Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIII/Chapitre 30

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XXX. Quelles ſont les dépendances de la Guadeloupe.

La Déſirade, éloignée de quatre ou cinq lieues de la Guadeloupe, eſt une de ces iſles. Son terrein, exceſſivement aride & de dix lieues de circonférence, ne compte que peu d’habitans, tous occupés de la culture de quelques pieds de café, de quelques pieds de coton. On ignore en quel tems précisément a commencé cet établiſſement, mais il eſt moderne.

Les Saintes, éloignées de trois lieues de la Guadeloupe, ſont deux très-petites iſles qui, avec un iſlot, forment un triangle & un aſſez bon port. Trente François, qu’on y avoit envoyés en 1648, furent bientôt forcés de les évacuer par une séchereſſe extraordinaire qui tarit la ſeule fontaine qui donnât de l’eau, avant qu’on eût eu le tems de creuſer des citernes. Ils y retournèrent en 1652, & y établirent des cultures durables qui produiſent aujourd’hui cinquante milliers de café & cent milliers de coton.

À ſix lieues de la Guadeloupe eſt Marie-Galante, qui a quinze lieues de circuit. Les nombreux ſauvages qui l’occupoient en furent chaſſés, en 1648, par les François qui eurent des attaques vives & fréquentes à repouſſer pour ſe maintenir dans leur uſurpation. C’eſt un ſol excellent où s’eſt ſucceſſivement formée une population de ſept ou huit cens blancs & de ſix ou ſept mille noirs, la plupart occupés de la culture du ſucre.

Saint-Martin & Saint-Barthélemy ſont auſſi dans la dépendance de la Guadeloupe, quoiqu’ils en ſoient éloignés de quarante-cinq & cinquante lieues. On a parlé de la première de ces iſles dans l’hiſtoire des établiſſemens Hollandois. Il reſte à dire quelque choſe de la ſeconde.

On lui donne dix à onze lieues de tour. Ses montagnes ne ſont que des rochers & ſes vallées que des ſables, jamais arrosées par des ſources ou par des rivières, & beaucoup trop rarement par les eaux du ciel. Elle eſt même privée des commodités d’un bon port, quoique tous les géographes l’aient félicité de cet avantage. En 1646, cinquante François y furent envoyés de Saint-Chriſtophe. Maſſacrés par les Caraïbes en 1656, ils ne furent remplacés que trois ans après. L’aridité du ſol les fit recourir au bois de gayac qui couvroit leur nouvelle patrie, & dont ils firent de petits ouvrages qu’on recherchoit aſſez généralement. Cette reſſource eut un terme, & le ſoin de quelques beſtiaux qui alloient alimenter les iſles voiſines, la remplaça. La culture du coton ne tarda pas à ſuivre, & la récolte s’en élève à cinquante ou ſoixante milliers, lorſque, ce qui arrive le plus ſouvent, des séchereſſes opiniâtres ne s’y oppoſent pas. Juſqu’à ces derniers tems, les travaux ont tous été faits par les blancs ; & c’eſt encore la ſeule des colonies Européennes établies dans le Nouveau-Monde, où les hommes libres daignent partager avec leurs eſclaves les travaux de l’agriculture. Le nombre des uns ne paſſe pas quatre cens vingt-ſept, ni celui des autres trois cens quarante-cinq. L’iſle, dans ſon plus grand rapport, en nourriroit difficilement beaucoup davantage.

La misère de ſes habitans eſt ſi généralement connue, que les corſaires ennemis qu’on y a vu ſouvent relâcher, ont toujours fidèlement payé le peu de rafraîchiſſemens qui leur ont été fournis, quoique les forces manquaient pour les y contraindre. Il y a donc encore de la pitié, même entre des ennemis & dans l’âme des corſaires. Ce n’eſt donc que la crainte & l’intérêt qui rendent l’homme méchant. Il n’eſt jamais cruel gratuitement. Le pirate armé, qui pille un vaiſſeau richement chargé, n’eſt pas ſans équité ni ſans entrailles pour des inſulaires que la nature a laiſſés ſans reſſource & ſans défenſe.