Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XII/Chapitre 6

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VI. État actuel de Porto-Rico.

Porto-Rico a trente-ſix lieues de long, dix-huit de largeur & cent de circonférence. Nous pouvons aſſurer que c’eſt une des meilleures iſles, & peut-être, dans la proportion de ſon étendue, la meilleure iſle du Nouveau-Monde. L’air y eſt ſain & aſſez tempéré. Un grand nombre de petites rivières l’arroſent de leurs eaux pures. Ses montagnes ſont couvertes de bois utiles ou précieux, & ſes vallées d’une fertilité qu’on retrouve rarement ailleurs. Toutes les productions propres à l’Amérique proſpèrent ſur ce ſol profond. Un port sûr, des rades commodes, des côtes faciles le joignent à tant d’avantages.

Sur cette terre, privée de ſes ſauvages habitans par des férocités que trois ſiècles n’ont pas fait oublier, ſe forma ſucceſſivement une population de quarante-quatre mille huit cens quatre-vingt-trois hommes, ou blancs, ou de races mêlées. La plupart étoient nus. Leurs maiſons étoient des cabanes. La nature ſeule ou preſque ſeule fourniſſoit à leur ſubſiſtance. C’étoit avec du tabac, avec des beſtiaux, avec ce que le gouvernement envoyoit d’argent pour l’entretien d’un état civil, religieux & militaire, que la colonie payoit les toiles & quelques autres objets de peu de valeur que les iſles voiſines & étrangères lui fourniſſoient clandeſtinement. Elle ne voyoit annuellement arriver de ſa métropole qu’un petit bâtiment dont la cargaiſon ne paſſoit pas dix mille écus, & qui reprenoit la route de l’Europe chargé de cuirs.

Tel étoit Porto-Rico, lorſqu’en 1765, la cour de Madrid porta ſon attention ſur Saint-Jean, port excellent même pour les flottes royales, & auquel on ne déſireroit que plus d’étendue. On entoura de fortifications la ville qui le domine. Les ouvrages furent ſur-tout multipliés vers une langue étroite & marécageuſe, le ſeul endroit par où la place puiſſe être attaquée du côté de terre. Deux bataillons & une compagnie de canonniers paſſèrent la mer pour les aller défendre.

À cette époque, une poſſeſſion qui n’avoit annuellement reçu du fiſc que 378 000 l. lui en coûta 2 634 433 qui arrivèrent régulièrement du Mexique. Ce numéraire excita à quelques travaux. Dans le même tems, l’iſle, qui avoit été juſqu’alors dans les liens du monopole, put recevoir tous les navigateurs Eſpagnols. Les deux moyens réunis donnèrent un commencement de vie à un établiſſement dont le néant étonnoit toutes les nations. Sa dixme, qui, avant 1765, ne rendoit que 81 000 livres, s’eſt élevée à 230 418 livres.

Au premier janvier 1778, Porto-Rico comptoit quatre-vingt mille ſix cens ſoixante habitans, dont ſix mille cinq cens trente ſeulement étoient eſclaves. Il comptoit ſoixante-dix-ſept mille trois cens quatre-vingt-quatre bêtes à corne ; vingt-trois mille cent quatre-vingt-quinze chevaux ; quinze cens quinze mulets ; quarante-neuf mille cinquante-huit têtes de menu bétail.

Sur les plantations qui étoient au nombre de cinq mille ſix cens quatre-vingt-un, on récoltoit deux mille ſept cens trente-ſept quintaux de ſucre ; onze cens quatorze quintaux de coton ; onze mille cent ſoixante-trois quintaux de café ; dix-neuf mille cinq cens cinquante-ſix quintaux de riz ; quinze mille deux cens ſeize quintaux de mais ; ſept mille quatre cens cinquante-huit quintaux de tabac ; neuf mille huit cens ſoixante quintaux de mélaſſe.

Dans les pâturages, dont on comptoit deux cens trente-quatre, la reproduction annuelle étoit de onze mille trois cens ſoixante-quatre bœufs ; de quatre mille trois cens trente-quatre chevaux ; de neuf cens cinquante-deux mulets ; de trente-un mille deux cens cinquante-quatre têtes de menu bétail.