Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre III/Chapitre 28

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XXVIII. Révolutions arrivées dans le Bengale.

C’eſt une vaſte contrée de l’Aſie, bornée à l’Orient par le royaume d’Aſham & d’Aracan ; au couchant, par pluſieurs provinces du Grand-Mogol ; au Nord, par des rochers affreux ; au Midi, par la mer. Elle s’étend ſur les deux rives du Gange, qui ſe forme de diverſes ſources dans le Thibet, erre quelque tems dans le Caucaſe, & entre dans l’Inde en traverſant les montagnes qui ſont ſur la frontière. Cette rivière, après avoir formé dans ſon cours un grand nombre d’iſles vaſtes, fertiles & bien peuplées, va ſe perdre dans l’Océan par pluſieurs embouchures, dont il n’y en a que deux de connues & de fréquentées.

Dans le haut de ce fleuve, il y avoit autrefois une ville nommée Palybothra. Elle étoit ſi ancienne, que Diodore de Sicile ne craignoit pas d’aſſurer qu’elle avoit été bâtie par cet Hercule à qui les Grecs attribuoient tout ce qui s’étoit fait de grand & de prodigieux dans le monde. Ses richeſſes, du tems de Pline, étoient célèbres dans l’univers entier. On la regardoit comme le marché général des peuples qui étoient ſitués en-deçà & au-delà du fleuve qui baignoit ſes murs.

L’hiſtoire des révolutions, dont le Bengale a été le théâtre, eſt mêlée de tant de fables, qu’il ne faut pas s’en occuper. On y entrevoit ſeulement que cet empire a été tantôt plus, tantôt moins étendu ; qu’il a eu des périodes heureux & des périodes malheureux ; qu’il forma tour-à-tour un ſeul royaume & pluſieurs états. Un ſeul maître lui donnoit des loix ; lorſqu’un deſpote plus puiſſant, Egbar, grand-père d’Aurengzeb, en entreprit la conquête. Il la commença en 1590, & elle étoit finie en 1595. Depuis cette époque, le Bengale n’a pas ceſſé de reconnoître les Mogols pour ſes ſouverains. Le gouverneur chargé de le régir, tenoit d’abord ſa cour à Raja-Mahol : il la tranſféra dans la ſuite à Daca. Depuis 1718, elle eſt à Moxudabad, grande ville ſituée dans les terres à deux lieues de Caſſimbazar. Pluſieurs nababs, pluſieurs rajas ſont ſubordonnés à ce vice-roi, nommé Souba.

Ce furent long-tems les fils du Grand-Mogol qui occupèrent ce poſte important. Ils abusèrent ſi ſouvent, pour troubler l’empire, des forces & des richeſſes dont ils diſpoſoient, qu’on crut devoir les confier à des hommes moins accrédités & plus dépendans. Les nouveaux gouverneurs ne firent pas, à la vérité, trembler la cour de Delhy ; mais ils ſe montrèrent peu exacts à envoyer au tréſor royal les tributs qu’ils recueilloient. Ce déſordre augmenta encore, après l’expédition de Koulikan ; & les choſes furent portées ſi loin, que l’empereur, qui étoit hors d’état de payer aux Marattes ce qu’il leur devoit, les autoriſa, en 1740, à l’aller chercher eux-mêmes dans le Bengale. Ces brigands partagés en trois armées, ravagèrent ce beau pays pendant dix ans, & n’en ſortirent qu’après s’être fait donner des ſommes immenſes.