Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre IV/Chapitre 2

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II. Premiers voyages des François aux Indes.

Aucun roi de France n’avoit pensé sérieuſement aux avantages que pouvoit procurer le commerce des Indes ; & l’éclat qu’il donnoit aux autres nations, n’avoit pas réveillé l’émulation des François. Ils conſommoient plus de productions orientales que les autres peuples ; ils étoient auſſi favorablement ſitués pour les aller chercher à leur ſource, & ils ſe bornoient à payer à l’activité étrangère, une induſtrie qu’il ne tenoit qu’à eux de partager. À la vérité, quelques négocians de Rouen avoient haſardé en 1503 un foible armement : mais Gonneville qui le commandoit, fut accueilli au cap de Bonne-Eſpérance par de violentes tempêtes, qui le jetèrent ſur des côtes inconnues, d’où il eut bien de la peine à regagner l’Europe.

En 1601, une ſociété formée en Bretagne, expédia deux navires, pour prendre part, s’il étoit poſſible, aux richeſſes de l’Orient, que les Portugais, les Anglois & les Hollandois ſe diſputoient. Pyrard qui les commandoit, arriva aux Maldives, & ne revit ſa patrie qu’après dix ans d’une navigation malheureuſe.

Une nouvelle compagnie, dont Girard le Flamand étoit le chef, fit partir de Normandie en 1616 & en 1619 quelques vaiſſeaux pour l’iſle de Java. Ils en revinrent avec des cargaiſons ſuffiſantes pour dédommager les intéreſſés, mais trop foibles pour les encourager à de nouvelles entrepriſes.

Le capitaine Reginon voyant cet octroi inutile expiré en 1633, engagea deux ans après pluſieurs négocians de Dieppe à entrer dans une carrière, qui pouvoit donner de grandes richeſſes à quiconque ſauroit la parcourir avec intelligence. La fortune trahit les efforts des nouveaux aventuriers. L’unique fruit de ces expéditions répétées, fut une haute opinion de Madagaſcar, méprisé juſqu’alors par les Portugais, par les Hollandois & par les Anglois qui n’y avoient trouvé aucun des objets qui les attiroient dans l’Orient.

L’idée avantageuſe que les François avoient priſe de cette iſle, donna, en 1642, naiſſance à une compagnie qui vouloit y former un grand établiſſement pour aſſurer à ſes vaiſſeaux la facilité d’aller plus loin. Son octroi devoit durer vingt ans : mais les cruautés, les perfidies, les infidélités de ſes agens ne lui permirent pas de fournir ſa carrière entière. Ses capitaux étoient conſommés ; & elle n’avoit pour prix de ſes dépenſes que quatre ou cinq bourgades, ſituées ſur la côte, conſtruites de planches, couvertes de feuilles, entourées de pieux, & décorées du nom impoſant de forts, parce qu’on y voyoit quelques batteries. Les défenſeurs de ces misérables habitations étoient réduits à une centaine de brigands qui, par leur tyrannie, ajoutoient tous les jours à la haine qu’on avoit jurée à leur nation. Quelques diſtricts abandonnés par les naturels du pays, quelques cantons plus étendus, dont la violence arrachoit un tribut en denrées : c’étoient tous les avantages qu’on avoit obtenus.

Le maréchal de la Meilleraie s’empara de ces débris, & conçut le deſſein de relever pour ſon utilité particulière une entrepriſe ſi mal conduite. Il y réuſſit ſi peu que ſa propriété ne fut vendue que vingt-mille francs ; & c’étoit tout ce qu’elle pouvoit valoir.