Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre II/Chapitre 9

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IX. Les Hollandois s’établiſſent à Timor

La première de ces deux iſles a ſoixante lieues de long, ſur quinze ou dix-huit de large. Elle eſt partagée en pluſieurs ſouverainetés. Les Portugais y ſont en grand nombre. Ces conquérans, qui, à leur arrivée dans les Indes, avoient pris un vol hardi & démeſuré ; qui avoient parcouru une carrière immenſe & remplie de précipices, avec une rapidité que rien n’arrêtoit ; qui s’étoient ſi bien accoutumés aux actions héroïques, que les exploits les plus difficiles ne leur coûtoient plus d’efforts : ces conquérans attaqués par les Hollandois, lorſque leur trop vaſte empire, fatigué par ſon propre poids, étoit prêt à crouler de toutes parts, ne montrèrent aucune des vertus qui avoient fondé leur puiſſance. Forcés dans une citadelle, chaſſés d’un royaume, diſpersés par une défaite ; ils auroient dû chercher un aſyle auprès de leurs frères, & ſe réunir ſous des drapeaux juſqu’alors invincibles, pour arrêter les progrès de leurs ennemis, ou pour recouvrer leurs établiſſemens. Loin de prendre une réſolution ſi généreuſe, on leur vit mendier un emploi, ou quelque ſolde, auprès des mêmes princes Indiens qu’ils avoient ſi ſouvent outragés. Ceux qui avoient le plus contracté l’habitude de la molleſſe & de la lâcheté, ſe réfugièrent à Timor, iſle pauvre & ſans induſtrie, où ils pensèrent qu’un ennemi occupé de conquêtes utiles, ne les pourſuivroit pas. Ils ſe trompèrent.

Ils furent chaſſés, en 1613, de la ville de Kupan par les Hollandois, qui y trouvèrent une fortereſſe qu’ils ont gardée depuis avec une garniſon de cinquante hommes. La compagnie y envoie tous les ans quelques groſſes toiles ; & elle en retire de la cire, du caret, du bois de ſandal & du cadiang, petite fève dont on ſe ſert communément dans les vaiſſeaux Hollandois, pour varier la nourriture des équipages. Ces objets réunis occupent une ou deux chaloupes expédiées de Batavia. Il n’y a ni à gagner ni à perdre dans cet établiſſement : la recette égale la dépenſe. Il y a long-tems que les Hollandois auroient abandonné Timor, s’ils n’avoient craint de voir s’y fixer quelque nation active, qui, de cette poſition favorable, troubleroit aiſement le commerce des Moluques. Le même eſprit de précaution les a attirés à Célèbes.