Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre V/Chapitre 18

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XVIII. Démélés des Ruſſes & des Chinois dans la Tartarie.

Les Ruffes, qui, vers la fin du ſeizième ſiècle, avoient conquis les plaines incultes de la Sibérie, étoient arrivés de déſert en déſert juſqu’au fleuve Amur qui les conduiſois à la mer Orientale, & juſqu’à la Selenga, qui les approchoit de la Chine, dont ils avoient entendu vanter les richeſſes.

Les Chinois comprirent que les courſes des Ruſſes pourroient avec le tems troubler leur tranquilité ; & ils conſtruiſirent quelques forts, pour arrêter un voiſin, dont l’ambition devenoit ſuſpecte. Alors commencèrent entre les deux nations des difputes vives, touchant les frontières. Leurs chaſſeurs fe chargeoient fouvent ; & l’on fe croyoit tous les jours à la veille d’une guerre ouverte. Heureuſement, les plénipotentiaires des deux cours parvinrent à fe concilier en 1689. Les limites des deux puiſſances furent posées à la rivière Kerbechi, près de l’endroit même où l’on négocioit, à trois cens lieues de la grande muraille. C’eſt le premier traité qu’euſſent fait les Chinois, depuis la fondation de leur empire. Cette pacification offrit une autre nouveauté. On accorda aux Ruſſes la liberté d’envoyer tous les ans une caravane à Pékin, dont les étrangers avoient été conſtamment éloignés, avec des précautions tout-à-fait myſtérieuſes. Il fut aifé de voir que les Tartares, qui s’étoient pliés aux mœurs & au gouvernement de la Chine, s’écartoient de ſes maximes politiques.