Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre VIII/Chapitre 24

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XXIV. Gouvernement civil établi par l’Eſpagne dans le Nouveau-Monde.

Il falloit un gouvernement aux différens peuples dont nous venons de parler. La cour de Madrid donna la préférence au plus abſolu. Les monarques Eſpagnols concentrèrent dans leurs mains tous les droits, tous les pouvoirs, & en confièrent l’exercice à deux délégués, qui, ſous le nom de vice-rois, devoient jouir, tout le tems de leur commiſſion, des prérogatives de la ſouveraineté. On les entoura même dans leurs fonctions publiques & juſque dans leur vie privée, d’une repréſentation qui parut propre à augmenter le reſpect & la terreur que le commandement devoit inſpirer. Le nombre de ces places éminentes fut doublé depuis, ſans qu’il arrivât jamais la moindre altération dans leur dignité. Cependant leur conduite, comme celle de tous les agens inférieurs, fut ſoumiſe à la cenſure du conſeil des Indes, tribunal érigé en Europe pour régir, ſous l’inſpection du monarque, les provinces conquiſes dans le Nouveau-Monde.

Dans ces contrées éloignées furent ſucceſſivement établies dix cours de juſtice, chargées d’aſſurer la tranquilité des citoyens & de terminer les différends qui s’élèveroient entre eux. Ces tribunaux, connus ſous le nom d’audiences, prononcèrent définitivement ſur les matières criminelles : mais les procès purement civils qui s’élevoient au-deſſus de 10 156 piaſtres ou de 54 843 liv. pouvoient être portés, par appel, au conſeil des Indes. La prérogative accordée à ces grands corps de faire des remontrances aux dépoſitaires de l’autorité royale, & la prérogative plus conſidérable encore attribuée à ceux des capitales, de remplir les fonctions des vice-royautés lorſqu’elles étoient vacantes : ces droits les élevèrent tous à un degré d’importance qu’ils n’auroient pas obtenu comme magiſtrats.