Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre II/Chapitre 14

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XIV. Situation des Hollandois à Malaca.

Ces républicains, qui connoiſſoient l’importance de cette place, firent les plus grands efforts pour s’en emparer : mais ce fut deux fois inutilement. Enfin, s’il falloit s’en rapporter à un écrivain ſatyrique, on eut recours à un moyen que les peuples vertueux n’emploient jamais, & qui réuſſit ſouvent avec une nation dégénérée. On tenta le gouverneur Portugais qu’on ſavoit avare. Le marché fut conclu, & il introduiſit l’ennemi dans la ville en 1641. Les aſſiégeans coururent à lui, & le maſſacrèrent, pour être diſpensés de payer les 500 000 livres qui lui avoient été promiſes. Mais la vérité veut qu’on diſe, pour l’honneur des Portugais, qu’ils ne ſe rendirent qu’après la défenſe la plus opiniâtre. Le chef des vainqueurs, par une jactance qui n’eſt pas de ſa nation, demanda à celui des vaincus, quand il reviendroit ? Lorſque vos péchés ſeront plus grands que les nôtres, répondit gravement le Portugais.

Les conquérans trouvèrent une fortereſſe ſolidement bâtie ; ils trouvèrent un climat fort ſain, quoique chaud & humide : mais le commerce y étoit tout-à-fait tombé, depuis que des exactions continuelles en avoient éloigné toutes les nations. La compagnie ne l’y a pas fait revivre ; ſoit qu’elle y ait trouvé des difficultés inſurmontables ; ſoit qu’elle ait manqué de modération ; ſoit qu’elle ait craint de nuire à Batavia. Ses opérations ſe réduiſent à l’échange d’une petite quantité d’opium & de quelques toiles, avec un peu d’or, d’étain & d’ivoire.

Ses affaires ſeroient plus conſidérables, ſi les princes de cette région étoient plus fidèles au traité excluſif qu’ils ont fait avec elle. Malheureuſement pour ſes intérêts, ils ont formé des liaiſons avec les Anglois, qui fourniſſent à meilleur marché à leurs beſoins, & qui achètent plus cher leurs marchandiſes. Elle ſe dédommage un peu ſur ſes fermes & ſur ſes douanes qui lui donnent 220 000 liv. par an. Cependant ces revenus, joints aux bénéfices du commerce, ne ſuffiſent pas pour l’entretien de la garniſon & des facteurs. Il en coûte annuellement 44 000 livres à la compagnie.

Il fut un tems où ce ſacrifice auroit pu paroître léger. Avant que les Européens euſſent doublé le cap de Bonne-Eſpérance, les Arabes & tous les autres navigateurs ſe rendoient à Malaca, où ils trouvoient les navigateurs des Moluques, du Japon & de la Chine. Lorſque les Portugais ſe furent emparés de cette place, ils n’attendirent pas qu’on y portât les marchandiſes de l’Eſt de l’Aſie ; ils les alloient chercher eux-mêmes, & faiſoient leur retour par les iſles de la Sonde. Les Hollandois devenus poſſeſſeurs de Malaca & de Batavia, ſe trouvèrent maîtres des deux ſeuls paſſages connus, & en état d’intercepter les vaiſſeaux de leurs ennemis dans des tems de trouble. On découvrit depuis les détroits de Lombock & de Baly ; & Malaca perdit alors l’unique avantage qui lui donnât de l’importance. Heureuſement pour les Hollandois, à cette époque, ils ſoumettoient Ceylan qui devait leur donner la cannelle, comme les Moluques leur donnoient la muſcade & le girofle.