècle. C’est à ce titre, surtout, qu’elle mérite de figurer dans une collection de nos vieux poëtes, de nos vieux conteurs et de nos vieilles facéties ; car Merlin Coccaie a été, pour ainsi dire, naturalisé Français, ou plutôt Gaulois, par le fait de son traducteur anonyme.

Nous nous sommes demandé quel pouvait être ce traducteur, qui, sans écrire toujours correctement, manie la langue française avec aisance et y trouve une variété presque inépuisable de tours de phrase, de locutions burlesques et de mots nouveaux, pour rendre les idées et les images bouffonnes du créateur de la poésie macaronique. Nous avons pensé d’abord à Gabriel Chappuis, traducteur des Mondes célestes, terrestres et infernaux de Doni ; à Roland Brisset, sieur Du Jardin, traducteur de la Dieromène, de Grotto, et de l’Alcée, d’Ongaro ; à Jacques de Fonteny, traducteur des Bravacheries du capitaine Spavente, de Francois Andreini ; à Pierre de Larivey, traducteur des Nuicts de Straparole, enfin, à Noël du Fail, etc. ; mais il nous a été impossible d’asseoir nos suppositions errantes sur la moindre preuve.

Le privilége du roi, daté du 5 août 1605, lequel manque dans la plupart des exemplaires de l’édition de 1606, est accordé à Gilles Robinot, marchand libraire à Paris, avec permission d’imprimer ou faire imprimer l’Histoire macaronique de Merlin Coccaie. Mais Gilles Robinot céda ce privilége à Pierre Pautonnier, libraire et imprimeur du roi, et à Toussaint du Bray, et le livre fut imprime sans doute par Pierre Pautonnier. Au reste, tous les exemplaires que nous avons vus portent l’un ou l’autre nom de libraire, Pautonnier ou du Bray ; il n’y en a aucun qui ait le nom de Gilles Robinot, quoique ce libraire ait exercé jusqu’en 1627 ; on est donc autorisé à conclure de ce fait que Gilles Robinot n’a pas voulu mettre son nom au livre qu’il devait publier et qu’il laissa exploiter à ses deux cessionnaires.

Ce livre est intitulé : Histoire macaronique de Merlin Coccaie, prototype de Rablais (sic) où est traicté les ruses de Cingar, les tours de Boccal, les adventures de Leonard, les forces de Fracasse, enchantemens de Gelfore et Pandrague, et les rencontres heureuses de Balde, etc. Plus l’horrible Bataille advenue entre les Mousches et les Fourmis. C’est un volume petit in-12, de six feuilles préliminaires, y compris le privilége, et de 901 pages ; les deux derniers feuillets, chiffrés 899, 900 et 901, sont en plus gros caractères que le reste du volume, et paraissent avoir été réimprimés comme cartons. Il y a aussi, dans le volume, plusieurs autres feuillets, (voyez les pages 502 et 503,) qui sont évidemment des cartons destinés à supprimer quelques passages du texte après l’impression. Cette traduction, dont les exemplaires bien conservés sont fort rares et se trouvent presque tous divisés en deux volumes, a été réimprimée une seule fois, sans notes et sans préface, en 1755, à Paris, 2 volumes in-12. Une partie des exemplaires porte la date de 1606, comme l’édition originale. Nous croyons que l’édition de 1734 a été faite par Urbain Coustelier, avec privilége tacite.

« L’auteur de cette traduction n’est pas connu, dit Viollet-Leduc dans la deuxieme partie de sa Bibliothèque poétique ; elle m’a paru fort peu exacte, autant que j’en ai pu juger ; d’ailleurs, le patois de Mantoue est très-difficile à comprendre. Cependant l’original contient une petite pièce pastorale, intitulée Zanitonella, qui m’a paru un véritable chef-d’œuvre de naïveté et de grâce : le traducteur l’a entièrement passée sous silence. » Sans doute, cette traduction n’est pas scrupuleusement littérale, mais elle se recommande aux études des philologues, comme nous l’avons dit plus haut, par une prodigieuse abondance de phrases, de proverbes et de mots qui appartiennent à la langue comique et facétieuse. On doit s’étonner que Philibert-Joseph Leroux n’ait pas mis à contribution cet ouvrage singulier dans son Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial.

S’il nous est permis de hasarder une conjecture sur l’auteur de cette traduction, nous rappellerons que Gilles Robinot imprimait vers la même époque le Prélude poétique de Robert Angot, sieur de l’Esperonnière, et que ce poëte normand, qui s’inspirait à la fois des poëtes classiques de l’antiquité et des poëtes italiens, a mis dans ses poésies quelque chose de l’originalité de Merlin Coccaie, et surtout un grand nombre des expressions pittoresques qu’on remarque dans l’Histoire macaronique. On pourra, d’ailleurs, apprécier ce que vaut notre conjecture en lisant les Nouveaux Satires et exercices gaillards du temps, que le sieur de l’Esperonnière a publiés dans sa vieillesse, en 1657, dix ans après la mort de son premier éditeur, Gilles Robinot.

Nous avons réimprimé cette traduction en corrigeant le texte sur l’édition de 1606, qui n’est pas exempte de fautes grossières. Nous nous sommes borné à reproduire l’Histoire macaronique, qu’on peut regarder comme une des sources principales où Rabelais a puisé non-seulement bien des détails de son roman satirique, mais encore bien des inspirations de son génie. Quant à la Bataille des Mousches et des Fourmis, nous n’avons pas juge utile de l’admettre dans cette nouvelle édition, qui n’est pas destinée à réunir tous les ouvrages macaroniques de Folengo ; ce petit poëme, imité de la Batrachomyomachie d’Homère, n’offre pas d’ailleurs le même intérêt philologique et littéraire que la célèbre macaronnée dont Balde est le héros, comme Gargantua et le Pantagruel sont les héros du chef-d’œuvre de Rabelais. Ce qui distinguera notre édition de celles qui l’ont précédée, c’est la scrupuleuse révision du texte, ce sont les savantes notes de M. Gustave Brunet, de Bordeaux, c’est surtout l’excellente notice que ce bibliographe a consacrée à l’histoire de la poésie macaronique et à l’examen des écrits de Théophile Folengo.

P. L. Jacob,
Bibliophile.