Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XI/Chapitre 22

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XXII. Misérable condition des eſclaves en Amérique.

On aime à croire & à dire en Amérique, que les Africains ſont également incapables de raiſon & de vertu. Un fait d’une autorité certaine fera juger de cette opinion.

Un bâtiment Anglois, qui, en 1752, commerçoit en Guinée, fut obligé d’y laiſſer ſon chirurgien, auquel le mauvais état de ſa ſanté ne permettoit plus de ſoutenir la mer. Murrai s’occupoit du ſoin de ſe rétablir, lorſqu’un vaiſſeau Hollandois s’approcha de la côte, mit aux fers des noirs que la curioſité avoit attirés ſur ſon bord, & s’éloigna rapidement avec ſa proie.

Ceux qui s’intéreſſoient à ces malheureux, indignés d’une trahiſon ſi noire, accourent à l’inſtant chez Cudjoc, qui les arrête à ſa porte, & leur demande ce qu’ils cherchent. Le blanc qui eſt chez vous, s’écrient-ils ; il doit être mis à mort, puiſque ſes frères ont enlevé nos frères. Les Européens qui ont ravi nos concitoyens ſont des barbares, répond l’hôte généreux ; tuez-les quand vous les trouverez. Mais celui qui loge chez moi eſt un être bon, il eſt mon ami ; ma maiſon lui ſert de fort ; je ſuis ſon ſoldat, & je le défendrai. Avant d’arriver à lui, vous marcherez ſur moi. Ô mes amis ! quel homme juſte voudroit entrer chez moi, ſi j’avois ſouffert que mon habitation fût ſouillée du ſang d’un innocent ? Ce diſcours calma le courroux des noirs ; ils ſe retirèrent tout honteux du deſſein qui les avoit conduits ; & quelques jours après, ils témoignèrent à Murrai lui-même, combien ils ſe trouvoient heureux de n’avoir pas conſommé un crime, qui leur auroit causé d’éternels remords.

Cet événement doit faire préſumer que les premières impreſſions que reçoivent les Africains dans le Nouveau-Monde, les déterminent vers des bonnes ou mauvaiſes qualités. Des expériences répétées ne permettent pas d’en douter. Ceux qui tombent en partage à un maître humain, embraſſent d’eux-mêmes ſes intérêts. Ils prennent inſenſiblement l’eſprit, les affections de l’atelier où ils ſont fixés. Cet attachement va quelquefois juſqu’à l’héroïſme. Un eſclave Portugais, qui avoit déſerté dans les bois, ayant appris que ſon ancien maître étoit arrêté pour un aſſaſſinat, vint s’en accuſer lui-même en juſtice, ſe mit dans les fers à la place du coupable, fournit les preuves fauſſes, mais juridiques, de ſon prétendu crime, & ſubit le dernier ſupplice. Des actes d’une nature ſi ſublime doivent être rares. Voici une action moins héroïque, mais fort eſtimable.

Un colon de Saint-Domingue avoit un eſclave de confiance, qu’il flattoit toujours d’une liberté prochaine, & auquel il ne l’accordoit jamais. Plus cette eſpèce de favori faiſoit d’efforts pour ſe rendre utile, & plus ſes chaînes ſe reſſerroient, parce qu’il devenoit de plus en plus néceſſaire. Cependant l’eſpérance ne l’abandonna pas, mais il réſolut d’arriver au but déſiré par une autre voie.

Dans quelques quartiers de l’iſle, les nègres ſont chargés eux-mêmes de leur habillement, de leur nourriture. Pour qu’ils puiſſent pourvoir à ces beſoins, on leur accorde un terrein borné, & deux heures par jour pour le cultiver. Ceux d’entre eux qui ont de l’activité, de l’intelligence, ne ſe bornent pas à tirer leur ſubſiſtance de leurs petites plantations, ils en obtiennent un ſuperflu qui leur aſſure une fortune plus ou moins conſidérable.

Louis Deſrouleaux, que ſes projets rendoient très-économe & très-laborieux, eut bien-tôt amaſſé des fonds plus que ſuffiſans pour ſe racheter. Il les offrit avec tranſport pour prix d’une indépendance tant de fois promiſe. J’ai trop trafiqué du ſang de mes ſemblables, lui dit ſon maître, d’un ton humilié : ſois libre, tu me rends à moi-même. Tout de ſuite cet homme, dont le cœur avoit été plutôt égaré que corrompu, vend ſes habitations & s’embarque pour la France.

Pour ſe rendre dans ſa province, il falloit traverſer Paris. Il ne vouloit s’y arrêter que peu : mais les plaiſirs variés que lui offroit cette ſuperbe & délicieuſe capitale, le retinrent juſqu’à ce qu’il eût follement diſſipé les richeſſes acquiſes par de longs & heureux travaux. Dans ſon déſeſpoir, il jugea moins humiliant d’aller ſolliciter en Amérique les ſervices de ceux qui lui devoient leur avancement, que de mendier en Europe les ſecours de ceux qui l’avoient ruiné.

Son arrivée au cap François cauſa une ſurpriſe univerſelle. Sa ſituation n’y fut pas plutôt connue, qu’on s’éloigna généralement de lui. Toutes les maiſons lui furent fermées, aucun cœur ne s’ouvroit à la compaſſion. Il étoit réduit à couler à l’écart des jours obſcurs, dans l’opprobre qui ſuit l’indigence & ſur-tout l’indigence méritée, lorſqu’il vit Louis tomber à ſes pieds. Daignez, lui dit ce vertueux affranchi, daignez accepter la maiſon de votre eſclave ; on vous y ſervira, on vous y obéira ; on vous y aimera. S’apercevant bientôt que le reſpect qu’on doit aux infortunés, que les égards qu’on doit aux bienfaiteurs, ne rendoient pas heureux ſon ancien maître, il le preſſa d’aller vivre en France. Ma reconnoiſſance vous y ſuivra, lui dit-il, en embraſſant ſes genoux. Voilà un contrat de 1 500 livres de rente que je vous conjure d’accepter. Cette nouvelle marque de votre bonté, remplira mes jours de conſolation.

La penſion a toujours été payée d’avance depuis cette époque. Quelques préſens de ſentiment l’ont conſtamment ſuivie de Saint-Domingue en France. Celui qui la donnoit & celui qui la recevoit, vivoient encore en 1774. Puiſſent-ils l’un & l’autre ſervir long-tems de modèle à ce ſiècle orgueilleux, ingrat & dénaturé !

Pluſieurs traits ſemblables à celui de Louis Deſrouleaux, ont touché le cœur de quelques colons. Pluſieurs diroient volontiers comme le chevalier Villiam Gooch, gouverneur de la Virginie, à qui on reprochoit de ſaluer un nègre qui l’avoit prévenu : Je ſerois bien fâché qu’un eſclave fût plus honnête que moi.

Mais il y a des barbares qui, regardant la pitié comme une foibleſſe, ſe plaiſent à tenir la verge de la tyrannie toujours levée. Grâces au ciel, ils en ſont punis par la négligence, par l’infidélité, par la défection, par le ſuicide des déplorables victimes de leur cupidité. On voit quelques-uns de ces infortunés, ceux de Mina ſpécialement terminer fièrement leur vie, avec la perſuaſion, qu’après la mort, ils renaîtront dans leur patrie, qu’ils étoient le plus beau pays du monde. L’eſprit de vengeance fournit à d’autres des reſſources plus deſtructives encore. Inſtruits dès l’enfance dans l’art des poiſons, qui naiſſent pour ainſi dire ſous leurs mains, ils les emploient à faire périr les bœufs, les chevaux, les mulets, les compagnons de leur eſclavage, tous les êtres qui ſervent à l’exploitation des terres de leur oppreſſeur. Pour écarter loin d’eux tous les ſoupçons, ils eſſaient leurs cruautés ſur leurs femmes, leurs enfans, leurs maîtreſſes, ſur tout ce qu’ils ont de plus cher. Ils goûtent dans ce projet affreux de déſeſpoir, le double plaiſir de délivrer leur eſpèce d’un joug plus horrible que la mort, & de laiſſer leur tyran dans un état de misère qui le rapproche de leur état. La crainte des ſupplices ne les arrête point. Il entre rarement dans leur caractère de prévoir l’avenir ; & d’ailleurs, ils ſont bien aſſurés de tenir le ſecret de leur crime à l’épreuve des tortures. Par une de ces contrariétés inexplicables du cœur humain, mais communes à tous les peuples éclairés ou ſauvages, on voit les nègres allier, à leur poltronnerie naturelle, une fermeté inébranlable. La même organiſation qui les ſoumet à la ſervitude, par la pareſſe de l’eſprit & le relâchement des fibres, leur donne une vigueur, un courage inouïs, pour un effort extraordinaire : lâches toute leur vie, héros dans un moment. On a vu l’un de ces malheureux ſe couper le poignet d’un coup de hache, plutôt que de racheter ſa liberté par le vil miniſtère de bourreau. Un autre avoit été mis légèrement à la torture pour une faute de peu d’importance, dont même il n’étoit pas coupable. Son reſſentiment le décide à ſe ſaiſir de la famille entière de ſon oppreſſeur & à la porter ſur les toits. Le tyran veut rentrer dans l’habitation, & eſt lancé à ſes pieds le plus jeune de ſes enfans. Il lève la tête, & c’eſt pour voir tomber le ſecond. À genoux & déſeſpéré, il demande, en tremblant la vie du troiſième. La chute de ce dernier rejeton de ſon ſang accompagnée de celle du nègre lui apprend qu’il n’eſt plus père ni digne de l’être.

Cependant rien n’eſt plus affreux que la condition du noir dans tout l’archipel Américain. On commence par le flétrir du ſceau ineffaçable de l’eſclavage, en imprimant avec un fer chaud ſur ſes bras ou ſur ſes mamelles le nom ou la marque de ſon oppreſſeur. Une cabane étroite, mal-ſaine, ſans commodités, lui ſert de demeure. Son lit eſt une claie plus propre à briſer le corps qu’à le repoſer. Quelques pots de terre, quelques plats de bois, forment ſon ameublement. La toile groſſière qui cache une partie de ſa nudité, ne les garantit ni des chaleurs inſupportables du jour, ni des fraîcheurs dangereuſes de la nuit. Ce qu’on lui donne de manioc, de bœuf ſalé, de morue, de fruits & de racines, ne ſoutient qu’a peine ſa misérable exiſtence. Privé de tout, il eſt condamné à un travail continuel, dans un climat brûlant, ſous le fouet toujours agité d’un conducteur féroce.

L’Europe retentit depuis un ſiècle des plus ſaines, des plus ſublimes maximes de la morale. La fraternité de tous les hommes eſt établie de la manière la plus touchante dans d’immortels écrits. On s’indigne des cruautés civiles ou religieuſes de nos féroces ancêtres, & l’on détourne les regards de ces ſiècles d’horreur & de ſang. Ceux de nos voiſins que les Barbareſques ont chargé de chaînes, obtiennent nos ſecours & notre pitié. Des malheurs même imaginaires, nous arrachent de§ larmes dans le ſilence du cabinet & ſur-tout au théâtre. Il n’y a que la fatale deſtinée des malheureux nègres qui ne nous intéreſſe pas. On les tyranniſe, on les mutile on les brûle, on les poignarde ; & nous l’entendons dire froidement & ſans émotion. Les tourmens d’un peuple à qui nous devons nos délices ne vont jamais juſqu’à notre cœur.

L’état de ces eſclaves, quoique par-tout déplorable, éprouve quelque variation dans les colonies. Celles qui jouiſſent d’un ſol étendu, leur donnent communément une portion de terre qui doit fournir à tous leurs beſoins. Ils peuvent employer à ſon exploitation une partie du dimanche, & le peu de momens qu’ils dérobent les autres jours au tems de leurs repas. Dans les iſles plus reſſerrées, le colon fournit lui-même la nourriture, dont la plus grande partie a paſſé les mers. L’ignorance, l’avarice ou la pauvreté, ont introduit dans quelques-unes un moyen de pourvoir à la ſubſiſtance des nègres, également deſtructeur pour les hommes & pour la culture. On leur accorde le ſamedi ou un autre jour pour gagner, ſoit en travaillant dans les habitations voiſines, ſoit en les pillant, de quoi vivre pendant la ſemaine.

Outre ces différences tirées de la ſituation locale des établiſſemens dans les iſles de l’Amérique, chaque nation Européenne a une manière de traiter ſes eſclaves qui lui eſt propre. L’Eſpagnol en fait les compagnons de ſon indolence ; le Portugais, les inſtrumens de ſes débauches ; le Hollandois, les victimes de ſon avarice. Aux yeux de l’Anglois, ce ſont des êtres purement phyſiques, qu’il ne faut pas uſer ou détruire ſans néceſſité : mais jamais il ne ſe familiariſe avec eux, jamais il ne leur ſourit, jamais il ne leur parle. On dit où qu’il craint de leur laiſſer ſoupçonner que la nature ait pu mettre entre eux & lui quelque trait de reſſemblance. Auſſi en eſt-il haï. Le François, moins fier, moins dédaigneux, accorde aux Africains une ſorte de moralité ; & ces malheureux, touchés de l’honneur de ſe voir traités comme des créatures preſque intelligentes, paroiſſent oublier qu’un maître impatient de faire fortune, outre preſque toujours la meſure de leurs travaux, & les laiſſe manquer ſouvent de ſubſiſtances.

Les opinions même des Européens influent ſur le ſort des nègres de l’Amérique. Les proteſtans qui n’ont pas l’eſprit de prosélytiſme, les laiſſent vivre dans le mahométiſme, ou dans l’idolâtrie où ils ſont nés, ſous prétexte qu’il ſeroit indigne de tenir ſes frères en Chriſt dans la ſervitude. Les catholiques ſe croient obligés de leur donner quelques inſtructions, de les baptiſer : mais leur charité ne s’étend pas plus loin que les cérémonies d’un baptême, nul & vain pour des hommes qui ne craignent pas les peines d’un enfer, auquel ils ſont, diſent-ils, accoutumés dès cette vie.

Tout les rend inſenſibles à cette crainte, & les tourmens de leur ſervitude, & les maladies auxquelles ils ſont ſujets en Amérique. Deux leur ſont particulières, c’eſt le pian & le mal d’eſtomac. Le premier effet de la dernière, eſt de leur rendre la peau & le teint olivâtres. Leur langue blanchit ; un ſommeil inſurmontable les appeſantît ; ils ſont languiſſans, incapables du moindre exercice. C’eſt un anéantiſſement, un affaiſſement total de la machine. On eſt ſi découragé dans cet état, qu’on ſe laiſſe aſſommer plutôt que de marcher. Le dégoût des alimens doux & ſains, eſt accompagné d’une eſpèce de paſſion pour tout ce qui eſt ſalé ou épicé. Les jambes s’enflent, la poitrine s’engorge ; peu échappent. La plupart finiſſent par être étouffés, après avoir ſouffert & dépéri pendant pluſieurs mois.

L’épaiſſiſſement du ſang, qui paroît être la ſource de ces maux, peut venir de pluſieurs cauſes. Une des principales eſt ſans doute le chagrin qui doit s’emparer de ces hommes, qu’on arrache violemment à leur patrie, qui ſe voient garrottés comme des criminels, qui ſe trouvent tout-à-coup ſur mer pendant deux mois ou ſix ſemaines, qui du ſein d’une famille chérie, paſſent ſous la verge d’un peuple inconnu, dont ils attendent les plus affreux ſupplices. Une nourriture nouvelle pour eux, peu agréable en elle-même, les dégoûte dans la traversée. À leur arrivée dans les iſles, les alimens qu’on leur diſtribue ne ſont ni ſuffiſans, ni bons. Celui qui leur eſt ſpécialement deſtiné, le manioc, eſt en lui-même très-dangereux. Il tue très-rapidement les animaux qui en mangent, quoique, par une contradiction trop ordinaire dans la nature, ils en ſoient avides. Si cette racine ne produit pas un ſi funeſte effet ſur les hommes, c’eſt qu’ils n’en font uſage qu’après des préparations qui lui ont ôté tout ſon venin. Mais combien ces procédés doivent être accompagnés de négligence, lorſqu’ils n’ont pour objet que des eſclaves !

L’art s’occupe depuis long-tems de trouver des remèdes contre cette maladie de l’eſtomac. Après bien des expériences, on a jugé que rien n’étoit plus ſalutaire que de donner aux noirs qui en ſont atteints trois onces de ſuc de calebaſſier rampant, avec une doſe à-peu-près pareille d’une eſpèce d’atriplex, connu dans les iſles ſous le nom de jargon. Ce breuvage eſt précédé par un purgatif, fait avec un demi-gros de gomme-gutte, délayé dans du lait ou dans l’eau de miel.

Le pian, qui eſt la ſeconde maladie particulière aux nègres, & qui les ſuit d’Afrique en Amérique, ſe gagne par naiſſance, & ſe contracte par communication. Il eſt commun aux deux ſexes. On en eſt atteint à tout âge : mais plus particulièrement dans l’enfance & dans la jeuneſſe. Les vieillards ont rarement des forces ſuffiſantes pour réſiſter aux longs & violens traitemens qu’il exige.

On compte quatre ſortes de pian. Le boutonné, grand & petit comme la petite-vérole ; celui qui reſſemble à la lentille ; & enfin le rouge, le plus dangereux de tous.

Le pian attaque toutes les parties du corps, le viſage principalement. Il ſe manifeſte par des taches ronges & grainelées comme la framboiſe. Ces taches dégénèrent en ulcères ſordides ; & le mal finit par gagner les os. En général, il y a peu de ſenſibilité.

La fièvre attaque rarement ceux qui ont le pian. Ils boivent & mangent à leur ordinaire, mais ils ont un éloignement preſque invincible pour tout mouvement, ſans lequel cependant on ne peut eſpérer de guériſon.

L’éruption dure à-peu-près trois mois. Pendant ce long eſpace de tems on nourrit le malade de giromon, de riz cuit ſans graiſſe ni beurre, & on lui donne, pour boiſſon unique, de l’eau où l’on a fait bouillir l’un & l’autre de ces végétaux. Il doit être d’ailleurs tenu très-chaudement, & livré à tous les exercices qui favoriſent le plus fortement la tranſpiration.

Elle arrive enfin l’époque où il faut purger le malade, le baigner, & lui donner du mercure intérieurement & en friction, de manière à n’établir qu’une douce ſalivation. On ſeconde l’effet de ce remède, le ſeul ſpécifique, par des tiſanes faites avec des plantes ou des bois ſudorifiques. Il faut même les continuer long-tems, après que la cure eſt regardée comme finie.

L’ulcère, qui a ſervi d’égout pendant le traitement, n’eſt pas toujours fermé au terme même de la maladie. On le guérit alors avec le précipité rouge & un digeſtif.

Les nègres ont une méthode particulière pour faire sécher leurs puſtules. Ils y appliquent du noir de chaudière, détrempé dans du ſuc de limon ou de citron.

Tous les nègres venus de Guinée, ou nés aux iſles, hommes & femmes, ont le pian une fois en leur vie. C’eſt une gourme qu’ils ſont obligés de jeter : mais il eſt ſans exemple qu’aucun d’eux en ait été attaqué de nouveau, lorſqu’il avoit été guéri radicalement. Les Européens ne prennent jamais, ou preſque jamais cette maladie, malgré le commerce fréquent, on peut dire journalier, qu’ils ont avec les négreſſes. Celles-ci nourriſſent les enfans blancs, & ne leur donnent point le pian. Comment concilier ces faits qui ſont inconteſtables, avec le ſyſtême que la médecine paroît avoir adopté ſur la nature du pian ? Pourquoi ne veut-on pas que le germe, le ſang & la peau des nègres, ſoient ſuſceptibles d’un venin particulier à leur eſpèce ? La cauſe de ce mal eſt peut-être dans celle de leur couleur : une différence en amène d’autres. Il n’y a point d’être ni de qualité qui ſoient iſolés dans la nature. Mais, quel que ſoit ce mal, il eſt prouvé que quatorze ou quinze cens mille noirs, aujourd’hui épars dans les colonies Européennes du Nouveau-Monde, ſont les reſtes infortunés de huit ou neuf millions d’eſclaves qu’elles ont reçus. Cette deſtruction horrible ne peut pas être l’ouvrage du climat, qui ſe rapproche beaucoup de celui d’Afrique, & moins encore des maladies qui, de l’aveu de tous les obſervateurs, moiſſonnent peu de victimes. Sa ſource doit être dans le gouvernement des eſclaves. Ne pourroit-on pas le corriger ?