Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XI/Chapitre 27

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XXVII. De la culture du rocou.

Le rocou eſt une teinture rouge, nommée achiote par les Eſpagnols, dans laquelle on plonge les laines blanches qu’on veut teindre de quelque couleur que ce ſoit. L’arbre qui le donne eſt auſſi haut & plus touffu que le prunier. Il a l’écorce rouſſeâtre, les feuilles grandes, alternes, en cœur, accompagnées à leur baſe de deux ſtipules ou membranes qui tombent de bonne heure. Les fleurs diſposées en bouquets ont un calice à cinq diviſions, dix pétales légèrement purpurins, dont cinq ſont intérieurs & plus petits. Ils tiennent, de même qu’un grand nombre d’étamines, ſous le piſtil qui eſt couronné d’un ſeul ſtyle. Le fruit eſt une capſule d’un rouge foncé, hériſſée de pointes molles, large à ſa baſe, rétrécie par le haut. Elle s’ouvre dans ſa longueur en deux grandes valves, garnies intérieurement d’un réceptacle longitudinal, couvert de ſemences. Ces ſemences ſont enduites d’une ſubſtance extractive & rouge, qui eſt le rocou proprement dit. Cet arbre fleurit & fructifie deux fois dans l’année.

Il ſuffit qu’une des huit ou dix gouſſes, que chaque bouquet contient, s’ouvre d’elle-même, pour qu’on puiſſe les cueillir toutes. On en détache les graines, qui ſont miſes auſſi-tôt dans de grandes auges remplies d’eau, Lorſque la fermentation commence, les graines ſont remuées fortement avec de grandes ſpatules de bois, juſqu’à ce que le rocou en ſoit entièrement détaché. On verſe enſuite le tout dans des cribles de jonc, qui retiennent ce qu’il y a de ſolide, & laiſſent écouler dans des chaudières de fer une liqueur épaiſſie, rougeâtre & fétide. À meſure qu’elle bout, on la recueille dans de grandes baſſines. Quand elle n’en fournit plus, on la jette comme inutile ; & l’on remet dans la chaudière l’écume qu’on en a tirée.

Cette écume, qu’on fait bouillir pendant dix ou douze heures, doit être continuellement remuée avec une ſpatule de bois, pour qu’elle ne s’attache point à la chaudière & ne noirciſſe point. Lorſqu’elle eſt cuite ſuffiſamment & un peu durcie, on la met ſur des planches où elle ſe refroidit. On la diviſe enſuite en pain de deux ou trois livres, & toutes les préparations ſont terminées.