Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre IX/Chapitre 24

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XXIV. Hiſtoire des mines de diamans découvertes dans le Bréſil. Conſidération ſur la nature de cette pierrerie.

Dans tous les tems, les hommes ont affecté l’étalage de leurs richeſſes ; ſoit parce que dans l’origine elles ont été le prix de la force & le ſigne du pouvoir ; ſoit parce qu’elles ont obtenu par-tout la conſidération due aux talens & aux vertus. Le déſir de fixer les regards ſur ſoi, invite l’homme à ſe parer de ce que la nature a de plus brillant & de plus rare. Les peuples ſauvages & les nations civilisées ont, à cet égard, la même vanité. De toutes les matières qui repréſentent l’éclat de l’opulence, le diamant eſt la plus précieuſe. Il n’y en a jamais eu aucune qui ait eu autant de valeur dans le commerce, aucune qui ait été d’un ſi grand ornement dans la ſociété. Nos femmes en ſont quelquefois éblouiſſantes. On diroit qu’elles ſont plus jalouſes de ſe montrer riches que belles. Ignoreroient-elles donc qu’un cou, que des bras d’une forme élégante, ont mille fois plus d’attraits nus, qu’entourés de pierres précieuſes ; que le poids de leurs girandoles déforme leurs oreilles ; que l’éclat du diamant ne fait qu’affoiblir l’éclat de leurs yeux ; que cette diſpendieuſe parure fait mieux la ſatyre de leurs époux ou de leurs amans que l’éloge de leurs charmes ; que la Vénus de Médicis n’a qu’un ſimple bracelet ; & que celui qui ne voit dans une belle femme que la richeſſe de ſon écrin eſt un homme ſans goût ?

On trouve des diamans de toutes les couleurs & de toutes les nuances de couleur. Il a le pourpre du rubis, l’orangé de l’hyacinthe, le bleu du ſaphir, le verd de l’émeraude. Cette dernière couleur, lorſqu’elle eſt d’une belle teinte, eſt la plus rare & la plus chère. Viennent enſuite les diamans roſes, bleus & jaunes. Les roux & les noirâtres ſont les moins eſtimés. La tranſparence & la netteté ſont les qualités naturelles & eſſentielles du diamant. L’art y ajoute l’éclat & la vivacité des reflets.

Le diamant eſt une pierre cryſtallisée, dont la forme eſt un octaèdre, plus ou moins bien figuré. Ses faces forment une pyramide, ou allongée ou aplatie : mais jamais ſes angles ſolides ne ſont auſſi nettement, auſſi régulièrement terminés qu’ils le paroiſſent dans les autres pierres cryſtallisées, & ſur-tout dans le cryſtal de roche.

Mais la cryſtalliſation n’en eſt pas moins régulière dans l’intérieur. Cette pierre eſt composée de petits feuillets extrêmement minces, ſi étroitement joints enſemble qu’elle préſente une face unie & brillante dans l’endroit même de la caſſure. Malgré cette union ſi intime des elémens de la cryſtalliſation du diamant, on ne peut le polir qu’en ſaiſiſſant la diſpoſition des lames dans le ſens du recouvrement formé par l’extrémité de l’une ſur l’autre, ſans cette précaution, les lapidaires ne réuſſiroient pas, & le diamant s’échaufferoit ſans prendre aucun poli, comme il arrive toujours à ceux qu’ils appellent diamans de nature, où ces recouvremens ne ſont pas uniformes & dans le même ſens. Les diamantaires comparent la compoſition de ceux-ci à l’arrangement des fibres du bois dans les nœuds, où elles ſe croiſent eu tout ſens.

Le diamant eſt au-deſſus de toutes les autres pierres par ſon éclat, ſon feu & ſa dureté. Il joint à ces avantages d’être plus électrique, de recevoir une plus grande quantité de lumière lorſqu’on le chauffe doucement au feu ou qu’on l’expoſe quelque tems aux rayons du ſoleil, & de la conſerver auſſi plus long-tems que les autres corps, lorſqu’il eſt enſuite porté dans les ténèbres. C’eſt d’après ces propriétés, & peut-être auſſi d’après quelques qualités imaginaires, que les phyſiciens ont préſumé que le diamant étoit formé d’une matière plus pure que les autres pierres. Pluſieurs même ont pensé qu’il contenoit cette terre adamique primitive, long-tems l’objet de tant de recherches pénibles & de ſpéculations extravagantes.

La dureté du diamant faiſoit croire qu’il étoit indeſtructible, même au feu le plus violent ; & rien ne ſembloit mieux fondé que cette opinion. Cependant, jamais l’analogie tirée des autres pierres & ſur-tout des pierres quartzeuſes qui ne ſouffrent point d’altération dans le feu, ne fut plus en défaut que dans cette occaſion.

On n’a pas l’idée que le diamant ait été fournis à l’action du feu avant 1694 & 1695, que le célèbre Averani en expoſa un au foyer d’un miroir ardent, pour l’inſtruction de Jean Gaſton de Médicis ſon élève. Les phyſiciens célèbres du tems, qui aſſiſtèrent à cette expérience, virent avec étonnement que le diamant s’exhaloit en vapeurs & diſparoiſſoit entièrement, tandis qu’un rubis moins dur que le diamant ne fit que ſe ramollir, & que les autres pierres plus tendres encore n’éprouvèrent pas des altérations auſſi conſidérables. Cette tentative ſingulière, répétée ſur pluſieurs diamans, réuſſit également : mais la violence du feu qu’on y employa, ne permit pas de ſoupçonner qu’on pût y parvenir par d’autres moyens. Ces premiers eſſais reſtèrent ignorés juſqu’au règne de l’empereur François Ier. qui les réitéra à Vienne, en ſoumettant les diamans avec d’autres pierres précieuſes au feu très-violent d’un fourneau. Le réſultat fut de confirmer que le diamant ſe détruiſoit dans le feu avec la plus grande facilité, tandis que les autres pierres précieuſes, même les plus tendres, n’y éprouvoient tout au plus qu’une légère altération.

Ces faits, quelque bien conſtatés, parurent ſi extraordinaires ; ils choquoient ſi fort les préjugés reçus, qu’ils retombèrent encore dans l’oubli. Quoique conſignés dans les ouvrages contemporains, ils n’en furent pas moins inconnus, ou contredits par ceux qui n’en avoient pas été les témoins.

Enfin M. Darcet entreprit en France, en 1768, de ſoumettre le diamant au feu de porcelaine. Après s’être aſſuré de la vérité des expériences faites en Allemagne, il les communiqua à l’Académie des Sciences, & leur donna enſuite au milieu de Paris toute l’authenticité poſſible. Comme ce grand phyſicien a depuis varié & combiné ſes eſſais, il en réſulte très-clairement, & de ceux qu’on a répétés d’après lui, que le diamant s’évapore & brûle aſſez rapidement au feu & à l’air libre ; que ſon entière deſtruction, loin d’exiger le feu violent qu’on lui avoit fait ſubir avant lui, demande à peine le degré néceſſaire pour tenir l’argent fin en fuſion.

M. Darcet a fait voir de plus que le diamant ſe détruit, non-ſeulement à l’air libre : mais encore dans les creuſets de la meilleure porcelaine cuite & le plus hermétiquement fermés ; pourvu qu’on les tienne au feu des grandes verreries ou dans les grands feux de porcelaine long-tenp continués.

Les menſtrues les plus actifs, comme les ſels alkalis en fuſion, les autres minéraux les plus concentrés, aidés même de la chaleur du feu, n’attaquent point le diamant. Il échappe à leur action ; il ne ſe mêle à aucun verre dans la vitrification ; il ne ſouffre d’union avec aucun corps connu juſqu’ici ; & ces propriétés ſont également communes aux diamans de l’Inde & à ceux du Bréſil, aux diamans blancs & à ceux qui ſont noirs ou colorés, aux diamans parfaits & aux diamans de nature & qu’on ne peut travailler. Tel eſt le caractère particulier de cette ſubſtance, juſqu’ici unique dans la nature, qu’avec les apparences extérieures des autres pierres, elle ne leur reſſemble en rien, quant à la nature de ſa compoſition : qu’avec la dureté la plus grande, elle eſt la ſeule de ce genre qui ne réſiſte point & qui ſe diſſipe à un feu même aſſez léger. C’eſt ainſi que la nature ſe joue dans tous les règnes par une infinité d’anomalies ſurprenantes. Tantôt elle ſemble s’aſtreindre, dans la chaîne & l’échelle des êtres, à l’ordre des nuances inſenſibles ; & tantôt rompant toute série, elle fait un ſaut bruſque, laiſſe derrière elle un vuide immenſe, & poſe deux bornes éloignées dont il eſt impoſſible de remplir l’intervalle. C’eſt ainſi que certains végétaux jouiſſent déjà de quelques avantages de l’animalité ! Il en eſt de même de l’or, du mercure & du ſoufre, comparés aux autres ſubſtances minérales & métalliques ; & enfin de l’homme qui laiſſe à une ſi grande diſtance les autres animaux.

Il eſt très-peu de mines de diamant. Juſqu’à ces derniers tems, on n’en connoiſſoit que dans les Indes orientales. La plus ancienne eſt ſur la Gouel, qui ſort des montagnes & va ſe perdre dans le Gange. On l’appelle mine de Solempour, du nom d’une bourgade bâtie près de l’endroit de la rivière où ſe trouvent les diamans. Mais cette mine eſt peu abondante ; ainſi que celle qu’on fouille aux environs du Succadan qui coule dans l’iſle de Bornéo. La chaîne de montagnes, qui s’étend depuis le cap Comorin juſqu’au Bengale, en a fourni davantage.

Il y a une grande variété dans le ſol d’où l’on tire ces diamans. Pluſieurs de ces mines ont ſix, huit, juſqu’à douze pieds de profondeur, dans un terrein ſablonneux & pierreux. On en fouille d’autres, dans une eſpèce de minerai ferrugineux où elles s’enfoncent juſqu’à cinquante braſſes. Mais partout, cette pierre ſingulière eſt iſolée & ne paroit adhérente à aucune baſe, à aucun rocher. Elle eſt enveloppée de toutes parts d’une pellicule mince un peu terne & de même nature que le noyau. Cette pellicule eſt communément recouverte d’une première croûte peu ſolide, formée de la terre ou du ſable même qui l’environne.

Si l’on en excepte quelques voyageurs curieux, les Européens ne fréquentent pas les mines de l’Indoſtan. Ce ſont les naturels du pays qui les exploitent & qui livrent les diamans à de riches Banians qui les portoient autrefois a Madras & qui, depuis qu’on a pratiqué des chemins, commencent à prendre la route de Calcutta. Ce commerce tout entier eſt tombé, depuis aſſez long-tems, entre les mains de quelques Anglois qui négocient pour leur propre compte, ils diſtribuent les pierres de poids différent, de qualités diverſes, en bourſes aſſorties qui, à Londres, ſont vendues cachetées avec leurs factures. En faiſant des ſix dernières années une année commune, le prix réuni de tous ces diamans s’eſt élevé par an à 3 420 000 liv. À cette évaluation, qui ne comprend que ce qui étoit enregiſtré, il faut ajouter ce qu’on n’a pas déclaré pour éviter le droit de deux & trois quarts pour cent qu’il faut payer à la compagnie des Indes.

Entre ces diamans, il y en avoit un d’une forme très-irrégulière, qui peſoit 193 karats tout taillé. Il appartenoit à un Arménien qui refuſa de le céder à l’impératrice de Ruſſie pour deux millions cinq cens mille livres & une rente viagère de ving-cinq mille francs. Perſonne ne ſe préſenta pour l’acheter ; & ce négociant fut trop heureux que M. Orloff renouvelât quelque tems après l’offre de deux millions cinq cens mille liv. mais ſans penſion. En 1772, Catherine voulut bien accepter, le jour de ſa fête, des mains de ſon favori, ce riche préſent.

Il étoit à craindre que les révolutions, qui bouleverſent ſi ſouvent l’Indoſtan, ne rendiſſent les diamans plus rares. On fut raſſuré par une découverte, qui en 1728, fut faite au Bréſil ſur quelques branches de la rivière das Caravelas, & à Serro de Frio dans la province de Minas-Geraes.

Des eſclaves, condamnés à chercher de l’or, y trouvoient mêlées de petites pierres luiſantes qu’ils repouſſoient, comme inutiles, avec le ſable & le gravier. Antoine Rodrigues Banha, ſoupçonna leur prix & fit part de ſes idées à Pedro d’Almeida, gouverneur du pays. Quelques-uns de ces brillans cailloux furent envoyés à la cour de Liſbonne qui, en 1730, chargea d’Acunha, ſon miniſtre en Hollande, de les faire examiner. Après des épreuves multipliées, les gens de l’art prononcèrent que c’étoient de très-beaux diamans.

Auſſi-tôt les Portugais en ramaſſèrent avec tant de diligence qu’il en vint onze cens quarante-ſix onces par la flotte de Rio-Janeiro. Cette abondance en fit baiſſer le prix conſidérablement : mais les meſures priſes par un miniſtère attentif, les ramenèrent bientôt à leur première valeur. Il conféra à quelques riches aſſociés le droit excluſif de la fouille des diamans. Pour mettre même des bornes à la cupidité de cette compagnie, on régla qu’elle ne pourroit employer à ce travail que ſix cens eſclaves. Dans la ſuite, en lui accorda la liberté d’en multiplier à ſon gré le nombre, en payant cent ſols par jour pour chaque tête de mineur.

Pour aſſurer l’exécution du privilège, les mines d’or qu’on exploitoit au voiſinage furent généralement fermées ; & ceux qui avoient fondé l’eſpoir de leur fortune ſur cette baſe ſouvent trompeuſe, ſe virent contraints de porter ailleurs leur activité. Il fut permis aux autres citoyens de reſter ſur leurs héritages : mais la loi décerna des peines capitales contre ceux d’entre eux qui bleſſeroient les droits accordés au monopole. Depuis que le ſouverain a pris la place de la compagnie, tous les colons ont la liberté de faire chercher des diamans : mais ſous l’obligation de les livrer aux agens de la couronne, au prix qu’elle-même a fixé, & en payant vingt pour cent de cette valeur.

Les diamans qui doivent paſſer du Nouveau-Monde dans l’ancien, ſont enfermés dans une caſſette à trois ſerrures, dont les principaux membres de l’adminiſtration ont séparément les clefs ; & ces clefs ſont déposées dans un autre coffre ſur lequel le vice-roi doit appoſer ſon cachet. Au tems du privilège excluſif, ce précieux dépôt, à ſon arrivée en Europe, étoit remis au gouvernement qui retenoit, ſuivant un tant réglé, les diamans infiniment rares qui paſſoient vingt karats, & en livroit tous les ans, au profit de la compagnie, à un ou pluſieurs contractans réunis, quarante mille karats, à des prix qui ont ſucceſſivement varié. On s’étoit engagé, d’un côté, à recevoir cette quantité, de l’autre à n’en pas répandre davantage, & quel que fût le produit néceſſairement varié des mines, ce contrat ne reçut jamais d’atteinte.

Aujourd’hui, la cour jette dans le commerce ſoixante mille karats de diamans. C’eſt un ſeul négociant qui s’en ſaiſit & qui donne 3 120 000 liv. à raiſon de 25 liv. le karat. Si la fraude s’élève à un dixième, comme le penſent tous les gens inſtruits, ce ſera 312 000 liv. qu’il faudra ajouter à la ſomme touchée par le gouvernement. Il ſe trouvera que le produit de ces mines, dont on aime à exagérer la richeſſe, ne s’élève pas annuellement à plus de 3 432 000 livres. L’Angleterre & la Hollande achètent ces diamans bruts, & les fournirent plus ou moins bien taillés aux autres nations.

Les diamans du Bréſil ne ſont pas tirés d’une carrière. Ils ſont la plupart épars dans des rivières, dont on détourne plus ou moins ſouvent le cours. S’y ſont-ils formés ? Y ſont-ils portés par les eaux qui s’y précipitent ? C’eſt ce qui n’eſt pas encore éclairci. Ce qui feroit pencher à croire qu’ils y ſont entraînés par les torrens qui les ont détachés des rochers & des montagnes, c’eſt l’accroiſſement de leur quantité dans la ſaiſon des pluies & après de grands orages.

Aux Indes Orientales & Occidentales, les mines ſont placées à peu de diſtance de la ligne ; les unes dans les premiers degrés de latitude boréale, & les autres dans les degrés correſpondans de latitude méridionale. La croûte qui enveloppe les diamans bruts eſt plus épaiſſe aux diamans du Bréſil qu’à ceux de l’Indoſtan ; & il eſt aisé ou du moins poſſible de les diſtinguer ſous cette forme. Mais lorſqu’ils ſont une fois taillés, les plus habiles lapidaires s’y méprennent. Auſſi valeur eſt-elle la même dans le commerce. Cette égalité doit s’entendre ſeulement des petits diamans. Ceux d’Amérique, qui paſſent quatre ou cinq karats, ont la plupart des imperfections qu’on remarque rarement aux diamans d’Aſie ; & alors la différence dans les prix eſt prodigieuſe. Quelques arrières accordent auſſi aux derniers plus de dureté, plus de vivacité qu’aux autres : mais cette opinion n’eſt pas généralement reçue.

Dans les pays de l’or & des diamans, on trouve encore des amétiſtes, des topaſes très-imparfaites, & des criſolites d’une aſſez grande beauté. Ces pierres n’ont jamais été ſoumiſes au monopole ; & ceux qui les découvrent en peuvent diſpoſer de la manière qu’ils jugent la plus convenable à leurs intérêts. Cependant leur exportation annuelle ne s’élève pas au-deſſus de 150 000 liv. ; & les droits que perçoit le gouvernement, à raiſon d’un pour cent, ſe réduiſent à 1 500 l.

Ces riches contrées offrent auſſi des mines de fer, de ſoufre, d’antimoine, d’étain, de plomb, de vif-argent, qui ſe retrouvent dans quelques autres provinces du Bréſil, ſans qu’on ſe ſoit jamais occupé du ſoin d’en ouvrir aucune. La nature paroît n’avoir refusé que le cuivre à cette vaſte & fertile région du nouvel hémiſphère.